Les nuits d’été, de Thomas Flahaut

Éditions de l’Olivier, 2020
ISBN 9782823616026
224 p.
18 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
Thomas, Mehdi et Louise se connaissent depuis l’enfance. À cette époque, Les Verrières étaient un terrain de jeux inépuisable. Aujourd’hui, ils ont grandi, leur quartier s’est délabré et, le temps d’un été, l’usine devient le centre de leurs vies.
L’usine, où leurs pères ont trimé pendant tant d’années et où Thomas et Mehdi viennent d’être engagés.
L’usine, au centre de la thèse que Louise, la soeur jumelle de Thomas, prépare sur les ouvriers frontaliers, entre France et Suisse.
Ces enfants des classes populaires aspiraient à une vie meilleure. Ils se retrouvent dans un monde aseptisé plus violent encore que celui de leurs parents. Là, il n’y a plus d’ouvriers, mais des opérateurs, et les machines brillent d’une étrange beauté.
Dans Ostwald, son premier roman, Thomas Flahaut imaginait un scénario-catastrophe, un accident nucléaire majeur touchant la centrale de Fessenheim, pour raconter le parcours de deux frères en quête de leur père disparu, et tiraillés par leur mère les pressant de la rejoindre au plus vite dans le sud de la France.
Ce cadre post-apocalyptique servait avant tout d’éclairage neuf sur des problématiques familières : la quête de soi, les rapports familiaux, le difficile passage à l’âge adulte.
On reconnaît en partie un bon écrivain à la persistance de ses obsessions. Dans Les nuits d’été, pas de drame hors normes, mais celui, quotidien et tristement ordinaire, qui touche des milliers de gens partout en France. Le délaissement social et politique, le déclassement professionnel menant à l’errance personnelle, l’absence d’horizon et de joie, que l’on soit jeune ou vieux.
Et, au milieu de tout cela, la fragilité des liens au cœur des familles, la difficulté de se parler et de se comprendre de père à fils, de frère à sœur. Autant de sujets qui, déjà, animaient l’esprit d’Ostwald, et font à nouveau battre le cœur de ces Nuits d’été.
En se dépouillant du contexte extraordinaire de la catastrophe qu’il avait choisi comme « paravent » dans son premier roman, Thomas Flahaut ne perd rien de sa pertinence. Il s’approche au contraire au plus près du nu de l’humain. Par petites touches, en plongeant directement dans le quotidien de ses personnages, sans longues explications ni portraits interminables visant à les visser solidement dans leurs chaussures de fiction.
Le roman est indéniablement vecteur d’un regard sociologique fort. Son choix de faire de son héroïne, Louise, une étudiante-chercheuse dans ce domaine n’est évidemment pas anodin, et permet d’aborder en particulier le sort des travailleurs frontaliers, ces Français du Jura qui partent chercher du travail (et se faire joyeusement exploiter) en Suisse. C’est aussi une étude de la vie en usine, des mutations que ce monde professionnel a connues, du rapport de l’homme à son outil de travail.
Pas d’inquiétude ni de soupir blasé néanmoins, Les nuits d’été n’est pas non plus une démonstration intellectuelle. C’est avant tout un roman, le parcours de trois personnages, trois jeunes gens qui cherchent leur place dans la vie, un sens à leur existence.
Le sujet est on ne peut plus classique, tout repose dès lors sur le travail littéraire de l’écrivain. Sans effort apparent, d’un style étudié qui a le bon goût de ne pas rouler des mécaniques, Thomas Flahaut nous embarque dès le départ, et s’il parvient à captiver de bout en bout, c’est par la force de ses personnages, la proximité que l’on ressent envers eux, dans ces décors jurassiens que le romancier connaît parfaitement et restitue à merveille puisqu’il est de là-bas.

Puis il y a la nuit, entité imposée dès le titre du roman. Elle est là, omniprésente, tendant l’essentiel du récit entre le crépuscule et l’aube, obsédant les personnages, que ce soit ceux dont elle est le quotidien, les travailleurs de la nuit, Mehdi, Thomas et les autres ; ou les autres, qui attendent ces fantômes de lune, qui attendent le retour de l’amour, l’aide du fils, des manifestations d’existence normale.
Métaphore ? La nuit comme long tunnel obscur pour des personnages en quête d’une lumière pour guider leur vie ? Non, ce serait trop simple. Les nuits d’été sont intenses parce qu’elles sont plus longues à brûler. Certains travaillent, mais on peut aussi y faire la fête, se perdre encore plus. Les nuits d’été sont le feu de la jeunesse, qui cherchent à s’y consumer avant d’être condamnés à être ordinaires, rangés. Parents, simples opérateurs réduits à leur boulot, futurs retraités de l’ennui télé.
Les nuits d’été sont des révélateurs, dont Thomas Flahaut se sert des ombres et contrastes pour mieux donner la vérité de ses protagonistes. L’idée est fort belle et, là encore, exploitée avec subtilité, sans étalage ni surlignage balourd.
Il est toujours intéressant, presque gratifiant, de découvrir qu’un auteur prometteur dès son premier roman se montre solide dès son deuxième. Avec Les nuits d’été, Thomas Flahaut confirme sa voix, son regard, et donne une fois de plus rendez-vous pour le prochain. À même pas trente ans, il fait sa place, tranquillement. Tant mieux.
À première vue : la rentrée de l’Olivier 2020

Intérêt global :
À bord du navire l’Olivier, on aborde la rentrée littéraire 2020 avec une nouvelle vice-capitaine à bord, l’excellente éditrice Nathalie Zberro, déjà passée sous les branches de l’arbre avant un long et fructueux crochet à la tête du département étranger des éditions Rivages.
Du côté des auteurs en lice, on reste aussi largement en famille, puisque trois d’entre eux (sur cinq) sont des noms familiers de la maison. Au programme : quatre romans, et un essai d’un grand nom des lettres américaines qui devrait avoir les faveurs de la presse.
Une bête aux aguets, de Florence Seyvos
Le Garçon incassable reste un très grand souvenir de lecture, poignant, créatif et d’une profonde justesse. Le titre du nouveau roman de Florence Seyvos annonce une intrigue marquée par l’étrangeté et l’inquiétude, qui ne devrait pas être dénuée d’émotion et d’empathie, qualités dont l’auteure est naturellement vibrante. Elle narre ici l’histoire d’Anna, une jeune fille cantonnée dans la peur, et convaincue de voir et d’entendre des choses que personne d’autre ne perçoit. Des voix, des lumières aux fenêtres, des ombres dans les couloirs… Suivie et traitée depuis des années par un mystérieux médecin, Anna s’interroge sur ce qu’elle est réellement, et sur ce qu’elle pourrait devenir.
Les nuits d’été, de Thomas Flahaut
Ostwald, son singulier premier roman, a commencé à distinguer Thomas Flahaut comme auteur à surveiller. Voici son deuxième, encore une fois ancré dans l’est – à tel point qu’on franchit la frontière pour passer en Suisse et découvrir les Verrières, petite ville frontalière où ont grandi Thomas, Mehdi et Louise, les trois héros du livre. De formidable terrain de jeux pour gamins, l’endroit devient, le temps d’un été, laboratoire d’entrée dans l’âge adulte. Comme leurs pères avant eux, les deux garçons entrent à l’usine, centre névralgique de la région, tandis que Louise utilise l’endroit comme lieu d’étude pour sa thèse sur les ouvriers frontaliers. Chacun à sa manière, ils confrontent leurs espoirs de vies meilleures et d’évasions sociales à un univers professionnel plus violent que jamais.
Mes fous, de Jean-Pierre Martin
Auteur d’essais et de fictions chez différents éditeurs (Seuil, Gallimard, Autrement entre autres), Jean-Pierre Martin rejoint les éditions de l’Olivier pour présenter ses Fous – ou, plus exactement, les fous de son héros, Sandor, persuadé d’attirer les personnalités atypiques et décrochées du réel dès qu’il met un pied dehors. De quoi se demander si lui-même ne serait pas un peu fou…
Walker, de Robin Robertson
(traduit de l’anglais par Josée Kamoun)
Premier roman d’un éditeur et poète britannique, Walker nous transporte de l’autre côté de l’Atlantique, dans les pas d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui tente de trouver sa place dans un monde qu’il voit désormais comme un gigantesque film noir – à la manière de tous ces longs métrages hollywoodiens dans lesquels il se réfugie lorsque la fuite est trop dure. De New York à Los Angeles, en quête d’un emploi et d’un sens à sa vie, Walker arpente un monde vaste et fascinant où tout reste danger. Fidèle aux origines de sa plume, Robertson déploie sa fiction sous la forme d’un poème épique, faisant de son roman une odyssée moderne.
Et si on arrêtait de faire semblant ?, de Jonathan Franzen
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis)
À la manière de l’autre Jonathan publié en France par les éditions de l’Olivier (Safran Foer), Franzen est un romancier qui a des idées et des opinions, et qui les exprime avec talent sous d’autres formes que la fiction. Démonstration avec ce recueil d’essais et d’articles, rédigés entre 2001 et 2019, qui développe des réflexions diverses sur la littérature, les nouvelles technologies, le monde dans lequel nous vivons ou l’écologie. Le texte qui donne son titre au livre, publié l’année dernière dans le New Yorker et consacré au réchauffement climatique, avait créé la polémique. Signe que, face à l’intelligence, nul ne peut rester insensible, pour le meilleur ou pour le pire.
BILAN
Lecture certaine :
Une bête aux aguets, de Florence Seyvos
Lectures potentielles :
Les nuits d’été, de Thomas Flahaut
Walker, de Robin Robertson
Ostwald, de Thomas Flahaut

Un accident nucléaire majeur se produit à la centrale de Fessenheim, dans l’est de la France. Très vite, une zone de sécurité est instaurée autour des lieux, qui ne tarde pas à être élargie même si les autorités se montrent rassurantes. Les populations locales sont évacuées par l’armée et regroupées dans des camps ou des hangars.
Au milieu de cette foule hagarde, inquiète du flou des explications qu’on lui donne au compte-gouttes, deux frères, Félix et Noël, songent à leurs parents, séparés depuis quelques années. Leur mère est en sécurité à Marseille et tente en vain de les rapatrier vers elle ; leur père, qui habite à Ostwald, près de Strasbourg, ne donne plus signe de vie.
À la suite d’événements dramatiques dont Noël est témoin, les deux frères décident de fuir le camp où ils sont cantonnés. Ils arpentent alors la région où ils ont grandi, entre Belfort et Strasbourg, découvrant des paysages abandonnés, sinistrés, des villes et des villages abandonnés de leurs habitants, à la recherche d’une solution et de leur propre identité dans un monde qui s’effondre…
Voilà un premier roman singulier qui, pour s’emparer de sujets familiers (la quête de soi, les rapports familiaux), le fait dans ce contexte à la fois original et terriblement réaliste qu’est un incident nucléaire. Il est malheureusement fort plausible que cette pétaudière de Fessenheim finisse par nous claquer à la figure pour devenir un nouveau Tchernobyl, et Thomas Flahaut s’empare de cette hypothèse sans en rajouter, sans message politico-écologiste non plus, avant tout à des fins dramatiques. Les scènes d’évacuation, de constitution des camps ou de fuite dans des paysages à l’abandon figurent parmi les plus saisissantes du livre.
Le primo-romancier s’appuie sur une recette éprouvée – chapitres très courts, deux ou trois pages en moyenne, style sec et dialogues intégrés au récit sans marqueurs identifiants – pour développer une atmosphère anxiogène où tous les repères disparaissent les uns après les autres. Une manière métaphorique d’aborder le passage à l’âge adulte, lors duquel on s’interroge sur le rapport au père, à la mère, au frère, à la femme ou à l’homme qui nous attire… Flahaut, lui-même âgé de 26 ans, place ces problématiques classiques au cœur de son roman, mais le contexte exceptionnel de l’intrigue leur donne une profondeur supplémentaire, un éclairage nouveau.
Jolie découverte de la rentrée, Ostwald montre qu’un romancier peut traiter dans son premier livre de sujets sans doute personnels, intimes, sans pour autant nous casser les pieds avec une forme autofictionnelle sans intérêt ni portée universelle. Belle entrée en littérature pour Thomas Flahaut, donc.
Ostwald, de Thomas Flahaut
Éditions de l’Olivier, 2017
ISBN 978-2-82361-165-6
169 p., 17€