Alma t.1 : le vent se lève

Timothée de Fombelle
Illustrations de François Place
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2020
ISBN 9782075139106
400 p., 18 €
1786. Le jour où son petit frère disparaît, Alma part sur ses traces, loin de sa famille et de la vallée d’Afrique qui les protégeait du reste du monde.
Au même moment, dans le port de Lisbonne, Joseph Mars se glisse clandestinement à bord d’un navire de traite, La Douce Amélie. Il est à la recherche d’un immense trésor. Dans le tourbillon de l’Atlantique, entre l’Afrique, l’Europe et les Caraïbes, leurs quêtes et leurs destins les mènent irrésistiblement l’un vers l’autre…
« Écoutez, vous qui pleurez… »
À chaud, sur le vif : encore un très grand livre de Timothée de Fombelle.
Chaque nouvelle parution me rend pourtant plus exigeant à son égard. À chaque fois, je me dis : « ce n’est pas possible, il ne va pas pouvoir faire aussi bien, aussi fort, aussi intelligent que les fois précédentes. »
Les fois précédentes, c’est Tobie Lolness, formidable échappée dans un arbre-monde. C’est Vango, résurrection flamboyante et enivrante du grand roman d’aventures historique, Dumas et Verne revisités à la sauce moderne. C’est Le Livre de Perle, merveilleuse histoire qui enchâsse une page sombre de notre Histoire et le monde des contes de fées, dans un entrelacs narratif d’une virtuosité effarante. C’est Neverland, bouleversante escapade en littérature « adulte » pour mieux parler d’enfance.
Et ce sont d’autres projets, d’autres livres, de dimensions plus modestes que ces grandes sagas, mais tout aussi forts, et justes, et percutants.
Alors, aux premières pages du Vent se lève, premier tome de la trilogie Alma, j’ai douté, un peu. Narration au présent, récit linéaire, début sage et paisible – là où les romans précédents de l’auteur s’ouvraient systématiquement sur la fuite, la peur et le chaos, tranchant dans le vif de l’intrigue pour y entrer en trombe, et revenir ensuite à la source.
Timothée de Fombelle rompt avec ses acquis et fait le choix de la simplicité. Trompeuse, apparente seulement. Petit à petit, les dimensions se révèlent, différentes intrigues se nouent, les personnages se multiplient – sans que jamais on n’en perde un de vue, sans que jamais on ne se trompe ni ne s’égare.
L’un des grands arts du romancier réside dans la complicité qu’il crée instantanément entre son lecteur et ses personnages. En quelques mots, un portrait esquissé, une manière de parler ou de se tenir, une silhouette croquée à l’essentiel mais qui, ainsi, tient debout sans effort.
Il y a Alma, bien sûr, petite fille échappée d’une vallée perdue d’Afrique, en quête de son petit frère disparu, héritière d’un peuple presque entièrement évanoui, les Okos. Il y a Sirim, amie croisée sur sa route, et Brouillard le « zèbre sans rayure ».
Il y a la famille d’Alma, sa mère Nao, son père Mosi, ses deux frères Soum et Lam. Chacun riche d’une histoire sans âge, et de trésors prodigieux.
Il y a Joseph Mars, jeune garçon tenace et audacieux, qui dissimule bien des ruses et secrets. Il y a Jacques Poussin, le maître charpentier.
Il y a le terrible Gardel, capitaine impitoyable d’un navire négrier.
Il y a Bassac, l’armateur du navire conduit par Gardel. Et sa fille Amélie, adolescente farouche et fière de quatorze ans, qui va prendre son destin en main.
Il y a Saint-Ange, qui porte peut-être bien mal son nom.
Et puis, il y a cette foule où les noms se noient en même temps que la vie qu’on leur vole. Ces corps qu’on entasse dans les cales d’un navire, au mépris de toute dignité et de tout respect envers l’humanité. Ces âmes que l’on nie – simplement parce que ces hommes, ces femmes et ces enfants sont noirs.
Le Vent se lève est un formidable roman d’aventure, dont les cent dernières pages hérissent l’échine, mettent à bas toutes les certitudes du lecteur, et le font enrager quand le livre se termine en laissant en suspens tant de promesses à tenir dans les deux prochains tomes de la saga.
Oui, Le Vent se lève fait vibrer, encore une fois, ce plaisir pur et sincère de la littérature comme un drapeau qui claque au vent, une ouverture immense sur le monde, la fenêtre par laquelle les enfants Darling se sont envolés dans le sillage de Peter Pan et de la fée Clochette.
Mais Le Vent se lève est aussi un effroyable récit de l’esclavage. Restitué dans le détail, avec ce qu’il faut de précision pour en comprendre l’horreur, tout en faisant preuve d’une retenue pédagogique qui évite de sombrer dans le voyeurisme morbide.
Avant que les pleureuses professionnelles et autres chantres du politiquement correct à tout crin se mettent à gueuler, je précise : Timothée de Fombelle ne cherche pas à atténuer l’atrocité de ce commerce, dont il détaille brièvement mais froidement les conditions, les prix, les valeurs. Il évoque sans fard cette abomination dont notre vieux Continent comme le Nouveau Monde, de l’autre côté de l’Atlantique, se sont gavés en toute impunité, et en toute indignité.
Mais il n’oublie pas qu’il s’adresse en premier lieu à des enfants ou à des adolescents (même si les lecteurs adultes de Timothée de Fombelle sont innombrables, et aussi fidèles que moi). En fabuleux inventeur d’histoires, il privilégie toujours ces dernières à la démonstration historique. Il raconte.
Et ses personnages, on y revient, sont ses complices infaillibles dans cette tâche immensément difficile. Ce sont eux qui ouvrent les portes du réel, qui aident à comprendre les faits. C’est par eux qu’on apprend, qu’on découvre, qu’on s’instruit, au détour de leurs péripéties palpitantes. L’Histoire sert leurs aventures, pas l’inverse.
Et le résultat est imparable. Parce que l’architecture narrative est à la fois fine, complexe et limpide. Comme une toile d’araignée qui n’emprisonnerait pas le lecteur à des fins létales, mais le guiderait en douceur vers son centre, où tout finira par devenir lumineux.
Timothée de Fombelle a toute confiance en la puissance du roman. Il s’y abandonne avec une générosité, une inventivité et une intelligence qui enchantent, éblouissent, bouleversent.
Cet écrivain est capable de dénicher les plus infimes étincelles de lumière au cœur de la boue la plus épaisse – et de nous convaincre que seule cette lumière compte, et qu’il faut l’entretenir, la protéger, et la maintenir en vie coûte que coûte.
Le premier tome d’Alma réussit encore cet exploit, alors même qu’il s’enfonce dans les eaux les plus sombres que Timothée de Fombelle ait jamais explorées.
La suite paraîtra l’année prochaine.
2021 paraît, d’un coup, terriblement lointain…
P.S.: comme Tobie Lolness, le roman est enrichi d’une sublime couverture et d’illustrations signées par François Place. Cela ne gâche rien, bien au contraire.
A première vue : la rentrée Stock 2018

L’année dernière, nous avions reproché à Stock de faire partie des éditions se présentant à la rentrée avec un effectif beaucoup trop pléthorique. Pas mieux cette année, puisque la maison bleue aligne pas moins de douze nouveautés pour la seule date du 22 août… Et comme d’habitude, nous n’en retiendrons que deux ou trois, sans trop s’attarder sur le reste. En espérant trouver dans la liste un titre aussi somptueux que Les huit montagnes de Paolo Cognetti !
OHÉ OHÉ : Capitaine, d’Adrien Bosc
Pour moi, le plus attendu de la bande. Aujourd’hui éditeur au Seuil et aux éditions du Sous-Sol, ce jeune homme doué et pressé qu’est Adrien Bosc avait marqué les esprits avec son premier roman paru en 2014, Constellation. Après cette histoire d’avion, voici qu’il s’intéresse à un bateau, le Capitaine Paul-Lemerle, parti du port de Marseille le 24 mars 1941 avec à son bord André Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers et beaucoup d’autres artistes, écrivains, journalistes, fuyant tous le régime de Vichy et la menace nazie. A sa manière kaléidoscopique, Bosc s’attache à relater le long voyage du bateau jusqu’en Amérique. Le sujet a tout pour que le jeune écrivain (32 ans) en fasse quelque chose de brillant.
MOMMY : Le Guetteur, de Christophe Boltanski
Lui aussi sera attendu pour son deuxième roman, car son premier, La Cache, a été très remarqué et apprécié (au point de décrocher le Prix Femina il y a trois ans). Cette fois, il y est question d’un fils qui, découvrant le manuscrit inachevé d’un polar dans les affaires de sa mère, décide d’enquêter sur elle pour essayer de comprendre cette femme mystérieuse. Des investigations qui vont le ramener aux jeunes années de sa mère, alors qu’elle était étudiante à la Sorbonne, en pleine guerre d’Algérie…
THIEF, BAGGINS ! : Confessions d’une cleptomane, de Florence Noiville
Florence Noiville a de la suite dans les idées. En l’occurrence, celle de placer un désordre psychique majeur au cœur de l’intrigue de ses livres. Après le syndrome de Clérambault dans L’Illusion délirante d’être aimé (2015), la voici donc qui, le titre est parlant, s’intéresse à la manie irrépressible du vol, en mettant en scène une femme, grande bourgeoise, épouse de ministre, qui ne peut s’empêcher de faucher tout ce qui lui passe sous la main. Jusqu’au jour où elle vole un objet qu’elle n’aurait jamais dû non seulement prendre, mais même simplement voir…
ALIÉNOR II, LE RETOUR : La Révolte, de Clara Dupont-Monod
Clara Dupont-Monod a de la suite dans les idées. Après avoir rencontré un succès certain avec Le Roi disait que j’étais diable (Grasset, 2014), elle reprend son « personnage » d’Aliénor d’Aquitaine, racontée cette fois par son fils, Richard Cœur de Lion, au moment où la reine demande à ses enfants de se retourner contre le Roi d’Angleterre, leur père.
MON FRÈRE : Avec toutes mes sympathies, d’Olivia de Lamberterie
Célébrité de la critique littéraire française, Olivia de Lamberterie saura sans doute trouver du soutien médiatique chez ses petits camarades, pour faire causer de ce premier livre où elle évoque son frère, à la suite du suicide de ce dernier en 2015. De l’autofiction Stock pure et dure. Pas mon truc, mais enfin…
LE DÉMON A VIDÉ TON CERVEAU : Simple, de Julie Estève
Un simple d’esprit, perché dans un village corse, se raconte et raconte les autres au fil d’un monologue adressé à sa chaise. Il évoque particulièrement ses liens ambigus avec une adolescente retrouvée morte dans les années 80. Deuxième roman.
CE QU’IL RESTE DE NOUS : Écoute, de Boris Razon
Deuxième roman encore, après l’un peu remarqué Palladium (2013). Il est question cette fois d’un policier chargé d’espionner les communications des gens alentour, caché dans un van avenue des Gobelins. Il s’intéresse soudain à un homme qui, bizarrement, n’émet aucun signal, ce qui le transforme instantanément en suspect – ou au moins en type curieux…
BOULEVARD : La Femme de Dieu, de Judith Sibony
Et un premier roman pour faire bonne mesure ! Un metteur en scène a pris l’habitude d’associer sur scène sa femme, à qui il réserve toujours le rôle principal, à sa maîtresse du moment. Mais la dernière en date le pousse dans ses retranchements en exigeant de porter son enfant tout en jouant le rôle de l’amante… Une mise en parallèle de la création théâtrale et de la procréation médicale.
HEAL THE WORLD : L’Évangile selon Youri, de Tobie Nathan
Un psychanalyste désabusé prend sous son aile un gamin tzigane de dix ans, dont on dit qu’il possède des pouvoirs magiques. Imposteur ou vrai magicien des temps modernes ? Tu le sauras, lecteur, en lisant ce livre signé par le célèbre psychanalyste (désabusé ?) Tobie Nathan.
MAKE IT A BETTER PLACE : Vivre ensemble, d’Émilie Frèche
Ayant échappé de peu aux attentats de Paris le 13 novembre 2015, Pierre et Déborah décident de profiter du temps présent et de consolider leur relation naissante. Ils emménagent donc avec leurs enfants respectifs : Léo, 13 ans et Salomon, 11 ans. Mais les deux fils supportent mal de cohabiter avec des beaux-parents qu’ils n’ont pas choisis.
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FOR YOU AND FOR ME : Le Mars Club, de Rachel Kushner
(traduit de l’américain par Sylvie Schneiter)
Romy Hall, une ancienne strip-teaseuse au Mars Club, est condamnée à la perpétuité pour avoir tué l’homme qui la harcelait. Enfermée à la prison de Stanville, elle apprend que sa mère à qui elle avait confié Jackson, son fils de 7 ans, vient de mourir. Déchue de ses droits parentaux, la jeune femme décide d’agir.
AND THE ENTIRE HUMAN RACE : La Marcheuse, de Samar Yasbek
(traduit de l’arabe (Syrie) par Khaled Osman)
Rima aime les livres, le dessin et… marcher. La jeune fille, qui ne parle pas, souffre d’une étrange maladie : ses jambes fonctionnent indépendamment de sa volonté, dès qu’elle se met à marcher elle ne peut plus s’arrêter.
Un jour d’août 2013, alors qu’elle traverse Damas en bus, un soldat ouvre le feu à un check-point. Sa mère succombe sous les balles et Rima, blessée, est emmenée dans un hôpital pénitencier avant que son frère ne la conduise dans la zone assiégée de la Ghouta. Et c’est là, dans cet enfer sur terre, que Rima écrit son histoire.
À travers la déambulation vive et poétique de cette adolescente singulière dans l’horreur de la guerre, Samar Yazbek continue son combat pour exposer aux yeux du monde la souffrance du peuple syrien.
On lira sûrement :
Capitaine, d’Adrien BoscOn lira peut-être :
La Marcheuse, de Samar Yasbek
Le Guetteur, de Christophe Boltanski