À première vue, Flammarion, cette année, c’est un transfert qui fait un peu causer dans le Landerneau (Brigitte Giraud quittant Stock, son éditeur historique), quelques motifs de curiosité mais pas forcément de quoi trépigner sur place. Les auteurs convoqués sont solides, connus de la maison dans l’ensemble, et n’envoient pas des tonnes de rêve. Pas sûr qu’un raz-de-marée de bonheur viendra d’ici… mais on veut bien se tromper et avoir des bonnes surprises, comme c’est régulièrement le cas chez cet éditeur.
ALGÉRIE I : Un loup pour l’homme, de Brigitte Giraud
Pour son entrée chez Flammarion, la romancière lyonnaise présente un livre très important pour elle, celui qu’elle cherchait à écrire depuis ses débuts en littérature. A mots couverts de la fiction, elle y évoque son père, incarné ici par Antoine, jeune Français appelé en Algérie pendant la guerre alors que sa femme Lila est enceinte. Refusant de porter les armes, il est casé comme infirmier à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès, où il rencontre Oscar, un caporal récemment amputé d’une jambe. Entre les deux hommes naît une amitié qui se construit sur l’horreur de la guerre…
ALGÉRIE II : L’Art de perdre, d’Alice Zeniter
Plusieurs auteurs s’emparent donc du même sujet, l’Algérie, dans cette rentrée. Outre Jean-Marie Blas de Roblès (Zulma), Marie Richeux (Sabine Wespieser), Kaouther Adimi (Seuil) et donc Brigitte Giraud, Alice Zeniter s’intéresse aux origines algériennes de sa famille dont elle ne sait rien, faute de pouvoir en parler. Elle le fait de manière fictionnelle, en remontant plusieurs générations à la recherche des vérités du passé.
DARDENNE : Femme à la mobylette, de Jean-Luc Seigle
Depuis son roman précédent, l’émouvant Je vous écris dans le noir, voilà un auteur que je sais capable de me surprendre au meilleur sens du terme. Alors, pourquoi pas avec ce nouveau livre, même si son pitch ne m’emballe pas plus que cela, je l’avoue ? Cette Femme à la mobylette, c’est Reine, mère de trois enfants délaissée, livrée à elle-même, aux portes de la misère. Jusqu’au jour où elle récupère une mobylette bleue, l’une de ces vieilles pétrolettes des années 60, en laquelle elle place tous ses espoirs restants…
BLOB : Le Dossier M, de Grégoire Bouillier
Méfiez-vous des gens discrets, ils finissent toujours par se mettre à trop parler. Prenez Grégoire Bouillier, habitué depuis ses débuts à signer des livres très courts aux éditions Allia. Il n’avait pas donné de nouvelles depuis 2008, il aurait fallu s’en alarmer avant que ne débarque sur nos tables ce volumineux pavé de 864 pages, première partie (!) d’un dyptique (!!) dont le deuxième volume sera aussi long (!!!) De quoi y sera-t-il question ? Hé bien, d’amour, apparemment. Même si je n’ai pas tout compris au sujet de ce livre, dont le principe est semble-t-il de céder à toute logorrhée du moment qu’elle est suscitée par une inspiration subite… Bon, bref, je ne vous en dirai guère plus ici, à vous de voir si relever ce genre de défi vous amuse.
JEAN LE CARRE : Un amour d’espion, de Clément Bénech
Le narrateur, un étudiant en géographie, se voit invité, au détour d’une discussion, à relever le défi que lui propose Augusta. La jeune femme l’attend à New York, où elle vient de s’installer, car elle veut percer le mystère autour de son petit ami Dragan, un critique d’art roumain qu’elle a rencontré via une application. Ce dernier est accusé de meurtre par un internaute anonyme (résumé Electre). Une sorte de pastiche de roman d’espionnage assortie d’une réflexion sur les réseaux sociaux et le virtuel. Si j’ai bien compris. Bref.
URANUS : L’Enfant-mouche, de Philippe Pollet-Villard
Inspiré par l’enfance de la mère de l’auteur, l’histoire d’une petite orpheline dans un village de Champagne, pendant l’occupation. Survivant de rien, slalomant entre les bassesses et les humiliations de ses voisins, sa vie bascule lorsqu’elle s’aventure du côté allemand…
DÉBRANCHE : Parmi les miens, de Charlotte Pons
Trois frères et sœurs se retrouvent au chevet de leur mère, hospitalisé en état de mort cérébrale, sans espoir de retour. Ils se déchirent sur la suite à donner aux événements, tout en se confrontant à leurs souvenirs d’enfance. Premier roman.
(Je vais me pendre et je reviens. Ou pas.)
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WE TAKE CARE OF OUR OWN : American War, d’Omar El Akkad
(traduit de l’américain par Laurent Barucq)
Les États-Unis sont à nouveau coupés en deux par la guerre, le nord et le sud s’affrontant cette fois au sujet des énergies fossiles. Après la mort de son père, une petite fille est envoyée avec sa mère dans un camp de réfugiés. Cette expérience extrêmement violente la transforme peu à peu en machine de guerre… Journaliste d’origine égyptienne, le néo-romancier signe un livre coup de poing sur l’état de l’Amérique, sous couvert d’un roman d’anticipation politique qui en dit long sur aujourd’hui.
INTÉRIEUR NUIT : La Féroce, de Nicola Lagioia
(traduit de l’italien par Simonetta Greggio et Renaud Temperini)
La fille d’un riche entrepreneur est retrouvée morte au pied d’un immeuble, après avoir été vue marchant nue et ensanglantée au bord d’une route. L’hypothèse d’un suicide est privilégiée, mais pour quel motif cette jeune femme aurait-elle mis fin à ses jours ? On louche fortement du côté des malversations de son père… La littérature italienne pointe encore et toujours du doigt la corruption qui gangrène le pays, nouvel exemple avec ce roman couronné du prix Strega (Goncourt transalpin) en 2015.
HOMÉRIQUE : Une Odyssée, de Daniel Mendelsohn
(traduit de l’américain par Isabelle Taudière et Clotilde Meyer)
Le père de Daniel Mendelsohn (auteur du formidable récit-enquête Les disparus) décide d’assister au séminaire que donne son fils sur L’Odyssée d’Homère, au Bard Collège, université privée au nord de New York. L’occasion pour les deux hommes de se retrouver, une épopée intime qui vaut bien des voyages.
25 juillet 2017 | Catégories: A première vue, Romans Etrangers, Romans Francophones | Tags: 2017, Algérie, Alice Zeniter, American War, amitié, amour, appelé, art, art de perdre, énergies fossiles, Bard College, Brigitte Giraud, camp, Cannibales Lecteurs, champagne, Charlotte Pons, Clément Bénech, critique, Daniel Mendelsohn, disparus, dossier M, enceinte, enfant-mouche, enfants, entrepreneur, espion, espionnage, Etats-Unis, féroce, femme, fils, Flammarion, Grégoire Bouillier, guerre, guerre d'Algérie, Homère, homme, infirmier, Italie, je vous écris dans le noir, Jean-Luc Seigle, loup, loup pour l'homme, Lyon, magouilles, malversations, meurtre, mobylette, mort cérébrale, New York, Nicola Lagioia, nord, Occupation, odyssée, Omar El Akkad, parmi les miens, pavé, père, Philippe Pollet-Villard, premier roman, réfugiés, rentrée littéraire, roumain, sécession, séminaire, Sidi-Bel-Abbès, sud, suicide, université, village | Poster un commentaire
Signé Bookfalo Kill
Bon, vous connaissez la chanson, je ne vais pas m’étendre sur le sujet outre mesure : qui dit rentrée littéraire dit Amélie Nothomb, et vice versa, voici donc le moment venu d’évoquer l’opus 2014 de la célèbre romancière chapeautée. Et cette année encore, c’est un bon cru, quoique pour des raisons différentes de la Nostalgie heureuse de l’année dernière.
Inscrit dans sa veine autobiographique à tendance drolatique, Pétronille relate l’amitié étrange (forcément) que noue la Belge la plus célèbre des lettres francophones contemporaines avec une jeune femme, Pétronille donc, Fanto de son patronyme, qui se présente à elle lors d’une séance de dédicaces. Nous sommes dans les années 90, au début de la carrière d’Amélie.
Il s’avère que cette Pétronille, d’apparence « si jeune » qu’elle ressemble à « un garçon de quinze ans », est une fine lettrée, étudiante en littérature élisabéthaine ; qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche, et qu’elle semble donc avoir toutes les qualités pour devenir la compagne de beuverie idéale d’Amélie Nothomb. Car, oui, l’objectif suprême de la romancière depuis qu’elle est arrivée en France est de trouver quelqu’un avec qui partager régulièrement sa boisson favorite : le champagne…
Si vous êtes un tant soit peu familiers avec l’œuvre de Nothomb, vous reconnaissez dans ce résumé des éléments clefs de nombre de ses livres. Une relation d’amitié complexe et possessive, qui suscite fatalement des dialogues de haute volée, de l’humour, du champagne… et de la littérature, car Pétronille Fanto devient elle aussi romancière, suscitant l’admiration de sa célèbre consœur. Entre deux aventures rocambolesques d’Amélie (dont une visite d’anthologie chez Vivienne Westwood) et des considérations diverses sur la France ou les libraires, la parution des livres de Pétronille, auxquels l’auteur d’Hygiène de l’assassin rend de vibrants hommages, rythme le récit.
Pétronille Fanto existe bel et bien, sous un autre nom évidemment, elle a fait paraître plusieurs romans qu’Amélie Nothomb s’amuse à déguiser sous des titres synonymes. C’est sans doute cette véracité qui rend ce nouveau livre si vif, si drôlement sincère, à défaut d’être original dans l’œuvre de l’auteure belge. Ah si, quand même, la fin, brusque et inattendue, vaut le détour et permet de quitter Pétronille sur une note aussi déconcertante que réjouissante.
Bref, pour les amateurs, un Nothomb de très bonne tenue, amusant et bien vu. En fait, Amélie a rendu le plus bel hommage qui soit à sa boisson favorite, elle a inventé la littérature champagne !
Pétronille, d’Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel, 2014
ISBN 978-2-226-25831-1
169 p., 16,50€
19 août 2014 | Catégories: Romans Francophones | Tags: 2014, Albin Michel, Amélie Nothomb, amitié, écrivain, Cannibales Lecteurs, champagne, humour, libraires, librairie, littérature, Pétronille, rentrée littéraire, romancière, Vivienne Westwood | 2 Commentaires
Signé Bookfalo Kill
En début d’année dernière, le premier roman de Sandrine Collette, Des nœuds d’acier, m’avait mis une claque comme on n’en encaisse pas tous les jours (et tant mieux parce qu’on s’en lasserait vite). Alors, forcément, j’attendais beaucoup de son deuxième opus. Si l’impact n’est pas aussi fort, absence d’effet de surprise oblige, c’est néanmoins un bon thriller psychologique, à la noirceur assumée jusqu’au bout.
En septembre, saison des vendanges, un groupe de jeunes gens se présente sur un domaine champenois pour mettre la main à la pâte durant une semaine de dur labeur, moyennant un petit salaire, pas mal de petits bobos et une ambiance conviviale. Parmi eux, la jolie Camille et son frère Malo. Très vite, pourtant, les choses se détraquent. Le maître des lieux, Octave, boiteux taciturne au visage lacéré par une vilaine cicatrice, ne cache pas sa fascination pour Camille ; un sentiment peu à peu partagé par la belle. Protecteur et troublé par un mauvais pressentiment, Malo tente de s’interposer.
Le troisième jour, au lendemain d’un violent accrochage, Malo disparaît. Camille s’inquiète aussitôt mais elle est la seule. Malo est-il vraiment parti sur un coup de tête, ou lui est-il arrivé quelque chose ?…
On pourrait dire d’Un vent de cendres que c’est un conte réaliste. Conte, parce qu’il s’agit d’une variation transparente sur la Belle et la Bête. Réaliste, parce que Sandrine Collette nourrit son histoire d’un luxe de détails sur le cadre de son histoire, la culture du raisin de Champagne et sa récolte… Elle utilise ce contexte avec précision, mais sans volonté de démonstration genre « j’ai bien appris ma leçon ».
Privilégier cet aspect quasi documentaire permet de mieux faire surgir, rampantes et insidieuses, presque surnaturelles, la menace et la peur, mais aussi les nombreux sentiments noués dans une intrigue de triangle passionnel finalement assez simple : amour, haine, jalousie, trouble, fascination, séduction, sensualité…
Dans ce quasi huis clos, la romancière crée une atmosphère de plus en plus pesante au fil des pages, alors que rien de spectaculaire ne se passe. C’est là sa très grande force, cette maîtrise totale du récit grâce à la maturité d’un style précis et dépouillé. On s’en rend à peine compte, mais la tension monte petit à petit, tandis que de sombres secrets émergent du passé et que la folie s’installe, menant à une conclusion cruelle, inexorable.
Léger bémol tout de même au sujet de cette fin, impressionnante, angoissante dans sa mise en scène, mais dont j’avais deviné la révélation la plus capitale (et je ne suis pas le seul). Malgré cela, j’ai pu me rendre compte, au fil de discussions avec d’autres lecteurs, qu’il restait une large place à l’interprétation, Sandrine Collette entretenant avec habileté un flou volontaire depuis le début du roman… A vous, donc, de vous faire votre opinion sur ce Vent de cendres qui divise ses lecteurs depuis sa parution. Un livre qui ne laisse pas indifférent, c’est déjà bon signe !
Un vent de cendres, de Sandrine Collette
Éditions Denoël, coll. Sueurs Froides, 2014
ISBN 978-2-207-11736-1
260 p., 18€
P.S.: des avis différents, donc, sur ce roman… Si Démosthène le serial lecteur ou Pierre « Black Novel » Faverolle sont enthousiastes, c’est la déception chez Yvan « Gruznamur » du blog Emotions, ou chez Du bruit dans les oreilles, de la poussière dans les yeux.
5 mai 2014 | Catégories: Polars | Tags: accident, bête, belle, Camille, Cannibales Lecteurs, cendres, champagne, Denoël, des noeuds d'acier, disparition, la belle et la bête, Malo, Octave, psychologique, Sandrine Collette, Sueurs froides, suspense, thriller, un vent de cendres, vent, vignes, viticulture | 6 Commentaires
Signé Bookfalo Kill
Tiens, c’est le début de la rentrée littéraire 2012 ! Vous savez comment je le sais ? Hé oui, gagné.
Il y a un nouveau Amélie Nothomb.
Barbe bleue, ça s’appelle. Et comme vous vous en doutez, c’est une variation nothombienne et contemporaine sur le conte de Charles Perrault.
Il était une fois (donc) Don Elemirio Nibal y Milcar. Il avait 44 ans et vivait seul dans sa grande maison de maître du VIIe arrondissement de Paris, ce qui l’arrangeait parce qu’il n’appréciait pas la compagnie des hommes. Mais cela l’embêtait quand même un peu parce qu’il aimait beaucoup la compagnie des femmes. Surtout les jeunes. Il passait donc des petites annonces pour proposer de partager ses appartements en colocation. Bon, il devait en passer souvent parce que ses colocataires avaient une fâcheuse tendance à disparaître.
Saturnine Puissant, elle, ignorait tout de cette histoire. Jeune Belge en exil à Paris (hum), elle voulait juste déserter le canapé que lui prêtait une amie à Marne-la-Vallée depuis des mois. Cette offre trop belle pour être honnête lui convenait donc parfaitement.
Don Elemirio et Saturnine commencèrent donc à cohabiter, plus ou moins harmonieusement. Sauf qu’entre eux se dressait un secret. celui que Don Elemirio dissimulait dans une chambre noire, la seule pièce à laquelle Saturnine n’avait pas le droit d’accéder et qui n’était pourtant pas fermée à clef…
Bon, j’arrête là, vous connaissez tous plus ou moins l’histoire de Barbe-Bleue. Amélie Nothomb l’adapte tout de même à sa sauce, faisant de Don Elemirio un Barbe Bleue désacralisé, avec des motivations et une forme de « morale », comme tous ses « monstres » habituels, pour lesquels elle garde toujours la même affection. On pourrait même lui en faire une sorte de devise.
Le freak, c’est chic, le glauque, c’est choc.
Quant à Saturnine, c’est une jeune femme d’aujourd’hui, indépendante, forte tête, loin de la cruche trop curieuse du conte original. Et les deux vont s’affronter, dans un mélange familier d’admiration et de répulsion . Le schéma est connu, il était déjà en place dans le premier roman de Nothomb, Hygiène de l’assassin. C’était il y a vingt ans. Cela n’a guère varié depuis.
Pour le reste, c’est du Nothomb sans surprise. Une fois passée l’exposition, le roman se résume à une suite de dialogues plutôt brillants (hormis quelques facilités occasionnelles), articulés autour de dîners à fleurets mouchetés. Au menu, provocation, séduction, champagne et discussions érudites sur des sujets aussi divers que le féminisme, les origines espagnoles du Christ ou la photographie.
Ça fait 170 pages, ça se lit en deux heures maxi et ça s’oublie aussitôt. Comme d’habitude depuis quelques années, quoi.
Et sinon, la rentrée littéraire commence. Avec des vrais morceaux de littérature dedans. On vous en reparle bientôt !
Barbe bleue, d’Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel, 2012
ISBN 978-2-226-24296-9
170 p., 16.50€
20 août 2012 | Catégories: Romans Francophones | Tags: Amélie Nothomb, Barbe bleue, Cannibales Lecteurs, chambre noire, champagne, Charles Perrault, conte, Hygiène de l'assassin, Paris, secret | 7 Commentaires