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RETOUR VERS LE FUTUR : Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron

Signé Bookfalo Kill

Quelque chose pour le week-end est paru initialement en 2011 aux éditions Baleine, et je m’étais autant régalé à le lire qu’à le chroniquer, déjà très fan de l’univers déjanté et hilarant de Sébastien Gendron. Depuis, je mets un point d’honneur à soutenir cet auteur iconoclaste, et la sortie en poche de ce roman me semble une belle occasion d’en reparler et, peut-être, d’augmenter le cercle de ses lecteurs convaincus.
Dans cette nouvelle rubrique « retour vers le futur », je vous propose donc de (re)découvrir l’article que j’avais écrit à l’époque, légèrement remanié (autant en profiter pour supprimer au passage quelques lourdeurs, hein, ça ne fait pas de mal !) En espérant vous donner envie de rencontrer les pingouins les plus cinglés de la galaxie !!!

*****

Il suffit de pas grand-chose pour changer radicalement le cours d’une vie. Prenez le cas de Lawrence Paxton. Retraité depuis peu, il a consacré sa vie à son métier d’agent de change chez Barclays et à sa femme Lynn, ainsi qu’à leur deux enfants désormais adultes et autonomes. Par-dessus le marché, il vit à Kirk Bay, petite ville anglaise hyper sécurisée où rien ne se passe jamais – d’ailleurs, il ne peut rien s’y passer.
Oui mais voilà. Un soir d’insomnie, notre ami Lawrence fait sur la plage une double rencontre décisive : avec une énorme cargaison de sacs de cocaïne d’une part, avec une armée de pingouins qui ont trempé leur bec dans la poudre blanche et sont déjà devenus dangereusement accros d’autre part. Rien d’exceptionnel, me direz-vous. Certes. N’empêche qu’après avoir imité les pingouins, Lawrence est pris d’une crise de lucidité exceptionnelle, et il comprend, il réalise enfin qu’il n’a qu’un seul but dans sa vie : éliminer sa femme qui, quand même, avouons-le, lui pourrit la vie depuis des années avec son obsession de trouver quelque chose à faire pour le week-end.
Et là, évidemment, c’est le début des ennuis.

Après avoir dynamité les codes du roman d’espionnage dans le réjouissant Taxi, Take Off and Landing, Sébastien Gendron s’en prend ici au célèbre nonsense britannique. Impossible de ne pas penser aux Monty Python. Lawrence Paxton, c’est John Cleese dans ses œuvres de grande pintade britannique, à la fois terriblement coincé et capable des pires horreurs.
Au meilleur de sa forme, le romancier mêle joyeusement des personnages en décalage systématique par rapport aux situations qu’ils affrontent – y compris les plus périlleuses -, des épisodes drolatiques et d’autres plus dramatiques, sans se priver d’exercer d’un ton badin son sens critique, lorsqu’il s’agit de dézinguer la lâcheté des politiques, l’irresponsabilité écologique, ou tout simplement les mesquineries ordinaires qui font notre quotidien.

Dans tout ça, les pingouins font figure autant de détonateurs que d’excellents artifices humoristiques. Gendron les glisse partout, sur la plage, en ville, sur les pelouses impeccables des jardins anglais (shocking !) comme près des poubelles dont ils dévorent le contenu sans retenue. Les pingouins de Gendron, ce sont les Gremlins d’aujourd’hui. Aussi dingues, aussi nuisibles, aussi drôles, et peut-être encore plus inquiétants parce qu’ils nous sont familiers. Bref, une belle idée qui anime le roman de bout en bout – jusqu’à une jolie pirouette finale, mais chut…

Pour résumer, vous aurez donc toutes les chances de passer un bon moment à sourire gaiement, voire à rigoler franchement, pour peu que vous soyez sensible à une large palette d’humour allant de l’absurde au potache.

Et donc, avec qui vous allez passer le week-end prochain ?
(Celui qui répond « un pingouin » a perdu.)

Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron
Éditions Pocket, 2016
(Édition originale : Baleine, 2011)

ISBN 978-2-266-24053-6
286 p., 6,80€

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Mais qui a tué Harry?, de Jack Trevor Story

Signé Bookfalo Kill

Ah, Sparroswick ! Une charmante petite bourgade perdue en pleine campagne anglaise, avec ses fougères, ses hérissons et ses lapins, ses bungalows aux noms bucoliques, sa minuscule épicerie fourre-tout, ses habitants gentiment excentriques, ses adultères forestiers… et son cadavre. Surgi sans crier gare au pied d’un arbre, il va sérieusement perturber la journée de ses voisins vivants, révéler nombre de leurs petits secrets, et surtout faire se poser sans relâche LA question : mais qui a tué Harry ?!?

Story - Mais qui a tué HarryComme beaucoup de gens en ce moment (et on peut le comprendre), vous cherchez désespérément un livre drôle ? Ne cherchez plus, vous l’avez trouvé. Véritable mode d’emploi de l’humour anglais publié en 1949, Mais qui a tué Harry ? est un festival de gags, de répliques qui tuent et de nonsense, ce ton si typiquement british qu’on envie depuis des siècles à nos voisins d’outre-Manche.

Les personnages étant nombreux, Jack Trevor Story prend d’abord le temps de les camper les uns après les autres. En résulte une série de portraits hilarants, dessinés en quelques traits mordants avec un sens épatant de la concision ironique.
Allez, pour le plaisir, un exemple :

« [Le nouveau capitaine] était un petit homme grassouillet, aux cheveux noirs et raides comme les poils d’un balai, au visage brun et sillonné de rides : une figure de loup de mer avec les yeux candides d’un bébé de trois mois ; un homme à inspirer protection à une femme, confiance à un enfant, frayeur à un lâche et inquiétude à un homme d’affaires ; un homme qui connaissait le monde comme sa poche, sans en avoir vu davantage que les reflets dans les tavernes au bord de la Tamise. (…) Le nouveau capitaine était Mr Albert Wiles, gabarier en retraite des péniches de la Tamise. » (p.13)

Déroulée sur une journée et une nuit, l’intrigue multiplie les rebondissements, les réflexions absurdes et les réactions inattendues. Simple prétexte de départ, le cadavre de Harry sert de catalyseur à une étude de mœurs provinciale, si grinçante et joyeusement macabre qu’on comprend pourquoi elle a inspiré à Alfred Hitchcock l’adaptation cinématographique de ce roman en 1955 (et ceci, même si son public ne l’a pas suivi à l’époque).
Comme dans un vaudeville de haute volée, J.T. Story le bien-nommé tient aussi le suspense jusqu’à la fin (car, oui, qui a tué Harry, bon sang ?!?), qu’il dénoue sur un ultime retournement de situation réjouissant.

Formidablement servi par la traduction de Jean-Baptiste Rossi (alias Sébastien Japrisot !), qui réussit à saisir le ton caustique si singulièrement anglais du romancier, Mais qui a tué Harry ? est un petit bijou de cocasserie, bienvenu en ces temps moroses. Plus efficace qu’une grosse boîte d’antidépresseurs et à seulement 9€, ce livre devrait être prescrit à haute dose et remboursé par la Sécurité Sociale !

Mais qui a tué Harry ?, de Jack Trevor Story
Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Rossi
Éditions Cambourakis, 2013
ISBN 978-2-36624-027-6
157 p., 9€


Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron

Signé Bookfalo Kill

Il suffit de pas grand-chose pour changer radicalement le cours d’une vie. Prenez le cas de Lawrence Paxton. Retraité depuis peu, il a consacré sa vie à son métier d’agent de change chez Barclays et à sa femme Lynn, ainsi qu’à leur deux enfants désormais adultes et autonomes. Par-dessus le marché, il vit à Kirk Bay, petite ville anglaise hyper sécurisée où rien ne se passe jamais – d’ailleurs, il ne peut rien s’y passer.
Oui mais voilà. Un soir d’insomnie, notre ami Lawrence fait sur la plage une double rencontre décisive : avec une énorme cargaison de sacs de cocaïne d’une part, avec une armée de pingouins qui ont trempé leur bec dans la poudre blanche et sont déjà devenus dangereusement accros d’autre part. Rien d’exceptionnel, me direz-vous. Certes. N’empêche qu’après avoir imité les pingouins, Lawrence est pris d’une crise de lucidité exceptionnelle, et il comprend, il réalise enfin qu’il n’a qu’un seul but dans sa vie : éliminer sa femme qui, quand même, avouons-le, lui pourrit la vie depuis des années avec son obsession de trouver quelque chose à faire pour le week-end.
Et là, évidemment, c’est le début des ennuis.

Après avoir dynamité les codes du roman d’espionnage dans le réjouissant Taxi, Take Off and Landing, Sébastien Gendron s’en prend ici au célèbre nonsense britannique. Impossible de ne pas penser aux Monty Python. Lawrence Paxton, c’est John Cleese dans ses œuvres de grande pintade britannique, à la fois terriblement coincé et capable des pires horreurs.
Au meilleur de sa forme, le romancier mêle joyeusement des personnages en décalage systématique par rapport aux situations qu’ils affrontent – y compris les plus périlleuses -, des épisodes drolatiques et d’autres plus dramatiques, sans se priver d’exercer d’un ton badin son sens critique, lorsqu’il s’agit de dézinguer la lâcheté des politiques, l’irresponsabilité écologique, ou tout simplement les mesquineries ordinaires qui font notre quotidien.

Dans tout ça, les pingouins font figure autant de détonateurs que d’excellents artifices humoristiques. Gendron les glisse partout, sur la plage, en ville, sur les pelouses impeccables des jardins anglais (shocking !) comme près des poubelles dont ils dévorent le contenu sans retenue. Les pingouins de Gendron, ce sont les Gremlins d’aujourd’hui. Aussi dingues, aussi nuisibles, aussi drôles, et peut-être encore plus inquiétants parce qu’ils nous sont familiers. Bref, une belle idée qui anime le roman de bout en bout – jusqu’à une jolie pirouette finale, mais chut…

Pour résumer, vous aurez donc toutes les chances de passer un bon moment à sourire gaiement, voire à rigoler franchement, pour peu que vous soyez sensible à une large palette d’humour allant de l’absurde au potache.

Et donc, avec qui vous allez passer le week-end prochain ?
(Celui qui répond « un pingouin » a perdu.)

Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron
Éditions Baleine, 2011
ISBN 978-2-84219-506-9
292 p., 18€