Signé Bookfalo Kill
Montana, 2007. Appelé sur les lieux d’un crime, un officier de police trouve l’assassin couvert de sang, assis à une table, en train de boire tranquillement devant le cadavre de sa victime.
Un an plus tard, la psychologue Beatriz Brennan est chargée de réaliser une nouvelle expertise du meurtrier, qui reconnaît son crime et réclame la peine de mort. Parvenant à le mettre en confiance par sa franchise et son intérêt, elle le convainc de raconter son histoire. Ce qui nous ramène longtemps en arrière…
Il est toujours difficile de juger une œuvre quand elle n’est qu’une partie d’un tout – et là, en l’occurrence, la toute première partie d’un ensemble qui s’annonce vaste, puisque ce volume est le premier de quatre tomes qui constitueront seulement la première saison de Nobody. Le projet de Christian de Metter paraît donc ambitieux, ce que cette ouverture souligne en s’avérant dense et complexe. Je n’en dis pas plus volontairement, d’abord pour vous laisser le plaisir de suivre le récit proposé par le dessinateur-scénariste, ensuite parce que je ne suis pas certain que ces premières pages ne recèlent pas déjà quelques fausses pistes et autres mensonges savamment orchestrés… Normal, après tout, on est clairement dans une ambiance polar, genre dans lequel l’auteur a déjà brillé.
Ce que je peux affirmer en revanche, c’est le plaisir pris à retrouver le superbe travail graphique de Christian de Metter, que j’avais déjà admiré notamment grâce à son adaptation magistrale de Shutter Island, le roman de Dennis Lehane. Il joue avec un talent fou des nuances et des spectres de couleurs, faisant baigner l’ensemble de la B.D. dans des superbes teintes de vert ou d’ocre, plongeant les scènes de prison dans une semi-obscurité où éclate comme une menace permanente la combinaison orange du criminel. Il fait preuve par ailleurs d’un don tout cinématographique pour le découpage, faisant varier la taille, le nombre et la disposition des cases en fonction de ses besoins de mise en scène (quand il ne vire pas purement et simplement les cases, d’ailleurs), qui lui permettent de glisser de magnifiques plans de coupe ou des gros plans beaucoup plus éloquents que de longs dialogues.
Bref, ce « Soldat inconnu » constitue l’excellent début d’une série au long cours, dont on espère que les prochains tomes se succèderont sans trop tarder, car on brûle de connaître la suite – comme dans toute série qui se respecte, en somme !
Nobody : « Soldat inconnu », saison 1 épisode 1/4, de Christian de Metter
Éditions Soleil, coll. Noctambule, 2016
ISBN 978-2-302-05388-5
74 p., 15,95€
4 novembre 2016 | Catégories: B.D. | Tags: B.D., bande dessinée, Cannibales Lecteurs, Christian de Metter, coéquipier, confession, Episode 1, meurtre, Montana, nobody, Noctambule, peine de mort, polar, prison, programme, psychologue, Saison 1, série, secret, soldat inconnu, Soleil | 5 Commentaires
Les éditions du Seuil font partie des grosses écuries dont nous n’avons pas encore parlé cette année. Qu’à cela ne tienne, c’est parti ! Néanmoins, pas de quoi sauter au plafond non plus… Du côté des francophones, à part Alain Mabanckou, qu’on voit mal nous décevoir, les titres annoncés ne nous excitent pas plus que cela (constat entièrement personnel, évidemment). Ca pourrait être mieux du côté des étrangers – ça pourrait. Et dans le meilleur des mondes, nous pourrions aussi nous tromper complètement. Réponse(s) à la rentrée.
ÇA PIQUE, ÇA LANCE ET ÇA REPIQUE DERRIÈRE : Petit Piment, d’Alain Mabanckou
Petit Piment est un orphelin de Pointe-Noire dont la vie est pour le moins agitée. Pensionnaire d’une institution catholique dirigée par le tyrannique et corrompu Dieudonné Ngoulmoumako, il profite de la révolution socialiste pour s’évader, faire les quatre cent coups, puis se réfugier dans la maison close de Maman Fiat 500. Il y coule enfin des jours paisibles, jusqu’au au jour où le maire décide de s’attaquer à la prostitution. Ulcéré, Petit Piment passe en mode vengeance…
ON EN A GROS : Le Beau temps, de Marilyne Desbiolles (lu)
Roman biographique ou biographie romancée, roman documentaire, exofiction : les noms flous ne manquent pas pour tenter de définir ce genre très (trop ?) à la mode mêlant travail littéraire et personnages ou faits réels. Si Patrick Deville, Jean Echenoz et Eric Vuillard, entre autres, s’y sont brillamment illustrés, Marilyne Desbiolles aurait mieux de s’abstenir. Sa tentative, consacrée à Maurice Jaubert (compositeur de musique de films du début XXème) n’a définitivement rien d’un roman ; pas sublimée par un style, c’est une biographie assez pauvre et sans intérêt, ses rares incursions dans le texte pour ajouter de la matière littéraire s’avérant souvent ratées.
Y’A DE LA RELANCE SUR LE DEJA-VU : Les eaux troubles du mojito, de Philippe Delerm
Sous-titré « et autres belles raisons d’habiter sur terre », ce petit livre ramène Delerm sur le chemin balisé qu’il avait ouvert avec La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, celui de textes courts et poétiques sur les petites choses qui font le sel de la vie quotidienne. C’était il y a dix-huit ans et rien n’a changé ou presque.
UN ROI A LA TAVERNE : La Saison des Bijoux, d’Eric Holder
Écrivain de l’intime, Eric Holder revient avec une immersion dans le monde des marchands ambulants. Le temps d’un été, Jeanne, Bruno et leur tribu s’installent dans une petite ville de la côte Atlantique et tiennent un stand sur le marché. Entre les différents artisans et maraîchers présents autour d’eux, Forgeaud, le patron des lieux, est subjugué par Jeanne et se promet de la posséder avant la fin de la saison… Un huis-clos au grand air, passionnel et intimiste, qui sert de prétexte à une galerie de personnages hauts en couleur.
UNAGI : Les Désœuvrés, d’Aram Kebabdjian
La Cité est une résidence où se côtoient de nombreux artistes, uniquement préoccupés de créer en ce lieu pensé pour eux. Chaque chapitre de ce long premier roman s’intéresse à une œuvre et à un artiste imaginés de toutes pièces par l’auteur, composant une vision de l’art contemporain. L’idée est intéressante, mais sur 512 pages, j’espère qu’on verra évoluer les personnages et que le livre ne se résumera pas à une longue énumération, sous peine de finir par manquer d’intérêt…
ELLE EST OÙ LA POULETTE ? : Villa des femmes, de Charif Majdalani
Le romancier libanais (qui écrit en français) met en parallèle, dans le Liban des années 60, la guerre de succession suivant le décès de Skandar Hayek, un homme d’affaires prospère dont la famille se déchire, et la guerre civile qui ébranle le pays. L’occasion pour les femmes de la famille de prendre le pouvoir…
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LA PENTE FATALE : Un cheval entre dans un bar, de David Grossman
(traduit de l’hébreu par Nicolas Weill)
Sous les yeux du juge Avishaï Lazar, un ancien ami d’école, un comédien monte sur la scène d’un club miteux d’Israël, où son numéro de comique vulgaire dérape soudain vers une confession inattendue et terrible. Depuis Une femme fuyant l’annonce, prix Médicis étranger 2011, le romancier israélien est très suivi.
IL TABASSE LE ROUQUIN : Un mauvais garçon, de Deepti Kapoor
(traduit de l’anglais (Inde) par Michèle Albaret-Maatsch)
Sa mère est morte, son père est parti, elle a vingt ans à New Delhi. Elle voudrait brûler sa vie mais se plie aux conventions sociales, pas le choix. Jusqu’au jour où elle rencontre ce mauvais garçon qui l’attire irrésistiblement. Sexe, drogue, alcool, elle plonge corps et âme avec lui dans une ville beaucoup plus dangereuse et palpitante qu’elle ne l’imaginait.
J’AI UN PIVERT DANS LA TÊTE, C’EST NORMAL ? : Les hémisphères, de Mario Cuenca Sandoval
(traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon)
En vacances à Ibiza, deux amis s’adonnent à tous les plaisirs, abusant notamment de dantéine, une drogue en forme de poudre orange. Sous son emprise, ils tuent accidentellement une jeune femme au volant de leur voiture. Des années plus tard, ils restent obsédés par l’image de celle qu’ils nomment « la Première Femme », croyant la voir réincarnée dans d’autres silhouettes féminines qu’ils pourchassent sans relâche.
(Merci à Alexandre Astier pour les titres introduisant chaque présentation !)
30 juillet 2015 | Catégories: A première vue, Romans Etrangers, Romans Francophones | Tags: 2015, A première vue, accident, Alain Mabanckou, alcool, Alexandre Astier, années 60, Aram Kebabdjian, art, art contemporain, Artistes, Atlantique, été, bar, beau temps, bière, bijoux, biographie, Cannibales Lecteurs, Charif Majdalani, cheval, Cité, comédien, comique, composition, confession, création, dantéine, David Grossman, désoeuvrés, Deepti Kapoor, Delerm, documentaire, drogue, eaux, Eric Holder, Espagne, exofiction, famille, femme, gorgée, guerre civile, hémisphères, Holder, Ibiza, Inde, Israël, les eaux troubles du mojito, Liban, Mabanckou, maison close, marché, Marilyne Desbiolles, Mario Cuenca Sandoval, Maurice Jaubert, mauvais garçon, mojito, musique, musique de films, New Delhi, obsession, Petit Piment, Philippe Delerm, Pointe-Noire, première, première gorgée de bière, révolution, rentrée, rentrée littéraire, saison, saison des bijoux, Seuil, sexe, socialiste, troubles, un cheval entre dans un bar, vengeance, villa des femmes | Poster un commentaire
Signé Bookfalo Kill
Je venais de terminer la lecture du nouveau roman de Kazuo Ishiguro, Le Géant enfoui, et me demandais comment diable j’allais bien pouvoir le chroniquer (on en reparlera), quand j’ai ouvert ce bouquin. Et hop ! j’ai été aspiré. Impossible de faire autre chose que de le lire d’une traite, et de revenir aussitôt vers vous à présent pour vous le présenter, car c’est un pur régal.
Avec deux autres titres sortis simultanément, L’Enfer de Church Street inaugure en fanfare une nouvelle collection des excellentes éditions Gallmeister. L’objectif de Néonoir est en effet de remettre le plus pur roman noir américain au goût du jour, en publiant les oeuvres d’auteurs contemporains considérés comme de dignes héritiers de leurs prestigieux aînés (souvent parus chez Rivages ou dans la Série Noire période mythique), de Dashiell Hammett à Jim Thompson en passant par Ross MacDonald, Charles Willeford et j’en passe.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jake Hinkson est à la hauteur de la mission. Son premier roman est un concentré de noir, égayé néanmoins d’un ton souvent humoristique du meilleur effet.
Résumons, autant que faire se peut. Un homme pas vraiment recommandable, en fuite après avoir démonté la tronche de son contremaître, se retrouve vite aux abois. Planqué aux abords d’un restaurant, il repère un gros type près de sa voiture, proie facile qu’il décide de braquer. Sauf que le gros type, un dénommé Geoffrey Webb, s’avère un drôle de pèlerin que la vue d’un flingue braqué sur lui ne bouleverse pas plus que ça. Embarquant son agresseur dans sa voiture, il se met alors à lui raconter sa vie, une sale histoire plantée sur Church Street à Little Rock, Arkansas…
Pour ne pas trop en dire, ce serait dommage, je vais faire vite. La scène d’ouverture, ce braquage qui tourne court, est à l’image de l’ensemble du roman. Jake Hinkson pratique l’art du rebondissement inattendu avec une facilité d’autant plus réjouissante qu’il n’en rajoute jamais ; le récit prend des virages serrés sans jamais crisser des pneus, comme si tout y était parfaitement naturel (ce qui n’est pas souvent le cas). L’impact n’en est à chaque fois que plus fort.
Geoffrey Webb est un formidable anti-héros, dont le ton, mélange d’autodérision, d’hypocrisie flamboyante et de cynisme absolu, fait beaucoup pour la réussite du livre. Quant à l’histoire, encore une fois sans rien dévoiler, elle offre une plongée sournoise dans les secrets peu glorieux d’une petite ville et de ses familles, ainsi qu’un mitraillage à boulets rouges sur les impostures de la religion quand elle ne devient plus qu’une mascarade vide de sens. Quand on sait que Jake Hinkson a grandi dans un milieu religieux strict (et s’en est sorti, la preuve), on comprend mieux qu’il ait la dent dure à ce sujet, mais il le fait avec maîtrise, voire avec retenue, ce qui donne d’autant plus de densité à son propos.
L’Enfer de Church Street est donc un petit bijou de roman noir d’aujourd’hui, cruel et réjouissant, qui se dévore sans trêve, et fait honneur au nouveau projet éditorial d’Oliver Gallmeister. Un must, superbement traduit par Sophie Aslanides (magnifique traductrice de Craig Johnson, entre autres), à ne pas manquer !
L’Enfer de Church Street, de Jake Hinkson
Traduit de l’américain par Sophie Aslanides
Éditions Gallmeister, 2015
ISBN 978-2-35178-087-9
236 p., 15€
7 mars 2015 | Catégories: Polars | Tags: américain, Arkansas, église, braquage, Cannibales Lecteurs, Church Street, Collection, confession, enfer, Etats-Unis, famille, Gallmeister, humour, hypocrisie, Jake Hinkson, Little Rock, néonoir, religion, roman noir, USA, voiture | 9 Commentaires