À première vue : la rentrée Sous-Sol 2021
Intérêt global :

Voilà un éditeur dont je lis régulièrement des parutions, notamment en récit de voyage, grand reportage ou témoignage – ce que les Américains, maîtres du genre, appellent « narrative non-fiction », et que les éditions du Sous-Sol ont beaucoup publié. On retrouve notamment chez eux David Grann, Deborah Levy, Maggie Nelson, ou les textes fondateurs de Joseph Mitchell, Nellie Bly et Gay Talese.
Néanmoins, le travail de cette petite maison adossée au Seuil et dirigée par Adrien Bosc ne se limite pas à cette chambre littéraire, puisqu’elle publie aussi de la fiction, souvent audacieuse voire d’avant-garde, à la manière de Ben Marcus, Mordecai Richler ou, plus récemment et avec un certain succès, La Trajectoire des confettis de Marie-Eve Thuot.
Les trois titres qui composent le programme de rentrée littéraire des éditions du Sous-Sol résument parfaitement ces différentes tendances à l’œuvre dans la maison, et proposent des escapades prometteuses en singularité.
Notre part de nuit, de Mariana Enriquez
(traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet)

Gaspar, un petit garçon dont la mère a disparu dans des circonstances étranges, a hérité d’un don qui le destine, comme son père, à faire office de médium pour une obscure société secrète dont l’objectif est de percer les secrets de la vie éternelle. Ensemble, Gaspar et son père prennent la route, traversant le Londres psychédélique des années 1970 et l’Argentine des années 1980 sous la dictature.
768 pages pour ce roman sûrement pas tous terrains, mais dont l’originalité et la richesse du propos pourraient offrir l’une de ces offres radicalement différentes dont on a besoin dans une rentrée littéraire.
Le Secret de Joe Gould, de Joseph Mitchell
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Porte)

Portrait de Joe Gould (1889-1957), marginal et figure de Greenwich Village dans la première moitié du XXe siècle. Personnage radical et poignant qui se dit l’auteur du plus long manuscrit jamais écrit (dont on n’a jamais retrouvé la trace), il fascine le journaliste du New Yorker qui le rencontre en 1942 et lui consacre ce livre paru en 1964.
Réédition d’un texte déjà publié deux fois en France, chez Autrement et Calmann-Lévy.
La Semaine perpétuelle, de Laura Vazquez

Le père rêve d’une éponge qui lave le passé. La mère est partie, il dit qu’elle n’existe plus.
Sorti du monde, le fils poste des vidéos sur Internet et il écrit des poèmes. La fille ne supporte pas la réalité trop proche et toutes ces personnes qui avancent avec leurs millions de détails.
La grand-mère entend les clignements et les soupirs de chaque moustique.
Tout ce qui leur arrive est dans l’ordre du monde.
Premier roman de Laura Vazquez, qui porte la marque de son œuvre de poétesse, ce livre se distingue, selon son éditeur, par une « écriture animiste, où toutes les choses du monde peuvent parler – où le monde est possédé. »
Bref, sûrement pas tout public non plus, mais les amateurs de style singulier devraient s’y intéresser.
BILAN
Lectures potentielles :
Notre part de nuit, de Mariana Enriquez
Le Secret de Joe Gould, de Joseph Mitchell
À première vue : la rentrée Philippe Rey 2020

Intérêt global :
De la saleté, des cafards et la mort : si on la résume à ses titres, la rentrée Philippe Rey semble un condensé de joie et d’optimisme. Vous vous attendez à ce que je démente ? Ben… à première vue, je peux difficilement prétendre le contraire. Ce qui n’empêche pas ce programme d’avancer éventuellement de solides pions littéraires. On ne peut pas rigoler tout le temps, non plus. Surtout pas dans le monde qui est le nôtre.
Ma vie de cafard, de Joyce Carol Oates
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban)
La plus prolifique des auteures américaines est à nouveau au rendez-vous de la rentrée littéraire, avec un roman certes moins gros que l’année dernière, mais qui affiche tout de même ses 500 pages et son ambition de scruter la cellule familiale dans ses moindres recoins, même (surtout ?) les plus sordides. Soit l’histoire de Violette, l’une des sept enfants de la famille Kerrigan, qui se retrouve honnie et bannie par les siens et par sa communauté après avoir dénoncé à 12 ans ses frères, auteurs d’un crime raciste. Un exil qui l’oblige à s’émanciper et à tracer sa propre voie.
Pas forcément de lien direct avec le phénomène « Black Lives Matter », mais un roman qui entre tout de même en résonance avec l’actualité, et sonde plus que jamais la société américaine.
American Dirt, de Jeanine Cummins
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Adelstain et Christine Auché)
Première traduction pour Jeanine Cummins, qui a déjà publié trois livres aux USA. Celui-ci s’ouvre au Mexique, à Acapulco, où Lydia exerce le métier de libraire et mène une vie paisible avec son mari journaliste et son fils de 8 ans. Tout se dérègle, hélas, le jour où Sebastian dévoile dans un article l’identité du chef d’un cartel, qui n’est autre qu’un excellent client de la librairie de Lydia. Cette dernière est contrainte de prendre la fuite avec son fils, et prend la route du nord, dans l’espoir de se mettre à l’abri aux États-Unis…
Plus de 500 pages pour ce périple en quête de survie, animé par l’amour qui lie inextricablement une mère et son enfant.
Ta mort à moi, de David Goudreault
C’est le troisième roman du Québécois David Goudreault que publie Philippe Rey en France. Celui qui a remporté la Coupe du Monde de poésie en 2011 imagine le parcours hors norme d’une poétesse, auteure d’un seul recueil devenu culte, et femme dont la vie est parsemée de mystères et de zones d’ombre, capable de jouer les trafiquantes d’armes comme de venir en aide aux marginaux.