À première vue, ce n’est pas encore cette année que les éditions Lattès vont me faire faire des claquettes d’enthousiasme. Ce qui n’empêche sûrement pas leur programme 2021 de compter des arguments valables, dont un nouveau roman de Nina Bouraoui, auteure très suivie à chaque parution. On saluera, en outre, la présence de quatre premiers romans (sur sept, pas mal !) – enfin, trois et demi (cf. Renaud Dély). Une prime à la jeunesse qui transparaît aussi dans le sujet de plusieurs titres de cette rentrée.
LES HABITUÉES
Satisfaction, de Nina Bouraoui Après l’indépendance, madame Akli s’est installée à Alger par amour pour Ibrahim, son mari. Des années plus tard, dans leur maison sur les hauteurs de la ville, madame Akli passe ses journées à s’occuper de son jardin en guettant le retour de son époux de l’usine de papier qu’il dirige et de son fils, scolarisé à Hydra. Dans son carnet intime, elle confie ses doutes sur son existence.
La Femme et l’oiseau, d’Isabelle Sorrente Une adolescente est exclue du lycée pour avoir menacé l’un de ses camarades. Sa mère décide alors de l’emmener chez son grand-oncle, en Alsace. Patiemment, la jeune fille tisse un lien singulier avec le vieil homme, ancien enrôlé de force dans l’armée allemande durant la guerre, puis emprisonné dans un camp. C’est là qu’il a développé de curieux dons : il sait communiquer avec les oiseaux et semble lire dans les pensées…
Un tesson d’éternité, de Valérie Tong Cuong Décidément, la jeunesse a des problèmes chez Lattès cette année. Cette fois, c’est Léo, un lycéen sans histoire, qui se retrouve du jour au lendemain aux prises avec la justice. Sa mère, pharmacienne établie, propriétaire d’une belle villa surplombant la mer et à la tête d’une vie paisible et maîtrisée, voit soudain son univers se désagréger.
PREMIERS ROMANS
Quand la ville s’éteint, de Julia Pialat Encore un jeune homme, mais décidé, celui-ci, à empoigner sa vie. C’est l’histoire de Cobra, gamin du quartier Strasbourg Saint-Denis à Paris, qui vivote entre l’épicerie de son père à qui il donne des coups de main, et le bar Chez Jeanette qui sert de quartier général à sa bande. Il a vingt ans, la musique est sa passion. Il décide de se donner un an pour percer dans le monde du rap. Tout bascule le jour où il rencontre un ancien producteur de raï qui accepte de lui prêter son studio. Portraits croisés d’un quartier et d’un jeune homme en pleine mutation, dans un premier roman dont la réussite dépendra de l’énergie du style. À voir, pourquoi pas.
Le Grand saut, de Renaud Dély Un livre présenté également comme un premier roman, ce qui n’est pas tout à fait exact puisque Renaud Dély avait publié un Poulpe en 2011. Du reste, l’auteur est un journaliste plutôt connu, passé entre autres par Libération, Le Nouvel Observateur et Marianne, et dont le nom a déjà orné la couverture de plus d’une dizaine d’essais en tous genres. Pour cette première incursion en littérature « blanche », il s’intéresse à la figure de Pierre Quinon, médaillé d’or à la perche aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, qui finit par se donner la mort en se défenestrant en 2011. En parallèle, il esquisse le portrait d’un enfant, fasciné par la victoire de l’athlète, qui apprend à se construire en dépit d’une jeunesse difficile.
Cave 72, de Fann Attiki Et encore un premier roman ! Il est l’œuvre d’un jeune auteur congolais, et la Cave 72 du titre est le nom d’un bar où aiment à se retrouver trois jeunes gens pour discuter, boire et parler littérature. Mais leur refuge doit fermer du jour au lendemain, accusé d’être l’épicentre d’un complot d’État dont ils seraient les artisans.
Les conversations, de Miranda Popkey (traduit de l’américain par Julia Kerninon) Et de quatre ! Le dernier premier roman du programme vient des États-Unis. Presque exclusivement composé de conversations entre femmes ou de monologues, sur des sujets allant de l’amour à l’infidélité, en passant par la désir, la maternité, l’art ou encore le féminisme, ce livre parcourt vingt ans de la vie d’une jeune fille devenue mère et avide d’expériences, qui se montre déterminée à bouleverser son existence.
BILAN
Lecture potentielle : Quand la ville s’éteint, de Julia Pialat
Lecture hypothétique : La Femme et l’oiseau, d’Isabelle Sorrente
Je n’étais pas née lors des Jeux Olympiques de Montréal. Mais le nom de Nadia Comaneci a toujours raisonné dans mes oreilles, comme dans celles de toutes les petits filles qui se rêvaient en gymnaste.Lola Lafonlivre un ouvrage particulier, sorte de biographie romancée, d’entretiens fictifs avec la déesse de la gymnastique, d’hymne au corps féminin.
Dans cet ouvrage, réalisé chronologiquement, l’héroïne et l’auteur communiquent sans se rencontrer, chacune cachée derrière son mode de communication, l’écriture pour l’une, les télécommunications pour l’autre. On passe de la petite fille de 14 ans, à l’ado en pleine croissance, dont le corps ne répond plus aux canons de la gymnastique soviétique, puis ce corps d’adulte qu’elle devient fatalement. On grandit avec le personnage principal et on vibre avec elle lors des compétitions. Les personnages secondaires ne sont pas en reste, avec l’omniprésent Béla, entraîneur acharné à faire travailler ses élèves, le couple Ceausescu, dictateurs satellites dans l’ombre de l’URSS, sans compter les innombrables journalistes qui mitraillent l’athlète.
Un des protagonistes de ce roman, c’est aussi le corps. Abîmé, épuisé, très souple, qu’on plie et replie dans tous les sens. Pour aller plus haut, plus vite, plus fort. Des petites filles habituées à taire leur douleur, des peaux ouvertes, des plaies au coeur. Un corps de petite fille exhibée aux yeux de tous, comme une poupée parfaite, façonnée par le communisme et pour la gloire de la Roumanie.
Comment grandir sous la tyrannie permanente? La tyrannie qu’elle et son entraîneur impose à son corps, la tyrannie des journalistes et autres commentateurs sportifs, si prompts à la juger lorsqu’elle perdra ses courbes enfantines, la tyrannie enfin, d’un système politique qui récupère l’image de la jeune athlète pour en faire une vitrine du communisme à l’étranger, allant même jusqu’à lui imposer une idylle avec le fils du dictateur? En fuyant la Roumanie. En disparaissant aux yeux de ses persécuteurs. En devenant enfin elle-même. « Ne me cherchez pas car je suis nulle part.«
La petite communiste qui ne souriait jamais deLola Lafon Editions Actes Sud 978 2 33 027285 309p., 21€
Avril 1992. Amoureux inséparables, Vahidin et Marija sont membres de l’équipe de tir yougoslave et préparent activement les Jeux Olympiques de Barcelone, lorsque les Serbes encerclent Sarajevo. En éclatant, la guerre rejette malgré eux les amants dans leurs camps respectifs : Vahidin est bosniaque, Marija serbe. Dès lors, les barrages et les menaces les empêchent de se retrouver, et les obligent à faire des choix aussi nouveaux que douloureux. Leur don pour le tir intéresse les combattants. Vahidin devient vite un sniper recherché, Marija accepte plus tardivement. Leurs destins basculent…
J’aurais aimé m’enflammer pour ceRobert Mitchum ne revient pasqui, sur le papier, avait de quoi être passionnant : un événement historique complexe, un dilemme moral, un contexte particulier fascinant (la vie des snipers)… Las, à la différence de son collègue Sorj Chalandon,Jean Hatzfeldn’a pas su dépasser ses habitudes d’ancien journaliste pour devenir romancier à part entière – j’entends par là un romancier avec une identité, du style et du souffle. A l’image de dialogues souvent plats, son écriture ne décolle jamais, reste pragmatique, incapable d’enflammer les sentiments pourtant riches et contradictoires de ses personnages principaux – les secondaires restant souvent cantonnés à des esquisses expéditives ; voir par exemple ces journalistes français, qui apparaissent de temps en temps et semblent presque inutiles, toujours décalés dans le récit, comme inconscients de la violence dans laquelle ils évoluent, de la même manière que nous, lecteurs, avons du mal à percevoir ce climat queHatzfeldne parvient pas à rendre vivace.
Le récit fourmille de noms de lieux, de précisions dont le lecteur peine un peu à s’emparer s’il ne connaît pas Sarajevo et ses environs. Néanmoins, cette richesse documentaire constitue l’intérêt majeur d’un roman qui, par ailleurs, se lit facilement et sans déplaisir. On reconnaît la patte du reporter à la minutie avec laquelle il décrit les fusils – éléments évidemment primordiaux de l’histoire -, la pratique des tireurs, et tout ce qui relève du détail.
Mais il manque vraiment quelque chose à ce livre, une âme, une vision romanesque. Ce qui transforme un roman honnête en grand roman. Dommage.
Robert Mitchum ne revient pas, de Jean Hatzfeld Éditions Gallimard, 2013 ISBN 978-2-07-014218-7 233 p., 17,90€
Le livre dont je veux vous parler aujourd’hui faisant 45 pages, je vais m’efforcer de ne pas tirer à la ligne en vain à son sujet. En revanche, si vous avez envie de rigoler un peu, je ne peux que vous encourager à le lire.
Le sujet est dans le titre et pourrait tenir en une question fondamentale : mais pourquoi, POURQUOI les hommes courent-ils ? Je dis « les hommes » au sens général du terme, il y a aussi plein de femmes qui courent, même que j’en connais, c’est dire. Il faut admettre que c’est une bonne question, surtout si l’on écarte rapidement la réponse bateau : « parce que ça permet de se tenir en forme », qui ne satisfait évidemment personne.
Avec un style enlevé, beaucoup d’humour, quelques pincées d’absurde et de mauvaise foi,Jean-Michel Espitalliercommence par réfléchir en général à ce phénomène qui consiste à « s’agiter la viande » (sic), seul ou à plusieurs. Puis il remonte à l’Antiquité et nous invite à nous faire voir les Grecs en pleine création de la compétition de course à pied. Comme de juste, le fil de sa réflexion est irrégulier, part en circonvolutions drolatiques tandis que surgissent remarques loufoques et idées amusantes, sur le dopage, les avantages d’un corps puissant et attrayant dans le processus de séduction, ou les bénéfices sociaux du footing. Avant de déboucher sur une conclusion sur les différentes fonctions des stades ; une chute plus grave, donc inattendue voire déconcertante, mais qui ne manque pas de justesse.
L’ensemble de ce texte est évidemment à prendre au minimum au second degré, condition sine qua non pour se réjouir à la lecture de ce bref opuscule anecdotique, et donc relativement indispensable – surtout si vous avez des coureurs dans votre entourage. Peut-être les comprendrez-vous mieux après cela !
L’Invention de la course à pied (et autres trucs), deJean-Michel Espitallier Éditions Al Dante, 2013 ISBN 978-2-84761-802-0 45 p., 9€