Cette année, sur la ligne de départ, pas de Yasmina Khadra, auteur phare de Julliard, mais Philippe Jaenada, autre écrivain vedette de la maison, répond présent à l’appel. Comme le garçon rencontre un succès certain depuis qu’il a fait évoluer son œuvre vers une forme d’exofiction mettant son auto-dérision coutumière au service de personnages réels et hauts en couleurs (Bruno Sulak, Pauline Dubuisson), cela justifie de causer de ce programme de rentrée, pas révolutionnaire par ailleurs – ce n’est pas forcément le genre.
PALME D’OR : La Serpe, de Philippe Jaenada
En 1941, après une vie déjà passablement agitée, Henri Girard est accusé d’avoir assassiné à coups de serpe son père, sa tante et leur bonne dans leur château près de Périgueux. Promis à la peine capitale, il obtient pourtant l’acquittement, et en profite pour s’exiler en Amérique latine. Il en revient quelques années plus tard pour publier sous le pseudonyme de Georges Arnaud Le Salaire de la peur, rapidement adapté au cinéma par Clouzot avec succès.
WONDER WOMAN : L’Insoumise de la porte de Flandre, de Fouad Laroui
Chaque jour, Fatima sort de chez elle protégée par son hijab, passe par un immeuble dont elle ressort vêtue à l’occidentale, et s’aventure dans l’Alhambra, un quartier mal famé de Bruxelles. L’un de ses voisins finit par remarquer son manège et la suit, intrigué… L’œuvre de Fouad Laroui s’irrigue souvent d’un humour salutaire pour contrer les extrémismes, c’est donc sur ce ton qu’on l’imagine raconter ce choix d’une jeune femme éprise de liberté.
TO BE OR NOT TO BE : Être, tellement, de Jean-Luc Marty
En attendant le guide qui va le conduire dans le Sertao, région aride du Brésil, Antoine rencontre Louise, qui n’a pas rejoint son mari et son fils à Sao Paulo comme prévu. Emmenés par Everton, le guide, ils se lancent dans une exploration autant géographique qu’intime.
JOAN OF ARC (JEANNE D’ARC AHOU) : La Part des anges, de Laurent Bénégui
Un homme erre sur le marché de Saint-Jean-de-Luz avec, dans son cabas, l’urne contenant les cendres de sa mère. La voix de cette dernière commente cette drôle de promenade et les rencontres que fait son fils.
27 juillet 2017 | Catégories: A première vue, Romans Francophones | Tags: 2017, Alhambra, Amérique Latine, être, Brésil, Bruxelles, Cannibales Lecteurs, cendres, château, Clouzot, condamnation, exil, fils, Flandre, Fouad Laroui, funéraire, Georges Arnaud, guide, Henri Girard, hijab, insoumise, Jean-Luc Marty, Julliard, Laurent Bénégui, marché, mère, meurtre, musulmane, occidentale, part des anges, Périgueux, peine de mort, Philippe Jaenada, porte, rentrée littéraire, Saint-Jean-de-Luz, salaire de la peur, serpe, Sertao, tellement, urne, voisin | Poster un commentaire
Du côté des éditions Julliard, on est plutôt en mode poids lourds pour cette rentrée 2015, puisque deux des trois auteurs présentant un roman dès le 20 août s’appellent Yasmina Khadra et Philippe Jaenada , grands noms de la maison. Anne Akrich, leur comparse féminine, née en 1986 et dont c’est le premier roman, ne sera pas de trop pour amener un peu de fraîcheur, même si les romans de ses illustres collègues présentent de solides arguments pour qu’on s’y intéresse.
LE CHANT DU BOURREAU : La Dernière nuit du Raïs, de Yasmina Khadra
On parlera forcément beaucoup de ce roman à la rentrée. D’abord parce que c’est Khadra, suivi par un large public. Ensuite pour son sujet, les dernières heures de Kadhafi, relatées dans un roman qui est l’occasion d’un retour sur la vie du dictateur libyen. Comme dans l’Attentat ou les Hirondelles de Kaboul, Khadra attaque à nouveau de front un sujet politique brûlant. On l’espère aussi brillant.
JE VOUS RÉÉCRIS DANS LE NOIR : La Petite femelle, de Philippe Jaenada
Fait rare, le même fait divers lointain aura été traité par deux écrivains différents la même année. Après Jean-Luc Seigle en janvier dans Je vous écris dans le noir, Jaenada s’intéresse à Pauline Dubuisson, coupable du meurtre de son amant en 1953, et dont l’histoire inspira un film de Clouzot, La Vérité. Seigle ayant réussi un roman beau et sobre sur le sujet, on attend le plus fantaisiste Jaenada au tournant.
LATEX : Un mot sur Irène, d’Anne Akrich
Premier roman d’une jeune femme de 29 ans, ce livre part de la mort d’une universitaire renommée, ayant tendance à emmener ses étudiantes dans son lit, et que l’on retrouve morte dans une chambre d’hôtel de New York à côté d’une poupée gonflable. Le mari d’Irène, frustré et gagné par la folie, raconte cette histoire. Ca va être chaud bouillant.
24 juillet 2015 | Catégories: A première vue, Romans Francophones | Tags: 2015, A première vue, amant, Anne Akrich, Bardot, Cannibales Lecteurs, Clouzot, dernière, dernière nuit du Raïs, fait divers, femelle, Irène, Jaenada, je vous écris dans le noir, Jean-Luc Seigle, Julliard, Kadhafi, Khadra, Libye, littéraire, meurtre, New York, nuit, Pauline Dubuisson, petite, petite femelle, Philippe Jaenada, premier roman, Raïs, rentrée, rentrée littéraire, sulfureux, un mot sur Irène, universitaire, vérité, Yasmina Khadra | 2 Commentaires
Signé Bookfalo Kill
Jean-Christophe Rufin fait partie de ces écrivains indispensables que je nomme les « raconteurs d’histoire ». Ceux qui vous attrapent dès le début de la lecture, l’air de rien, avec un style sans apprêt, fluide et efficace, une construction simple au service d’un récit limpide ; et qui vous relâchent à la fin, empli de sensations, d’un esprit d’aventure revigorant, et d’images claires et nettes qui vous suivront longtemps.
Délaissant le roman historique, genre dans lequel il a souvent œuvré avec bonheur, Rufin remet le couvert avec un suspense contemporain ancré dans la guerre en ex-Yougoslavie. Variation assumée sur le Salaire de la peur, le film de Clouzot, Check-Point s’appuie sur une intrigue assez simple : deux camions affrétés par une association humanitaire lyonnaise doivent traverser le pays déchiré pour atteindre le cœur de la Bosnie, et remettre à des réfugiés terrés dans une ancienne mine de quoi survivre dignement. Au volant, ils sont cinq : Lionel, le chef de l’équipée, jeune homme un peu trop rempli de l’importance de sa tâche, Alex et Marc, deux anciens militaires, Vauthier, mécanicien aux airs de barbouze, et Maud, 21 ans, qui cache sa beauté derrière des grosses lunettes moches et des vêtements amples, en quête d’un sens à son existence, qu’elle espère trouver grâce à cette mission.
A mesure que le voyage se déroule et que le danger se précise autour du convoi, la jeune idéaliste ne tarde pas à tomber de haut, d’autant que ses compagnons de voyage n’ont pas tous des intentions aussi pures qu’elle…
Rufin le raconteur d’histoire est donc bien au rendez-vous. Passé un prologue qui anticipe les problèmes que vont affronter ses héros, il déroule son récit en quatre parties distinctes. La première campe les personnages et leur mission ; la seconde les plonge dans le décor de la Yougoslavie en guerre et commence à faire tomber les masques ; la troisième bascule dans l’action pure et précipite les événements ; et la quatrième les conclut dans un sommet de suspense et de tension. C’est agréable à lire, prenant. Très bien.
Alors, qu’est-ce qui cloche ?
Le gros point faible de ce roman, c’est la caractérisation des personnages. Que de clichés ! A commencer par Maud, pivot de l’histoire, résumée à une gamine naïve et idéaliste, qui n’a jamais couché avec un garçon jusqu’à présent parce qu’elle avait peur du regard des hommes, peur d’être dominée, dépossédée – mais qui va tomber au fil de la route dans les bras d’un homme, séduite par sa dureté minérale, son intransigeance physique et morale qui cache tout de même une grande tendresse… Eurk.
Ce tournant de l’intrigue, qui correspond au début de la troisième partie, plombe cette dernière alors même que le suspense monte d’un cran et que le roman passe en mode action – d’autant que les autres personnages, dans l’ensemble, ne sont guère plus aidés par le romancier. A partir de là, j’ai beaucoup soupiré pendant ma lecture, déplorant cet excès de naïveté qui, certes, plaira à la fameuse ménagère de moins de cinquante ans (encore et toujours elle), mais m’a franchement gêné.
En fait, sachant que Jean-Christophe Rufin a vécu dans sa carrière d’humanitaire des événements similaires, j’ai regretté de ne pas sentir davantage son expérience, son engagement. Impossible de ne pas comparer avec le travail de Sorj Chalandon, l’ancien grand reporter de guerre devenu romancier pour exorciser ses souvenirs et mettre ses tripes sur la table, dans des livres puissants, poignants, inoubliables en somme. Chaque écrivain est et doit être différent des autres, certes. Mais rien de cette passion ne transparaît dans Check-Point, même si Rufin évoque les espoirs et les désillusions inévitables de la cause humanitaire, la confrontation d’idéaux incompatibles avec la violence absurde de la guerre et de la haine.
Comme souvent avec Rufin, Check-Point est donc un livre très plaisant à lire, l’exemple même du roman populaire de qualité, mais qui manque trop de chair et d’âme pour me convaincre et me marquer durablement. Une légère déception, après la lecture très convaincante l’année dernière du Collier rouge.
Check-Point, de Jean-Christophe Rufin
Éditions Gallimard, 2015
ISBN 978-2-07-014641-3
387 p., 21€
2 mai 2015 | Catégories: Romans Francophones | Tags: aventure, Balkans, Bosnie, camion, Cannibales Lecteurs, check-point, Clouzot, Gallimard, guerre, humanitaire, Jean-Christophe Rufin, salaire de la peur, Yougoslavie | 3 Commentaires
Signé Bookfalo Kill
Parmi vous qui me lisez aujourd’hui, vous êtes sans doute très peu à connaître le nom de Pauline Dubuisson, tout comme je l’ignorais avant de lire le roman de Jean-Luc Seigle. Elle eut pourtant ses (tristes) quarts d’heure de gloire. D’abord à la Libération, où elle fut tondue en place publique, puis victime d’un viol collectif et condamnée au peloton d’exécution, pour avoir couché avec un médecin allemand de l’hôpital de Dunkerque. Elle n’avait alors que seize ans.
Sauvée par son père colonel, elle rencontre Félix Bailly à la faculté de médecine de Lille. Après quelques années de « je t’aime moi non plus », elle retrouve Félix à Paris, où il est parti poursuivre ses études, et l’abat de trois coups de revolver. Arrêtée et jugée, elle échappe à la peine de mort pourtant réclamée avec passion par le procureur, et est condamnée à la perpétuité en 1953. Elle est libérée six ans plus tard pour bonne conduite.
Cette histoire, le cinéaste Henri-Georges Clouzot la popularise en 1960 avec le film La Vérité, énorme succès public (presque 6 millions d’entrées), où l’icône Brigitte Bardot incarne une version fictionnelle de Pauline Dubuisson.
Voici pour la véritable histoire, ou du moins une partie. Jean-Luc Seigle s’empare de la figure de Pauline alors qu’elle s’est réfugiée de l’autre côté de la Méditerranée, où elle espère reconstruire sa vie. Le roman s’ouvre sur la lumière chaude de l’Algérie, sur le bonheur d’un autre possible reposant sur de petites choses qui toutes ravissent Pauline après les épreuves qu’elle a traversées.
Mais le bonheur est éphémère, et lorsque Pauline (cachée sous un pseudonyme) tombe éperdument amoureuse de Jean, au point d’accepter sa demande en mariage, elle ne voit pas comment faire autrement que de lui révéler la vérité à son sujet. Partagé en cahiers, Je vous écris dans le noir prend donc la forme d’une confession adressée à Jean, où elle relate son existence, depuis son enfance jusqu’au drame et au procès.
En choisissant Pauline comme narratrice, en lui laissant la parole comme elle ne l’a sans doute jamais eue, Jean-Luc Seigle ne cache ni sa fascination pour le parcours dramatique de son héroïne, ni sa volonté presque amoureuse d’entreprendre une réhabilitation littéraire. S’approche-t-il plus près de la vérité que Clouzot ? A-t-il refait l’Histoire au profit de son histoire ? Peu importe, à vrai dire, car seul compte le résultat : ce portrait d’une femme que le destin n’a pas épargné, une femme libre, trop libre peut-être avant l’heure, complexe, passionnée, tortueuse et amoureuse.
Je vous écris dans le noir est un roman, certes inspiré de faits réels, mais c’est bel et bien un roman, c’est-à-dire un travail littéraire d’une grande finesse, sensible, tragique, très joliment écrit, et porteur également d’une belle réflexion sur l’écriture elle-même, sur ce qu’elle peut apporter à celui qui s’y confronte, en quête de sa propre vérité. Jean-Luc Seigle signe un beau livre, rare lumière de cette rentrée littéraire de janvier bien terne. Ne le manquez pas !
Je vous écris dans le noir, de Jean-Luc Seigle
Éditions Flammarion, 2015
ISBN 978-2-08-129240-6
234 p., 18€
21 janvier 2015 | Catégories: Romans Francophones | Tags: Algérie, amant, écris, Brigitte Bardot, Cannibales Lecteurs, Clouzot, fait divers, fiancé, film, histoire vraie, je vous écris dans le noir, Jean-Luc Seigle, libération, meurtre, Noir, Pauline Dubuisson, procès, roman, tondue, vérité | Poster un commentaire
Signé Bookfalo Kill
Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive.
Bon, commençons par l’évidence : c’est LE titre de la rentrée. Et même si Christophe Donner l’a vraisemblablement emprunté à Orson Welles (c’est ce qu’il affirme dans le livre), peu importe, l’effet claque est garanti, la curiosité bien giflée, on a envie de savoir ce qui se cache derrière. Et, ma foi, l’inspiration est bonne, car le bouquin l’est aussi, et puissamment.
Chantre de l’autofiction, où il s’est illustré de manière aussi brillante qu’agaçante, Donner se délaisse cette fois (ouf) mais reste dans la littérature du réel, puisqu’il s’empare de personnages ô combien célèbres : Claude Berri, Maurice Pialat, Jean-Luc Godard, Michel Simon, Jean Yanne, Brigitte Bardot, Milos Forman… et surtout Jean-Pierre Rassam. Aujourd’hui, c’est peut-être le nom le moins connu de la bande, mais pour les cinéphiles comme pour ceux qui ont connu l’époque évoquée ici par le romancier, c’était une figure incontournable.
Personnage fantasque, bousculé par l’urgence de vivre, accro au jeu, au sexe, aux drogues, capable de tous les emportements et de tous les enthousiasmes pour la beauté d’un geste qui ne le passionnait jamais longtemps, Rassam se fit producteur parce que le cinéma le fascinait – son monde plus que les films eux-mêmes, à vrai dire. Grand connaisseur du milieu, puissant entremetteur, il a lancé Jean Yanne cinéaste en faisant de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil un succès aussi énorme qu’inattendu, mais a aussi produit Godard, Forman, Rohmer, Bresson ou la scandaleuse Grande bouffe de Marco Ferreri.
En centrant sa curiosité sur ce personnage haut en couleurs, Christophe Donner restitue à merveille le formidable tourbillon d’une époque de transition majeure, marquée par mai 68, l’annulation du festival de Cannes, l’invasion de la Tchécoslovaquie (ce qui donne une scène épique où Rassam et Berri partent récupérer les jumeaux de Forman à Prague dans la voiture de Truffaut), les conflits – déjà – entre Israël, la Palestine et les pays arabes alentour, l’émergence de Septembre Noir…
Mais c’est aussi et avant tout un livre sur ces acteurs du cinéma qui s’avèrent de formidables personnages de roman. Oui, je dis bien de roman. Car, si Christophe Donner clame dans le Monde des Livres que « l’imagination est un mythe », c’est bien d’imagination dont il use pour écrire Quiconque… Il choisit les personnages qui l’intéressent, écarte les autres ; met dans leurs bouches des dialogues largement fictifs, à l’exception de quelques citations véridiques, et construit un récit qui pourrait constituer un excellent film, et non pas une biographie.
Plus d’une fois, je me suis surpris au cours de ma lecture à imaginer quel comédien pourrait incarner aujourd’hui ce Claude Berri travailleur et naïf, un peu tâcheron mais obstiné ; ce Maurice Pialat amer, grande gueule, fâché contre tout le monde ; ce Godard d’anthologie, terriblement imbu de lui-même, poseur, jouant les incompréhensibles pour mieux se faire admirer.
Et puis les femmes bien sûr, car elles jouent un rôle primordial au milieu de tous ces hommes acharnés à réussir : Anne-Marie Rassam, sœur de Jean-Pierre, qui devient la femme de Berri ; Arlette, petite sœur de Berri, que Pialat séduit et embarque, causant une rupture sévère entre les deux hommes, que leurs visions antagonistes du cinéma ne feront qu’éloigner ; Anne Chardon, amoureuse de Rassam qui veut devenir actrice, devenir Anna Karina à la place d’Anna Karina, mais n’est que mignonne…
Pour tous, Donner n’a pas que des mots doux, il les campe dans toute leur complexité : avides, avares ou généreux, égoïstes, égocentriques, narcissiques, ambitieux jusqu’à la vanité, utopistes qui finissent par se heurter à la réalité du monde ou à s’en accommoder. On les admire pour cela, et on s’attache bien volontiers à leurs étranges destinées.
Quiconque exerce ce métier stupide… a l’énergie folle et contagieuse d’un film de Scorsese, ce rythme frénétique des livres impossibles à lâcher, avec ce qu’il faut de sérieux dans la reconstitution pour avoir l’impression de plonger dans une époque que l’on n’a pas (forcément) connue. Un très bon roman, où Christophe Donner aura usé le meilleur de son imagination.
Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, de Christophe Donner
Éditions Grasset, 2014
ISBN 978-2-246-80032-3
300 p., 19€
12 septembre 2014 | Catégories: Romans Francophones | Tags: arrive, Bardot, Cannes, Cannibales Lecteurs, Christophe Donner, cinéma, Claude Berri, Clouzot, exerce, festival, film, France, Grasset, Jean Yanne, Jean-Pierre Rassam, mai 68, Maurice Pialat, mérite, métier, Michel Simon, Milos Forman, Prague, quiconque, quiconque exerce ce métier mérite tout ce qui lui arrive, Rassam, stupide, Tchécoslovaquie | 3 Commentaires
Signé Bookfalo Kill
Tout est dans le titre : Les plus grands films que vous ne verrez jamais est une merveilleuse collection d’objets cinématographiques, parfois juste envisagés, parfois scénarisés, parfois même tournés pour tout ou partie, mais qui n’atteindront jamais les écrans de cinéma, en tout cas pas sous la direction des prestigieux réalisateurs qui y sont associés.
On y apprend ainsi que Charlie Chaplin et Stanley Kubrick ont tous deux voulu signer en vain un film sur Napoléon – le second réunissant pour l’occasion ce qui est considéré aujourd’hui comme l’une des collections de documents les plus riches et complètes sur l’Empereur.
On y découvre encore qu’au début des années 80, essoré par l’échec de 1979 et tourmenté par des problèmes de couple, Steven Spielberg envisage pour se refaire de revenir à la science-fiction avec un film sombre intitulé Night Skies ; de ce projet avorté en naîtront trois autres : E.T. l’Extra-Terrestre, Poltergeist et Gremlins…
Ou encore, saviez-vous que, vingt-ans avant Roberto Benigni et la Vie est belle, Jerry Lewis avait tourné et interprété une comédie dramatique sur les camps de la mort – mais que celle-ci, jugée ratée et de très mauvais goût, n’avait finalement jamais été sortie ?
Depuis un premier chapitre consacré aux années 1920-1950, puis dans cinq autres parties organisées par décennie jusqu’à 2012, Simon Braund nous permet d’explorer une part de l’histoire secrète du cinéma, montrant ainsi que tous les plus grands ont un jour buté sur des difficultés insurmontables – parfois pour mieux rebondir sur le projet suivant et en tirer un chef d’œuvre inattendu.
On croise ainsi Hitchcock, Eisenstein, Dreyer, Cukor, Fellini, Lynch, Leone ; ou, plus près de nous, Fincher, Tim Burton, les frères Coen – sans oublier les champions du monde des productions avortées, Orson Welles et Terry Gilliam.
Bien écrit, précis sans tomber dans la cinéphilie absonse à force d’être maniaque, assorti d’encarts analytiques très intéressants, chaque article replace le film dans son époque, dans son contexte et celui de son auteur. La somme de ces chapitres dresse alors en creux l’inventaire des mille et une raisons pouvant amener dans le mur le projet le plus viable en apparence : manque d’argent, conflits avec les producteurs ou les acteurs, concurrence d’un autre film similaire et sorti avant (The Aryan Papers de Kubrick, abandonné à cause du succès de la Liste de Schindler), moyens techniques insuffisants à l’époque…
Avec un humour non dénué de rigueur, Simon Braund conclut chaque présentation par une estimation, notée sur 10, des chances du projet de renaître un jour. L’espoir est rarement de mise ! Mais ainsi vient-on d’apprendre que Steven Spielberg travaillait sur une adaptation en mini-série du Napoléon de Kubrick, en collaboration avec la famille de ce dernier…
Un dernier mot sur le livre lui-même, pour saluer, outre une mise en page claire et agréable, la création d’affiches originales pour chaque film, conçues par des designers et des illustrateurs souvent très inspirés. Certaines sont si réussies que l’on aimerait voir le projet aboutir juste pour pouvoir les admirer au fronton des cinémas !
Bref, Les plus grands films que vous ne verrez jamais devrait emballer tous les amateurs de cinéma, qui seront sûrement ravis de le trouver au pied du sapin de Noël !
Les plus grands films que vous ne verrez jamais, de Simon Braund
Traduit de l’anglais par Jean-Louis Clauzier, Laurence Coutrot et Emmanuel Dayan
Éditions Dunod, 2013
ISBN 978-2-10-070199-5
256 p., 24,90€
Envie d’en savoir plus ? Le livre de Simon Braund dispose de son site Internet !
3 novembre 2013 | Catégories: Cinéma | Tags: affiche, Burton, Cannibales Lecteurs, Chaplin, cinéma, Clouzot, Coen, Dreyer, Dunod, Eisenstein, Fellini, films, Gilliam, grands, histoire, jamais, Jerry Lewis, Kubrick, Orson Welles, plus grands films que vous ne verrez jamais, scénario, Simon Braund, Spielberg, verrez | 2 Commentaires