Tout commence au petit matin suivant une nuit de garde aux urgences – une nuit sans urgences, précisément, ce qui contrarie beaucoup le docteur Chris Kovak, toujours prêt pour un rodéo d’adrénaline. En même temps, il suffit parfois de demander : alors qu’il s’apprête à quitter l’hôpital pour rentrer chez lui, une jeune femme monte dans sa voiture, tient quelques propos décousus le temps d’une brève balade dans les rues de Paris, puis quitte le véhicule aussi vite qu’elle est y montée… en oubliant derrière elle un sac. Et son contenu aussi inattendu que morbide.
Tu en voulais, de l’adrénaline, Kovak ? Hé ben voilà, tu es servi !
Franchement, je ne sais pas comment j’ai fait pour ne jamais vous parler sur ce blog de Patrick Bauwen. Non, vraiment, je ne comprends pas, alors que j’ai lu tous les livres de cet auteur et que, pour la plupart (exception faite sans doute de Seul à savoir), je les ai beaucoup aimés. Le summum à ce jour restant pour moi Les fantômes d’Eden, authentique pépite de suspense, de justesse et d’émotion qui…
Oui, bon, j’y reviendrai peut-être une autre fois, parce qu’on est là pour causer de La Nuit de l’Ogre, dernier paru de ce médecin urgentiste devenu au fil des années un patron du thriller français. Moins connu, mais pas moins talentueux (voire plus !) que ses illustres confrères Grangé, Chattam ou Thilliez.
La Nuit de l’Ogre fait donc indirectement suite au Jour du Chien, sorti l’année dernière. Indirectement, parce qu’il s’agit d’une nouvelle intrigue autonome, tout en y retrouvant son héros, le docteur Chris Kovak, ainsi que certains autres personnages – et, toujours à l’œuvre dans l’ombre, le terrible Chien déjà à la manœuvre dans le précédent opus. Bauwen étant aussi habile que malin, on peut lire les deux romans indépendamment, même s’il est recommandé, au moins pour le plaisir, de commencer par le Jour du Chien.
Ce qui lie aussi les deux romans, mais également tous les livres de Bauwen, c’est leur indéniable efficacité. Le thriller, Bauwen sait faire, et bien faire. Chapitres courts, style énergique, rebondissements et cliffhangers bien placés, sens du rythme, ruptures d’intrigue : tout y est pour les amateurs du genre. Avec en plus quelques pincées d’humour bienvenues, petit détail qui, à mon sens, fait se démarquer le garçon de ses pairs. Bauwen est là pour vous filer les chocottes, mais il le fait sans se prendre trop au sérieux ni plomber l’ambiance démesurément, en sachant relâcher la pression de temps à autre pour détendre le lecteur, et ajouter de précieux petits morceaux d’humanité dans des histoires par ailleurs bien glauques comme il faut.
Dans La Nuit de l’Ogre, Patrick Bauwen ajoute en outre un nouvel ingrédient qui pimente ce polar largement urbain et contemporain, à savoir un hommage à la littérature populaire, aux feuilletons à suspense tels que Les Mystères de Paris d’Eugène Sue ou les aventures de Fantômas de Souvestre & Allain. Sans rien vous dévoiler de l’intrigue, la figure de l’Ogre, avec son chapeau melon et sa redingote tout droit sortis de l’imagerie du XIXème siècle, hante littéralement les pages du roman, y laissant traîner une ombre dont on redoute (à raison) chaque apparition.
Bref, si vous êtes amateur de bons thrillers, notamment français, et que vous ne connaissez pas encore Patrick Bauwen, précipitez-vous, c’est du tout bon. Et si vous le connaissez déjà, n’hésitez pas. C’est du tout bon, on vous dit !
La Nuit de l’Ogre, de Patrick Bauwen
Éditions Albin Michel, 2018
ISBN 9782226436375
496 p., 22€
5 juin 2018 | Catégories: Polars | Tags: Albin Michel, Cannibales Lecteurs, chapeau melon, chien, Chris Kovak, feuilleton, jour, médecin, nuit, nuit de l'ogre, ogre, Patrick Bauwen, polar, populaire, redingote, souterrains, thriller, urgentiste | 1 commentaire
« Des chefs de guerre, il y en a de toutes sortes. Des bons, des mauvais, des pleines cagettes, il y en a. Mais une fois de temps en temps, il en sort un. Exceptionnel. Un héros. Une légende. Des chefs comme ça, il y en a presque jamais. Mais tu sais ce qu’ils ont tous en commun ? Tu sais ce que c’est, leur pouvoir secret ? Ils ne se battent que pour la dignité des faibles. »
Les fans de Kaamelott auront reconnu cette citation tirée du Livre VI de la série, professée par un César vieillissant à un jeune chef de guerre nommé Arturus – futur Arthur, Roi de Bretagne. Quel rapport avec Sorj Chalandon, me direz-vous ? Sans doute aucun, vous répondrez-vous à vous-même, et vous aurez raison.
Sauf que.
Sauf que, en y réfléchissant un peu, il y a plusieurs constantes dans l’œuvre de Chalandon, et parmi celles-ci, cette même obsession pour la dignité des faibles. Des petits, des opprimés, des sans-grade. Les figures de son nouveau roman n’y font pas exception.
Le vendredi 27 décembre 1974, une galerie de la fosse Sainte-Amé des mines de Liévin est dévastée par une violente explosion, due à un coup de grisou. Le désastre laisse 42 hommes sur le carreau.
La vie de Michel Flavent bascule ce jour-là. Pour lui, il manque une victime à ce décompte. Son frère, Joseph, a eu la mauvaise idée de décéder de ses blessures plusieurs jours après, son nom n’est donc pas inscrit dans le registre officiel de la catastrophe. Il est le quarante-troisième mort, mais personne ne le sait.
Cette blessure, cette humiliation, Michel la porte en lui tout au long de sa vie. Quarante ans plus tard, lorsque sa femme est emportée par un cancer, il se sent désormais libre d’assumer la vengeance que son père l’a chargé de mener avant de mourir. Oui, mais se venger de qui ? Des dirigeants de la mine de l’époque, tous sont morts. Tous, sauf un. Lucien Dravelle, porion de la fosse, un petit chef minable qui se pavanait du côté des grands pour ne pas avoir à côtoyer les ouvriers. C’est lui qui doit rembourser la vieille dette des Flavent. Lui, que Michel décide de traquer pour se libérer de ce poids écrasant qui a étouffé son existence…
Pour quelqu’un d’aussi sensible et conscient du monde que Chalandon, les motifs d’indignation ne manquent pas, ni dans la vie de tous les jours, ni dans l’Histoire. Cette fois, il a choisi de partir de la catastrophe de Liévin pour évoquer la vie rude, non seulement des mineurs, mais aussi de tous les ouvriers, ceux dont le travail harassant permet à chacun de vivre décemment, mais que beaucoup regardent de haut, avec ce mépris de classe si cinglant, si écrasant qu’il n’y a rien à faire pour y résister. C’est l’occasion de pages extraordinaires sur le dévouement de ces « petits » pour leur travail qu’ils vivent en mission, sans idéologie ni idéalisme, avec la simple conviction d’agir justement.
Mais dans Le Jour d’avant, le romancier va plus loin que cela. Difficile d’en dire trop, la mécanique surprenante du livre empêche d’être trop bavard. Sachez simplement que nous sommes ici bien au-delà du récit social, qu’il est question de considérations humaines plus fortes, plus intimes, plus poignantes. Le Jour d’avant est un roman bouleversant sur la culpabilité, l’injustice, le questionnement de soi. C’est un livre douloureux, et pourtant d’une retenue exemplaire.
Chalandon y fait jouer toute l’énergie de son style, renouvelant avec toujours autant de bonheur sa capacité à saisir en quelques mots la puissance des sentiments les plus profonds. Dans un paradoxe impossible à expliquer, la douleur, le chagrin, la rage irradient une lumière éclatante, empêchant le roman de basculer dans le sordide ou le plombant, pour l’élever vers des sommets d’émotion étourdissants.
Après Profession du père, où il réglait ses comptes avec l’écrasante ombre paternelle qui dominait l’ensemble de ses premiers romans, je craignais de retrouver un Sorj Chalandon exsangue, vidé de sa moelle vitale. Le Jour d’avant démontre avec brio qu’il n’en est rien, au point de figurer sans hésitation parmi ses meilleurs livres. Le romancier est plus vivant que jamais, et c’est pour moi l’une des excellentes nouvelles de cette rentrée littéraire.
Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon
Éditions Grasset, 2017
ISBN 978-2-246-81380-4
329 p., 20,90€
17 août 2017 | Catégories: Romans Francophones | Tags: avant, Cannibales Lecteurs, catastrophe, Chalandon, explosion, fraternité, frère, Grasset, grisou, jour, jour d'avant, Liévin, mine, ouvrier, porion, procès, rentrée littéraire, social, Sorj Chalandon, vengeance | 1 commentaire
Tous les deux ans, les éditions Grasset ont droit ici à un léger traitement de faveur, et pour cause : elles ont le très bon goût de publier l’un de mes auteurs préférés, Sorj Chalandon. Lequel est donc au rendez-vous cette année, à nouveau avec succès, mais en plus il ne se présente pas seul. La Maison Jaune aligne en effet une rentrée abondante mais nourrie de plusieurs promesses séduisantes – dont, sûrement, le plus GROS livre de la rentrée française.
AU NORD : Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon (lu)
Bluffant Chalandon. Il y a deux ans, après Profession du père qui clôturait une sorte de cycle romanesque implicite consacré à sa drôle de figure paternelle, il se disait exsangue, peut-être fini. Son retour cette année est donc plus qu’une surprise, c’est une confirmation : oui, Sorj Chalandon a encore beaucoup de choses à raconter, et le talent est intact pour le faire.
Appuyé sur la catastrophe minière de Liévin en 1974, ayant coûté la vie à 42 hommes, Le Jour d’avant célèbre la dignité des faibles face à l’injustice et à la pression sociale et politique, mais étonne également par sa mécanique narrative, preuve que Chalandon peut briller tout autant avec une pure fiction que dans des livres davantage marqués du sceau de l’autobiographie. Un roman fort et bouleversant sur la culpabilité, la douleur, l’identité et le questionnement de soi. Touché, encore une fois.
SKULL ISLAND : Kong, de Michel Le Bris (en cours de lecture)
Un monstre. Dans tous les sens du terme. Michel Le Bris, créateur du festival Étonnants Voyageurs, essayiste, grande figure du récit de voyage, spécialiste de Stevenson, balance un énorme pavé de 930 pages sur l’histoire qui a présidé à la réalisation en 1933 du film King Kong. De 1919 à 1933, Le Bris raconte les multiples vies de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsach, rescapés de la Première Guerre mondiale qui deviennent des spécialistes reconnus du film documentaire, avant de céder à la magie de la fiction et des effets spéciaux pour inventer l’une des créatures les plus mythiques du Septième Art. La lecture des premières pages de ce Kong me laisse espérer le meilleur pour ce roman qui s’annonce spectaculaire, puissant, emporté par une langue inspirée et virtuose, peuplé de figures célèbres de l’époque et porté par le souffle primaire de l’aventure. À suivre de très près.
FABULEUX DESTIN : Minuit, Montmartre, de Julien Delmaire (lu)
En 1909, une jeune femme noire erre dans les ruelles malfamées de Montmartre. Recueillie par le peintre Théophile Alexandre Steinlen (auteur notamment de la célèbre affiche de la Tournée du Chat Noir), elle devient sa muse, son confidente, et pénètre le milieu des artistes parisiens de la Butte… Remarqué pour son premier roman au style particulier, proche du slam, Julien Delmaire propose un troisième livre davantage au service de sa langue que de son récit, même si la peinture du Montmartre de l’époque vaut le détour.
TODESENGEL : La Disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez
Le médecin d’Auschwitz Josef Mengele, coupable d’expériences « médicales » terrifiantes sur certains prisonniers du camp de la mort, réussit à s’échapper une fois l’Allemagne tombée, et prend la fuite en Amérique du Sud, où il vit en toute impunité jusqu’à sa mort en 1979. C’est ce destin, et à travers lui le cas de nombreux Nazis ayant trouvé une terre d’accueil favorable en Argentine ou au Brésil, que raconte l’essayiste Olivier Guez dans son deuxième roman.
SOUS LES PAVÉS : Le Déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus
Le jour : 22 mai 1968. Le lieu : l’hôtel Meurice, rue de Rivoli. L’action : la remise du prix Roger-Nimier à un tout jeune écrivain nommé Patrick Modiano, pour son premier roman, Place de l’Étoile. Le nœud de l’intrigue : profitant de la révolte des étudiants et du climat d’agitation qui règne à Paris, le personnel du palace se met en grève, ce qui contraint les organisateurs du prix à revoir l’organisation de leur journée… Un roman à « name-dropping » culturel (Paul Morand, Modiano, Dali) qui devrait au moins trouver son public dans les beaux quartiers de Paris, mais pourrait mériter mieux.
BABEL : Mécaniques du chaos, de Daniel Rondeau
Le destin croisé de plusieurs personnages à travers le monde, sur fond de crise migratoire et de montée de l’islamisme radical. D’après son éditeur, Daniel Rondeau a réussi sans le chercher un « thriller politique ». Comme ce n’est pas vraiment un auteur de genre, on prendra l’expression avec toutes les pincettes requises.
À L’ABRI DE RIEN : Une fille dans la jungle, de Delphine Coulin
Puisqu’on cause de géopolitique et de situation mondiale, Delphine Coulin nous plonge dans la jungle de Calais en compagnie d’une bande de gamins venus du monde entier. A l’annonce du démantèlement du camp, les adolescents décident d’entrer en résistance et de tenter de passer en Angleterre. Déjà vu, lu, raconté ? Sans doute. Utile ? Pourquoi pas. À lire pour vérifier, en somme.
REBELOTE : Innocence, d’Eva Ionesco
Il y a deux ans, Simon Liberati publiait Eva, récit-portrait de sa femme qui évoquait notamment l’enfance tourmentée de cette dernière, puisqu’elle servit de modèle érotique à sa mère photographe. Comme le livre fit grand bruit et rencontra un succès certain (pas forcément en rapport avec ses qualités littéraires, mais enfin bon), voilà que Madame sort son propre témoignage sur cette histoire. Nous, on passe.
CRASH : La Fille à la voiture rouge, de Philippe Vilain
Une étudiante de 20 ans séduit un écrivain de 39 ans. Elle est belle, elle porte un nom classe (Emma Parker), elle conduit une voiture de sport rouge. Leur amour est passionnel, jusqu’au jour où Emma raconte à l’écrivain qu’à la suite d’un accident, elle trimballe un hématome dans le crâne qui pourrait lui être fatal d’un jour à l’autre…
Ah, au fait, c’est une histoire vécue.
Et on s’en fout ? Ah oui, nous, on s’en fout complètement.
MAGNUS RUSSE : Tous les âges me diront bienheureuse, d’Emmanuelle Caron
Le premier roman d’Emmanuelle Caron – que son éditeur compare à Sylvie Germain – déploie une vaste fresque familiale et historique qui nous ramène notamment à la Révolution russe de 1917 (qui sera très à la mode, puisque nous célèbrerons le centenaire de l’événement en fin d’année).
DUPONT LAJOIE : Les Peaux Rouges, d’Emmanuel Brault
Autre premier roman, qui entend dénoncer le racisme ordinaire sur fond de comédie insolente. Les « Peaux Rouges » du titre sont ces étrangers que le narrateur déteste ouvertement, en toute décomplexion. Hélas pour lui, pris en flagrant délit d’insulter une Peau Rouge, il est envoyé en prison. Il parvient à y échapper en acceptant de participer à une thérapie de groupe pour le guérir de son racisme.
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JE SUIS PAS VENUE ICI POUR SOUFFRIR, OK ? : Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls, d’Eivind Hofstad Evjemo
(traduit du norvégien par par Terje Sinding)
En juillet 2011, une semaine après le massacre d’Utoya qui a fait 69 morts et des dizaines de blessés, Sella observe ses voisins en train de rentrer chez eux, dévastés après que leur fille est tombée sous les balles d’Anders Breivik. Elle partage leur peine, car son fils adoptif est mort auparavant dans un attentat à Manille. Un premier roman norvégien qui refuserait de traiter son terrible sujet par la noirceur et l’auto-apitoiement, en luttant au contraire contre la douleur par une volonté inébranlable de se reconstruire.
SHORT CUTS : Demain sans toi, de Baird Harper
(traduit de l’américain par Brice Matthieussent)
On continue avec les premiers romans estampillés « Rire & Chansons » – ce qui n’enlève rien a priori à leurs qualités, d’autant que ce livre est traduit par Brice Matthieussent, qui n’est pas le dernier venu.
Un jeune homme promis au plus bel avenir achève une peine de prison de quatre ans, pour avoir tué accidentellement une jeune femme dans un accident de la route. Le jour de sa sortie, un proche de Sonia l’attend devant la prison, mais la sortie du meurtrier involontaire est repoussée de 24 heures, bouleversant les plans de tous, proches de la victime comme du bourreau.
5 juillet 2017 | Catégories: A première vue, Romans Etrangers, Romans Francophones, Uncategorized | Tags: 1917, accident, Allemagne, Amérique du sud, amour, Anders Breivik, Angleterre, Argentine, autobiographie, âges, érotisme, Baird Harper, barricades, bienheureuse, Brésil, Calais, Cannibales Lecteurs, catastrophe, Chalandon, chaos, chat, cinéma, culpabilité, d'avant, Daniel Rondeau, déjeuner, Delphine Coulin, demain sans toi, deuil, diront, disparition, documentaire, Emmanuel Brault, Emmanuelle Caron, enfance, Eva Ionesco, famille, fille, frère, fresque, fuite, Grasset, humour, innocence, islamisme, Josef Mengele, jour, Julien Delmaire, jungle, King Kong, Kong, Liévin, mai 68, massacre, mécaniques, Mengele, mensonge, Michel Le Bris, migrants, mines, Minuit, modèle, Modiano, Montmartre, nazis, nord, Olivier Guez, Paris, Pauline Dreyfus, peaux rouges, peinture, Philippe Vilain, photographie, prison, racisme, révolution, reconstruction, rentrée littéraire, rouge, Russie, SImon Libérati, singe, Sorj Chalandon, Steinlen, terrorisme, thérapie, Utoya, vengeance, voiture | Poster un commentaire
À première vue, chez Stock comme chez la plupart des éditeurs, on voit arriver une rentrée sérieuse comme un premier de la classe, mais manquant clairement de fantaisie (à une exception près peut-être). C’est déjà pas mal, me direz-vous. Mouais, mais on n’aurait rien contre un peu d’excitation et d’inattendu. Pas sûr de les trouver sous la couverture bleue de la vénérable maison désormais dirigée par Manuel Carcassonne, qui aligne de plus beaucoup (trop) de candidats sur la ligne de départ : neuf auteurs français, deux étrangers, ça sent la surchauffe…
AUCUN LIEN : Une fille et un flingue, d’Olivier Pourriol
Elle est sans doute là, la touche de folie de la rentrée Stock ! Ancien chroniqueur littéraire muselé du Grand Journal (expérience amère dont il a tiré un récit décapant, On/Off), mais aussi et surtout spécialiste de cinéma, Pourriol met en scène deux frangins, Aliocha et Dimitri, fans de cinoche et obsédés par le désir de réaliser un film. Comment y parvenir quand on est fauché et inconnu ? En appliquant à la lettre le précepte d’un grand maître du Septième Art : « Un film, c’est un hold up » (Luc B.) Un « braquage » que les deux frères vont tenter de réussir avec l’aide de Catherine D. et Gérard D., en plein Festival de Cannes… Annoncé comme une comédie délirante, Une fille et un flingue est le genre de bouquin qui passe ou qui casse, sans juste milieu. Pourriol a tout le talent médiatique nécessaire pour défendre son livre sur les plateaux de télévision, mais son livre saura-t-il se défendre tout seul ?
GENÈSE II, LA REVANCHE : Au commencement du septième jour, de Luc Lang
Je n’ai jamais rien lu de Luc Lang, auteur emblématique de Stock, faute d’avoir réussi à m’intéresser à son travail jusqu’à présent. Cela changera peut-être avec ce nouveau roman, récit d’une vie trop parfaite pour être honnête et qui s’écroule brutalement lorsque la supercherie est dévoilée. Cette vie, c’est celle de Thomas, dont la femme Camille a un jour un terrible accident de voiture à un endroit où elle n’aurait jamais dû se trouver. Tandis que Camille reste plongée dans le coma et que tout s’écroule autour de lui, Thomas entame une vaste enquête qui va lui faire passer en revue toute son existence, sa relation avec son père, ses frère et soeur, ses enfants… Luc Lang revendique l’inspiration de Cormac McCarthy (rien de moins) pour ce roman présenté par son éditeur comme son plus ambitieux.
ALLÔ PAPA TANGO CHARLIE : Bronson, d’Arnaud Sagnard
Premier roman qui met en parallèle une ligne autobiographique et la vie du comédien Charles Bronson, depuis une jeunesse misérable durant la Grande Dépression jusqu’à la gloire hollywoodienne, renommée et richesse dissimulant la hantise quotidienne d’un homme rongé par la peur. Ce genre d’exercice a déjà donné de fort belles choses, notamment sous la plume de Florence Seyvos (Un garçon incassable, autour de Buster Keaton), alors pourquoi pas ?
C’EST UNE MAISON BLEUE : Les visages pâles, de Solange Bied-Charreton
Les trois petits-enfants de Raoul Estienne se retrouvent dans la vieille demeure chargée de souvenirs du vieil homme qui vient de s’éteindre. Faut-il vendre la maison ou la garder ? La question agite les héritiers autant que la Manif pour Tous, au même moment, déchire la société française, et oblige les uns et les autres à faire le point sur leurs existences… Je ne sais pas s’il faut attendre grand-chose d’un roman dont les personnages se prénomment Hortense, Charles ou Alexandre, mais bon. Il paraît que c’est « caustique » (dixit l’éditeur).
C’EST L’AMOUR A LA PLAGE (AOU CHA-CHA-CHA) : Maures, de Sébastien Berlendis
Les vacances d’été, la mer, les dunes, le camping, le dancing, l’adolescence, la découverte des filles… Tout ceci est follement original, n’est-ce pas ? Déjà vu, déjà lu, il faudrait vraiment une plume exceptionnelle ou un point de vue extrêmement singulier pour distinguer un tel récit. Toujours possible, mais on n’y croit guère…
POKER FACE : L’Indolente, de Françoise Cloarec
En 2008, Françoise Cloarec avait signé un succès surprise avec La Vie rêvée de Séraphine de Senlis (qui avait donné une adaptation cinématographique non moins triomphale, Séraphine, avec Yolande Moreau). Elle revient au milieu de la peinture avec cette enquête littéraire sur Marthe Bonnard, dont on découvre après le décès de son peintre de mari, Pierre Bonnard, qu’elle n’était pas du tout celle qu’elle avait toujours prétendu être.
DANS DEUX CENTS MÈTRES, TOURNEZ A GAUCHE : À tombeau ouvert, de Bernard Chambaz
Le 1er mai 1994, le pilote Ayrton Senna se tue au volant de sa Formule 1, en ratant un virage et en allant s’écraser contre un mur à 260 km/h. A partir de ce drame diffusé en direct et en mondovision télévisuelle, Bernard Chambaz tire un roman sur la fascination pour la vitesse, croisant le destin de Senna avec ceux d’autres pilotes célèbres mais aussi avec ceux de ses proches, dont son fils mort dans un accident de la route.
L’AMANTE DU VIETNAM DU NORD : L’Éveil, de Line Papin
Stock lance une auteure de 20 ans dans l’arène, avec un premier roman sous forte influence de Marguerite Duras, une histoire d’amour torride dans la touffeur de Hanoï, la capitale du Vietnam (où est née Line Papin). On annonce une jeune prodige, il faudra voir si elle est authentique.
AU CHARBON : Anthracite, de Cédric Gras
Dans un décor de guerre, une tragi-comédie sur fond de pays qui s’écroule – ce pays, c’est l’Ukraine, violemment divisée après la sécession en 2014 de la région minière du Donbass qui décide de rejoindre la Russie. Parce qu’il s’est obstiné depuis l’événement à y faire jouer l’hymne national ukrainien, un chef d’orchestre est obligé de prendre la fuite avec son ami d’enfance à bord d’une bagnole aussi décrépite que les paysages industriels qu’ils traversent… Premier roman.
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L’ÉNERGIE EST NOTRE AVENIR, ÉCONOMISONS-LA : Un travail comme un autre, de Virginia Reeves
Alabama, années 20. Avec l’aide de son ouvrier agricole, un fermier détourne une ligne électrique de l’Etat pour augmenter le rendement de son exploitation. Tout roule jusqu’à ce qu’un employé paye de sa vie cette installation sauvage. Wilson, l’ouvrier, écope des travaux forcés dans les mines, tandis que son patron est envoyé au pénitencier. Confronté à la violence extrême de la prison, il tente tout de même d’envisager l’avenir… Premier roman de l’Américaine Virginia Reeves.
POÉTER PLUS HAUT QUE SON… : Ce qui reste de la nuit, d’Ersi Sotiropoulos
En 1897, Constantin Cavafy n’est pas encore le grand poète grec qu’il est appelé à devenir. Écrasé par l’affection de sa mère, tourmenté par son homosexualité, à la recherche de son style et de sa voix, il fait un séjour de trois jours à Paris qui va tout changer pour lui. La romancière grecque Ersi Sotiropoulos dresse un portrait littéraire de Cavafy en s’interrogeant sur le lien entre création et désespoir, dans un livre dense et exigeant (une manière polie de suggérer autre chose, je vous laisse deviner quoi).
27 juillet 2016 | Catégories: A première vue, Romans Etrangers, Romans Francophones | Tags: 2016, A première vue, accident, adolescence, agricole, Alabama, amitié, amour, anthracite, Arnaud Sagnard, automobile, Ayrton Senna, à tombeau ouvert, électricité, éveil, Bernard Chambaz, Brésil, Bronson, camping, Cannes, Cannibales Lecteurs, Catherine Deneuve, Cédric Gras, ce qui reste de la nuit, charbon, Charles Bronson, cinéma, coma, Comédie !, commencement, course, détournement, Donbass, Duras, Ersi Sotiropoulos; Cavafy, escroquerie, famille, femme, ferme, festival, fille, flingue, Formule 1, Françoise Cloarec, France, frères, fuite, Gérard Depardieu, Grande Dépression, grec, Hanoï, Héritage, Hollywood, homosexualité, indolente, jour, Line Papin, Luc Besson, Luc Lang, maison, Manif pour tous, mari, Marthe Bonnard, Maures, Olivier Pourriol, ouvrier, Paris, pénitencier, peinture, petits-enfants, Pierre Bonnard, pilotes, plage, poète, poésie, rentrée littéraire, Russie, Sébastien Berlendis, Séraphine, scénario, secret, Senna, septième, société, Solange Bied-Charreton, Stock, travail, Ukraine, un travail comme un autre, Vietnam, Virginia Reeves, visages pâles, voiture | 6 Commentaires