A première vue : la rentrée Minuit 2017

Un deuxième roman tardif, un troisième très attendu, et deux auteurs chevronnés : à première vue, la rentrée des éditions de Minuit joue la diversité et la confiance cette année – là où, l’année dernière, elle ne s’était appuyée que sur le seul Laurent Mauvignier pour briller dans la cour de récré.
BARBOUILLIS : Sigma, de Julia Deck (lu)
Son premier roman, Viviane Elisabeth Fauville, avait bluffé par sa construction élaborée ; le second, Le Triangle d’hiver, avait réjoui par son ton délicieusement ironique et, là encore, un art remarquable de la narration. Julia Deck s’essaie cette fois à un faux roman d’espionnage où une organisation secrète s’acharne à neutraliser ou à faire disparaître des œuvres d’art réputées pour leur mauvaise influence… Plaisant à lire, de temps en temps amusant, mais c’est à peu près tout. Au final, le livre paraît bien long pour le peu qu’il a à raconter. Dommage, car l’idée de départ avait du potentiel.
POINTILLISME : Trois jours chez ma tante, d’Yves Ravey
Le plus chabrolien des romanciers français confronte cette fois un homme à sa tante qu’il n’a pas vue depuis vingt ans. Du fond de sa maison de retraite, la vieille dame annonce de but en blanc à son neveu qu’elle cesse de lui verser la rente mensuelle dont il bénéficiait depuis des années, et qu’elle songe par-dessus le marché à le déshériter. Débute alors un huis clos houleux…
CROÛTE(S) : Une chance folle, d’Anne Godard
Son premier roman, L’Inconsolable, remonte à 2006. Anne Godard revient avec l’histoire d’une fillette dont la vie est rythmée par des opérations, des soins innombrables et des cures thermales, pour l’aider à se remettre de graves brûlures survenues dans les premiers mois de sa vie. Des libraires primo-lecteurs en disent beaucoup de bien, en dépit du caractère pas forcément engageant de ce pitch.
CONTREFAÇON : Made in China, de Jean-Philippe Toussaint
L’auteur relate ses nombreux voyages en Chine dans le début des années 2000, son amitié avec l’éditeur Chen Tong ainsi que le tournage de son film The honey dress. Là non plus, pas le résumé le plus excitant de la rentrée, même si c’est Jean-Philippe Toussaint qui est aux manettes de ce récit.
Sans état d’âme, d’Yves Ravey
Signé Bookfalo Kill
En peu de mots, avec une économie de moyens et d’effets remarquable, Yves Ravey a le chic pour instaurer des atmosphères poisseuses, subtilement inquiétantes, où traîne toujours un pesant sentiment de secrets inavouables. Quelque part entre Claude Chabrol et Simenon, en somme. Et son nouveau roman, Sans état d’âme, ne fait pas exception à la règle.
Nous sommes, comme souvent, dans une petite ville anonyme de province. Gustave Leroy y a grandi, il y exerce aujourd’hui la profession de chauffeur routier. Un jour, Stéphanie, son amie d’enfance dont il est toujours amoureux, vient lui demander de rechercher son fiancé américain, John Lloyd, qui a disparu sans laisser de traces. Incapable de rien lui refuser, Gu accepte et se met à fouiner. Mais est-il réellement le mieux placé pour mener cette enquête ? Et que faire de Mike Lloyd qui débarque sans crier gare pour retrouver son frère ?
Sans état d’âme affiche 126 pages au compteur, je serais donc bien en peine de vous en dire davantage. Sinon que ce roman est une nouvelle fois une jolie démonstration de construction, Yves Ravey dévoilant peu à peu la vérité qu’il révèle pourtant entièrement à mi-parcours. Pourquoi ? Parce que ce livre, malgré les apparences et le véritable suspense qui maintient le lecteur en éveil jusqu’à la fin, n’est pas un polar, mais bien un étude de mœurs. Mentalités étriquées, petites jalousies, ambitions médiocres, ses personnages ne donnent pas une image bien reluisante de l’humanité, mais ils en sont néanmoins, hélas, un reflet fidèle.
Une nouvelle réussite d’Yves Ravey, qui est définitivement un auteur à découvrir. Pour ma part, c’était avec Un notaire peu ordinaire, que je ne peux que vous recommander également, comme la plupart de ses autres romans !
Sans état d’âme, d’Yves Ravey
Éditions de Minuit, 2015
ISBN 978-2-7073-2907-3
126 p., 12,50€
A première vue : la rentrée Minuit 2015
Deux romans (dont un premier) et un OLNI d’un grand nom de la maison, voilà le programme des éditions de Minuit, comme toujours économes en parution – et on les en remercie.
MAIGRET AMATEUR : Sans état d’âme, d’Yves Ravey (lu)
Nous sommes, comme souvent, dans une petite ville anonyme de province. Gustave Leroy y a grandi, il y exerce aujourd’hui la profession de chauffeur routier. Un jour, Stéphanie, son amie d’enfance dont il est toujours amoureux, vient lui demander de rechercher son fiancé américain, John Lloyd, qui a disparu sans laisser de traces. Incapable de rien lui refuser, Gu accepte et se met à fouiner. Mais est-il réellement le mieux placé pour mener cette enquête ? Et que faire de Mike Lloyd qui débarque sans crier gare pour retrouver son frère ?
Ce faux polar rural, prétexte à une étude de moeurs poisseuse et implacable, est une nouvelle réussite d’Yves Ravey, plus que jamais héritier de Simenon et Claude Chabrol.
C’EST LA VIE QUI FAIT PLOUF : Changer d’air, de Marion Guillot
Marié, père de deux enfants, un professeur décide de tout plaquer après avoir été témoin d’un incident sans conséquence – sauf pour lui : cette vision perturbante le pousse à essayer de recommencer sa vie à zéro, même si son existence jusqu’alors lui convenait très bien.
Un premier roman dont on attend, comme souvent chez Minuit, un travail littéraire particulier qui transcendera son sujet.
ENFANT DE LA BABALLE : Football, de Jean-Philippe Toussaint (lu)
Amateur de ballon rond, Toussaint avait déjà commis La Mélancolie de Zidane en 2006, récit très bref et poétique en réaction au fameux coup de boule de Zizou en finale de la Coupe du Monde. Il récidive avec un texte plus long, articulé autour de la Coupe du Monde de 2002 en Corée et au Japon, faisant de ses réflexions sur le sport le plus populaire du monde un objet littéraire et intime, élégant et profond.
La Fille de mon meilleur ami, d’Yves Ravey
Signé Bookfalo Kill
J’ai découvert l’année dernière Yves Ravey, auteur discret mais talentueux publié aux éditions de Minuit, avec l’excellent Un notaire peu ordinaire. N’ayant pas encore eu le temps de m’intéresser à ses livres précédents, j’ai donc été heureux de le voir revenir dès cette année avec un nouveau roman, La Fille de mon meilleur ami.
Malheureusement, je dois l’avouer d’emblée, le résultat n’est pas à la hauteur de mes attentes.
La Fille, c’est Mathilde, jeune femme perturbée, qui a passé plusieurs années en asile psychiatrique et a tendance à abuser de médicaments et d’alcool. Son père, Louis, membre de la Légion Étrangère, la confie à son meilleur ami, William, juste avant de mourir de suite de terribles blessures subies au front. Et c’est ainsi que William, narrateur de l’histoire, se retrouve embarqué dans un drôle de périple : mère dépossédée de son fils parce qu’elle était incapable de s’en occuper, Mathilde le supplie de l’aider à aller voir le petit garçon puis à le rencontrer, en dépit de l’interdiction judiciaire qui la frappe.
L’objectif n’est déjà pas aisé à atteindre en soi, mais William ayant ses propres problèmes, l’affaire va rapidement se compliquer…
Dès le début de ma lecture, j’ai senti que le charme n’allait pas opérer aussi bien que la première fois. Question de style, laborieux, creux, manquant de fluidité. Question d’intrigue aussi, qui tarde à décoller, et qui ne se complexifie progressivement que pour devenir trop compliquée, ou plutôt emberlificotée – manière de dire qu’Yves Ravey semble avoir peiné à avoir tricoté une histoire convaincante.
Au cœur du roman, j’ai pourtant été pris par certaines révélations bien amenées, certains rebondissements prometteurs. Mais le soufflé n’a pas tardé à retomber, faute de rythme et de réels enjeux. A la différence d’Un notaire peu ordinaire, où la tension s’instaurait peu à peu mais d’une manière inexorable jusqu’à la fin, il manque à ce roman l’énergie sombre et le sens du suspense qui auraient pu le transfigurer.
Manque l’envie, également, de s’attacher à des personnages tous assez antipathiques ; même si c’est voulu, il leur fait défaut le petit quelque chose qui aurait pu nous lier à leur sort. Paradoxalement, on aimerait bien qu’ils arrivent à leurs fins ; et en même temps, les moyens qu’ils emploient, la manière dont Ravey les anime nous détachent trop d’eux pour que cela fonctionne.
Du coup, la fin, pourtant d’une cruelle logique assumée, manque de percutant, et j’ai refermé le roman avec le sentiment décevant d’avoir raté un rendez-vous intéressant. Dommage, mais je me console en songeant que l’œuvre d’Yves Ravey est déjà conséquente, et qu’elle recèle probablement d’autres pépites. On verra ça prochainement !
La Fille de mon meilleur ami, d’Yves Ravey
Éditions de Minuit, 2014
ISBN 978-2-7073-2381-1
156 p., 14€
Un notaire peu ordinaire, d’Yves Ravey
Signé Bookfalo Kill
Marthe Rebernak est veuve et mère de deux grands enfants qui vivent encore chez elles. Lorsqu’elle apprend que son cousin Freddy sort de prison et revient en ville après quinze ans de réclusion pour un crime abominable, elle refuse de le voir, et surtout de le laisser approcher des siens.
Mais peut-elle l’en empêcher tant qu’il ne fait rien de mal ? Et est-ce que le notaire, maître Montussaint, qui a déjà bien aidé Marthe par le passé, pourrait à nouveau lui porter secours ?
Plus on avance dans la lecture d’Un notaire peu ordinaire, plus on se prend à imaginer ce que Claude Chabrol aurait pu en faire s’il l’avait adapté au cinéma. Il s’y trouve nombre d’ingrédients qui auraient pu le séduire : une petite ville de province (non nommée), un notable influent, des gendarmes dépassés, des caractères plus ou moins médiocres, des secrets et des obsessions sordides…
On pourrait presque croire à un roman noir, d’autant qu’il règne dans le roman une tension permanente, de plus en plus forte au fur et à mesure qu’on approche du dénouement.
C’est cela, mais c’est aussi autre chose. Car il y a l’écriture d’Yves Ravey, à la fois concise – l’auteur va à l’essentiel, factuel avant tout, sans s’étendre sur la psychologie de ses personnages qui ne manquent pourtant ni d’épaisseur ni de complexité – et littéraire. Il suffit d’étudier le mécanisme du récit pour s’en convaincre : le narrateur est le fils de Marthe et, alors qu’il n’est directement témoin que de la première et de la dernière scène du roman, c’est tout de même lui qui en rapporte tous les événements. Acteur du début de l’histoire, il en devient un membre implicite ; mais en s’effaçant, il laisse la première place, celle du voyeur, au lecteur.
Un dispositif roublard qui nous ramène au roman noir, puisqu’on croirait lire un témoignage – et c’est peut-être ce que c’est, allez savoir… -, mais qui permet aussi à Ravey un travail saisissant sur l’écriture, notamment sur les dialogues, intégrés au récit.
Un notaire peu ordinaire est le premier livre d’Yves Ravey que je lis, et ce ne sera sûrement pas le dernier. En ce qui me concerne, c’est une vraie découverte, que je vous invite chaleureusement à partager !
Un notaire peu ordinaire, d’Yves Ravey
Éditions de Minuit, 2013
ISBN 978-2-7073-2259-3
108 p., 12€