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Désert noir, d’Adrien Pauchet

Éditions Aux Forges de Vulcain, 2020

ISBN 9782373050585

544 p.

19 €


Paris. Une pilule mystérieuse fait vaciller la capitale. Elle permet, à celui qui la consomme, de revoir les êtres chers qu’il a perdus.
Jocelyn est un jeune flic. Après une intervention désastreuse, il intègre l’équipe qui a pour mission de démanteler le trafic de cette nouvelle drogue. S’engage alors une course poursuite où dealers déchus, policiers, mafieux, assassins et innocents, cherchent la source du produit miracle, qui permet d’ouvrir la porte du royaume des morts.
Mais est-il possible de sauver une société qui ne veut pas l’être ?


On peut choisir un livre pour différentes raisons. Parce qu’on apprécie l’auteur, ou l’éditeur, ou les deux. Parce que le sujet ou le résumé nous interpelle. Ou alors parce que la couverture nous saute à la figure.
Dans le cas de Désert noir, c’est d’abord la couverture, croisée sur un blog ami (coucou Yvan), qui m’a scotché. Rendons à César etc., elle est l’œuvre de Théophile Navet, dont je vous encourage à découvrir le travail sur son site internet. Ensuite j’ai vu l’éditeur, et là j’étais foutu. Obligé d’y aller.

Ce voyage, je l’ai mené sans regret, car Désert noir est un excellent roman. Pas étonnant puisqu’il sort des Forges, encore faut-il expliquer pourquoi.
Comme la plupart des titres publiés sous l’égide de Vulcain (alias David Meulemans sous son incarnation humaine), c’est un livre hybride. Il ressemble à ce qu’on peut attendre de lui d’après son résumé, tout en surprenant plus d’une fois.

Désert noir est avant tout un formidable polar. Rythmé, intense, qui explose lors de scènes d’action (l’assaut du 36 Quai des Orfèvres, mes amis, c’est du grand art) au suspense irrespirable. Et c’est du noir de chez noir, suant de violence et de désespoir, hanté de personnages complexes et déterminés à aller jusqu’au bout de leurs choix et de leurs erreurs.
Un casting de figures souvent terrifiantes que leur créateur parvient toujours, néanmoins, à envelopper d’humanité, pour aider à comprendre ce qui les a amenés sur ces sentiers menant tous plus ou moins à la perdition. Ne jamais se limiter à dire, par exemple, que les « méchants » sont des monstres, facilité de Grand-Guignol, mais au contraire chercher, cerner, expliquer d’où vient le bug dans le programme, et donner de la lumière à ces âmes crépusculaires.
Quant aux autres, les chercheurs de vérité, ils équilibrent la balance en y déposant des sentiments qui toujours nous aident à résister. Amour, tendresse, solidarité, pugnacité, dévouement.

Si ce n’était que cela, ce serait déjà très bien. En artificier prêt à prendre des risques pour que le feu d’artifice éblouisse, Adrien Pauchet pimente sa matière première avec une pincée d’échappée, un courant d’air surnaturel qui désincarcère l’intrigue de sa composante policière pour ouvrir des portes fascinantes sur une certaine idée de l’au-delà.

Avec son histoire de pilule – au nom symbolique d’Orphée – autorisant celui qui la prend à revoir ses chers disparus, le romancier pare d’un léger argument fantastique un récit puissant et empathique dont le propos est d’aller fouiller tout au fond des âmes pour en exfiltrer les chagrins.
Désert noir est, au fond, un roman bouleversant sur le manque, la douleur de l’absence, les blessures impossibles à cicatriser des deuils déchirants.

Construit sur une savante alternance de points de vue qui balance le lecteur aux quatre coins du ring pour mieux tout saisir du combat, jouant à l’occasion de la forme en faisant exploser le texte au moment de basculer dans le monde de l’Orphée, Désert noir est un roman intense, parfois perturbant, qui nous questionne sur les béances du cœur et sur ce que nous serions prêts à faire pour réparer l’irréparable, si jamais la chance nous en était offerte.
Une belle expérience de lecture, intensive et poignante, qui imprègne la mémoire de ses images vertigineuses et de ses tourments.

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Le Passager, de J.-C. Grangé

Signé Bookfalo Kill

Pour une fois, je vais déroger à la règle tacite du blog et évoquer un grand nom du best-seller : Jean-Christophe Grangé, poids lourd du thriller français, à qui je dois en bonne partie d’avoir commencé à m’intéresser au polar contemporain.

Psychiatre à Bordeaux, Mathias Freire se voit confier un patient très particulier : un géant “de près de deux mètres pour plus de 130 kilos”, frappé d’une telle amnésie qu’il est incapable de donner jusqu’à son nom. L’homme a été retrouvé dans un cabanon de maintenance de la gare Saint-Jean, serrant dans ses mains une clef à molette et un annuaire de l’année 1996, tous deux tachés d’un sang inconnu.
Dans le même temps, Anaïs Chatelet, jeune et ambitieuse capitaine de police, hérite de ce qu’elle considère comme une affaire de rêve : “un vrai meurtre, dans les règles de l’art, avec rituel et mutilations.” Le corps d’un toxico a été retrouvé à la gare Saint-Jean, sévèrement abîmé – et coiffé d’une tête de taureau…

…et tout ceci n’est que le début. Le nouveau Grangé pèse en effet 749 pages. C’est son plus gros roman à ce jour – et, bon, allez, pas la peine de chercher à battre le record, c’est déjà bien suffisant comme ça.
En même temps, je ne vais pas faire la fine bouche. Ceux qui aiment le pape du thriller français seront, je pense, contents du neuvième opus de leur chouchou : c’est un bon Grangé, bien meilleur en tout cas que sa précédente production, La Forêt des Mânes, qui avait laissé nombre de ses lecteurs sur place, cloués de déception.

Cette fois, la brique s’effeuille vite et bien. Le romancier ne se révolutionne pas et compile les ingrédients qui ont fait son succès : chapitres courts, écriture sèche et dynamique, intrigues parallèles qui finissent par se croiser et se compléter, meurtres rituels (ici influencés par la mythologie), personnages torturés et en marge, qui n’hésitent pas à franchir les limites et à se mettre en danger pour découvrir le fin mot de l’histoire.
Tout y est et ça fonctionne, grâce notamment à une intrigue sur le phénomène psychologique des “voyageurs sans bagage”, des individus qui, à la suite d’un choc violent, oublient tout de leur vie passée et se reconstruisent une identité complètement neuve. Grangé l’exploite habilement – vous verrez comment, impossible d’en dire plus sans pourrir le plaisir de lecture.

On n’évite cependant pas les facilités usuelles, enfoncements de portes ouvertes et autres raccourcis improbables, propres à JCG. Rien de grave… à moins qu’à force, on y soit habitué ?
Quant à la fin – point faible récurrent de l’auteur –, si elle n’atteint pas le degré zéro de la résolution minant certains de ses romans précédents, elle traîne un peu en longueur avant de céder à l’ultra-spectaculaire… Pas de quoi non plus hurler à l’imposture (rien à voir avec Le Concile de pierre, par exemple.)

Sans égaler ses meilleurs romans (Les Rivières pourpres, L’Empire des Loups et Le Vol des cigognes – classement purement subjectif, bien entendu), voilà donc un Grangé de bonne facture, prenant et efficace.
Je dois avouer que, lassé par le thriller et ses (grosses) ficelles, j’attends désormais plus du polar, d’où mes légères réserves…
Mais, objectivement, amateurs du genre et fans de JCG, n’hésitez pas, ce Passager a tout pour vous embarquer !

Le Passager, de Jean-Christophe Grangé
Éditions Albin Michel
ISBN 978-2-226-22132-2
749 p., 24,90€