A première vue : la rentrée Julliard 2017

Cette année, sur la ligne de départ, pas de Yasmina Khadra, auteur phare de Julliard, mais Philippe Jaenada, autre écrivain vedette de la maison, répond présent à l’appel. Comme le garçon rencontre un succès certain depuis qu’il a fait évoluer son œuvre vers une forme d’exofiction mettant son auto-dérision coutumière au service de personnages réels et hauts en couleurs (Bruno Sulak, Pauline Dubuisson), cela justifie de causer de ce programme de rentrée, pas révolutionnaire par ailleurs – ce n’est pas forcément le genre.
PALME D’OR : La Serpe, de Philippe Jaenada
En 1941, après une vie déjà passablement agitée, Henri Girard est accusé d’avoir assassiné à coups de serpe son père, sa tante et leur bonne dans leur château près de Périgueux. Promis à la peine capitale, il obtient pourtant l’acquittement, et en profite pour s’exiler en Amérique latine. Il en revient quelques années plus tard pour publier sous le pseudonyme de Georges Arnaud Le Salaire de la peur, rapidement adapté au cinéma par Clouzot avec succès.
WONDER WOMAN : L’Insoumise de la porte de Flandre, de Fouad Laroui
Chaque jour, Fatima sort de chez elle protégée par son hijab, passe par un immeuble dont elle ressort vêtue à l’occidentale, et s’aventure dans l’Alhambra, un quartier mal famé de Bruxelles. L’un de ses voisins finit par remarquer son manège et la suit, intrigué… L’œuvre de Fouad Laroui s’irrigue souvent d’un humour salutaire pour contrer les extrémismes, c’est donc sur ce ton qu’on l’imagine raconter ce choix d’une jeune femme éprise de liberté.
TO BE OR NOT TO BE : Être, tellement, de Jean-Luc Marty
En attendant le guide qui va le conduire dans le Sertao, région aride du Brésil, Antoine rencontre Louise, qui n’a pas rejoint son mari et son fils à Sao Paulo comme prévu. Emmenés par Everton, le guide, ils se lancent dans une exploration autant géographique qu’intime.
JOAN OF ARC (JEANNE D’ARC AHOU) : La Part des anges, de Laurent Bénégui
Un homme erre sur le marché de Saint-Jean-de-Luz avec, dans son cabas, l’urne contenant les cendres de sa mère. La voix de cette dernière commente cette drôle de promenade et les rencontres que fait son fils.
Check-Point, de Jean-Christophe Rufin
Signé Bookfalo Kill
Jean-Christophe Rufin fait partie de ces écrivains indispensables que je nomme les « raconteurs d’histoire ». Ceux qui vous attrapent dès le début de la lecture, l’air de rien, avec un style sans apprêt, fluide et efficace, une construction simple au service d’un récit limpide ; et qui vous relâchent à la fin, empli de sensations, d’un esprit d’aventure revigorant, et d’images claires et nettes qui vous suivront longtemps.
Délaissant le roman historique, genre dans lequel il a souvent œuvré avec bonheur, Rufin remet le couvert avec un suspense contemporain ancré dans la guerre en ex-Yougoslavie. Variation assumée sur le Salaire de la peur, le film de Clouzot, Check-Point s’appuie sur une intrigue assez simple : deux camions affrétés par une association humanitaire lyonnaise doivent traverser le pays déchiré pour atteindre le cœur de la Bosnie, et remettre à des réfugiés terrés dans une ancienne mine de quoi survivre dignement. Au volant, ils sont cinq : Lionel, le chef de l’équipée, jeune homme un peu trop rempli de l’importance de sa tâche, Alex et Marc, deux anciens militaires, Vauthier, mécanicien aux airs de barbouze, et Maud, 21 ans, qui cache sa beauté derrière des grosses lunettes moches et des vêtements amples, en quête d’un sens à son existence, qu’elle espère trouver grâce à cette mission.
A mesure que le voyage se déroule et que le danger se précise autour du convoi, la jeune idéaliste ne tarde pas à tomber de haut, d’autant que ses compagnons de voyage n’ont pas tous des intentions aussi pures qu’elle…
Rufin le raconteur d’histoire est donc bien au rendez-vous. Passé un prologue qui anticipe les problèmes que vont affronter ses héros, il déroule son récit en quatre parties distinctes. La première campe les personnages et leur mission ; la seconde les plonge dans le décor de la Yougoslavie en guerre et commence à faire tomber les masques ; la troisième bascule dans l’action pure et précipite les événements ; et la quatrième les conclut dans un sommet de suspense et de tension. C’est agréable à lire, prenant. Très bien.
Alors, qu’est-ce qui cloche ?
Le gros point faible de ce roman, c’est la caractérisation des personnages. Que de clichés ! A commencer par Maud, pivot de l’histoire, résumée à une gamine naïve et idéaliste, qui n’a jamais couché avec un garçon jusqu’à présent parce qu’elle avait peur du regard des hommes, peur d’être dominée, dépossédée – mais qui va tomber au fil de la route dans les bras d’un homme, séduite par sa dureté minérale, son intransigeance physique et morale qui cache tout de même une grande tendresse… Eurk.
Ce tournant de l’intrigue, qui correspond au début de la troisième partie, plombe cette dernière alors même que le suspense monte d’un cran et que le roman passe en mode action – d’autant que les autres personnages, dans l’ensemble, ne sont guère plus aidés par le romancier. A partir de là, j’ai beaucoup soupiré pendant ma lecture, déplorant cet excès de naïveté qui, certes, plaira à la fameuse ménagère de moins de cinquante ans (encore et toujours elle), mais m’a franchement gêné.
En fait, sachant que Jean-Christophe Rufin a vécu dans sa carrière d’humanitaire des événements similaires, j’ai regretté de ne pas sentir davantage son expérience, son engagement. Impossible de ne pas comparer avec le travail de Sorj Chalandon, l’ancien grand reporter de guerre devenu romancier pour exorciser ses souvenirs et mettre ses tripes sur la table, dans des livres puissants, poignants, inoubliables en somme. Chaque écrivain est et doit être différent des autres, certes. Mais rien de cette passion ne transparaît dans Check-Point, même si Rufin évoque les espoirs et les désillusions inévitables de la cause humanitaire, la confrontation d’idéaux incompatibles avec la violence absurde de la guerre et de la haine.
Comme souvent avec Rufin, Check-Point est donc un livre très plaisant à lire, l’exemple même du roman populaire de qualité, mais qui manque trop de chair et d’âme pour me convaincre et me marquer durablement. Une légère déception, après la lecture très convaincante l’année dernière du Collier rouge.
Check-Point, de Jean-Christophe Rufin
Éditions Gallimard, 2015
ISBN 978-2-07-014641-3
387 p., 21€