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À première vue : la rentrée Gallimard 2020

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Intérêt global :

ironie


Voici venir mon moment préféré lorsque je travaille sur la rubrique « à première vue » : la présentation de la rentrée littéraire Gallimard
D’ordinaire pléthorique et relativement indigeste, ce qui occasionne de ma part quelques fréquentes poussées d’urticaire critiques, la rentrée 2020 de Tonton Antoine s’inscrit dans la tendance générale à la baisse des gros éditeurs, pour prendre en compte les répercussions de la crise sanitaire du premier semestre. Si, si, je vous assure ! Au lieu d’une vingtaine de titres, le tarif habituel, nous n’aurons droit qu’à… 13 parutions (si j’ai bien compté, parce qu’il n’est pas facile de s’y retrouver dans l’avalanche de sorties estampillées Gallimard, entre les poches, les essais, les livres audio, les polars…)
Et dans ces 13, on retrouve essentiellement de la grosse cavalerie. Pas forcément synonyme de qualité ni d’enthousiasme délirant, hein, je vous rassure. Même si certains auteurs, dans le lot, sont sans doute incontournables. Je vais essayer de leur réserver la meilleure place dans ses lignes.


COMME SON TITRE L’INDIQUE


Hervé Le Tellier - L'AnomalieL’Anomalie, d’Hervé Le Tellier

On le connaît surtout en brillant amuseur public, membre de l’OuLiPo, plume virtuose quand il s’agit de jouer avec les mots. Mais c’est aussi un excellent écrivain tout court, qui fait par ailleurs son entrée chez Gallimard avec ce nouveau roman, après être passé chez Lattès et le Castor Astral, entre autres. Un signe ?
En mars 2021, un avion en provenance de Paris atterrit à New York après un vol marqué par de violentes turbulences. Trois mois plus tard, le même avion réapparaît au-dessus de New York, avec le même équipage et les mêmes passagers à son bord – provoquant une crise médiatique, scientifique et politique sans précédent…
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce résumé promet une escapade originale, une belle réflexion sur le double et l’identité, et un bousculement salvateur de la logique.
Et puis, comment ne pas accorder du crédit à quelqu’un qui écrit :
« A quarante-trois ans, dont quinze passés dans l’écriture, le petit monde de la littérature lui paraît un train burlesque où des escrocs sans ticket s’installent tapageusement en première avec la complicité de contrôleurs incapables, tandis que restent sur le quai de modestes génies… »


IL CAPO


Erri De Luca - ImpossibleImpossible, d’Erri De Luca
(traduit de l’italien par Danièle Valin)

La montagne pour décor. Un texte bref (moins de 200 pages), une pensée et un style épurés, une intelligence percutante. On connaît, Erri De Luca nous a déjà fait le coup à plusieurs reprises. Et pourtant, on y retourne à chaque fois, parce que la déception est pratiquement impossible avec cet immense écrivain italien, sensible et engagé.
Cette fois, tout commence par une chute. Un homme dévisse dans les Dolomites, un autre donne l’alerte. Fait troublant, les deux se connaissaient de longue date, compagnons de lutte révolutionnaire quarante ans plus tôt. L’homme tombé avait dénoncé celui qui a signalé sa dégringolade. Le juge chargé de l’affaire refuse d’y voir une coïncidence et suspecte une vengeance savamment agencée. Entre le jeune magistrat et le vieil homme commence alors, sous couvert d’interrogatoire, un dialogue sur l’amitié et la trahison, la justice et l’engagement.


DE LA SAGESSE, DE L’ÉDUCATION ET DES RÊVES


Dai Sijie - Les caves du PotalaLes caves du Potala, de Dai Sijie

En 2019, L’Évangile selon Yong Sheng a marqué le grand retour de Dai Sijie vers le succès depuis Balzac et la petite tailleuse chinoise. Son nouveau roman sera donc sûrement scruté, au moins par la presse. Le Potala du titre est l’ancien palais du Dalaï-Lama au Tibet. En 1968, après l’avoir investi et forcé le dignitaire religieux à l’exil, les Gardes Rouges emprisonnent le peintre Bstan Pa, et le soumettent à un interrogatoire serré. L’artiste y répond, et y résiste, en opposant à la violence politique la sagesse du bouddhisme et une vie dédiée à l’art.

Camille Laurens - FilleFille, de Camille Laurens

Être une femme, assumer son sexe, trouver sa place dans la société en tant que femme, affronter le sexisme ordinaire, ces questionnements sont au cœur du travail de Camille Laurens. Ce nouveau roman au titre révélateur s’ouvre à Rouen, dans la famille Barraqué, dont Laurence est l’une des deux filles. Elle grandit dans la certitude, assénée par l’éducation de ses parents et le contexte social, qu’en toutes choses les hommes décident et dominent. L’expérience de l’âge adulte puis de la maternité, dans les années 90, vont l’amener à reconsidérer cette posture, et à repenser son existence à la lumière du féminisme.

Fabrice Caro - BroadwayBroadway, de Fabrice Caro

Fabcaro lorsqu’il dessine (Zaï Zaï Zaï Zaï) reprend son nom complet lorsqu’il se fait littéraire. Un domaine où il rencontre également le succès, puisque Le Discours, son précédent roman, a largement rencontré ses lecteurs, et va devenir à la rentrée un spectacle seul en scène adapté et interprété par Simon Astier, ainsi qu’un film réalisé par Laurent Tirard, avec les acteurs à la mode Benjamin Lavernhe et Sara Giraudeau.
Autant dire que son nouvel opus est lui aussi attendu, et que son résumé promet de retrouver son univers si particulier, mêlant humour raffiné, sens de l’absurde et profonde mélancolie existentielle. Axel est un homme qui a réussi. 46 ans, marié, deux enfants, un emploi, une maison, des voisins sympas qui vous invitent à leurs barbecues ou à faire du paddle à Biarritz… que demander de plus ? Hé bien, du rêve, du vrai. Celui des origines. Le rêve scintillant et glorieux d’une carrière pleine de succès sur les planches de Broadway… Et si c’était le moment de franchir le pas ?


DE L’ART


Carole Fives - TérébenthineTérébenthine, de Carole Fives

On connaissait Carole Fives en observatrice acide des relations familiales. La voici qui semble faire un pas de côté, et élargir son point de vue – tout en conservant une base autobiographique car, comme son héroïne, elle est passée l’École des Beaux-Arts.
Ce que fait donc sa narratrice, au début des années 2000, alors que la peinture est considérée comme morte. Même dans ce supposé sanctuaire de l’art pictural, rien  n’est fait pour encourager les jeunes vocations, qui se heurtent à l’hostilité des professeurs ou des galeries d’exposition.
Il n’en faut pas plus pour que la jeune femme s’obstine, montant notamment avec des amis un groupe clandestin qui œuvre dans les sous-sols de l’école, à l’insu de tous, refusant de baisser les bras et de ne pas croire dans la possibilité de l’art quoi qu’il arrive…

Paul Greveillac - Art NouveauArt Nouveau, de Paul Greveillac

Je serai curieux (un peu, pas trop non plus) d’entendre l’auteur parler de son livre. Parce que, sur le papier, nombre de choses m’intriguent à son sujet. Son héros s’appelle Lajos Ligeti, et est un architecte viennois qui, en 1896, part à Budapest pour tenter de développer en toute liberté, dans une ville où tout est à faire, ses propres conceptions artistiques et architecturales.
Bon.
Réflexe personnel : je fais tout de suite une recherche pour savoir si c’est une fiction inspirée de faits et de personnages réels ou non. Je trouve bien un Lajos Ligeti, mais qui est né à Budapest en 1902, et était orientaliste et philologue.
Du coup, je suis perplexe : pourquoi nommer ainsi son personnage, d’un nom qui n’est tout de même pas anodin ni passe-partout ?
C’est peut-être se prendre la tête pour rien, hein. N’empêche, reconnaissez que c’est troublant. Un romancier qui fait bien son travail ne nomme pas son personnage sur un coup de tête. Un nom, c’est déjà du sens. En tout cas, ça me perturbe. Presque autant que de savoir s’il va réellement être question d’Art Nouveau dans le roman, car le résumé évoque les envies de construction en béton du protagoniste, choix de matériau qui sera plutôt l’apanage du mouvement suivant, l’Art Déco… Cela dit, en 1896, on est en plein Art Nouveau, donc ça se tient.
Bref, tout ceci m’intrigue. Mais ce n’est pas pour autant que je lirai ce livre, pour être honnête.
(Donc, tout ça pour ça, hein ? Ben ouais.)


DES ÉCRIVAINS


Jessie Burton - Les secrets de ma mèreLes secrets de ma mère, de Jessie Burton
(traduit de l’anglais par Laura Derajinski)

Rose Simons cherche des informations sur sa mère, disparue peu après sa naissance. En enquêtant, elle découvre que la dernière personne à avoir officiellement vu Élise est une écrivaine, alors au faîte de sa gloire littéraire, qui vit désormais recluse et oubliée…
Par l’une des jeunes romancières anglaises les plus prometteuses de ces dernières années.

Eshkol Nevo - La dernière interviewLa Dernière interview, d’Eshkol Nevo
(traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche)

Un célèbre écrivain répond aux questions de ses internautes, ce qui l’amène à s’interroger sur son couple, ses relations compliquées avec ses enfants, son angoisse pour son meilleur ami atteint d’un cancer…
Je ne connais pas Eshkol Nevo. Je ne l’ai jamais lu, ni ne me suis intéressé de près ou de loin à son parcours. Il semblerait qu’il soit un auteur important en Israël, et à lire des interviews, qu’il ait des choses intéressantes à dire. Pour être honnête, ce n’est pas avec ce nouveau roman que je pense changer la donne.

Mohammed Aissaoui - Les funambulesLes funambules, de Mohammed Aïssaoui

Le héros de ce roman exerce la curieuse profession de biographe pour anonymes. Il écrit la vie des gens dont personne ne parle, les glorieux inconnus du quotidien. Depuis quelque temps, il s’intéresse aux bénévoles qui consacrent leur temps et toute leur énergie à aider les plus démunis. Peut-être dans l’espoir de retrouver Nadia, son amour de jeunesse…


VOICI VENU LE TEMPS DES RITES ET DES CHAMPS


Carole Martinez - Les roses fauvesLes roses fauves, de Carole Martinez

L’auteure du Cœur cousu s’appuie sur une étonnante tradition espagnole pour nourrir l’intrigue de son nouveau roman (et faire étrangement écho à son premier) : en Andalousie, les femmes qui sentaient la mort approcher cousaient des coussins en forme de cœur, qu’elles bourraient de petits papiers où elles rédigeaient leurs secrets. Après leur disparition, les coussins étaient confiés à leurs filles, avec l’interdiction absolue de les ouvrir.
Lola, l’héroïne du roman, coule des jours paisibles en Bretagne, entre le bureau de poste où elle travaille et son jardin où elle cultive son petit bonheur tranquille. Dans son armoire, elle conserve précieusement les coussins des femmes de sa famille. Jusqu’au jour où l’un d’eux, en se déchirant par accident, révèle les secrets d’une de ses aïeules et bouleverse son existence…

Marie Nimier - Le Palais des ortiesLe Palais des orties, de Marie Nimier

Au fond d’une campagne française à l’abandon, entre des hangars de tôle rouillée et des champs d’ortie, une famille avec deux enfants vivote tant bien que mal, entre débrouille au quotidien et joie tranquille. Un jour, une jeune femme débarque. Frederica fait du woofing : contre le gîte et le couvert, elle offre son aide et ses bras pour la culture des champs. Elle amène aussi une forme de passion à laquelle Nora, la mère, ne va pas rester insensible.
Les orties, ça pique. Et l’amour aussi.


ET SINON…


Eric Reinhardt - Comédies françaisesComédies françaises, d’Eric Reinhardt

Parce que je ne sais pas sous quelle rubrique le classer, et parce que je n’ai jamais réussi à m’intéresser à son travail (peut-être à tort, hein), voici Eric Reinhardt bon dernier, ce qu’il ne sera probablement pas auprès de la presse qui a l’habitude de le défendre et de le mettre en avant.
Son protagoniste, un jeune journaliste de 27 ans, décide de s’intéresser aux débuts d’Internet. Son enquête l’amène sur les traces d’un ingénieur français dont les recherches révolutionnaires sur le système de transmission des données furent brutalement suspendues par les pouvoirs publics au milieu des années 70. Cette découverte le met sur la piste vers le pouvoir des lobbies, incarné par un puissant industriel dont l’ombre rôde dans les parages.


BILAN


Lecture certaine :
L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier

Lectures probables :
Impossible, d’Erri De Luca
Broadway, de Fabrice Caro

Lecture éventuelle :
Les caves du Potala, de Dai Sijie

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A première vue : la rentrée Gallimard 2015

Pour le 500e article de ce blog (oh là là, déjà…), nous aurions pu imaginer quelque chose d’un peu festif, ou bien une rétrospective de tous nos blablas, un best of, que sais-je… Mais bon, l’actualité étant ce qu’elle est, au lieu de tout ça, nous allons vous présenter la rentrée littéraire 2015 des éditions Gallimard. Hé oui, on ne fait pas toujours ce qu’on veut.

Ah, Gallimard ! Dois-je vous rebattre les oreilles comme chaque année avec cet éditeur, certes prestigieux, mais qui n’a toujours pas compris que le trop est l’ennemi du bien ? Avec vingt livres présentés en cette rentrée 2015 (17 français et 3 étrangers), la vénérable maison est à nouveau hors de toute réalité et bien loin de ses consœurs. Sans doute espère-t-elle écraser la concurrence en occupant largement le terrain…
Autant dire que ça ne marchera pas : sur l’ensemble de leur offre, peu de romans se détachent – cependant ceux qui le font sont très intéressants. Sur le papier, en tout cas.

Comme chaque année, nous nous contenterons de citer en fin d’article les titres qui nous semblent les moins attractifs – un choix subjectif totalement assumé, bien entendu. Et vous aurez le droit de ne pas être d’accord !

Kaddour - Les prépondérantsY’A DU GONCOURT DANS L’AIR : Les prépondérants, de Hédi Kaddour
Il y a dix ans, Hédi Kaddour, jusqu’alors poète confidentiel, débarquait dans le paysage romanesque avec Waltenberg, somme ambitieuse couvrant une grande partie de l’Histoire du XXème siècle au fil d’un entrelacs admirable d’intrigues et de personnages, qui lui avait valu le Goncourt du premier roman. Avec ce nouveau roman d’aventures, il nous propulse dans les années 20, à l’occasion d’un tournage hollywoodien dans une petite ville du Maghreb qui va provoquer un choc des cultures propice à une réflexion plus large sur le monde d’alors, pris entre deux conflits mondiaux. Grosse attente en ce qui nous concerne.

Garcia - 7SEAS OF RHYE : 7, de Tristan Garcia
« Romans », indique la couverture. Au pluriel donc, puisque 7 est la somme de sept histoires, apparemment indépendantes, qui finissent par se répondre et constituer une vue d’ensemble de notre société – pas au mieux de sa forme, j’aime autant vous prévenir. Au programme, et en variant formes et tons : drogue, art, politique, religion, mode, extra-terrestres et immortalité. Les plus hautes attentes sont là aussi autorisées.

Sansal - 2084GEORGE ORWELL RELOADED : 2084, de Boualem Sansal
Je ferais volontiers également du romancier algérien un candidat sérieux aux prix d’automne ; en tout cas, on parlera forcément de sa variation sur 1984, se déroulant dans un pays imaginaire, l’Abistan, placé sous la coupe du prophète Abi, « délégué de Yolah sur terre », qui conditionne le bonheur de ses sujets à une soumission totale et à un rejet des pensées personnelles. Le héros remet pourtant en cause cet état de fait et part en quête d’un peuple de renégats, qui vivraient sans religion dans des ghettos…

Martinez - La Terre qui pencheCHUCHOTIS II : La Terre qui penche, de Carole Martinez
Retour au Domaine des Murmures pour Carole Martinez, qui y avait décroché un Goncourt des Lycéens il y a quatre ans. Nous sommes toujours au Moyen Age, mais presque deux siècles plus tard, et les femmes occupent à nouveau le premier plan. Cette fois, le roman est articulé autour d’un dialogue entre une vieille âme et une petite fille qui partagent la même tombe – la première étant en fait l’âge l’âme de la seconde, qui évoque son enfance et, à travers elle, son époque.

Ferrier - Mémoires d'outre-merPAPYLAND : Mémoires d’outre-mer, de Michaël Ferrier
A l’origine de ce livre, Ferrier mène des recherches sur son grand-père Maxime, né à l’île Maurice, devenu acrobate dans un cirque itinérant de l’océan Indien, avant de s’installer à Madagascar. C’est là, en déroulant le fil de l’enquête familiale, que l’auteur découvre l’histoire du « projet Madagascar », un plan nazi visant à envoyer les Juifs d’Allemagne et de l’Europe vaincue sur l’île afin de les y parquer. Les deux investigations cohabitent dans ce récit ambitieux qui promet d’être passionnant.

Causse - Le BercailGRANDPAPYLAND : Le Bercail, de Marie Causse
Une autre enquête familiale, celle que mène la romancière sur son arrière-grand-père, arrêté en février 1944 et mort en déportation six mois plus tard. Durant son enfance, Marie Causse a collecté les souvenirs de sa grand-mère ; devenue adulte, elle mène des recherches plus approfondies, qui la conduisent à proposer dans ce livre, outre l’histoire de son aïeul, une évocation de la Résistance dans un petit village français.

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Voilà les romans francophones les plus intéressants, au nombre de six donc – ce qui en laisse onze plus ou moins sur le carreau… Avant de les évoquer rapidement, passons aux trois étrangers, beaucoup plus consistants.

Roy-Bhattacharya - Une Antigone à KandaharSOPHOCLE RELOADED : Une Antigone à Kandahar, de Joydeep Roy-Bhattacharya
(traduit de l’anglais par Antoine Bargel)
Je me régale d’avance à l’idée des demandes que feront les clients en librairie lorsqu’ils essaieront de prononcer le nom de l’auteur :p
Plus sérieusement, tout est dans le titre : le romancier indien, qui vit aux États-Unis, repense le célèbre drame antique de Sophocle dans le cadre de la guerre en Afghanistan. Une femme en fauteuil roulant, enveloppée dans une burqa, se présente aux portes d’une base américaine pour réclamer le corps de son frère, combattant tué dans un affrontement récent. En confiant la parole à des protagonistes des deux camps, l’auteur donne à voir la guerre dans toute son absurdité.

Pessl - Intérieur nuitSCARY MOVIE : Intérieur nuit, de Marisha Pessl
(traduit de l’américain par Clément Baude)
La mort mystérieuse d’une jeune femme pousse un journaliste d’investigation opiniâtre à s’intéresser de nouveau au père de la disparue, Stanislas Cordova, un célèbre réalisateur de films d’horreur dérangeants dans l’ombre desquels l’homme se camoufle depuis trente ans. Sa précédente enquête avait failli briser Scott McGrath, mais il en faudrait plus pour l’arrêter, et on plonge avec lui dans les sombres secrets d’une oeuvre hantée… Le roman sera enrichi de documents, photographies, extraits de journaux. Une originalité formelle pour un pavé de 720 pages aussi intriguant qu’intimidant.

Stefansson - D'ailleurs les poissons n'ont pas de piedsVOTRE AMITIÉ AVEC UNE TRUITE : D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, de Jon Kalman Stefansson
(traduit de l’islandais par Eric Boury)
Avec Entre ciel et terre et ses suites, l’auteur islandais est devenu une valeur sûre de la littérature nordique. Ce nouveau roman suit le retour d’un homme, expatrié au Danemark, dans la ville de son enfance. En trois époques suivant trois générations de la même famille, Stefansson interroge l’histoire de son pays, ses traditions mais aussi la manière dont il vit l’irruption de la modernité.

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Pour un peu, je ne mentionnerais pas le reste de la production francophone, parce que je ne vous cache pas que ça me fatigue d’avance… Mais, soyons honnêtes, il y a sûrement des textes honorables dans le lot, aussi les citerai-je tous, au moins par politesse.

Le Censeur, de Clélia Anfray : entré à l’Académie grâce à un unique succès, et à son art de courtisan, Charles Brifaut devient censeur des théâtres, ce qui lui donne droit de vie et de mort sur les oeuvres et les auteurs de son temps – notamment un certain Victor Hugo, dont il se plaît à briser Hernani. Mais l’arrivée d’un secrétaire inquiétant vient menacer son ascension.

Au pays d’Alice, de Gaëlle Bantegnie : l’auteure a eu une fille. C’est bien, on est content pour elle, ce n’était peut-être pas la peine d’en faire un bouquin.

Le Secret de l’Empereur, d’Amélie de Bourbon Parme : récit de l’abdication de Charles Quint, qui préfère renoncer au pouvoir lorsqu’il réalise que ce dernier ne lui permettra pas d’atteindre les idéaux auxquels il rêvait. Dans sa retraite, il se passionne pour les instruments de mesure du temps. Tic-tac.

Daniel Avner a disparu, d’Elena Costa : les parents de Daniel Avner ont été déportés. Chaque jour, après la Libération, sur l’ordre de son grand-père qui le terrorise, le jeune garçon vient au Lutetia les attendre, tout en sachant que tout espoir est vain. Premier roman.

Les irremplaçables, de Cynthia Fleury : Gallimard sort dans sa collection blanche, estampillée roman, le nouvel essai de la philosophe-psychanalyste à succès, et le balance dans sa rentrée littéraire. Si quelqu’un comprend…

Un papa de sang, de Jean Hatzfeld : l’ancien journaliste retourne au Rwanda, auquel il a consacré plusieurs livres (Une saison de machettes). Il y retrouve les enfants des bourreaux et des victimes du génocide survenu il y a déjà vingt ans, et leur donne la parole. Là, on pourrait avoir un texte fort, poignant et intelligent, reconnaissons-le.

Gratis, de Félicité Herzog : après s’être fait un nom en balançant sur son père, l’alpiniste Maurice Herzog (Un héros, Grasset, 2012), Félicité signe un premier roman narrant les grandeurs et décadences d’un homme, devenu riche grâce à une start-up, qui se réfugie à Jersey après avoir été ruiné pour concevoir une « solution à la condition humaine »…

Magique aujourd’hui, d’Isabelle Jarry : un roman d’anticipation dont le pitch évoque irrésistiblement un croisement entre Wall-E, le dessin animé Pixar, et Her, le film de Spike Jonze. Soit la relation fusionnelle entre un jeune homme et son assistant androïde.

Casanova l’aventure, d’Alain Jaubert : trente textes dont Casanova est le héros. Voilà.

Pirates, de Fabrice Loi : Marseille sert de cadre au parcours tragique d’un homme, ancien forain qui se lie d’amitié avec un ancien militaire. A un moment, apparemment, des pirates somaliens arrivent dans l’histoire, mais je n’ai pas trop compris comment. Si quelqu’un veut se dévouer pour le lire…

Hallali pour un chasseur, de Jean-François Samlong : roman initiatique et d’amour, ce récit d’une chasse interdite qui tourne mal est le douzième livre de cet auteur réunionnais.


Du domaine des murmures de Carole Martinez

J’ai décidé de lire cet ouvrage suite au Prix Goncourt des Lycéens qu’il a raflé. Généralement, les Prix Goncourt des Lycéens (et pas le Prix Goncourt « normal ») est pour moi signe de qualité. Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel, Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia, Magnus de Sylvie Germain, Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma (pour ne citer que ceux que j’ai lus) 

Bon, comment vous dire… Je ne cache pas ma déception. Je suis même à la limite de la colère. Je vous fais d’abord un bref résumé et ensuite, des explications. 

En l’an 1187, Esclarmonde, fille du seigneur des Murmures, décide de dire non à l’autel où l’archevêque s’apprête à ordonner le mariage. Elle n’épousera pas Lothaire, ce gros lourdaud violeur de jeunes filles, bête comme ses pieds et dangereux qui plus est. Plutôt que le mariage avec cet abruti, elle choisit de devenir une recluse. Les reclus, ce sont ces moines ou moniales qui décident de rester enfermés dans une cellule leur vie (ou une partie de leur vie) durant pour faire pénitence et prier pour les pêchés des autres. Ainsi donc, Esclarmonde se retrouve emmurée pour l’éternité, avec simplement une petite ouverture sur le monde, pour passer la nourriture et s’entretenir avec les personnes qui désirent parler à Dieu par son intermédiaire. Mais elle pensait entrer seule dans cette cellule. Elle ne s’attend pas à ce qui va lui arriver. 

Je ne peux pas en dire plus sous peine de dévoiler l’intrigue (mince) du roman. Du domaine des murmures est un ramassis de clichés contemporains calqués sur ces temps moyenâgeux et l’écriture pseudo-poético-médiévale alambiquée n’arrange rien à l’affaire. Vous aurez donc pêle-mêle, un chevalier éconduit qui finit par devenir troubadour et vient chanter des chansons d’amour à son ex-fiancée, un père autoritaire et pas très sympa, une pauvre fille pratiquement persuadée d’être la réincarnation de la Vierge, des gens avec les stigmates, des croisés en Terre-Sainte qui se font massacrer…

On sent le travail historique effectué par Carole Martinez, mais ce style adopté pour l’occasion (je n’ai pas lu Coeur cousu, qui est, paraît-il est très bien.) m’a profondément ennuyé et même parfois éclater de rire. A propos du fameux jeune amant éconduit qui devient ménestrel, une réplique m’a fait bien rire : « Montfaucon (le père du jeune homme, ndlr) (…) te dit sorcière et t’accuse d’avoir noué l’aiguillette de son fils. » C’est joliment dit. 

Mais on voit venir les choses gros comme un camion et j’imaginais déjà la fin du roman avant d’avoir lu les vingt premières pages. Ca tourne en eau de boudin assez rapidement et les apostrophes d’Esclarmonde à l’intention du lecteur sont vraiment fatigantes. « Certes, ton époque n’enferme plus si facilement les jeunes filles, mais ne te crois pas pour autant à l’abri de la folie des hommes. (…) Quant à la mort, que puis-je t’en dire sinon que je n’ai pas atteint depuis ma fin la légèreté qui me permettrait, échappant à ces pierres, de rejoindre l’éther (…). »

Bref, un roman heureusement court, mais dont j’attendais beaucoup plus, du fait de son statut de Prix Goncourt des Lycéens. Quand j’aurai le temps, je lirai Coeur cousu, histoire de voir ce que peut vraiment écrire Carole Martinez.

Du domaine des Murmures de Carole Martinez
Editions Gallimard
9782070131495 2011
200 pages, 16€90 

Un article de Clarice Darling.