À première vue : la rentrée Robert Laffont 2021
Intérêt global :

L’année dernière, j’avais cru déceler plusieurs jolies promesses dans le programme de rentrée des éditions Robert Laffont. Finalement, je n’avais eu le temps de n’en lire qu’un, qui s’était avéré une grosse déception.
Je ne vais donc pas me mouiller cette année, d’autant qu’à première vue, il n’y pas grand-chose dans cette affiche 2021 (pourtant « riche » de sept titres) qui soit susceptible de me détourner de mes déjà nombreuses envies de lecture chez la concurrence.
À un moment, il faut bien faire des choix. Et là, je l’avoue, c’est assez facile.
Châteaux de sable, de Louis-Henri de la Rochefoucauld
Un jeune père de famille un peu paumé, héritier de la noblesse d’épée sans aucune conviction royaliste, il finit par trouver un point d’accroche en s’intéressant à la Révolution française. Et voilà-t-y pas que Louis XVI en personne lui apparaît ! Notre héros s’imagine alors un but tout neuf dans la vie : prendre fait et cause pour le roi guillotiné et lui offrir, enfin, la défense qu’il aurait mérité à son époque…
(Comme quoi, la drogue peut faire des ravages dans toutes les strates de la société.)
Ce qui manque à un clochard, de Nicolas Diat
Mémoires romancées d’un homme bien réel, Marcel Bascoulard, né en 1913 et mort assassiné en 1978, dessinateur de génie et homme excentrique qui vivait dans son camion, ancien paysan devenu travesti, sauvage et misanthrope.
Une certaine raison de vivre, de Philippe Torreton
Le comédien poursuit son œuvre littéraire souvent couronnée de beaux succès publics. Il relate cette fois le retour à la vie civile d’un soldat de 14-18, indemne physiquement mais dévasté intérieurement, qui tente de se raccrocher à son emploi et surtout à son amour pour Alice pour croire qu’une existence ordinaire reste possible.
Un thème qui rappelle un peu Capitaine Conan, film de Bertrand Tavernier dont Torreton était la tête d’affiche.
Le Fils du pêcheur, de Sacha Sperling
Le narrateur s’appelle Sacha. (Ah, tiens.) Il est écrivain, mais là il n’écrit pas. (Oh ben ça.) Il est dévasté par l’échec de sa relation amoureuse avec Mona. (Aïe.) Mais voici qu’il rencontre Léo. (Oh.) Grande passion, qui dure sept mois. Pas plus, parce que Sacha est du genre à tout gâcher et tout détruire. (L’artiste maudit, tout ça tout ça.) C’est moche, mais ça donne de la matière pour écrire des livres.
(Qu’on n’est pas obligé de lire.)
Le Cri de la cigogne, de Jean-Charles Chapuzet
C’est l’un des deux titres qui inaugurent L’Incendie, nouvelle collection de littérature dirigée par Glenn Tavennec. Inspiré d’une histoire vraie, ce roman se déroule à Olaszhalom, un village hongrois. 1500 habitants, une station-service, des cigognes, trois églises, les ruines d’une synagogue. Et, en contrebas de la route principale, une rivière dans laquelle chahutent des dizaines de Tsiganes. Une voiture transportant un professeur d’histoire et ses deux enfants passe par là. Une fille surgit devant le véhicule. C’est la porte ouverte à toutes les haines qui tiraillent le pays.
Six pieds sur terre, d’Antoine Dole
Deuxième titre de la collection L’Incendie. Histoire d’amour boiteuse entre deux trentenaires qui s’aiment sans réussir à être heureux. Camille annonce alors qu’elle veut un enfant, ce qui pousse Jérémy à s’interroger sans détour sur le sens qu’il donne à sa propre vie, et sur sa peine à trouver sa place.
Au nom des miens, de Nina Wähä
(traduit du suédois par Anna Postel)
En suédois, Toimi signifie « fonctionnel ». Drôle de nom, donc, pour une famille qui est tout sauf fonctionnelle. Surtout à cause du père, pervers et violent. Alors que Noël approche et que les onze enfants sont appelés à se réunir chez leurs parents, le moment semble venu de mettre fin au mal.
2021 : premiers regards

Depuis longtemps, j’ai tendance à préférer la rentrée littéraire de janvier à celle de septembre. Dégagée des enjeux imposés par les prix d’automne, moins médiatisée peut-être, elle s’étale plus dans le temps (on dit rentrée de janvier, mais en réalité les parutions importantes s’enchaînent chaque mois, de janvier à mai) et laisse plus de place aux textes, aux découvertes, et aussi au temps long.
Un peu moins submergés, les libraires auront en effet davantage l’opportunité de laisser leur chance à certains livres qui, balancés dans le maelström de septembre, seraient sans doute passés inaperçus, ou auraient trop vite disparu des bonnes places sur les tables pour espérer avoir la vie qu’ils méritaient.


Mes premières lectures confirment largement cette tendance. Sur quatre livres lus depuis fin décembre, trois coups de cœur (dont, fait encore plus rare, deux chez le même éditeur) ! En attendant les chroniques, voici leurs trombines et un bref résumé :
Nos corps étrangers, de Carine Joaquim (Manufacture de Livres, 7 janvier)
PREMIER ROMAN. Élisabeth, Stéphane et leur fille Maëva quittent Paris pour s’installer dans une grande maison, loin du tumulte de la ville. Le couple est persuadé de parvenir à prendre un nouveau départ en oubliant les blessures et les trahisons. Pourtant c’est loin du foyer que chacun trouve une nouvelle raison de vivre.
Les orages, de Sylvain Prudhomme (L’Arbalète Gallimard, 7 janvier)
NOUVELLES. Sylvain Prudhomme explore ces moments où un être vacille, où tout à coup il est à nu. Heures de vérité. Bouleversements parfois infimes, presque invisibles du dehors. Tourmentes après lesquelles reviennent le calme, le soleil, la lumière.
La République des faibles, de Gwenaël Bulteau (Manufacture de Livres, 4 février)
PREMIER ROMAN – POLAR. Le 1er janvier 1898, à Lyon, un chiffonnier découvre le cadavre d’un enfant sur les pentes de la Croix-Rousse. Il était recherché depuis plusieurs semaines par ses parents. Le commissaire Jules Soubielle est chargé de l’enquête dans une ville en proie à de fortes tensions, entre nationalisme, antisémitisme exacerbé par l’affaire Dreyfus et socialisme naissant.
Et pas mal d’autres envies encore – et comme d’habitude, il va falloir faire des choix, et laisser passer certains titres, hélas…
Vous trouverez ci-dessous un premier aperçu en images, survol non exhaustif (qui correspond pour l’essentiel aux textes dont je dispose déjà) et sans ordre particulier, pour le seul mois de janvier.
Littérature francophone
L’Ami, de Tiffany Tavernier (Sabine Wespieser, 7 janvier)
Un samedi matin comme un autre, Thierry entend des bruits de moteur inhabituels tandis qu’il s’apprête à partir à la rivière. La scène qu’il découvre en sortant de chez lui est proprement impensable : des individus casqués, arme au poing, des voitures de police, une ambulance. Tout va très vite, et c’est en état de choc qu’il apprend l’arrestation de ses voisins, les seuls à la ronde. Quand il saisit la monstruosité des faits qui leur sont reprochés, il réalise, abasourdi, à quel point il s’est trompé sur Guy, dont il avait fini par se sentir si proche.
Presqu’îles, de Yan Lespoux (Agullo Court, 21 janvier)
Lancement de la collection de textes courts des éditions Agullo avec ce recueil d’histoires signé par un excellent blogueur polar.
Des tranches de vie saisies au vol, tour à tour tragiques et cocasses, brossant le portrait de personnages attachés de gré ou de force à un territoire, les landes du Médoc.
La Vengeance m’appartient, de Marie Ndiaye (Gallimard, 7 janvier)
Susane, avocate, se retrouve en charge de la défense de la femme de son ancien amour de jeunesse, jugée pour avoir noyé leurs trois enfants. Fascinée par cette sombre affaire, elle découvre peu à peu le vrai visage de cet homme dont son père soutient qu’il abusa d’elle quand elle avait 10 ans, une histoire dont elle ne garde aucun souvenir.
Vivonne, de Jérôme Leroy (La Table Ronde, 7 janvier)
Paris, 2026. Un typhon que nul n’a vu venir se déchaîne sur la capitale. Alexandre Garnier, éditeur, assiste au spectacle de désolation. Il est saisi d’une crise d’angoisse qui réveille le souvenir d’Adrien Vivonne, poète et ami d’enfance disparu mystérieusement depuis 2012. En 2030, le pays est aux mains de milices tandis qu’Alexandre est à la recherche de son ami dont il retrace le parcours.
La Soutenance, d’Anne Urbain (éditions de l’Olivier, 14 janvier)
PREMIER ROMAN. Antoine et Dan sont deux frères que tout oppose. Le premier est constamment freiné par ses doutes alors que le second affirme clairement sa volonté de dominer les autres. Leur rapport de force s’inverse lorsque Dan, ivre, révèle un secret qui expose ses faiblesses et qu’Antoine tente de le protéger.
Littérature étrangère
Un papillon, un scarabée, une rose, d’Aimee Bender (L’Olivier, 7 janvier)
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy)
Francie a huit ans quand la dépression de sa mère, Elaine, vient bouleverser à jamais son existence. Recueillie par son oncle et sa tante, Francie grandit entourée d’affection auprès de sa cousine Vicky. Malgré tout, elle vit une jeunesse singulière, détachée du réel, habitée par la peur de la folie. Mère et fille tracent dès lors leur chemin : l’une survit, l’autre se construit en s’efforçant de « ralentir le monde » et de sonder ses souvenirs d’enfance.
Mais comme toujours dans les romans d’Aimee Bender, la fantaisie règne : un insecte décorant un abat-jour prend vie puis s’échappe, une fleur brodée sur un rideau tombe au sol, bien palpable… L’imaginaire devient le lieu le plus propice à la découverte de vérités profondes.
Le Grand jeu, de Graham Swift (Gallimard, 7 janvier)
(traduit de l’anglais par France Camus-Pichon)
1959, Brighton. Chaque soir, le maître de cérémonie Jack Robins, Ronnie Deane alias Pablo le Magnifique et l’assistante Evie White proposent un spectacle de variété aux vacanciers. Pourtant, rien ne destinait Ronnie à devenir magicien. Pour le protéger des bombes allemandes, sa mère le confie aux Lawrence, un couple âgé. Dans leur propriété de l’Oxfordshire, il découvre l’art de la magie.
Analphabète, de Mick Kitson (Métailié, 28 janvier)
(traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller)
Elle n’est jamais allée à l’école. Elle se débrouille avec les nombres, elle sait faire sa signature. En fait, elle sait faire tout un tas de signatures en fonction de ce qu’elle signe. Son père lui a aussi appris à ne rien vouloir de matériel, mais, sur ce coup-là, il n’a pas réussi. Elle adore le luxe. Elle arnaque, vole et fuit. Les hommes riches et naïfs sont sa proie de prédilection. Mary a du métier et sait effacer ses traces. Mais cette fois c’est Jimmy Shaski, un jeune homme débrouillard, son fils, qui est à ses trousses. Ainsi que Julie Jones, la flic tenace.
L’Usine, de Hiroko Oyamada (Christian Bourgois, 14 janvier)
(traduit du japonais par par Silvain Chupin)
Deux hommes et une femme trouvent un emploi à l’Usine, un gigantesque complexe industriel. Le premier étudie les mousses pour végétaliser les toits, le deuxième relit et corrige des textes divers et la troisième est préposée à la déchiqueteuse. La monotonie de leur emploi les frappe mais ils n’ont pas d’autres options pour gagner leur vie et ils sont prêts à accepter beaucoup de choses.
Une suite d’événements, de Mikhaïl Chevelev (Gallimard, 7 janvier)
(traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs)
PREMIER ROMAN. Grand reporter, Pavel Volodine est spécialiste des conflits interethniques dans la Fédération de Russie. Menant désormais une vie rangée, il est surpris d’être contacté par la police, qui requiert ses services sur une prise d’otages dans une église, qu’un homme nommé Vadim menace de faire sauter. Or Pavel a connu le terroriste lors d’un reportage. Il se retrouve à négocier avec lui.
Casa Triton, de Kjell Westö (Autrement, 13 janvier)
(traduit du suédois par Anna Gibson)
Sur un archipel d’Helsinki, le célèbre chef d’orchestre Thomas Brander se fait construire une somptueuse résidence secondaire appelée la Casa Triton, en référence à l’intervalle du diable, un accord de notes dissonant autrefois interdit. Il sympathise avec son voisin Lindell, un guitariste sans talent hanté par la mort de sa femme, qui l’aide à trouver sa place dans ce village insulaire.
Polar, roman noir
Cimetière d’étoiles, de Richard Morgiève (Joëlle Losfeld, 7 janvier)
États-Unis, 1962. Rollie Fletcher et Will Drake, agents de police corrompus, poursuivent l’assassin d’un Marine. Sur fond de guerre du Vietnam, d’assassinat du président Kennedy, de Dexamyl et d’alcool, leur enquête les confronte à une affaire d’Etat dont ils ne sortent pas indemnes.
Les jardins d’Éden, de Pierre Pelot (Série Noire, 14 janvier)
Après une vie difficile, Jipé Sand est revenu à Paradis, dans la ville et la maison de son enfance pour se rétablir et retrouver sa fille Annie, dite Na, qui semble avoir disparu depuis des mois. Mais à Paradis, se trouve aussi le bois où a été retrouvé le corps à moitié dévoré de Manuella, la fille de Virginia et amie de Na. Jipé veut maintenant comprendre ce qui s’est passé.
Bluebird, Bluebird, d’Attica Locke (Liana Levi, 14 janvier)
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch)
Darren Mathews, un des rares rangers noirs du Texas, est suspendu en attendant un jugement. Il accepte une enquête officieuse pour un de ses amis du FBI. Il se rend dans un hameau du comté de Shelby où deux cadavres ont été trouvés dans le bayou, celui d’un avocat noir de Chicago et celui d’une jeune fille blanche. Il règne un climat raciste en ville aux prises avec une fraternité aryenne.
Traverser la nuit, d’Hervé Le Corre (Rivages, 20 janvier)
Louise, la trentaine, a depuis la mort de ses parents sombré dans la drogue et l’alcool. Aujourd’hui, elle vit seule avec son fils Sam, 8 ans. Un jour, elle est rouée de coups par son ancien compagnon qui la laisse pour morte. L’affaire est alors confiée au groupe dirigé par le commandant Jourdan. Parallèlement, les enquêteurs sont confrontés à un dangereux tueur de femmes.
La Face nord du cœur, de Dolores Redondo (Série Noire, 28 janvier)
(traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet)
Amaia Salazar intègre l’équipe de l’agent Dupree qui traque un tueur en série. Il a détecté en elle une intuition singulière qui fait défaut aux autres enquêteurs. Alors que l’ouragan Katrina dévaste le sud des États-Unis, un homme, dit le Compositeur, laisse un violon sur chaque lieu de ses meurtres, qu’il réalise toujours lors de grandes catastrophes.
A première vue : la rentrée Gallimard 2016
Bon, cette année, promis, je ne vous refais pas le topo sur les éditions Gallimard et leurs rentrées littéraires pléthoriques dont la moitié au moins est à chaque fois sans intérêt ; je pense qu’à force, vous connaissez le refrain, et il ne change guère cette année : 13 romans français, 4 étrangers, c’est à peine moins que l’année dernière – et on n’en parle que des romans qui paraissent fin août, il y en a beaucoup d’autres en septembre (dont un Jean d’Ormesson, mais je saurai vous épargner).
Je vais sans doute m’attacher à être plus elliptique cette année que les précédentes, car cette rentrée 2016 me paraît à première vue dépourvue d’attraits majeurs. Comme je n’ai pas pour objectif de vous faire perdre votre temps, on va trancher dans le vif ! Et commencer par les étrangers, ça ira plus vite (façon de parler)…
JE CHANTE UN BAISER : Judas, d’Amos Oz (lu)
A court d’argent et le coeur en berne après que sa petite amie l’a quitté, Shmuel décide d’abandonner son mémoire sur « Jésus dans la tradition juive ». Il accepte à la place une offre d’emploi atypique : homme de compagnie pour un vieil érudit infirme qui vit reclus dans sa maison, sous la houlette d’une femme aussi mystérieuse que séduisante… Mêlant avec art récit intime de personnages étranges et attachants, réflexions sur l’histoire d’Israël et un discours théologique passionnant, Amos Oz emballe un roman de facture parfaite et sert l’intelligence sur un plateau.
PORTRAIT DE L’ARTISTE EN TUEUR : Tabou, de Ferdinand von Schirach
Un célèbre photographe avoue un crime pour lequel on n’a ni corps, ni même d’identité formelle de la victime. Qu’est-ce qui l’a mené là ? Y a-t-il un rapport avec ses expérimentations artistiques audacieuses ? Dans la lignée de ses livres précédents, le romancier allemand élabore une réflexion sur la violence et le doute, le rapport entre vérité et réalité.
À LA FOLIE : Beckomberga – Ode à ma famille, de Sara Stridsberg
Ouvert en 1932 près de Stockholm, Beckomberga a été conçu pour être un nouveau genre d’hôpital psychiatrique fondé sur l’idée de prendre soin de tous et de permettre aux fous d’être enfin libérés. Jackie y rend de nombreuses visites à son père Jim qui, tout au long de sa vie, n’a cessé d’exprimer son mal de vivre. Famille et folie, le thème de l’année 2016 ? Après En attendant Bojangles, mais dans un genre très différent, Sara Stridsberg propose en tout cas une nouvelle variation sur le sujet.
ON THE ROAD : Et toi, tu as eu une famille ?, de Bill Clegg
Famille encore ! Cette fois, tout commence par un incendie dans lequel périssent plusieurs proches de June, dont sa fille Lolly qui devait se marier le lendemain du drame. Dévastée, June quitte la ville et erre à travers les Etats-Unis, sur les traces de ce qui la lie encore à sa fille, par-delà la mort. Dans le même temps, le roman se fait choral en laissant la parole à d’autres personnes affectées par l’incendie, dans une tentative de transcender l’horreur par l’espoir et le pardon.
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VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER : Tropique de la violence, de Nathacha Appanah
A quinze ans, Moïse découvre que Marie, la femme qui l’a élevé, n’est pas sa mère. Révolté, il tombe sous la coupe d’une bande extrêmement dangereuse qui va faire de son quotidien un enfer… Nous sommes à Mayotte, minuscule département français perdu dans l’océan Indien, au large de Madagascar. Un bout de France ignoré, méprisé, étouffé par une immigration incontrôlable en provenance des Comores voisines, et où la violence et la misère vont de pair. La Mauricienne Nathacha Appanah en tire un roman qui devrait remuer les tripes.
HER : Ada, d’Antoine Bello
Un policier de la Silicon Valley est chargé de retrouver une évadée d’un genre très particulier : il s’agit d’Ada, une intelligence artificielle révolutionnaire, dont la fonction est d’écrire en toute autonomie des romans à l’eau de rose. En menant son enquête, Frank Logan découvre pourtant que sa cible développe une sensibilité et des capacités si exceptionnelles qu’il en vient à douter du bien-fondé de sa mission…
BONNIE & CLYDE : Romanesque, de Tonino Benacquista
Un couple de Français en cavale à travers les États-Unis se réfugie dans un théâtre. La pièce à laquelle ils assistent, Les mariés malgré eux, se déroule au Moyen Age et raconte l’exil forcé d’un couple refusant de se soumettre aux lois de la communauté. Le destin des deux Français dans la salle et des personnages sur scène se répondent et se confondent, les lançant dans une vaste ronde dans le temps et l’espace, une quête épique où ils s’efforceront de vivre leur amour au grand jour…
PORCO ROSSO : Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo
Au cours du XXe siècle, l’histoire d’une exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin. En deux époques, cinq générations traversent les grands bouleversements historiques, économiques et industriels. C’est déjà le quatrième roman du jeune Jean-Baptiste Del Amo (34 ans), qui revient ici avec un sujet sérieux et ambitieux – du genre qui doit mener à un prix littéraire…
LA MAIN SUR LE BERCEAU : Chanson douce, de Leïla Slimani
Dans le jardin de l’ogre, le premier roman de Leïla Slimani – histoire d’une jeune femme, mariée et mère de famille, rongée par son addiction au sexe -, n’était pas passé inaperçu, loin de là. Son deuxième, qui relate l’emprise grandissante d’une nourrice dans la vie d’une famille, pourrait constituer une confirmation de son talent pour poser une situation de malaise et provoquer une réflexion sociétale stimulante.
POST COITUM ANIMAL TRISTE : L’Insouciance, de Karine Tuil
En 2009, le lieutenant Romain Roller rentre d’Afghanistan après avoir vécu une liaison passionnée avec la journaliste et romancière Marion Decker. Comme il souffre d’un syndrome post-traumatique, son retour en France auprès de sa femme et de son fils se révèle difficile. Il continue à voir Marion, jusqu’à ce qu’il découvre qu’elle est l’épouse du grand patron de presse François Vély… Il y a de l’ambition chez Karine Tuil, à voir si le résultat est à la hauteur.
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ÇA FAIT PAS UN PLI : Monsieur Origami, de Jean-Marc Ceci
Un jeune Japonais tombe amoureux d’une femme à peine entrevue, et quitte tout pour la retrouver. Il finit par échouer en Toscane, où il s’adonne en ermite à l’art du pliage japonais. Pour tous, il devient Monsieur Origami…
UNSUCCESS STORY : L’Autre qu’on adorait, de Catherine Cusset
A vingt ans, Thomas a tout pour réussir. Il mène des études brillantes, séduit les femmes et vit au rythme frénétique de Paris. Mais après avoir échoué à un concours que réussit son meilleur ami, et s’être fait larguer par sa petite amie, sa vie entame une trajectoire descendante que rien n’arrêtera… Think positive à la française.
ROMAN PAS X : Livre pour adultes, de Benoît Duteurtre
Inspiré par la mort de sa mère, Duteurtre annonce un livre à la croisée de l’autobiographie, de l’essai et de la fiction. Il ira croiser sans moi, son Ordinateur du Paradis m’ayant dissuadé de perdre à nouveau mon temps avec cet auteur.
NAISSANCE DES FANTÔMES : Crue, de Philippe Forest
Un homme marqué par le deuil revient dans la ville où il est né, où les constructions nouvelles chassent peu à peu les anciennes. Il rencontre un couple, s’envoie Madame et papote avec Monsieur qui affirme que des milliers de gens disparaissent. D’ailleurs, Monsieur et Madame disparaissent à leur tour. Puis la ville est envahie par les flots…
À L’EST D’EDEN : Nouvelle Jeunesse, de Nicolas Idier
Dans le Pékin contemporain, des jeunes vivent d’excès. Ils sont poètes, rockers ou amoureux, et incarnent la nouvelle jeunesse de cette ville en mutation.
UNE BELLE HISTOIRE : Les deux pigeons, d’Alexandre Postel
Théodore a pour anagramme Dorothée. Ça tombe bien, ce sont les prénoms des héros du troisième livre d’Alexandre Postel (intéressant mais imparfait dans L’Ascendant et Un homme effacé). Ils sont jeunes, ils sont amoureux, et se demandent comment mener leurs vies… C’est une romance d’aujourd’hui.
ENGAGEZ-VOUS RENGAGEZ-VOUS QU’ILS DISAIENT : Nos lieux communs, de Chloé Thomas
Sur les pas des étudiants d’extrême gauche, Bernard et Marie sont partis travailler en usine dans les années 1970. Bien des années plus tard, Jeanne recueille leurs témoignages et celui de leur fils, Pierre, pour tenter de comprendre leurs parcours. Premier roman.
A première vue : la rentrée Actes Sud 2016
Allez, comme les précédents étés, c’est reparti pour la rubrique À première vue, dans laquelle nous vous présentons rapidement une partie de la rentrée littéraire qui atterrira sur les tables des libraires à partir de la mi-août. 560 romans au programme cette année, soit un peu moins que l’année dernière – mais encore trop, surtout que ce cru 2016 ne part pas forcément gagnant. Il y aura quelques grands rendez-vous, mais d’après le premier panoramique que nous avons pu faire, ils seront rares, égarés au milieu de nombreux titres carrément dispensables…
2015 a été l’année Actes Sud, avec notamment la sortie événement du quatrième tome de Millenium, le triomphe extraordinaire du Charme discret de l’intestin de Giulia Enders, et la consécration de Mathias Enard, couronné du prix Goncourt pour Boussole. Cette année, les éditions arlésiennes présentent une rentrée solide, qui comptent des valeurs sûres aussi bien en littérature française (Gaudé, Vuillard, Goby) qu’étrangère (Salman Rushdie). Pas de folie des grandeurs donc (ouf !), et quelques jolies promesses.
A LA LANTERNE : 14 juillet, d’Eric Vuillard (lu)
Encore trop méconnu du grand public, Eric Vuillard est pourtant l’un des auteurs français les plus intéressants et talentueux de ces dernières années, dont la spécialité est de mettre en scène des pages d’Histoire dans des récits littéraires de haute volée – nous avions adoré il y a deux ans Tristesse de la terre, récit incroyable autour de Buffalo Bill. Espérons que son nouveau livre lui gagnera les faveurs d’innombrables lecteurs, car il le mérite largement : 14 juillet, comme son titre l’indique, nous fait revivre la prise de la Bastille – mais comme on l’a rarement lu, à hauteur d’homme, parmi les innombrables anonymes qui ont fait de cette journée l’un des plus moments les plus déterminants de l’Histoire de France, au coeur du peuple et non pas du point de vue des notables. Puissant, littérairement virtuose, ce petit livre offre de plus une résonance troublante avec notre époque. L’un des indispensables de la rentrée.
MOURIR POUR SES IDÉES : Écoutez nos défaites, de Laurent Gaudé
Prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta, Laurent Gaudé donne l’impression de faire partie du décor littéraire français depuis très longtemps. Il n’aura pourtant que 44 ans lorsqu’il présentera fin août son nouveau roman, réflexion sur l’absurdité des conquêtes et la nécessité sans cesse renouvelée de se battre pour l’humanité ou la beauté. Écoutez nos défaites met en scène un agent des renseignements français chargé de traquer un membre des commandos d’élite américains soupçonné de trafics divers, et qui rencontre une archéologue irakienne tentant de préserver les œuvres d’art des villes bombardées. Un livre qui paraît aussi ancré dans le réel que l’était Eldorado au milieu des années 2000 sur le drame des migrants.
TOUSS TOUSS : Un paquebot dans les arbres, de Valentine Goby
Très remarquée pour l’ambitieux et poignant Kinderzimmer il y a trois ans, Valentine Goby change de décor pour nous emmener à la fin des années 50, dans un sanatorium où sont envoyés tour à tour les parents de Mathilde. Livrée à elle-même, sans aucune ressource, la courageuse adolescente entreprend alors tout ce qui est possible pour faire sortir son père et sa mère du « grand paquebot dans les arbres »…
MOTIVÉ : Ma part de Gaulois, de Magyd Cherfi
Le chanteur du groupe Zebda évoque son adolescence au début des années 80, à Toulouse, alors qu’il se fait remarquer simplement parce que lui, petit rebeu de quartier défavorisé, ambitionne de passer et de réussir son bac… Un texte autobiographique qui ne devrait pas manquer de mordant et de poésie, connaissant le bonhomme.
LE CINÉMA, C’EST… : Sauve qui peut (la révolution), de Thierry Froger
Et si Godard avait voulu réaliser un film sur la Révolution française intitulé Quatre-vingt-treize et demi ? C’est le postulat de départ du premier roman de Thierry Froger, pavé de 450 pages qui sera soit étourdissant, soit royalement pompeux – c’est-à-dire, soit révolutionnaire soit godardien. Un gros point d’interrogation sur ce livre.
(PAS) CAPITALE : Les Parisiens, d’Olivier Py
Une plongée dans la nuit parisienne, dans le sillage d’un jeune provincial, Rastignac des temps modernes, qui rêve de théâtre et de mettre la capitale à ses pieds… Olivier Py devrait encore agacer avec ce nouveau livre au parfum bobo en diable, qui nous laisse penser qu’il devrait se consacrer pleinement au festival d’Avignon et au théâtre plutôt que d’encombrer les tables des libraires avec ses élucubrations littéraires.
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UNE BONNE PAIRE DE DJINNS : Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, de Salman Rushdie
Le plus barbu des vieux sages romanciers propose cette fois un conte philosophique, dans lequel des djinns, créatures mythiques et immortelles, décident de se mêler aux humains pour partager leurs vies pleines de folie et de déraison. L’occasion, par le filtre de la fiction fantastique, d’une vaste réflexion sur l’histoire humaine.
SAGA SUÉDÉE : Fermer les yeux (Le Siècle des grandes aventures t.4) – titre incertain
Le romancier suédois poursuit sa vaste geste contemporaine qui explore les bouleversements du XXème siècle, en confrontant Lauritz, l’aîné des frères Lauritzen héros de la saga, au drame de la Seconde Guerre mondiale.
WHEN YOU BELIEVE : Le Roman égyptien, d’Orly Castel-Bloom
A travers les époques et les pays, entre l’Égypte biblique, l’Espagne de l’Inquisition et les kibboutz israéliens, l’errance des Castil, une famille juive. Ce roman a reçu l’équivalent du prix Goncourt égyptien.
FRANCE-ALLEMAGNE, LE RETOUR : Les Insatiables, de Gila Lustiger
Gila Lustiger est allemande mais vit en France. Son nouveau roman, qui suit l’enquête opiniâtre d’un journaliste sur un meurtre vieux de 27 ans qui vient d’être résolu grâce à l’ADN, dresse un tableau sans concession de la France contemporaine. Grosse Bertha : 1 / Ligne Maginot : 0.
DEUXIÈME ÉTOILE A DROITE ET TOUT DROIT JUSQU’AU MATIN : Phare 23, de Hugh Howey
L’auteur de la trilogie à succès Silo revient avec un nouveau roman de S.F., publié dans la collection Exofictions. Nous sommes au XXIIIème siècle et les phares se trouvent désormais dans l’espace, où ils guident des vaisseaux voyageant à plusieurs fois la vitesse de la lumière. Construits pour être robustes, à toute épreuve, ces phares sont les garants de l’espace stellaire. Mais que se passerait-il en cas de dysfonctionnement ?…
Mon Nom est N., de Robert Karjel
Signé Bookfalo Kill
Ancien agent de la Sûreté suédoise devenu garde du corps de la famille royale, Ernst Grip est expédié par son ancien chef aux États-Unis, où sa présence est requise en particulier. Pourquoi, par qui ? Baladé sans qu’on lui demande son avis jusque sur une île perdue en plein Océan Indien, Grip finit par avoir un élément de réponse : il doit déterminer si un homme détenu ici est ou non suédois. Ce qui n’explique pas pourquoi on l’a désigné, lui, pour cette mission.
Coincé entre Shauna Friedman, l’agente du FBI qui l’a amené là et semble jouer un drôle de jeu du chat et de la souris avec lui, et les geôliers taciturnes qui gardent le prisonnier, Grip comprend que le problème est bien plus vaste, et qu’il pourrait bien y jouer un rôle déterminant…
En voilà un thriller qu’il est bon !!! Et qui sort opportunément juste avant l’été, où il pourrait faire merveille dans les sacs de voyage. Le romancier suédois Robert Karjel, dont c’est la première traduction en France, y démontre un art de la construction du récit tout simplement époustouflant. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas aussi bien fait balader dans une intrigue pourtant complexe et tortueuse à souhait, qui masque son jeu tout du long et oscille entre plusieurs registres avec talent : thriller géopolitique, histoire de gang, espionnage, suspense psychologique…
Pour tout vous dire, Mon Nom est N. m’a rapidement fait penser au film Usual Suspects. Parce qu’il raconte notamment l’histoire aussi tordue que jubilatoire d’une bande très organisée, montant un plan invraisemblable pour atteindre plusieurs objectifs en même temps – je ne vous en dis pas plus, ce serait criminel ! Parce qu’il y a un peu de Keyser Söze aussi – oui, mais qui ? Ah ah, à vous de lire… Et parce que, surtout, Karjel a su élaborer un récit à multiples ramifications dont l’atmosphère sombre, quoique non dénuée de malice à l’occasion, évoque souvent le film de Bryan Singer, avec ses personnages systématiquement ambigus, ses malfrats inquiétants, ses stratagèmes machiavéliques et ses retournements de situation inattendus.
Pour autant, que je ne vous induise pas en erreur, le romancier n’a pas cherché à produire un twist final renversant. C’est plutôt petit à petit que les masques tombent et que les surprises se produisent, sans estomaquer autant que l’identité de Keyser Söze (ce n’est pas le but recherché), mais avec un réel talent pour produire les bonnes révélations au bon moment.
Robert Karjel est un auteur patient qui sait ne pas rendre son lecteur impatient. S’il prend le temps de poser ses personnages, dont Ernst Grip, superbement construit, et de faire durer certaines séquences (notamment au début, en Thaïlande), c’est toujours par nécessité dramatique, certains éléments disséminés ici ou là prenant toute leur importance deux ou trois cents pages plus loin, sans que jamais le lecteur n’en ait perdu la trace.
Le roman monte ainsi en puissance sans en avoir l’air, et c’est de manière insidieuse qu’il devient addictif et haletant. Quatrième livre de Robert Karjel, paru en 2010 en Suède, Mon Nom est N. donne vraiment envie d’en découvrir davantage sur cet auteur habile, malin et intelligent, par ailleurs pilote d’hélicoptère dans l’Armée de l’Air suédoise. On espère qu’il se posera vite pour nous donner de ses nouvelles littéraires !
Mon Nom est N., de Robert Karjel
(De Redan Döda, traduit du suédois par Lucas Messmer)
Éditions Denoël, coll. Sueurs Froides, 2016
ISBN 978-2-207-12474-1
425 p., 20,90€
Une main encombrante, de Henning Mankell
Signé Bookfalo Kill
Après l’Homme inquiet, Henning Mankell avait juré qu’il en avait terminé avec Kurt Wallander, son héros récurrent, policier à Ystad, qu’il a fait vieillir en même temps que lui et dont il a braqué le regard sur les changements sociaux majeurs survenus en Suède – et parfois dans le monde – au fil d’une dizaine de romans admirables.
Et pourtant, le revoilà.
Comme il l’explique dans une brève introduction, Mankell avait écrit il y a quelques années une nouvelle, que la BBC a reprise pour en faire la trame d’un épisode de la série Wallander avec Kenneth Branagh en tête d’affiche. A la vue du téléfilm, le romancier a eu envie de reprendre son histoire, de l’étoffer ; c’est devenu Une main encombrante, novella de 150 pages environ, qui se lit avec plaisir mais ne révolutionne pas le visage de la série.
Le policier opiniâtre y enquête sur un meurtre vieux de soixante ans : dans le jardin d’une maison qu’il avait l’intention d’acheter pour y passer ses vieux jours, Wallander trébuche en effet sur une main squelettique qui dépasse du sol. Il ne lui en faut pas plus pour remuer ciel et terre (dans tous les sens du terme) afin de découvrir le fin mot de l’histoire.
L’intérêt de ces investigations tient justement dans leur aspect atypique. Ici, pas de résonance sociale contemporaine, ni de ces éclats de violence parfois insoutenables qui faisaient frémir le lecteur des romans précédents. On est plus proche de l’ambiance de L’Homme inquiet, sans être aussi crépusculaire (heureusement) ; d’ailleurs, Une main encombrante prend place dans le cycle juste avant ce dernier titre.
A sa manière si particulière, Mankell raconte avec minutie les difficultés d’une enquête qui tient à peu de choses, entre fausses pistes et espoirs déçus, jusqu’à la résolution, bien masquée jusqu’à la fin. Surtout, il s’attache comme d’habitude à son héros, apportant un léger complément à son portrait de policier en fin de carrière, un peu désabusé mais toujours soucieux de mettre au jour la vérité, inquiet de la vieillesse qui vient mais désireux de la vivre au mieux.
Un récit bref, très agréable à lire, complété par un texte intéressant de Henning Mankell qui évoque son rapport à son personnage, et que les éditions du Seuil ont malheureusement le culot de publier dans un format bâtard au prix très exagéré de 17,50€. Clairement, l’éditeur historique de Mankell en France (sauf Meurtriers sans visage, le premier de la série, publié chez Bourgois) veut s’en payer une bonne tranche sur le dos des lecteurs, en capitalisant sur leur fidélité à l’égard d’un personnage il est vrai emblématique du polar contemporain.
Pas sûr que la manœuvre fonctionne, car je crois les fans de Wallander suffisamment rassasiés et intelligents pour attendre tranquillement la sortie l’année prochaine d’une version poche dont le prix sera beaucoup plus conforme à la longueur et à l’intérêt de ce texte. L’accueil modéré qui fut réservé l’année dernière au recueil de nouvelles La Faille souterraine me conforte d’ailleurs dans cette idée.
Une main encombrante, de Henning Mankell
Traduit du suédois par Anna Gibson
Éditions du Seuil, coll. Policiers, 2014
ISBN 978-2-02-114013-2
171 p., 17,50€
Stieg Larsson avant Millenium, de Guillaume Lebeau & Frédéric Rébéna
Plutôt pour, par Bookfalo Kill
Il a beau n’avoir vécu que cinquante ans, Stieg Larsson a eu une vie bien remplie, dont la publication post mortem de sa trilogie désormais culte, Millenium, n’est finalement qu’un point d’orgue logique. Le mérite de la bande dessinée qui vient de paraître chez Denoël, Stieg Larsson avant Millenium, est de parvenir à illustrer l’existence du journaliste devenu romancier en quelques moments choisis, répartis en trois actes : l’enfance, la formation, la lutte.
Passée une métaphore balourde sur le fascisme à base de chasse et de renard, la première partie met en lumière l’enfance singulière de Stieg Larsson, séparé de ses parents au cours de ses premières années, et élevé par ses grands-parents. On y voit Severin, le grand-père, assurer l’éducation politique du jeune garçon, farouchement anti-fasciste.
Deuxième partie : en 1977, Larsson part en Erythrée former des combattantes au maniement des armes de guerre. Pourquoi, comment, rien n’est expliqué malheureusement. Le seul intérêt de ce passage est de montrer l’engagement sur le terrain du journaliste.
Enfin, la troisième partie raconte rapidement la fondation d’Expo, la revue créée par Larsson dans le but de lutter contre l’extrême-droite, dont l’audience s’élève dangereusement en Suède au milieu des années 90. Expo, la revue dont l’existence et le combat inspireront Millenium à Larsson…
Auteur de thrillers, Guillaume Lebeau a été profondément marqué par la trilogie romanesque du journaliste suédois. Au point de devenir un passionné de littérature policière nordique et d’être aujourd’hui étiqueté spécialiste français du « polar venu du froid ». Auteur d’une enquête biographique sur Stieg Larsson (le Quatrième Manuscrit), il n’a de cesse depuis de revenir à son sujet de prédilection.
Côté dessin, le noir et blanc crayonné de Frédéric Rébéna est efficace, surtout quand il s’attache – et il le fait souvent – à saisir les expressions de visage les plus dures ; celles, déterminées, de Stieg Larsson, ou celles, hostiles, des néo-nazis défilant dans les rues de Stockholm. Les paysages de forêt suédoise rendent bien également.
La bande dessinée mérite surtout son nom dans les deux premières parties, articulées autour d’une action définie : la chasse au renard, la formation des combattantes. En revanche, dans la troisième partie, l’absence de scénario précis limite le travail de Rébéna à des scènes dialoguées convenues (promenades dans la rue, discussions au lit…) et sans intérêt visuel.
C’est là sans doute la limite de cette adaptation biographique en BD : résumé du précédent ouvrage de Guillaume Lebeau sur le sujet, on n’y apprend rien de neuf pour peu qu’on se soit déjà intéressé à l’affaire. En revanche, pour les novices en milleniumologie qui voudraient commencer à découvrir qui se cache derrière le masque de Blomkvist et Salander, cela peut constituer une bonne entrée en matière.
Mais existe-t-il encore vraiment des gens qui ignorent tout de la vie de Stieg Larsson, au point de ne pas se sentir à l’étroit dans cet ouvrage finalement très succint et elliptique ?
Carrément contre, par Clarice Darling
Il était une fois, un gentil petit garçon élevé par ses grand-parents au fin fond d’un pays où il fait tout le temps froid. Son papi était très gentil, quelqu’un de bien, qui prenait soin de son petit-fils comme de son propre fils. Mami était bien aussi, elle faisait de très bonnes boulettes de viande, spécialité de Suède.
Vous l’aurez compris, cet énième ouvrage sur Stieg Larsson ne nous apprend pas grand chose sur le passé du célèbre auteur de la trilogie Millenium. Sous forme de bande-dessinée (au dessin pas très heureux), l’ouvrage se découpe en trois parties. La première, un morceau de son enfance, choisi comme un cheveu sur la soupe pour pondre une sorte de morale qui ne prend pas. En second plan, on retrouve Monsieur Larsson en Erythrée dans les année 70. Pourquoi Stieg Larsson est parti enseigner aux guérillero le maniement des armes? Personne ne le sait vraiment. Pas même Eva, sa compagne. A moins qu’elle ne taise certaines choses… Et enfin, la dernière partie concerne les années 1995-1996 et 2004. Le lancement et développement de sa revue Expo est vaguement évoqué, tout comme le fait que Stieg Larsson soit fortement énervé contre les néo-nazis. Au moment où on croit toucher au happy end avec l’édition des trois premiers tomes de Millenium, le malheureux décède, laissant des millions de lecteurs orphelins.
Alors… Stieg Larsson avant Millenium ne nous apprend pas grand chose sur l’auteur. On savait déjà tout ou presque. Si vous ne connaissez pas l’auteur et que vous voulez vraiment avoir un avis intéressant sur sa vie, plongez vous dans Millenium, Stieg et moi, d’Eva Gabrielsson, la compagne de Stieg Larsson, publié l’année dernière chez Actes Sud. L’ouvrage de Guillaume Lebeau n’est qu’une resucée édulcorée, version BD, de tout ce qui a pu se dire sur Larsson. Evidemment, marketing oblige, cet ouvrage sort au même moment que le film américain de David Fincher…
Stieg Larsson avant Millenium, de Guillaume Lebeau & Frédéric Rébéna
Editions Denoël Graphic, 2012
ISBN 978-2-207-11272-4
64 p., 13,50€