Mathias et la Révolution, de Leslie Kaplan
Signé Bookfalo Kill
Obsédé par la Révolution française, Mathias parcourt les rues de Paris et aborde son sujet de prédilection avec tous ceux qu’il croise. La rumeur court que des émeutes éclatent en banlieue, peut-être à la suite d’un incident dans un hôpital. C’est toute la capitale qui bruit et s’émeut, qui rit et prend peur, attendant, espérant, craignant une nouvelle rébellion du peuple…
En découvrant à la fin que ce roman a d’abord fait l’objet l’année dernière d’une adaptation théâtrale, on ne s’étonne pas outre mesure. Privilégiant les dialogues, au point que la parole déborde parfois les marquages usuels (les tirets) qui la délimitent traditionnellement dans un roman, Mathias et la Révolution est une suite d’échanges vifs et passionnés qui traitent de politique, de société, de révolution, mais aussi de littérature. En ce sens, Leslie Kaplan fait montre d’une énergie communicative, et certains passages sont fort brillants, qui sollicitent l’intelligence et la réflexion du lecteur d’une manière stimulante, et offrent une mise en perspective de notre époque en opposant son reflet tourmenté à celui des tumultueuses dernières années du XVIIIème siècle.
Face à une forme aussi singulière, il ne faut évidemment pas s’attendre à un roman « classique », suivant une trame et allant d’un point A à un point Z en tirant tous les traits habituels entre ces deux extrémités. Certains personnages sont en errance, comme Mathias, d’autres surgissent à l’improviste (l’Académicien), et la seule chose qui lie le tout est la relecture des événements de la Révolution et des discours des acteurs de l’époque. De fait, la construction globale de l’ensemble demeure extrêmement floue, au point de paraître artificielle et de questionner l’intérêt de choisir une forme romanesque pour un tel texte. Mais d’ailleurs, est-ce un roman ? La couverture du livre ne le mentionne pas (alors que c’est en général le cas aux éditions P.O.L.), fournissant un élément de réponse à cette interrogation.
Mathias et la Révolution est un livre déconcertant, ce qui peut constituer à lui seul un argument pour s’y frotter, pour peu que l’idée de se confronter à une forme littéraire originale vous paraisse séduisante. Pour ma part, j’ai trouvé l’exercice intéressant, mais je crains de ne pas en conserver un grand souvenir.
Mathias et la Révolution, de Leslie Kaplan
Éditions P.O.L, 2016
ISBN 978-2-8180-3722-5
254 p., 16,90€
Temps glaciaires, de Fred Vargas
Signé Bookfalo Kill
Pour le commissaire Bourlin, ce devrait être une affaire de suicide comme une autre : une sexagénaire, gravement malade, a mis fin à ses jours dans sa baignoire, et tout indique qu’elle a agi seule. Mais il y a ce petit symbole énigmatique, presque invisible, dessiné au crayon à maquillage sur le meuble de toilette. En appelant à la rescousse Danglard, le policier qui sait tout sur tout, pour essayer de déterminer ce que signifie ce dessin, il convoque aussi involontairement la curiosité lunaire de son collègue, le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg. A qui il ne faut guère que ce dessin minuscule pour décider qu’il s’agit d’un meurtre…
Rouillée, Fred Vargas ? On pourrait le penser, vu que Temps glaciaires met une petite centaine de pages à démarrer. J’ignore si elle n’a rien écrit durant les quatre années qui séparent la parution de ce nouveau roman du précédent, L’Armée Furieuse, mais l’aspect laborieux de ce démarrage, manquant de rythme, à l’humour empesé et dont l’intrigue peine à se mettre en place, peut le laisser croire. Même ses personnages, à commencer par l’inévitable commissaire Adamsberg, tardent à retrouver leurs aises, non parce que la romancière les bouscule, mais parce qu’elle semble avoir quelque peu oublié leur voix et leur caractère.
Néanmoins, une fois les éléments en place, Vargas relance enfin la machine, et l’on retrouve ce que ses fans adorent dans ses livres (et ce que ses détracteurs détestent), à commencer, donc, par ses personnages. Adamsberg suit toujours une logique qui lui est propre et qui échappe à tout le monde, sauf à son adjoint et ami Veyrenc ; Danglard ronchonne, boit comme un trou, fait étalage de son savoir illimité quand il le faut ; Retancourt impose son physique et son instinct inné, le chat La Boule dort toujours sur la photocopieuse…
(On notera par ailleurs une autre confirmation, celle de la disparition totale de Camille, le grand amour compliqué d’Adamsberg, ainsi que de leur fils, dont on se demande bien pourquoi il est né.)
Vous l’aurez compris, rien de révolutionnaire, même si Robespierre joue un rôle majeur dans une intrigue particulièrement tordue, qui mêle mythes islandais et, donc, histoire de la Révolution Française (si si !) Certes, certaines dissensions inhabituellement fortes finissent par naître entre nos héros, donnant des pages de conflit intéressantes à Danglard et Retancourt. Mais Temps glaciaires suit des schémas vargassiens connus et ne surprend pas vraiment, tout en remplissant son office de « rompol » (contraction de roman policier, le terme inventé par Vargas pour désigner son style propre et le style de polar qu’elle écrit) décalé et distrayant, qui ne ressemble à aucun autre livre du genre.
Pour le dire autrement, c’est au bout du compte un bon Vargas mineur. Pour les connaisseurs, à classer plutôt du côté de Dans les bois éternels (très long à démarrer lui aussi) ou Un lieu incertain.
Je relisais à l’instant la chronique que j’avais faite de l’Armée Furieuse (l’une des toutes premières de ce blog, d’ailleurs), et constate que je me m’y montrais plus indulgent que cette fois. Sans doute ne suis-je plus le même lecteur qu’il y a quatre ans. Mais Fred Vargas est tellement douée qu’on aimerait parfois la voir prendre elle-même l’un de ces chemins de traverse qu’elle se plaît à faire emprunter à son héros emblématique, en mettant par exemple de côté ce dernier, pourquoi pas…
Temps glaciaires, de Fred Vargas
Éditions Flammarion, 2015
ISBN 978-2-0813-6044-0
490 p., 19,90€
Tu montreras ma tête au peuple, de François-Henri Désérable
Signé Bookfalo Kill
« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine » : ce sont les ultimes mots lancés par Georges-Jacques Danton au bourreau avant d’être guillotiné, et sans doute l’une des « petites phrases » les plus célèbres de l’Histoire de France. Pas étonnant que François-Henri Désérable l’ait choisie comme titre pour son premier livre, suite de dix textes relatant les derniers moments de grandes figures de la Révolution française.
Attention, nous sommes bien ici dans la fiction. Nourri d’histoire, forcément très documenté, ce recueil brille néanmoins par sa grande qualité littéraire. A vingt-cinq ans, Désérable, par ailleurs doctorant en droit et… joueur vedette de hockey-sur-glace, fait montre d’une plume inspirée, étincelante, à la fois vibrante et classique – même si le recours ponctuel à certains vocables excessivement savants peut faire sourire : « Jamais notre amour, qui avait débuté sur les bancs d’une faculté de droit, ne fut synallagmatique. » (hum…)
Mais ce genre d’excès intello est heureusement très rare, et l’auteur démontre surtout une capacité à varier les plaisirs narratifs qui rend son recueil très vivant, et passionnant à lire. Énième livre consacré à la Révolution, Tu montreras ma tête au peuple se démarque par la force de son idée maîtresse, qui lie tous les textes entre eux – au point que certains se répondent parfois, au détour d’une phrase, d’une référence, voire d’un narrateur récurrent -, tout en accordant à chaque nouvelle une singularité formelle qui empêche tout risque de monotonie : ici le journal intime du gardien de Marie-Antoinette, là la lettre d’un amoureux transi de Charlotte Corday, là encore les souvenirs du dernier des Sanson, la longue lignée héréditaire des bourreaux de France.
François-Henri Désérable révèle une certaine tendresse pour les figures romantiques ou modérées d’une période marquée par une violence extrême. Défilent ainsi sous sa plume Charlotte Corday, Danton, les Girondins, Marie-Antoinette ou Lavoisier (« le plus grand esprit français du siècle dernier ») – alors que Robespierre, rejeté en fin de volume, est traité avec plus de distance, comme un homme qui, en incarnation de la Révolution et de ses dérives, aurait davantage mérité son terrible sort.
L’auteur restitue avec talent le tourbillon de l’époque, sa folie et ses passions – voir par exemple le chapitre consacré à Danton, où il saisit le personnage dans toute sa puissance, en mêlant habilement les propres mots du révolutionnaire à ceux de la fiction.
Il se montre carrément virtuose dans une autre nouvelle, « Lantenac à la Conciergerie », où il s’empare du héros de Quatre-vingt-treize, le roman de Victor Hugo, et le confronte à François-Elie Corentin, peintre imaginé par Pierre Michon dans Les Onze, ainsi qu’Evariste Gamelin, créé par Anatole France ! Le résultat ? Un pur produit d’imagination dont le réalisme historique, éblouissant, résume entièrement le talent d’un tout jeune auteur plus que prometteur.
Tu montreras ma tête au peuple, de François-Henri Désérable
Éditions Gallimard, 2013
ISBN 978-2-07-013987-3
186 p., 17,50€