Qui ?, de Jacques Expert
Signé Bookfalo Kill
Dans un lotissement résidentiel de Carpentras, une fillette disparaît ; on la retrouve le lendemain matin, violée et assassinée. En dépit des efforts de la gendarmerie, puis de la police, son meurtrier n’est jamais identifié.
Dix-neuf ans plus tard, une émission de télévision revient sur le drame et sur les nombreux soubresauts de l’enquête. Devant leur poste, quatre couples suivent le programme, partagés entre fascination et répulsion pour cette période éprouvante de leur vie.
L’un des quatre hommes est le coupable du crime (et sa femme le sait sans que lui-même soit au courant). Oui, mais qui ?
Qui ?, c’est bien sûr la question que se pose tout lecteur de polar confronté à une intrigue dont le suspense repose sur l’identification finale d’un coupable (ce qui n’est pas toujours le cas). Au point qu’il existe un sous-genre à part entière du roman policier, le « whodunit » (« qui a fait ça ? »), dédié à ce type d’investigation.
Dans Adieu, Jacques Expert s’essayait déjà à cet exercice et s’y ratait complètement. Construit d’une manière similaire (durée d’intrigue limitée, flashbacks, personnages globalement antipathiques), Qui ? s’avère plus crédible et plus prenant, voire mieux écrit – même si cela reste plus efficace que littéraire.
Alors, oui, on peut se prendre au jeu et essayer de découvrir l’identité du coupable. Entre des chapitres où il met en scène les quatre couples sous leurs noms, Expert en intercale d’autres intitulés « Lui » ou « Elle », qui relatent anonymement les réactions du coupable et de sa femme. En recoupant les uns et les autres, pour peu d’être assez attentif, on peut relever des indices qui mènent à une résolution anticipée de l’intrigue ; je dois avouer que, en procédant par élimination, ce fut mon cas – disons que j’avais dans le dernier quart du roman une quasi certitude qui s’est révélée exacte.
Cependant, il faut s’acharner un peu pour y arriver, et surtout se dépatouiller des longueurs, répétitions et digressions plus ou moins bienvenues dont Expert charge son récit dans le but assez malhonnête de détourner l’attention du lecteur. Je dis « malhonnête », car l’auteur n’est malheureusement pas assez doué ou imaginatif pour lancer de véritables fausses pistes, multiplier les chausse-trapes et aboutir à un twist convaincant. Il se contente donc de délayer, dans un suspense dont je reconnais toutefois le côté addictif et l’efficacité ; une fois rentré dedans, j’ai eu du mal à le reposer.
Un polar d’été qui conviendra parfaitement à des lecteurs occasionnels de roman policier, et/ou à des amateurs de polar facile et distrayant. Il en faut aussi.
Qui ?, de Jacques Expert
Éditions Sonatine, 2013
ISBN 978-2-35584-183-5
319 p., 18€
Si vous voulez essayer d’être plus convaincus, allez voir chez Démosthène le serial lecteur, Passion Polar, le blog de La Peste ou Du bruit dans les oreilles, de la poussière dans les yeux…
Adieu, de Jacques Expert
Signé Bookfalo Kill
A Châtenay-Malabry, on retrouve une famille décimée : la mère égorgée, les enfants étouffés ; le père, lui, a disparu. Chargé de l’enquête, le commissaire Hervé Langelier, flic laborieux et sans envergure, est persuadé que le coupable est tout désigné, ce ne peut être que le paternel évaporé dans la nature. Quand un crime identique est commis un mois après jour pour jour et que ses supérieurs commencent à crier au tueur en série, Langelier reste arc-bouté sur ses certitudes. Au point d’être déchargé de l’enquête et de voir son chef et ami, le commissaire divisionnaire Ferracci, réussir à neutraliser le tueur deux mois et deux autres crimes plus tard, tué au terme d’une course-poursuite.
Mais Langelier est toujours persuadé d’avoir eu raison ; et c’est seul contre tous, et surtout contre Ferracci, qu’il va tout faire pour en apporter la preuve…
Journaliste, directeur adjoint de Paris Première, Jacques Expert était déjà l’auteur de trois polars publiés par Anne Carrière. Rien de transcendant, voire de franches déceptions (la Théorie des Six : bonne idée, traitement pas à la hauteur) – en résumé, rien qui permît de comprendre l’arrivée en fanfare de cet auteur chez Sonatine, l’un des éditeurs du genre les plus appréciés du moment.
(A part imaginer que cet ancien de TF1 et M6 ait fait jouer ses relations – sachant que Sonatine travaille avec des « conseillers éditoriaux » nommés Pierre Lescure ou Jean-Pierre Lavoignat -, mais ça, c’est pas bien, non non non. En plus, ça n’existe pas dans l’édition, mais non voyons, qu’allez-vous imaginer, espèce de jaloux.)
Après lecture de la chose, je ne comprends pas davantage. Adieu est un polar peu sympathique, à l’image du commissaire Hervé Langelier, un personnage imbu de lui-même, sûr d’avoir raison et paranoïaque. Rien que pour le fun, j’aurais dû compter le nombre de fois où il traite ceux qui s’opposent à lui de crétins ou d’imbéciles. Oser un « héros » pareil peut être courageux : au moins est-il un homme ordinaire, avec ses faiblesses et ses défauts… Mais de là à le rendre aussi détestable, il y a un pas qu’Expert aurait pu se retenir de franchir. N’est pas Antoine Chainas qui veut, capable de faire du héros de Versus, le pire fumier de tous les temps, un personnage finalement « attachant »…
On passe sur l’aspect irréaliste du procédé de narration qui tient les deux tiers du livre : le jour de son départ en retraite, devant ses invités, Langelier se lance dans un discours interminable pour raconter les dix années qui se sont écoulées depuis son échec initial, durant lesquelles il s’est acharné à poursuivre son enquête sur les pères disparus, histoire de prouver qu’il avait raison… On n’y croit pas, mais bon, au moins, on peut faire abstraction, c’est un détail, poursuivons.
En fait, la situation est d’autant moins crédible que la fin est censée reposer sur un twist – eh oui, encore un auteur persuadé qu’un rebondissement final inattendu peut sauver tout un livre… – ; lequel twist s’avère contredire le récit, ce qui revient, non pas à manipuler, mais à abuser, à duper le lecteur. La nuance est importante, car une manipulation est jouissive quand elle est habilement conduite (cf. Betty d’Indridason), tandis qu’une tromperie constitue une rupture du contrat de confiance qui lie le lecteur à l’auteur. En gros, c’est tricher.
De plus, le twist doit être surprenant et masqué jusqu’au bout. Là, c’est assez prévisible, en tout cas l’avais-je anticipé d’assez loin, car c’était une solution plutôt évidente et, à vrai dire, médiocre. Pour me contenter, Expert aurait dû surpasser mon attente de simple lecteur : raté.
Quant au style, il est au mieux inexistant, au pire chargé de maladresses, notamment encore une fois en ce qui concerne la concordance des temps, régulièrement malmenée (mais qu’est-ce que ces futurs de l’indicatif viennent faire ici ?!?) Journaliste, Jacques Expert a un style journalistique, et ce n’est pas un compliment. C’est pénible, factuel, sans âme.
Bref, ce n’est pas avec ce roman que Sonatine marquera le polar français. Du coup, on attend beaucoup de la suite, et notamment du prochain auteur hexagonal à paraître chez eux. Un certain Fabrice Colin… L’espoir, cette fois, est permis !
Adieu, de Jacques Expert
Editions Sonatine, 2011
ISBN 978-2-355-84084-5
327 p., 20€