À première vue : la rentrée Minuit 2020

Intérêt global :
Chez Minuit, on sort la grosse artillerie. Traditionnellement, la maison historique publie peu, s’autorisant même à ne pas participer à la rentrée littéraire si aucun texte n’est prêt.
En cette année particulière, le hasard veut que deux des plus grands noms du catalogue à l’étoile bleue proposent leur nouveau livre en même temps.
Histoires de la nuit, de Laurent Mauvignier
Considéré comme l’un des meilleurs écrivains français contemporains, adulé par certains, Laurent Mauvignier fait aussi partie de ces auteurs à qui l’on promet le Goncourt à chaque nouvelle parution, et qui ne l’a jamais. À tort ou à raison, zat is ze question.
Quatre ans après l’excellent Continuer, revoici donc Mauvignier, avec un roman dont le résumé laisse penser à un thriller (!), impression renforcée par un titre évoquant un conte macabre… Nous sommes à la Bassée, un bourg réduit à sa plus simple expression, quelques maisons disséminées dans la nature. (Rien à voir donc avec la ville du nord qui porte le même nom et compte plus de 6000 habitants (merci l’ami Wiki)). N’y vivent qu’une famille, Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, et une artiste prénommée Christine. Ce petit monde s’active à préparer la fête célébrant les 40 ans de Marion. Mais des inconnus sont surpris en train de rôder autour du hameau…
Dit comme ça, ça fait un peu envie, hein ? Bon, j’ai eu le texte. Je l’ai ouvert. J’ai essayé de lire la première phrase, qui doit faire une quinzaine de lignes. J’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois avant d’en comprendre le sens. Trop d’incises, trop de complications, trop de tours et détours qui visent à faire comprendre la confusion de l’héroïne en provoquant celle du lecteur. D’entrée de jeu, même si je comprends l’intention, ça me gonfle, j’avoue.
Il faudra peut-être s’acharner, Mauvignier après tout n’a jamais été un écrivain « facile ». Mais ce genre de procédé, oui, parfois, ça me fatigue, désolé. J’espère revenir dans quelques semaines en disant que son roman, au bout du compte, est formidable (ce que son résumé inattendu, encore une fois, peut laisser espérer). Il faudra juste que je me fasse un peu violence.
Les émotions, de Jean-Philippe Toussaint
Toussaint aime bien les cycles. Après la tétralogie M.M.M.M. (comme Marie Madeleine Marguerite de Montalte, la femme au centre de ce projet littéraire en quatre saisons), le voici qui déroule une suite consacrée à Jean Detrez, un agent de la Commission Européenne que l’on a découvert l’année dernière dans La Clé USB. Le voici qui s’interroge sur la distinction entre avenir public, qui peut s’étudier sur une base scientifique, entre avenir privé, qui convoque des sensations beaucoup plus volatiles et incertaines.
Et pour en savoir plus, et tâcher d’y comprendre quelque chose, il faudra lire le livre. (Non, je ne fais du teasing facile, je ne l’ai pas lu. Et n’ai pas tellement l’intention de le faire, d’ailleurs, ayant déjà zappé le précédent.)
Continuer, de Laurent Mauvignier
Signé Bookfalo Kill
Une mère et son fils chevauchent à travers les plaines et les montagnes du Kirghizistan. S’ils en sont là, à braver les voleurs de chevaux, à dormir sous la tente ou chez l’habitant, à découvrir les paysages hallucinants d’un pays sauvage et méconnu, c’est parce que Sybille a décidé de sauver son enfant. A dix-sept ans, Samuel est sur la mauvaise pente, dépassant allègrement les limites connues de la rébellion adolescente. Il fallait réagir, et comme Sybille ne comptait pas sur Benoît, son ex-mari dont le seul principe éducatif consiste à cultiver une complicité virile assez lourdingue avec son fils, elle a décidé de contraindre Samuel à un voyage aussi rude qu’inattendu.
Un parcours initiatique, à deux, qui pourrait également constituer une opération de sauvetage pour Sybille, elle à qui tout souriait dans sa jeunesse et pour qui tout s’est écroulé du jour au lendemain…
Laurent Mauvignier a pour principe de n’être jamais là où on pourrait l’attendre. D’où cette histoire de périple à cheval, tête-à-tête houleux entre une mère blessée et son adolescent écorché vif, qui joue la carte du dépouillement pour mieux tenter de toucher à l’os des sentiments et de la vérité des personnages.
Articulé en trois parties – « Décider », « Peindre un cheval mort » et « Continuer » -, Continuer est marqué par une montée en puissance assez spectaculaire. Au début, je l’avoue, une fois intégré le dépaysement offert par les paysages et les habitants du Kirghizistan, j’ai craint de trouver anodines les aventures assez peu épiques de Sybille et Samuel, la mise en place des personnages flirtant avec des clichés bon marché, peu dignes de la réputation du romancier.
Et puis, petit à petit, la sensibilité fait son nid – sans sensiblerie. Le style de Mauvignier, si l’on retrouve son art des phrases longues et rythmées par de nombreuses virgules, s’affine et s’épure néanmoins, traquant l’essentiel au détour de réflexions tortueuses qui épousent le cours troublé des pensées des protagonistes. Ceux-ci, plutôt antipathiques (tristement humains ?) au départ, révèlent alors peu à peu leur complexité, les motifs de leurs errances, alors même que les circonstances de plus en plus épiques de leur voyage les forcent à évoluer.
À vrai dire, j’ai eu le sentiment que le roman basculait à mi-parcours (il faut donc être un peu patient), lors d’une scène spectaculaire d’embourbement des chevaux – moment de bravoure littéraire absolument admirable. Obligés de recourir à toutes leurs ressources pour se sortir de ce piège, Sybille et Samuel semblent accomplir avec une violence vitale le premier geste qui leur permettra à terme de s’extirper de leurs vies en plein ratage. Comme une renaissance, arrachée symboliquement de la boue et des souffrances les plus extrêmes, qui projette le livre vers l’avant avec une énergie neuve et belle.
Cette avancée doit beaucoup au merveilleux personnage de Sybille, si désolante au début, si peu armée pour un tel combat, mais qui s’échine à poursuivre sa quête de rédemption familiale avec un entêtement maladroit forçant le respect. Un superbe personnage féminin à qui son auteur masculin ne fait pas de cadeaux, sans doute parce qu’il la comprend mieux que personne.
Dépaysant, taillé dans une matière littéraire brute, Continuer caresse au plus près les mystères d’une nature sauvage et de caractères qui ne le sont pas moins, pour en retirer la vérité la plus pure. Fort et exigeant, c’est l’un des beaux romans de cette rentrée.
Continuer, de Laurent Mauvignier
Éditions de Minuit, 2016
ISBN 978-2-0732-983-7
240 p., 17€
A première vue : la rentrée Minuit 2016
La rentrée 2016 des éditions de Minuit est sans doute la plus simple et la plus rapide qu’il m’ait été donné de présenter depuis que j’ai commencé cet exercice, puisqu’elle se résume à un seul auteur. Mais il s’agit bien sûr d’un des plus importants de la maison, et le trouver seul en lice est tout sauf le fruit du hasard. Disons-le clairement, la vénérable maison aspire au Prix Goncourt, et peut d’autant plus y croire que la concurrence semble à première vue assez limitée cette année. Néanmoins, vous savez ce qu’on dit de la peau de l’ours…
À DADA SUR MON BIDET : Continuer, de Laurent Mauvignier (lu)
On peut affirmer sans prendre trop de risque qu’il s’agit d’un des romanciers français les plus importants d’aujourd’hui, en terme d’ambition et d’exigence littéraire. Après un roman choral spectaculaire, Autour du monde, qui faisait s’entrecroiser le destin de différents personnages tous liés de près ou de loin au tsunami japonais de 2011, Laurent Mauvignier réduit son casting à deux personnages principaux, une mère et son fils adolescent, dans les paysages rugueux du Kirghizistan. Une traversée à cheval de ce pays méconnu pour tenter de renouer les liens, sortir le garçon des mauvais chemins dans lesquels il semblait s’embourber en France, et permettre à la mère de redonner du sens à une existence marquée par les échecs.
Aride au départ, en raison des caractères sans concession des protagonistes, Continuer monte joliment en puissance au fil de trois parties salvatrices.
À noter, la sortie simultanée en poche d’Autour du monde, histoire de compléter le tableau Mauvignier de la rentrée.