Six femmes au foot, de Luigi Carletti
Signé Bookfalo Kill
C’est jour de match à haute tension à Milan. Les deux prestigieuses équipes de la ville s’affrontent, le Milan AC d’un côté, l’Inter Milan de l’autre. En plus de l’honneur à chaque fois engagé lorsque survient le derby, cette fois le titre est en jeu. L’ambiance dans l’énorme paquebot du stade San Siro est plus électrique que jamais, et les 80 000 spectateurs prêts à en découdre.
Dans le public largement masculin, comme toujours, six femmes sont présentes. Certaines sont là pour le spectacle, d’autres non. Le temps des deux heures de la rencontre, chacune va jouer sa partition et dénouer des problèmes bien supérieurs au simple enjeu d’un match de football…
Je sais, je sais : sur le papier, ce roman part avec des handicaps quasi insurmontables. La couverture est assez moche, le titre peu engageant, et il est question de football, sport qui véhicule trop de messages négatifs (excès d’argent, sportifs portés au pinacle alors qu’ils sont souvent bêtes comme leurs crampons, attitudes déplorables et mauvais exemples souvent donnés dans les stades ou autour, que ce soit par les dirigeants, les staffs ou certains « supporters » encore plus stupides que les crampons des joueurs susmentionnés…)
Justement, et si tous ces arguments faisaient du stade un cadre parfait pour un bon roman ? Luigi Carletti l’a bien compris, qui offre avec Six femmes au foot un roman très complet en exploitant à fond le microcosme du lieu et de ses acteurs.
Pour commencer, voilà un suspense conduit à la perfection, qui n’aurait d’ailleurs pas dépareillé dans une collection policière. Unité de temps (la durée d’un match), de lieu (le stade), multiplicité des points de vue (les six femmes et les personnages qui gravitent autour) et des enjeux (chacune des femmes a un rôle bien différent à jouer) : autant d’éléments qui, combinés avec art par l’auteur, assurent un rythme élevé à un récit nerveux, et une envie irrésistible de tourner les pages.
Pas besoin d’être amateur de foot non plus pour apprécier la manière dont Carletti restitue l’atmosphère très particulière d’un stade : arène des temps modernes, conglomérat d’individus très différents mais qui, le temps d’un match, se créent de nouvelles affinités ou de nouveaux antagonismes, se métamorphosent. Un peu comme un homme doux et affable dans la vie, qui devient fou furieux lorsqu’il se met au volant de sa voiture. Là, c’est la même chose, sauf qu’ils sont 80 000 à conduire.
Le romancier raconte superbement le bruit, les couleurs, les chants, les passions, nous immerge dans le chaudron. Et en même temps il ne cache rien des violences qui s’y déroulent. Il évoque le racisme latent, la brutalité des commentaires et des mentalités, le machisme ordinaire, dans des scènes qui font grincer des dents de colère. Par les détours que prend son récit, il parle aussi de la corruption omniprésente, des arrangements mafieux qui gangrènent l’Italie, dessinant un tableau global qui dépasse largement le cadre du football.
Roman haletant au(x) dénouement(s) habile(s), Six femmes au foot s’inscrit finalement dans la veine sociale et critique de la littérature italienne contemporaine, avec un sens du tragique mais aussi un humour diffus qui font penser à Niccolo Ammaniti, l’un des auteurs transalpins les plus importants d’aujourd’hui.
Un compliment pour Luigi Carletti, qui m’avait déjà enchanté l’année dernière avec Prison avec piscine, et qui me surprend d’autant plus agréablement ici que je croyais moins à cette histoire. Bellissimo !
Six femmes au foot, de Luigi Carletti
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
Éditions Liana Levi, 2013
ISBN 978-2-86746-677-9
276 p., 18€
Ils sont nombreux à s’enthousiasmer pour Six femmes au foot : Le monde de Mirontaine, Seren Dipity, Moi, Clara et les mots, Lepetitjournal.com (rien à voir avec Yann Barthès)…
Prison avec piscine, de Luigi Carletti
Signé Bookfalo Kill
A Rome, la Villa Magnolia est une sorte de havre de paix pour gens fortunés, reclus dans d’immenses maisons nichées dans un parc splendide. Au cœur de la résidence, une piscine tranquille fait office de réseau social : les habitants s’y rencontrent, bavardent, échangent les derniers ragots.
Et au cours de cet été, ils ont fort à faire avec l’arrivée d’un nouveau locataire. Un tel événement est déjà rare en soi, mais lorsque l’intéressé arbore de terrifiantes cicatrices sur le dos, met en fuite deux voyous venus importuner une résidente, et se présente sous une identité vraisemblablement fictive, ce ne sont pas les sujets de conversation qui manquent…
Le cinquième roman de Luigi Carletti – mais le premier traduit en France – a tout pour devenir un bon roman d’été (eh oui, il faut commencer à y penser, juillet sera là dans un mois et demi !) : un climat estival rafraîchi par les eaux bleues d’une piscine (faussement) tranquille ; une ville, Rome, qui rime naturellement avec évasion ; un scénario suffisamment alambiqué pour pimenter la lecture d’un suspense tenu jusqu’au bout ; un peu d’humour et un soupçon d’émotion pour faire prendre la sauce.
Histoire de relever l’ensemble, il y a surtout les personnages, une belle galerie de caractères solides et bien trempés (et pas parce qu’ils passent leur temps dans la piscine), de ceux auxquels on s’attache vite et sans peine. A commencer par le narrateur, Filippo Ermini, sociologue branché d’à peine 40 ans, dont le destin idyllique a été brisé une nuit, lorsqu’un automobiliste a percuté sa moto et l’a envoyé dans le décor où il a perdu ses jambes. Depuis, il végète dans son fauteuil roulant, tributaire de « l’Indispensable » Isidro, un sexagénaire péruvien au service de sa famille depuis longtemps, tout en préparant un grand projet qu’il prend soin de garder secret.
Puis il y a Rodolfo Raschiani, le nouveau résident aussi mystérieux que dangereusement charismatique ; Alessia, ancien amour de Filippo qui réapparaît dans sa vie ; maître Laporta, avocat opiniâtre et excessivement curieux ; Irina, femme de ménage bulgare trop canon pour être honnête…
La coexistence des membres de cette drôle de tribu en quasi huis clos (la Villa Magnolia, « prison » dorée pour à peu près tous les personnages…) est l’atout majeur de ce roman, par ailleurs prenant et distrayant jusqu’à son terme. Le Steven Soderbergh d’Ocean’s Eleven en ferait sûrement un bon film !
Prison avec piscine, de Luigi Carletti
Éditions Liana Levi, 2012
ISBN 978-2-86746-599-4
248 p., 18,50€
Deux ans !
C’est l’occasion de donner un petit coup d’œil dans le rétro – vite fait, parce qu’on est surtout là pour parler livres, et que les statistiques, ce n’est pas notre fort ni notre truc ni notre raison d’être. Mais tout de même, pour le fun :
– Sans compter celui-ci, nous en sommes à 265 articles, soit environ 260 chroniques, si on enlève nos rares articles annexes (annonces de vacances, explications de disputes avec des auteurs énervés…)
– Vous nous avez laissé 390 commentaires, qui nous ont tous fait chaud au cœur – même quand vous n’étiez pas d’accord avec nous ;-)
– Le blog a été vu 61126 fois depuis sa naissance, dont 39572 fois en 2012, et déjà 12914 en 2013.
– Le premier article était consacré à la revue Collection.
Les trois chroniques les plus lues sont à ce jour :
1. L’Art de Tim Burton (catalogue de l’exposition de la Cinémathèque)
2. Tuer le père, d’Amélie Nothomb, éd. Albin Michel
3. Prison avec piscine, de Luigi Carletti, éd. Liana Lévi
Pour rigoler un peu maintenant, passons aux critères de recherche…
– Les cinq plus populaires :
1. delphine de vigan (593)
2. prison avec piscine (352)
3. lucile de vigan (309)
4. cannibales lecteurs (262)
5. l’art de tim burton (256)
– Les plus flippants :
« torture chinoise » (41 fois quand même !!!), « camp de concentration cannibalisme » (1 fois seulement, mais ça suffit !), « soumise comment bien choisir sa maîtresse » (hum)…
– Quelques inattendus, pris au hasard (il y en a un paquet…) :
« chaise sur le pont », « des corps de femme en lévitation », « orgie dans un monastère », « slip trash bd » (!!!), « pierrot l’idiot », « guerite de surveillance elysée » (il prépare un sale coup, celui-là, ou quoi ???)
Dont quelques-uns liés au nom du blog :
« questions droles sur cannibale », « pourquoi devient on cannibal psychologiquement » (les fautes sont d’origine), « le cannibale corse », « dessins de cannibale », « pourquoi et comment utiliser la fiction pour révéler une histoire vérédique dans cannibale » (compliqué !!!)
– Celui qui reprend carrément au mot près une phrase d’un de nos articles :
« esteban s’ennuie tout seul dans son immeuble »… Chapeau :-)
– LA bonne question :
« pourquoi des pese personne jardins du luxembourg »…
17 articles nous ont paru hors catégorie, alors nous les avons appelé les « inclassables ».
Merci à tous ceux qui nous suivent depuis longtemps, à ceux qui passent et qui s’arrêtent quelques minutes, à ceux qui nous aiment bien et à ceux que nous énervons.
Merci aux auteurs qui nous écrivent parce qu’ils sont heureux de la bonne critique que nous avons faite de leur livre, mais aussi à ceux à qui nous avons réservé une chronique plus mitigée et qui viennent – courtoisement – en parler avec nous.
Merci à ceux qui font vivre la littérature quoi qu’il arrive : éditeurs, lecteurs, blogueurs… Quels que soient nos goûts, nos affinités, nos différences, nous partageons et faisons partager la même passion – un combat commun pour la singularité et la culture auquel nous ne devons jamais renoncer.
De notre côté, nous entrons dans la troisième année de notre blog avec la même envie de vous faire partager nos découvertes et nos coups de coeur comme nos coups de griffe. Les Cannibales ont toujours les crocs, alors rendez-vous à la prochaine chronique, puis à la suivante, et encore à la suivante…
Bookfalo Kill & Clarice Darling
24 mai 2013 | Catégories: Inclassables | Tags: 2 ans, Amélie Nothomb, articles, bilan, blog, Bookfalo Kill, Cannibales Lecteurs, Clarice Darling, commentaires, critères de recherche, Deux ans, prison avec piscine, statistiques, tuer le père | 8 Commentaires