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Lorsque le dernier arbre, de Michael Christie

Éditions Albin Michel, 2021

ISBN 9782226441003

608 p.

22,90 €

Greenwood
Traduit de l’anglais (Canada) par Sarah Gurcel


Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L’un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l’ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme de guide, sans véritable espoir d’un avenir meilleur.
Jusqu’au jour où un ami lui apprend qu’elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse…


Il faudrait tout de même qu’on m’explique un jour par quel miracle il y a, en Amérique du Nord, autant d’auteurs capables de sortir de nulle part pour balancer des romans énormes, tant par le volume que par le contenu. Des pavés géniaux, brillants, menés avec une telle perfection apparemment sans effort qu’ils en deviennent imparables.
Je ne vais pas citer d’exemples, vous en avez sûrement tous au moins un en tête. Sachez juste que le Canadien Michael Christie s’inscrit, avec ce deuxième roman éblouissant (le premier n’a pas été traduit en France, à la différence du recueil de nouvelles qui a introduit son œuvre, Le Jardin du mendiant), dans ce registre admirable dont nous ne pouvons qu’être un peu jaloux de notre côté de l’Atlantique.

Imparable, je l’ai dit. Impossible de résister à la construction en spirale de Lorsque le dernier arbre, qui nous attrape en 2038, dans un futur proche et anxiogène terriblement réaliste, pour nous conduire au cœur du livre jusqu’en 1908, au fil de bonds générationnels passant par 2008, 1974 et 1934 ; avant de repartir dans le sens inverse par les mêmes étapes pour nous ramener, à bout de souffle et étourdis d’admiration, à la case départ.
Sauf qu’entre les deux, nous aurons découvert toute l’histoire de la famille Greenwood, en particulier sa « fondation » en 1908 (cette partie centrale, différente même du reste dans sa narration – posée par un « nous » collectif et un passage au passé, alors que le reste du récit est au présent -, est à la fois déterminante et incroyablement brillante), et les liens qu’elle entretient durant plus de cent ans avec les arbres.

Comme son titre l’indique, Lorsque le dernier arbre est un roman dendrologique. Le récit plonge au cœur du passé selon des cercles concentriques qui rappellent les cernes d’un tronc d’arbre grâce auxquels on peut déterminer son âge, et connaître les différentes étapes de sa vie.
Du péril fictionnel en 2038 d’un déboisement quasi total de la planète, et des conséquences terrifiantes que cela pourrait avoir sur la survie des espèces vivantes – y compris la nôtre, bien sûr -, Michael Christie remonte dans le temps pour décrire la manière dont les humains exploitent la nature sans autre considération que celle de ses intérêts et profits.

Il tente d’opposer à cette folie spéculative le combat de quelques résistants, à l’image de Willow, fille de l’exploitant sans scrupule Harris Greenwood, dont l’activisme utopique paraît bien fragile, voire risible, face à la puissance du capitalisme dans toute sa splendeur. Ou de décrire la manière dont certains, tel Everett Greenwood, le frère de Harris, conçoivent les forêts comme abri ultime où réfugier leur désir profond de solitude et de tranquillité, ou leur besoin de se cacher des poursuites et de la violence des hommes.
N’allez pas imaginer pour autant que le roman cède à la facilité du manichéisme – les « gentils » écolos contre les « méchants » exploiteurs. On en est même loin ! Tous les personnages ont leurs failles, leurs raisons d’être, leurs ombres et leurs lumières. Leur profondeur inouïe, qui se découvre peu à peu, est l’une des grandes forces et beautés du roman.

De part et d’autre de la brève partie consacrée aux événements fondateurs de 1908, la plus grosse partie de Lorsque le dernier arbre se concentre sur l’année 1934. S’y développe un périple steinbeckien d’une puissance inouïe, rehaussé de péripéties et de rebondissements captivants, mais aussi et surtout de personnages dont la grandeur tragique a quelque chose de shakespearien. On comprend que les autres cernes du roman ne sont là que pour éclairer les choix et les parcours des magnifiques Everett, Harris, Temple, Liam Feeney, Harvey Lomax, Euphemia Baxter, et la petite Gousse bien sûr, et tous ceux dont ils croisent la route.
Cette immense double partie est balayée de poussière et de vent, résonne du fracas des trains sur les rails, se perd dans les vapeurs d’opium, vibre à l’accent inimitable d’un poète irlandais ou à l’amour imprévisible d’un vétéran de la Première Guerre mondiale pour une petite fille trouvée… accrochée à un arbre (inévitablement). Elle justifie à elle seule d’accoler au roman de Michael Christie le qualificatif de grand livre – histoire de pas abuser du trop galvaudé « chef d’œuvre », que quelques légères baisses d’intensité (notamment dans les parties plus contemporaines) empêchent de convoquer ici. Mais on n’en est vraiment pas loin du tout.

Au bout du compte, Lorsque le dernier arbre rejoint quelques glorieux aînés littéraires au panthéon des grands romans mettant en parallèle l’histoire des arbres et celle des hommes, associant récit historique, considérations dendrologiques, démesure tragique, puissance visionnaire et réflexions sociologiques de tout premier ordre. Et tient toute sa place aux côtés de L’Arbre-Monde de Richard Powers, ou Serena de Ron Rash.
Il y a pire, comme compliment.

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Sur la route du papier d’Erik Orsenna

Ex-prof d’histoire-géo ratée, j’avais été contrainte et forcée sous la torture par mes professeurs de feu l’IUFM de lire Voyage au pays du coton, du même auteur. J’avais adoré cet ouvrage. Plus de six ans après les faits, je m’en souviens encore, ce qui est pour moi assez rare. L’ouvrage était comme son sujet : léger tout en étant robuste, avec un je-ne-sais-quoi d’aérien dans l’écriture.

Ma vocation de géographe ayant été perturbée, je n’ai pas vu passer sous mes yeux L’Avenir de l’eau, paru en 2008, le tome 2 de ces Petits précis de mondialisation, comme il est indiqué sur la couverture. Voici donc qu’est sorti l’opus n°3 fin février.

Le sujet est complexe. Mais les écrits d’Erik Orsenna sont extrêmement intéressants. On sent sa méticulosité et son amour du travail bien fait, sur un sujet qui lui tient à coeur, le papier.

Cependant, je me suis parfois perdue dans les méandres de ma lecture. Un paragraphe, il est dans tel pays, quinze lignes plus loin, il est dans un autre… J’avoue avoir eu du mal à suivre notre énergique Académicien dans les recoins de la planète. Ma question fut, au détour des pages : pourquoi est-il là? Qui lui a dit qu’il y avait une papeterie ici? Mon esprit terre à terre sans doute. Le syndrome de la portière ouverte au cinéma, sûrement (mais si, vous avez toujours quelqu’un autour de vous qui remarque les petits détails au cinéma : l’inspecteur de police qui court après un méchant, alors qu’il a laissé les clés sur sa voiture, etc…)

Par contre, le gros point positif de cet ouvrage, outre le fait que vous connaîtrez tout de la déforestation en Indonésie et que vous pourrez parler du papier d’Echizen avec Monsieur Sennelier, LE magasin où les artistes du monde entier achètent leurs papiers à dessin, c’est qu’Erik Orsenna ne s’est pas attardé uniquement sur le papier au sens premier du terme, une simple feuille, un livre, un support pour écrire. Non. Il a cherché le papier dans tous les sens du terme. Y compris le papier hygiénique.

En résumé, Sur la route du papier est un documentaire passionnant, tout en constituant en quelque sorte les mémoires d’Orsenna. Un tome parfois un peu indigeste, mais mené à bon port avec maestria par l’auteur. Un bel ouvrage qui conclut fort bien une trilogie. Tout comme Le retour du Jedi était la fin parfaite pour la Guerre des étoiles.

Sur la route du papier d’Erik Orsenna
Editions Stock, 2012
9782234063358
310p., 21€50

Un article de Clarice Darling.