À première vue : la rentrée Plon 2021
Intérêt global :
Je ne vais toujours pas vous mentir, je n’ai pas tellement progressé dans ma connaissance du catalogue des éditions Plon depuis l’année dernière. Ni dans ma volonté de m’y intéresser. Et ce n’est pas leur programme pléthorique (exclusivement francophone) de cette année qui risque de me faire changer d’avis. Huit titres pour une maison de cette dimension, c’est très excessif, même s’il y a trois premiers romans parmi eux.
Néanmoins, la politesse m’oblige pour ainsi dire à leur laisser une place ici – car vous avez le droit, vous, d’être amateurs ou curieux de leur travail. Mais je vais faire simple, si vous me le permettez.
La Riposte, de Jean-François Hardy
Dans un Paris désagrégé par la crise écologique, la misère, la violence d’État, la canicule et la maladie, un mystérieux mouvement prônant la révolution, Absolum, gagne du terrain. Dans ce chaos, Jonas, infirmier à domicile désabusé de 37 ans, s’apprête comme beaucoup d’autres à fuir vers le Nord, en quête d’une vie meilleure. Premier roman.
Mourir au monde, de Claire Conruyt
Sœur Anne ne s’est jamais vraiment adaptée au quotidien du couvent où elle vit pourtant depuis vingt ans. L’arrivée de Jeanne, une jeune postulante dont elle a la charge, réveille en elle des sentiments oubliés. Très vite, la relation entre les deux femmes dépasse le cadre de la formation de la novice et sœur Anne entrevoit la possibilité de se retrouver elle-même. Premier roman.
L’Unique goutte de sang, d’Arnaud Rozan
Sidney quitte son Tennessee natal pour Chicago, où il se lie d’amitié avec Turner, un garçon errant irlandais, tandis que les émeutes de l’été 1919 embrasent le quartier noir de South Side. Il suit cet être révolté contre les siens dans un périple qui le mène de l’Arkansas à Manhattan. Ce voyage les confronte à la mort et les rapproche chaque jour du cœur de Harlem. Premier roman.
Berlin Requiem, de Xavier-Marie Bonnot
En 1934, quand Hitler accède au pouvoir et que le nazisme s’impose en Allemagne, Wilhelm Furtwängler, l’un des plus grands chefs d’orchestre allemands, refusant de choisir entre son art et son pays, se soumet au IIIe Reich. Rodolphe Bruckman, fils d’une célèbre cantatrice, qui rêve de diriger un jour l’Orchestre philharmonique de Berlin, observe les événements avec son regard de jeune garçon.
Le Syndrome de Beyrouth, d’Alexandre Najjar
Confinée dans un hôtel à Saint-Malo, Amira Mitri, ancienne combattante devenue reporter au quotidien libanais An-Nahar, se remémore les vingt ans qui se sont écoulés de son retour au Liban en l’an 2000 à l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. Durant cet intervalle, bien des événements ont secoué son pays et sa vie amoureuse a connu de multiples rebondissements.
907 fois Camille, de Julien Dufresne-Lamy
L’histoire de Camille, fille de Dominique Alderweireld, alias Dodo la Saumure, proxénète. Composant avec l’absence de ce dernier, elle grandit et construit son identité de femme moderne et indépendante qui cherche à donner un sens aux non-dits de son histoire familiale.
La Nuit des aventuriers, de Nicolas Chaudun
Le roman vrai d’un coup d’État presque parfait. Si la conjuration du 2 décembre 1851 a si bien réussi, c’est qu’elle apparaissait inéluctable à ses contemporains ; elle scellait la faillite manifeste des élites. En relatant cet événement historique majeur du XIXème siècle, Nicolas Chaudun tente bien évidemment de tisser un lien avec la situation politique actuelle.
Ma mère avait ce geste, d’Alain Rémond
Alain Rémond poursuit son œuvre autobiographique et livre un récit intime et universel sur l’amour inconditionnel qu’il porte à sa mère. Livre après livre, il retrouve le paradis perdu de son enfance en Bretagne.
Sans lendemain, de Jake Hinkson

Dans les années 40, Billie Dixon, femme au prénom d’homme et aux mœurs beaucoup trop libres pour son époque, sillonne les États-Unis pour livrer aux cinémas des coins les plus reculés du Midwest les films médiocres d’un obscur studio hollywoodien. Dans un petit bled de l’Arkansas, elle se heurte à la vindicte d’un pasteur aussi charismatique que fanatique, pour qui le cinéma est l’une des plus terribles incarnations du Diable. Billie aurait bien passé son chemin sans tarder, seulement il y a Amberly, la femme du pasteur. Une beauté renversante, totalement déplacée dans cette de bouseux arriérés, le genre de fille incendiaire et délicieusement mystérieuse qui affole les sens de la vendeuse de films. Pour elle, Billie serait prête à faire n’importe quoi.
Et c’est exactement ce qui va se passer.
Après un Homme posthume plutôt oubliable, Jake Hinkson est de retour en grande forme, largement au niveau de L’Enfer de Church Street si ce n’est plus. Plus ambitieux, plus complexe en tout cas, c’est certain.
Sans lendemain est de prime abord un pur roman noir à l’américaine, impression confortée par le choix de l’époque de l’intrigue (la fin des années 40) et par le recours à des codes classiques du genre : femme fatale, personnages étranges, références cinématographiques, paysages inquiétants… Comme dans son premier roman, Hinkson confirme sa maîtrise totale de ce registre particulier, auquel il apporte pourtant une patte personnelle et une touche de modernité bienvenue.
En effet, les héros de cette tragédie rurale sont avant des héroïnes – des femmes diablement en avance sur leur temps, mine de rien. Outre Billie, manipulatrice de premier ordre et fille d’une liberté ébouriffante, et Amberly, femme fatale beaucoup plus tordue qu’il n’y paraît, il y a aussi Lucy, officiellement assistante de son shérif de frère – officieusement shérif en chef, car son frère est totalement idiot et incapable de la moindre décision autonome.
Autour de ce trio qui ne s’en laisse pas compter, les hommes en prennent souvent pour leur grade, à commencer par le pasteur, qui cumule le défaut d’être un mâle à celui, rédhibitoire chez Jake Hinkson, de proférer la parole de Dieu sans aucune nuance. Toujours traumatisé par une enfance intensément religieuse, le romancier américain traque avec obstination les hypocrisies et la violence sous-jacente des fidèles aveuglés par une foi sans réflexion – ce qui donne à l’occasion quelques scènes hilarantes, comme la rédemption soudaine de Billie au milieu d’un cercle de grenouilles de bénitier déchaînées…
Dynamisé par sa brièveté, sa trajectoire inexorable et son style sans fioriture (magnifiquement restitué par la traduction de Sophie Aslanides), Sans lendemain permet à Jake Hinkson de retrouver l’énergie, la drôlerie et le sens du drame qui faisaient de L’Enfer de Church Street un coup d’essai très prometteur. Un roman noir exemplaire et réjouissant.
Sans lendemain, de Jake Hinkson
(No tomorrow, traduit de l’américain par Sophie Aslanides)
Éditions Gallmeister, 2018
ISBN 978-2-35178-132-6
224 p., 19,90€
L’Enfer de Church Street, de Jake Hinkson
Signé Bookfalo Kill
Je venais de terminer la lecture du nouveau roman de Kazuo Ishiguro, Le Géant enfoui, et me demandais comment diable j’allais bien pouvoir le chroniquer (on en reparlera), quand j’ai ouvert ce bouquin. Et hop ! j’ai été aspiré. Impossible de faire autre chose que de le lire d’une traite, et de revenir aussitôt vers vous à présent pour vous le présenter, car c’est un pur régal.
Avec deux autres titres sortis simultanément, L’Enfer de Church Street inaugure en fanfare une nouvelle collection des excellentes éditions Gallmeister. L’objectif de Néonoir est en effet de remettre le plus pur roman noir américain au goût du jour, en publiant les oeuvres d’auteurs contemporains considérés comme de dignes héritiers de leurs prestigieux aînés (souvent parus chez Rivages ou dans la Série Noire période mythique), de Dashiell Hammett à Jim Thompson en passant par Ross MacDonald, Charles Willeford et j’en passe.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jake Hinkson est à la hauteur de la mission. Son premier roman est un concentré de noir, égayé néanmoins d’un ton souvent humoristique du meilleur effet.
Résumons, autant que faire se peut. Un homme pas vraiment recommandable, en fuite après avoir démonté la tronche de son contremaître, se retrouve vite aux abois. Planqué aux abords d’un restaurant, il repère un gros type près de sa voiture, proie facile qu’il décide de braquer. Sauf que le gros type, un dénommé Geoffrey Webb, s’avère un drôle de pèlerin que la vue d’un flingue braqué sur lui ne bouleverse pas plus que ça. Embarquant son agresseur dans sa voiture, il se met alors à lui raconter sa vie, une sale histoire plantée sur Church Street à Little Rock, Arkansas…
Pour ne pas trop en dire, ce serait dommage, je vais faire vite. La scène d’ouverture, ce braquage qui tourne court, est à l’image de l’ensemble du roman. Jake Hinkson pratique l’art du rebondissement inattendu avec une facilité d’autant plus réjouissante qu’il n’en rajoute jamais ; le récit prend des virages serrés sans jamais crisser des pneus, comme si tout y était parfaitement naturel (ce qui n’est pas souvent le cas). L’impact n’en est à chaque fois que plus fort.
Geoffrey Webb est un formidable anti-héros, dont le ton, mélange d’autodérision, d’hypocrisie flamboyante et de cynisme absolu, fait beaucoup pour la réussite du livre. Quant à l’histoire, encore une fois sans rien dévoiler, elle offre une plongée sournoise dans les secrets peu glorieux d’une petite ville et de ses familles, ainsi qu’un mitraillage à boulets rouges sur les impostures de la religion quand elle ne devient plus qu’une mascarade vide de sens. Quand on sait que Jake Hinkson a grandi dans un milieu religieux strict (et s’en est sorti, la preuve), on comprend mieux qu’il ait la dent dure à ce sujet, mais il le fait avec maîtrise, voire avec retenue, ce qui donne d’autant plus de densité à son propos.
L’Enfer de Church Street est donc un petit bijou de roman noir d’aujourd’hui, cruel et réjouissant, qui se dévore sans trêve, et fait honneur au nouveau projet éditorial d’Oliver Gallmeister. Un must, superbement traduit par Sophie Aslanides (magnifique traductrice de Craig Johnson, entre autres), à ne pas manquer !
L’Enfer de Church Street, de Jake Hinkson
Traduit de l’américain par Sophie Aslanides
Éditions Gallmeister, 2015
ISBN 978-2-35178-087-9
236 p., 15€