Articles tagués “tableaux

À première vue : la rentrée Zulma 2021


Intérêt global :


Comme d’habitude, le nom des éditions Zulma annonce la quasi fin de la rubrique « à première vue ».
Et comme d’habitude, les quatre titres proposés cette année sont à l’image de la maison : voyageurs, joueurs, érudits et ouverts sur le monde. De quoi embarquer pour des périples inattendus, sous les couvertures chatoyantes qui contribuent à la renommée de la marque dirigée par Laure Leroy.


Les Aventures d’Ibidem Serpicon, de René Haddad

Le monde et le quotidien étant ce qu’ils sont, pas souvent reluisants, mieux vaut les réinventer en les repeignant d’un regard neuf et en les parant de mots inattendus, qui jettent couleurs et cocasserie là où il en manque trop souvent.
Voici la vie d’Ibidem Serpicon, qui fait de Paris son terrain de jeux et d’observation, des bus aux bancs des squares, toujours en quête de rencontres sur lesquels il braquera son drôle de regard toujours en éveil.
« À mi-chemin entre le M. Hulot de Tati et le M. Plume de Michaux », dixit l’éditrice : pourquoi pas !

L’Anarchiste qui s’appelait comme moi, de Pablo Martín Sánchez
(traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu)
co-édition Zulma & La Contre Allée

Pablo Martin Sanchez découvre par hasard sur Internet un homonyme au passé héroïque, un anarchiste condamné à mort en 1924. Né en 1890 à Madrid, il s’exile à Paris où il devient imprimeur typographe puis fréquente des compatriotes anarchistes qui l’enrôlent dans leurs actions militantes.
Épique, virevoltant, joyeusement érudit et à l’imagination foisonnante, ce premier roman espagnol dresse le portrait à la fois réaliste et rêvé des utopies montantes du XXe siècle, dans l’esprit des grands romans populaires où l’amitié, la trahison, l’amour et la peur sont les rouages invisibles qui font tourner le monde.

L’Hôtel du Cygne, de Zhang Yueran

Yu-Ling s’occupe d’un enfant issu d’une famille aisée à Pékin. Dada est fils unique et gâté par ses parents qui sont souvent absents. Un grand pique-nique est organisé au bord du lac par M. Courge qui prévoit de simuler le kidnapping du garçon pour changer de vie grâce à l’argent de la rançon. Mais le plan échoue lorsque la radio annonce l’arrestation du grand-père et du père de Dada.

Ce que Frida m’a donné, de Rosa Maria Unda Souki
(traduit de l’espagnol (Venezuela) par Margot Nguyen Béraud et l’auteure)

Il faudrait relever tous les romans prenant pour sujet Frida Kahlo : je présume que la liste serait impressionnante…
En voici donc un de plus. Teinté d’autobiographie par ailleurs, puisqu’il s’agit d’une sorte de dialogue artistique entre Frida et l’auteure.
Tout commence alors que Rosa Maria Unda Souki attend l’arrivée du Brésil des tableaux destinés à son exposition à venir au Couvent des Récollets. Elle profite de ce temps de latence pour reconstituer le cheminement qui l’a conduit à cet accomplissement, consacrant cinq ans à la figure emblématique de Frida Kahlo en peignant sa célèbre Maison bleue et constituant une œuvre picturale d’une richesse saisissante.
Un livre illustré de dessins au graphite et des tableaux originaux de l’auteure.


BILAN


Lecture probable :
Les Aventures d’Ibidem Serpicon, de René Haddad

Lecture potentielle :
L’Anarchiste qui s’appelait comme moi, de Pablo Martín Sánchez

Publicité

À première vue : bonus !


Intérêt global :

joyeux


Il y en a un peu plus, je vous le mets quand même ?
Allez, comme promis, j’ajoute une chronique à cette copieuse édition 2020 de la rubrique « à première vue », afin de mettre en lumière quelques éditeurs faisant le pari, par choix ou par contrainte économique, de ne lancer qu’un seul titre dans la rentrée littéraire.
Une parcimonie qui ne doit pas être entendue comme synonyme de pauvreté, mais au contraire comme une vraie prise de risque, et aussi la volonté de défendre coûte que coûte un texte et son auteur.
Par contraste avec le surplus parfois nonchalant de certains éditeurs, cet engagement fait du bien, et mérite d’être mis en valeur.


Laurine Roux - Le SanctuaireÉDITIONS DU SONNEUR
Le Sanctuaire, de Laurine Roux

Tiens, ben voilà, démonstration par l’exemple : voici l’une de mes plus grosses attentes de la rentrée. Car le premier roman de Laurine Roux, Une immense sensation de calme (2018), était un diamant brut, taillé dans la plus minérale des roches littéraires.
Le résumé de ce deuxième livre semble un écho troublant, et en même temps excitant, de ce premier essai. Le Sanctuaire, c’est une zone montagneuse et isolée, dans laquelle une famille s’est réfugiée pour échapper à un virus transmis par les oiseaux et qui aurait balayé la quasi-totalité des humains. Le père y fait régner sa loi, chaque jour plus brutal et imprévisible.
Munie de son arc qui fait d’elle une chasseuse hors pair, Gemma, la plus jeune des deux filles, va peu à peu transgresser les limites du lieu. Mais ce sera pour tomber entre d’autres griffes : celles d’un vieil homme sauvage et menaçant, qui vit entouré de rapaces. Parmi eux, un aigle qui va fasciner l’enfant…

choplinLA FOSSE AUX OURS
Nord-Est, d’Antoine Choplin

Très connue dans la région lyonnaise où elle est implantée, la Fosse aux Ours compte à son catalogue quelques auteurs remarquables (Marco Lodoli, Thomas Vinau, Philippe Fusaro, Jacky Schwartzmann ou Mario Rigoni Stern), qui lui valent régulièrement d’être lue partout ailleurs en France – et tant mieux ! Parmi ces écrivains précieux figure Antoine Choplin, plume dont le minimalisme poétique nous a donné les superbes Radeau, La Nuit tombée ou Une forêt d’arbres creux, entre autres exemples.
Nord-Est, son nouveau livre, nous amène dans un camp, dont des hommes et des femmes ont enfin le droit de partir. Si la plupart restent sur place, d’autres décident de partir à pied. Ils veulent rejoindre les plaines du Nord-Est pour y reconstruire une nouvelle vie. Il leur faudra franchir des plateaux, des villages dévastés et de hautes montagnes…

François Vallejo - Efface toute traceVIVIANE HAMY
Efface toute trace, de François Vallejo

Éditrice historique de Fred Vargas, qui compte aussi à son prestigieux catalogue Dominique Sylvain, Cécile Coulon, Gonçalo M. Tavares, Léon Werth, Magda Szabo et tant d’autres, Viviane Hamy est l’une des grandes figures de l’édition française. Elle a su garder sa maison debout contre vents et marées, et si cette grande dame est aussi connue pour son caractère imposant (pour ne pas dire difficile), elle pratique avec certains de ses écrivains une fidélité et une foi à toute épreuve.
François Vallejo est dans ce cas, qui figure sur la ligne de départ de la rentrée littéraire avec constance depuis des années. Il est encore au rendez-vous cette année, avec une intrigue à suspense dans le monde de l’art.
Une série de meurtres frappe de riches collectionneurs. Pris de panique, les membres de leur groupe mandatent le narrateur, un expert, pour enquêter sur ces étranges incidents. Tout converge vers les créations d’un certain Jv. Ce dernier a dissimulé une véritable toile de maître dans une série de copies parfaites de chefs-d’œuvre destinées à être détruites. Au collectionneur de la reconnaître.

Olivier Mak-Bouchard - Le dit du MistralLE TRIPODE
Le Dit du Mistral, d’Olivier Mak-Bouchard

Placer le Tripode à la suite de Viviane Hamy n’est pas tout à fait innocent de ma part, puisque son fondateur, Frédéric Martin, a fait une partie de ses classes auprès de la précédente. Une rupture professionnelle compliquée et une première tentative d’indépendance difficile (Attila) plus tard, il a imposé son Tripode parmi les maisons dotées d’une patte singulière, attachés aux écrivains virtuoses, aux univers singuliers et aux voix puissantes, parmi lesquelles Goliarda Sapienza (d’abord éditée chez Viviane Hamy, avant que l’œuvre de la fantasque romancière italienne soit regroupée sous la marque Tripode), Juan José Saer, Valérie Manteau, Pierre Cendors, Edgar Hillsenrath, Jacques Abeille, ou encore Charlotte Salomon – la publication monumentale de l’œuvre de l’artiste restant sans doute le point d’orgue du travail remarquable de l’éditeur.
Entrer dans ce catalogue est donc tout sauf innocent. C’est le pari que tente Olivier Mak-Bouchard avec son premier roman, Le Dit du Mistral. Tout commence le lendemain d’une nuit d’orage, dont la violence a emporté un vieux mur de pierres sèches au milieu d’un champ, et révélé dans les décombres et la boue de mystérieux éclats de poterie. Deux hommes, voisins vivant chacun d’un côté du champ, décident de fouiller plus avant, se lançant dans une aventure qui va dépasser de très loin tout ce qu’ils pouvaient imaginer.


BILAN


Lecture certaine :
Le Sanctuaire, de Laurine Roux

Lectures très probables :
Nord-Est, d’Antoine Choplin
Le Dit du Mistral, d’Olivier Mak-Bouchard


Histoire des lieux de légende

bannièreeco


Traduit de l’italien par Renaud Temperini


umbertoecoFaut-il encore présenter Umberto Eco ? Disparu en 2016, cet écrivain italien fut l’un des plus grands érudits de notre époque. Il devint immensément populaire pour ses romans, pourtant pas forcément abordables, y compris Le Nom de la Rose qui lui valut sa renommée mondiale. Mais son esprit curieux et avide de savoir a également arpenté les terres de la philosophie, de la linguistique, de la sémiotique, de l’esthétique, entre autres domaines.
Dans une collection de beaux livres illustrés avec une richesse répondant à l’abondance intellectuelle de l’auteur, les éditions Flammarion ont publié quelques livres qui rencontrèrent eux aussi un grand succès : Histoire de la laideur, Histoire de la beauté, et cette Histoire des lieux de légende dont je souhaite vous dire quelques mots.

C’est avec beaucoup d’humilité que je l’aborde, car se confronter à une intelligence aussi puissante que celle d’Umberto Eco est profondément intimidant. Mais également stimulant, car dès lors que l’on se lance, on peut être sûr d’apprendre énormément de choses, et d’ouvrir d’innombrables portes de curiosité qu’une seule vie ne suffirait pas à explorer. Ce pourrait être frustrant (ça l’est, parfois), mais c’est avant tout excitant.

George Arnald - ruines de l'abbaye de Glastonbury

George Arnald, Ruines de l’abbaye de Glastonbury

Dans cet ouvrage, plus accessible que d’autres de ses livres, Umberto Eco part donc en quête de lieux mythiques qui, depuis des siècles, fascine les écrivains, les poètes, les penseurs, les historiens, mais aussi les explorateurs de l’impossible. Et, bien sûr, les lecteurs qui, grâce aux œuvres inspirées par ces lieux, en ont abordé les rivages et arpenté les fabuleux décors.
L’Eldorado, l’Atlantide, Thulé, le Pays de Cocagne figurent parmi ces destinations extraordinaires, tout comme les territoires de la Bible, ceux croisés par Homère durant son Odyssée, ou ceux qui furent le théâtre des aventures du Graal.

Mais Umberto Eco s’intéresse également à des lieux réels, transfigurés par une page d’Histoire assortie de pas mal de fantasmes et d’imagination, comme Rennes-le-Château et son abbé Saunière.
Ou encore ce qu’il appelle les lieux de la vérité romanesque : des lieux créés par des romanciers, dont on sait qu’ils n’existent pas mais auxquels la littérature nous permet de croire sans réserve – ainsi du Poudlard de Harry Potter, du château de Dracula en Transylvanie ou du 221B Baker Street, célèbre adresse où réside Sherlock Holmes, alors même qu’il n’y a pas de numéro 221B dans la véritable Baker Street de Londres.

ecoextrait02Chaque chapitre est éclairé d’œuvres picturales représentant les lieux évoqués, ainsi que d’extraits d’œuvres littérales qui en font la description. De quoi, là encore, donner envie d’aller voir plus loin, et de poursuivre sans limite les explorations dont Umberto Eco se fait le guide avec érudition mais simplicité, et une gourmandise intellectuelle qui incite sans réserve à partager sa table.


L’indolente de Françoise Cloarec

Cloarec - L'IndolenteCet ouvrage comprend en sous-titre Le mystère Marthe Bonnard.

Quoi? L’épouse d’un des plus grands peintres du 20ème siècle cache un secret? Elle qui disait s’appeler Marthe de Méligny ne s’appelait pas ainsi? Pourquoi a-t-elle menti? Pourquoi a-t-elle caché à son mari qu’elle avait une famille? Des sœurs? Des nièces?

J’ai adoré l’idée de départ, car je ne savais pas qu’il y avait eu « un mystère Marthe Bonnard ». La rencontre avec le peintre, l’installation dans les diverses maisons qu’ils ont habité, leurs amis, etc… J’ai appris des choses mais…

Mais j’en attendais plus. Je trouve, et c’est un jugement tout à fait personnel, que le livre traine trop en longueur. C’est toujours agréable à lire (j’avais adoré le précédent ouvrage de Françoise Cloarec, Marcel Storr, l’Architecte de l’ailleurs), on sent le temps passé sur les traces des Bonnard, les passages de description de Marthe Bonnard faites par les personnes qui l’ont connues sont vraiment poignantes.

Mais j’aurais voulu en savoir plus sur cette femme. On la touche du doigt à plusieurs moments de l’ouvrage mais elle s’évapore avant d’en avoir dit plus. Cela m’a beaucoup frustré. Idem pour les tableaux décrits, j’ai lu l’ouvrage en vacances, loin de tout, sans accès à internet et j’aurais aimé des images pour pouvoir observer moi aussi les tableaux de Bonnard peignant encore et toujours son adorée.

Le retentissant procès des héritiers de Pierre et Marthe Bonnard n’arrivent que trop tardivement dans l’ouvrage. C’est une histoire assez incroyable et totalement incongrue qu’un des plus grands peintres du 20ème laisse son héritage sans vraiment de testament et surtout, sans savoir que sa défunte femme, décédée quelques années avant lui, avait de la famille.

Pourquoi a-t-elle menti? Pourquoi avoir caché cela à son mari pendant des décennies? Saura-t-on vraiment un jour? L’indolente ne répond pas aux questions que je me suis posée, et en ce sens, cela me chagrine. Mais le style poétique et la capacité à faire revivre des âmes disparues, point fort de l’écriture de Françoise Cloarec, sont bel et bien là!

L’indolente, le mystère Marthe Bonnard de Françoise Cloarec
Editions Stock, 2016
9782234080980
325p., 20€

Un article de Clarice Darling.