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À première vue : la rentrée Métailié 2020

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Intérêt global :

joyeux


Cette année, les éditions Métailié – qui explorent la littérature étrangère avec talent et diversité, notamment la littérature sud-américaine – abordent la rentrée littéraire avec trois romans, soit moitié moins que les années précédentes. Et ce n’est pas un mal ! D’autant que ces trois livres paraissent agités, vivants, délicieusement singuliers. L’un d’entre eux me rend violemment curieux et très, très impatient (enfin !!!)
À première vue, donc, une très belle rentrée !


Samir Machado de Machado - TupinilandiaTupinilândia, de Samir Machado de Machado
(traduit du portugais (Brésil) par Hubert Tézenas)

Ma longue expérience de libraire m’a enseigné que les bandeaux, en plus d’emmerder le monde (ils se déchirent, gênent durant la lecture, passent leur temps à glisser et à se barrer des livres), sont l’équivalent du miel pour les mouches : des attrape-gourmands, bien sucrés, bien collants, qui ne tardent pas à peser sur l’estomac pour peu qu’on en abuse, voire à vous écœurer.
Riche de ce savoir durement acquis, il ne me viendrait évidemment pas à l’idée de frétiller comme un goujon en lisant ceci : « Entre Orwell et Jurassic Park, un blockbuster littéraire ». Il y a dans cette accroche à peu près tout ce qui peut m’agacer. Des raccourcis invraisemblables, une formule qui ne veut pas dire grand-chose…
Bien entendu, je meurs d’envie de le lire. En vrai, hein. Sans blague.
Parce que, comme un crétin, quand on m’appâte avec du Jurassic Park et du Orwell, je n’ai qu’une envie, foncer tête baissée. Surtout quand on y ajoute une couverture magnifique – et même si le résultat, au bout du compte, ne ressemblera sans doute ni à l’un, ni à l’autre…

En voici le résumé, que je vous livre tel qu’il a été proposé par l’éditrice :
Tupinilândia se trouve en Amazonie, loin de tout. C’est un parc d’attractions construit dans le plus grand secret par un industriel admirateur de Walt Disney pour célébrer le Brésil et le retour de la démocratie à la fin des années 1980. Le jour de l’inauguration, un groupe armé boucle le parc et prend 400 personnes en otages. Silence radio et télévision.
Trente ans plus tard, un archéologue qui ne cesse de répéter à ses étudiants qu’ils ne vont jamais devenir Indiana Jones revient sur ces lieux, avant qu’ils ne soient recouverts par le bassin d’un barrage. Il découvre à son arrivée une situation impensable : la création d’une colonie fasciste orwellienne au milieu des attractions du parc dévorées par la nature.
À la tête d’une troupe de jeunes gens ignorant tout du monde extérieur qu’ils croient dominé par le communisme, il va s’attaquer aux représentants d’une idéologie qu’il pensait disparue avec une habileté tirée de son addiction aux blockbusters des années 1980.

Eduardo Fernando Varela - Patagonie route 203Patagonie route 203, d’Eduardo Fernando Varela
(traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry)

La Patagonie, en soi, n’est pas le territoire le plus hospitalier du monde. Alors, quand on l’aborde en empruntant uniquement ses routes secondaires, on s’expose à de drôles d’aventures. C’est pourtant ce que choisit de faire Parker, saxophoniste de son état, qui parcourt les paysages rugueux de la région au volant de son camion. Un périple qui l’amène à rencontrer la faune locale, tout aussi rêche et déglinguée que son environnement.
Dépaysement et extravagance sont au programme de ce premier roman argentin, promesse rafraîchissante de singularité et d’humour décalé.

Fiston Mwanza Mujila - La Danse du vilainLa Danse du Vilain, de Fiston Mwanza Mujila

Très remarqué grâce à son premier roman, Tram 83, Fiston Mwanza Mujila renoue avec sa langue bariolée pour nous entraîner dans une ronde infernale et joyeuse, entre l’Angola en guerre et le Congo qui devient Zaïre. On y croise des gamins des rues, dont Sanza, échappé de sa famille pour vivre à fond cette nouvelle vie d’aventures, entre menus larcins, escapades cinématographiques et voyages improbables. Mais aussi des chercheurs de diamants, un écrivain autrichien lesté d’une valise pleine de phrases… et d’autres figures, que l’on retrouve tous à la nuit tombée au « Mambo de la fête », une boîte de nuit où l’on abandonne à la furie de la Danse du Vilain…


BILAN


Lecture certaine :
Tupinilândia, de Samir Machado de Machado

Lectures probables :
Patagonie route 203, d’Eduardo Fernando Varela
La Danse du Vilain, de Fiston Mwanza Mujila

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La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon

LafonJe n’étais pas née lors des Jeux Olympiques de Montréal. Mais le nom de Nadia Comaneci a toujours raisonné dans mes oreilles, comme dans celles de toutes les petits filles qui se rêvaient en gymnaste. Lola Lafon livre un ouvrage particulier, sorte de biographie romancée, d’entretiens fictifs avec la déesse de la gymnastique, d’hymne au corps féminin. 

Dans cet ouvrage, réalisé chronologiquement, l’héroïne et l’auteur communiquent sans se rencontrer, chacune cachée derrière son mode de communication, l’écriture pour l’une, les télécommunications pour l’autre. On passe de la petite fille de 14 ans, à l’ado en pleine croissance, dont le corps ne répond plus aux canons de la gymnastique soviétique, puis ce corps d’adulte qu’elle devient fatalement. On grandit avec le personnage principal et on vibre avec elle lors des compétitions. Les personnages secondaires ne sont pas en reste, avec l’omniprésent Béla, entraîneur acharné à faire travailler ses élèves, le couple Ceausescu, dictateurs satellites dans l’ombre de l’URSS, sans compter les innombrables journalistes qui mitraillent l’athlète.

Un des protagonistes de ce roman, c’est aussi le corps. Abîmé, épuisé, très souple, qu’on plie et replie dans tous les sens. Pour aller plus haut, plus vite, plus fort. Des petites filles habituées à taire leur douleur,  des peaux ouvertes, des plaies au coeur. Un corps de petite fille exhibée aux yeux de tous, comme une poupée parfaite, façonnée par le communisme et pour la gloire de la Roumanie. 

Comment grandir sous la tyrannie permanente? La tyrannie qu’elle et son entraîneur impose à son corps, la tyrannie des journalistes et autres commentateurs sportifs, si prompts à la juger lorsqu’elle perdra ses courbes enfantines, la tyrannie enfin, d’un système politique qui récupère l’image de la jeune athlète pour en faire une vitrine du communisme à l’étranger, allant même jusqu’à lui imposer une idylle avec le fils du dictateur? En fuyant la Roumanie. En disparaissant aux yeux de ses persécuteurs. En devenant enfin elle-même. « Ne me cherchez pas car je suis nulle part.« 

La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon
Editions Actes Sud
978 2 33 027285
309p., 21€

Un article de Clarice Darling.


Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia

Marre de 2011? Marre de vivre dans cette société sans foi ni loi? Vous voulez un retour aux sources?

Lisez Le club des incorrigibles optimistes. Vous arriverez en 1959, époque bénie de la vraie musique, des juke-box, de la gomina dans les cheveux et des blousons de cuir, même à Paris. Vous y croiserez Michel, 12 ans, et vous vous attacherez à lui. Forcément. Parce que ce petit garçon vous amènera à voir la société d’alors comme vous ne la soupçionniez pas.

Michel est intelligent, rêveur et aime profondément sa famille, son frère ainé surtout. Cependant, 12 ans, c’est l’âge des premières rébellions, des quiproquos avec les parents qui ne comprennent rien de toute façon. Michel va donc s’émanciper peu à peu de sa cellule familiale (dont les parents se séparent) pour chercher une autre famille, unie et soudée, une famille qui le comprenne. Ce sera chose faite avec une poignée d’hommes de l’Est, croisés dans un rade parisien, qui ont fui les persécutions staliniennes et les républiques soviétiques pour gagner leur vie. Souvent au détriment de leur propre famille, restée sur place.

Entre Igor, Pavel, Sacha, Léonid (et les autres!) et Michel vont se tisser des liens où les anciens vont montrer à l’enfant qu’il faut toujours avoir confiance en soi même si la vie est dure, avoir confiance en l’avenir et ne jamais désespérer du genre humain. Une magnifique leçon d’humanité sur fond de guerre d’Algérie, de baby-foot et de jeux d’échecs.

Si l’ouvrage est un peu long à s’installer, il se dévore rapidement, malgré le pavé de 729 pages. Jean-Michel Guenassia a écrit un roman délicat, juste, jamais cucul, sur la vie et les sentiments d’un petit garçon de 12 ans face à un monde qu’il ne comprend pas et avec lequel il est obligé de composer. On sent évidemment l’expérience et l’auteur a réussi un sacré pari de ne pas oublier le petit garçon de 12 ans qu’il était.

Moi qui suis née bien après 1959, en me plongeant dans ce livre, c’est comme si j’avais vécu cette période, pleine d’angoisse et d’insouciance. Je pouvais entendre le rock d’Elvis sur les juke-box du quartier Saint-Michel et marcher dans les traces de pas que Michel Marini a laissé sur le bitume des années.

Un livre poignant et délicat. A lire ou à relire absolument.

Le Club des Incorrigibles Optimistes de Jean-Michel Guenassia
Le livre de poche
ISBN 978-2-253-159-643
729p 8€50

Un article de Clarice Darling.