A première vue : la rentrée Stock 2016
À première vue, chez Stock comme chez la plupart des éditeurs, on voit arriver une rentrée sérieuse comme un premier de la classe, mais manquant clairement de fantaisie (à une exception près peut-être). C’est déjà pas mal, me direz-vous. Mouais, mais on n’aurait rien contre un peu d’excitation et d’inattendu. Pas sûr de les trouver sous la couverture bleue de la vénérable maison désormais dirigée par Manuel Carcassonne, qui aligne de plus beaucoup (trop) de candidats sur la ligne de départ : neuf auteurs français, deux étrangers, ça sent la surchauffe…
AUCUN LIEN : Une fille et un flingue, d’Olivier Pourriol
Elle est sans doute là, la touche de folie de la rentrée Stock ! Ancien chroniqueur littéraire muselé du Grand Journal (expérience amère dont il a tiré un récit décapant, On/Off), mais aussi et surtout spécialiste de cinéma, Pourriol met en scène deux frangins, Aliocha et Dimitri, fans de cinoche et obsédés par le désir de réaliser un film. Comment y parvenir quand on est fauché et inconnu ? En appliquant à la lettre le précepte d’un grand maître du Septième Art : « Un film, c’est un hold up » (Luc B.) Un « braquage » que les deux frères vont tenter de réussir avec l’aide de Catherine D. et Gérard D., en plein Festival de Cannes… Annoncé comme une comédie délirante, Une fille et un flingue est le genre de bouquin qui passe ou qui casse, sans juste milieu. Pourriol a tout le talent médiatique nécessaire pour défendre son livre sur les plateaux de télévision, mais son livre saura-t-il se défendre tout seul ?
GENÈSE II, LA REVANCHE : Au commencement du septième jour, de Luc Lang
Je n’ai jamais rien lu de Luc Lang, auteur emblématique de Stock, faute d’avoir réussi à m’intéresser à son travail jusqu’à présent. Cela changera peut-être avec ce nouveau roman, récit d’une vie trop parfaite pour être honnête et qui s’écroule brutalement lorsque la supercherie est dévoilée. Cette vie, c’est celle de Thomas, dont la femme Camille a un jour un terrible accident de voiture à un endroit où elle n’aurait jamais dû se trouver. Tandis que Camille reste plongée dans le coma et que tout s’écroule autour de lui, Thomas entame une vaste enquête qui va lui faire passer en revue toute son existence, sa relation avec son père, ses frère et soeur, ses enfants… Luc Lang revendique l’inspiration de Cormac McCarthy (rien de moins) pour ce roman présenté par son éditeur comme son plus ambitieux.
ALLÔ PAPA TANGO CHARLIE : Bronson, d’Arnaud Sagnard
Premier roman qui met en parallèle une ligne autobiographique et la vie du comédien Charles Bronson, depuis une jeunesse misérable durant la Grande Dépression jusqu’à la gloire hollywoodienne, renommée et richesse dissimulant la hantise quotidienne d’un homme rongé par la peur. Ce genre d’exercice a déjà donné de fort belles choses, notamment sous la plume de Florence Seyvos (Un garçon incassable, autour de Buster Keaton), alors pourquoi pas ?
C’EST UNE MAISON BLEUE : Les visages pâles, de Solange Bied-Charreton
Les trois petits-enfants de Raoul Estienne se retrouvent dans la vieille demeure chargée de souvenirs du vieil homme qui vient de s’éteindre. Faut-il vendre la maison ou la garder ? La question agite les héritiers autant que la Manif pour Tous, au même moment, déchire la société française, et oblige les uns et les autres à faire le point sur leurs existences… Je ne sais pas s’il faut attendre grand-chose d’un roman dont les personnages se prénomment Hortense, Charles ou Alexandre, mais bon. Il paraît que c’est « caustique » (dixit l’éditeur).
C’EST L’AMOUR A LA PLAGE (AOU CHA-CHA-CHA) : Maures, de Sébastien Berlendis
Les vacances d’été, la mer, les dunes, le camping, le dancing, l’adolescence, la découverte des filles… Tout ceci est follement original, n’est-ce pas ? Déjà vu, déjà lu, il faudrait vraiment une plume exceptionnelle ou un point de vue extrêmement singulier pour distinguer un tel récit. Toujours possible, mais on n’y croit guère…
POKER FACE : L’Indolente, de Françoise Cloarec
En 2008, Françoise Cloarec avait signé un succès surprise avec La Vie rêvée de Séraphine de Senlis (qui avait donné une adaptation cinématographique non moins triomphale, Séraphine, avec Yolande Moreau). Elle revient au milieu de la peinture avec cette enquête littéraire sur Marthe Bonnard, dont on découvre après le décès de son peintre de mari, Pierre Bonnard, qu’elle n’était pas du tout celle qu’elle avait toujours prétendu être.
DANS DEUX CENTS MÈTRES, TOURNEZ A GAUCHE : À tombeau ouvert, de Bernard Chambaz
Le 1er mai 1994, le pilote Ayrton Senna se tue au volant de sa Formule 1, en ratant un virage et en allant s’écraser contre un mur à 260 km/h. A partir de ce drame diffusé en direct et en mondovision télévisuelle, Bernard Chambaz tire un roman sur la fascination pour la vitesse, croisant le destin de Senna avec ceux d’autres pilotes célèbres mais aussi avec ceux de ses proches, dont son fils mort dans un accident de la route.
L’AMANTE DU VIETNAM DU NORD : L’Éveil, de Line Papin
Stock lance une auteure de 20 ans dans l’arène, avec un premier roman sous forte influence de Marguerite Duras, une histoire d’amour torride dans la touffeur de Hanoï, la capitale du Vietnam (où est née Line Papin). On annonce une jeune prodige, il faudra voir si elle est authentique.
AU CHARBON : Anthracite, de Cédric Gras
Dans un décor de guerre, une tragi-comédie sur fond de pays qui s’écroule – ce pays, c’est l’Ukraine, violemment divisée après la sécession en 2014 de la région minière du Donbass qui décide de rejoindre la Russie. Parce qu’il s’est obstiné depuis l’événement à y faire jouer l’hymne national ukrainien, un chef d’orchestre est obligé de prendre la fuite avec son ami d’enfance à bord d’une bagnole aussi décrépite que les paysages industriels qu’ils traversent… Premier roman.
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L’ÉNERGIE EST NOTRE AVENIR, ÉCONOMISONS-LA : Un travail comme un autre, de Virginia Reeves
Alabama, années 20. Avec l’aide de son ouvrier agricole, un fermier détourne une ligne électrique de l’Etat pour augmenter le rendement de son exploitation. Tout roule jusqu’à ce qu’un employé paye de sa vie cette installation sauvage. Wilson, l’ouvrier, écope des travaux forcés dans les mines, tandis que son patron est envoyé au pénitencier. Confronté à la violence extrême de la prison, il tente tout de même d’envisager l’avenir… Premier roman de l’Américaine Virginia Reeves.
POÉTER PLUS HAUT QUE SON… : Ce qui reste de la nuit, d’Ersi Sotiropoulos
En 1897, Constantin Cavafy n’est pas encore le grand poète grec qu’il est appelé à devenir. Écrasé par l’affection de sa mère, tourmenté par son homosexualité, à la recherche de son style et de sa voix, il fait un séjour de trois jours à Paris qui va tout changer pour lui. La romancière grecque Ersi Sotiropoulos dresse un portrait littéraire de Cavafy en s’interrogeant sur le lien entre création et désespoir, dans un livre dense et exigeant (une manière polie de suggérer autre chose, je vous laisse deviner quoi).
Baignade surveillée de Guillaume Guéraud
Il fait beau, il faut chaud, c’est près de Bordeaux qu’est venu se ressourcer Arnaud. Avec femme et enfant, il espère souffler un peu. Sauf que… sa femme est aussi fermée qu’une huître. La communication entre les deux est impossible. On sent, et Arnaud doit être le seul à ne rien vouloir voir, qu’elle a un amant et qu’elle va quitter son mari avant la fin des vacances.
Sur ces engueulades permanentes déboule Max, le frangin d’Arnaud, un jeune chien fou que personne n’arrive à contrôler. Après plusieurs années de taule, Max décide de faire une formation de grutier pour travailler sur les chantiers. Mais pas pour se ranger, au contraire…
Baignade surveillée, c’est l’histoire d’une vie qui vole en éclat comme les parois d’une vitre de camion blindé. D’une vie qui s’écoule aussi vite que les grains de sable dans la main d’un enfant. D’une envie folle de recoller les morceaux quand on sait pourtant pertinemment qu’on ne peut plus rien faire. Guillaume Guéraud écrit d’une manière incisive, sans répit pour ses personnages. Un roman trop court à mon goût, mais qui se laisse lire avec plaisir.
Baignade surveillée de Guillaume Guéraud
Editions du Rouergue, 2014
9782812606151
125p., 13€80
Un article de Clarice Darling.
Les yeux de Lisa, de Karine Reysset
Signé Bookfalo Kill
Manon a convaincu ses parents de la laisser partir seule en vacances à Cabourg, avec sa cousine Ambre, majeure et responsable, son amie Clémentine, fille à papa mais maligne et délurée – et surtout Lisa. Lisa, son étrange amie, toujours habillée en noir, distante et mystérieuse, qui ressemble tant à un garçon que Manon s’y est d’abord laissé prendre au point d’être prête à en tomber amoureuse, avant de découvrir la vérité mais de rester fascinée par cette rebelle sauvage, au point de réussir à l’apprivoiser.
Cela aurait pu être un été de rêve. Mais…
Voici un petit roman pour ados qui se lit vite et bien, et qui a le mérite d’aborder des sujets difficiles sans pathos superflu ni sombrer dans le glauque. Karine Reysset décrit sans fards les dragues minables en boîte de nuit, la violence qui peut surgir à n’importe quel moment, pour mieux aborder in fine la maltraitance et l’inceste.
Les yeux de Lisa est avant tout un roman facile à aborder, avec quelques scènes bien vues, certaines légères et drôles, d’autres qui décrivent joliment les relations complexes entre adolescentes de 16-17 ans : jalousie, naïves certitudes, emballements éphémères ou amitiés indéfectibles… Rien n’y est follement bouleversant d’originalité, et Reysset se montre sans doute parfois trop superficielle dans son approche psychologique des personnages, même si tout y sonne plutôt juste.
On sent surtout qu’elle tourne autour du sujet fondamental de l’identité sexuelle sans oser trop s’y engager, ce qui est un peu dommage parce qu’il y avait la place pour développer cette question.
Pour le dire autrement, je verrais bien ce roman être adapté en téléfilm à portée pédagogique sur France Télévisions. Ce qui n’est pas une honte, mais reflète pour moi les limites d’un livre peut-être trop déjà lu-déjà vu, notamment dans la littérature pour ados.
Néanmoins, Les yeux de Lisa pourrait amener ses lecteurs (lectrices surtout, probablement) à réfléchir sur quelques sujets sérieux les concernant au premier chef, tout en appréciant une lecture fluide et touchante.
A partir de 13 ans.
Les yeux de Lisa, de Karine Reysset
Éditions École des Loisirs, coll. Médium, 2013
ISBN 978-2-211-20920-5
102 p., 8,50€