Jésus Christ président, de Luke Rhinehart

Éditions Aux Forges de Vulcain, 2020
ISBN 9782373050653
458 p.
20 €
Jesus Invades George : An Alternative History
Traduit de l’anglais ((États-Unis) par Francis Guévremont
Alors que sa présidence s’achève sans éclat, George W. Bush, un matin, se trouve possédé par… Jésus ! Le Fils de Dieu, irrité que le nom de son Père soit prononcé en vain pour justifier tout et n’importe quoi, a décidé de descendre sur terre.
Le président des États-Unis devient ainsi la marionnette du Christ afin d’établir un monde plus juste et équitable.
Mais c’était sans compter sur l’administration républicaine qui a porté Bush au pouvoir et voit d’un très mauvais œil ces étranges idées de partage, de générosité et de paix…
Se glisser dans la tête de George Walker Bush, faut avoir envie de se faire du mal. C’est plutôt mal fréquenté là-dedans.
En revanche, si on imagine que le Fils de Dieu, Jésus Christ himself, décide de s’incruster sous ce crâne pour tenter d’intervenir sur la vie des hommes et essayer de les rendre meilleurs en prêchant par sa bouche, il y a tout de suite plus moyen de s’amuser.
Spécialiste en idées de départ loufoques, le romancier américain Luke Rhinehart fait plus que relever le défi.
Celui qui avait imaginé l’histoire d’un homme jouant aux dés toutes les décisions de sa vie, y compris les pires (L’Homme-Dé, bien sûr), ou une invasion d’extra-terrestres en forme de ballons de plage poilus, venus sur Terre pour convaincre les humains que jouer et rigoler sont plus importants qu’amasser du pognon ou faire la guerre (Invasion), se lance dans cette aventure politico-spirituelle avec la malice des sales gosses décidés à semer un chaos salvateur tout autour d’eux.
(Si vous êtes arrivé au bout de la phrase ci-dessus sans périr d’asphyxie, félicitations. Il fallait le faire. J’aurais pu la réécrire, mais non. Il faut savoir aller au bout de ses bêtises.)
Comme on peut l’imaginer avec un tel résumé, Jésus Christ Président réserve de bons moments de rigolade, le plus souvent aux dépens des personnages, à commencer par Bush Junior. Le fils de Papa-Fait-La-Guerre-En-Irak n’avait besoin de personne pour se ridiculiser aux yeux du monde (qui a oublié l’affaire du bretzel ?). Rhinehart n’a donc pas besoin de l’épargner, et nous régale de ses idioties involontaires, de ses réflexions pathétiques et de ses aventures affligeantes.
George n’est pas le pire de la bande, cependant ; et on finit même, bizarrement, par le trouver… peut-être pas sympathique, mais attachant, à sa manière – la magie de la fiction, hein.
Non, ceux qui prennent cher, ce sont les autres. Dick (Cheney, vice-président), Don (ald Rumsfeld, Secrétaire d’Etat à la Défense), Kark (Rove, conseiller occulte du président), trio infernal en tête du pont, voient leur marionnette préférée échapper à tout contrôle, et dire tout haut ce que plein de gens espèrent ou pensent tout bas. De quoi gêner leurs ambitions personnelles, et les pousser à faire jaillir ce qu’il y a de plus abject en eux.
Autant dire qu’il y a de la matière, et que Rhinehart ne se prive guère d’exposer le pire du pire politicien, opportuniste, manipulateur, à mille lieux de l’intérêt public et du peuple que ces salopards sont censés servir.
Bien loin de se résumer à une pantalonnade ridiculisant l’ancien Chef d’État américain, Jésus Christ Président, comme tout bon roman de Luke Rhinehart, révèle son intelligence et sa férocité par en-dessous. Et s’avère un brûlot impitoyable sur la politique des États-Unis, de quelque bord que ce soit. Car n’allez pas croire que seuls les Républicains en prennent pour leur grade. Dépassés, velléitaires, empêtrés dans leurs contradictions, les Démocrates subissent eux aussi la mitraille de plein fouet.
Alternant comédie débridée (les voyages impromptus de Bush en Cisjordanie ou en Irak valent leur pesant de cacahuètes) et violente satire humaine et politique, Jésus Christ Président réussit le pari de l’alliance parfaite entre le divertissement, la pertinence et la profondeur.
Cette troisième traduction française de Luke Rhinehart, tricotée à merveille par Francis Guévremont, confirme l’importance de l’œuvre du bonhomme au-delà de son seul Homme-Dé, longtemps seul publié chez nous et devenu arbre qui cachait la forêt.
On ne peut donc que remercier les Forges de Vulcain de continuer leur travail d’édition complète des œuvres de Rhinehart, et trépigner en attendant la suite. Un fameux lot de consolation, qui permettra de faire vivre longtemps l’univers romanesque d’un auteur qui vient juste de nous quitter, et qui mérite d’être largement découvert.
Lacryma Christi, de Carlo Fighetti
Signé Bookfalo Kill
Bon, ça y est, c’est officiel : je regrette Dan Brown et son Da Vinci Code.
La faute à qui ? La faute à Lacryma Christi et à son auteur, Carlo Fighetti, qui ne nous épargne rien. Voilà un thriller gloubiboulga comme on espérait ne plus en voir paraître. Hélas, les éditions Envergure, dont c’est la première publication, ont décidé d’en faire leur champion sous l’appellation aussi pompeuse qu’abusive de « roman noir ». Une tromperie sur la marchandise qui pourrait être malhonnête si elle n’était pas juste le résultat d’une méconnaissance manifeste du polar de la part de l’éditeur.
Lacryma Christi est donc un succédané de thriller à la sauce mystique. Honnêtement, je ne suis déjà pas fan à la base, mais là, c’est le pompon. Tout y est : des complots, une jeune héroïne courageuse, des mystères au Vatican, un nouveau Pape et son ambivalente âme damnée qui tire les ficelles dans l’ombre, des clefs, des symboles et des textes obscurs, des luttes ancestrales entre des groupuscules « religieux » – le tout tellement fumeux, tellement alambiqué que je vous souhaite bon courage pour vous y retrouver sans revenir en arrière toutes les trois pages.
Le pire, c’est que Fighetti est documenté – soit qu’il est connaisseur du sujet pour être « investi » dans la Franc-Maçonnerie ou tout autre mouvement de ce type, soit qu’il a mené de longues et minutieuses recherches. Mais encore faut-il savoir utiliser intelligement le matériau dont on dispose. Ici, l’auteur rebalance tout son savoir dans des dialogues indigestes, interminables, assortis de nombreuses notes en bas de page à visée explicative, qui flinguent toute tension dramatique. C’est long, c’est flou, c’est bavard : on s’ennuie. Suspense, sens du rythme, reposez en paix, amen.
Et le pire du pire – si si, il y a encore pire -, c’est le style de Fighetti. Dixit l’éditrice, histoire de convaincre que son poulain vaut mieux que Dan Brown et consorts : « c’est très bien écrit. » Je rectifie : c’est très bien écrit. Il manque le « bien », et c’est bien dommage. L’auteur fait des grandes phrases en pensant sûrement que c’est classe, et ainsi se démarquer des autres auteurs du genre. Hélas, ce n’est pas parce qu’on élabore des phrases complexes, dépassant le basique sujet-verbe-complément cher à trop d’auteurs de thrillers, qu’on a du style pour autant.
De style, Fighetti n’en a guère, sinon celui du coureur de fond se lançant dans un marathon chaussé de Doc Martens. Très lourd…
On atteint le summum du loufoque (involontaire) dans les dialogues, atteints du même mal. Si l’auteur s’exprime comme il fait parler ses personnages, j’adorerais le rencontrer car ce doit être un phénomène. Un petit exemple ? Avec plaisir, tant j’anticipe le fou rire qui va probablement vous secouer à la lecture de l’extrait que je vais vous proposer. (J’ai testé avec Clarice, ça marche très bien.)
Je vous replace le dialogue dans son contexte : un haut dignitaire religieux vient de manquer se faire assassiner par un exécuteur, qui a tenté de l’éliminer en lui jetant à la figure de l’acide, cachée dans un stylo, avant que les gardes du corps de la cible aient le temps de s’interposer. Le tueur rate son coup et est neutralisé, réaction immédiate du dignitaire :
« Le produit que j’ai été à deux doigts de recevoir dans la figure aurait pu m’être fatal ! Il s’agit de cyanure d’hydrogène ou plutôt de sa solution aqueuse plus connue sous le nom d’acide cyanhydrique. C’est un produit extrêmement toxique puisqu’il est capable de tuer par anoxie, soit par ingestion, soit par inhalation. Un simple contact avec la peau peut également suffire, d’autant plus que la dose nécessaire pour tuer un homme est infime. Dans ce stylo, il y en avait donc assez pour tuer dix d’entre nous. C’est un poison qui était utilisé autrefois par les services secrets des pays de l’Est. C’est son odeur d’amande amère qui m’a renseigné. » (p.146)
Bon, et puis, comme je suis sympa, je vous épargne la fin, d’un premier degré stupéfiant, hilarante à force d’être consternante. Non, sérieux, sur les mêmes sujets, il y a eu d’autres romans, excellents ceux-là ; donc, si ça vous tente, essayez plutôt Genesis de John Case ou La Peau du tambour d’Arturo Perez-Reverte, voire le Testament des siècles de Henri Loevenbruck (formidable auteur français de thrillers sur l’ésotérisme, à lire, lui !)
Lacryma Christi, de Carlo Fighetti
Editions Envergure, 2011
ISBN 978-2-9539855-0-4
301 p., 20€
M. CARLO FIGHETTI a demandé un droit de réponse par voie judiciaire. Le voici reproduit ci-dessous.
DROIT DE RÉPONSE DE CARLO FIGHETTI
« Il y a ceux qui subliment leurs pulsions agressives pour les transformer en des réalisations admirables et ceux pour qui le processus semble impossible. Quel magnifique exemple vous donnez de la pulsion de mort dirigée vers l’autre : votre haine de vous-même doit être grande ! Monsieur, je vous plains. Je vous plains très sincèrement.
Difficile en effet de ne pas être frappé par ce qui ressemble à un règlement de compte, une exécution d’où dégoulinent haine et agressivité. Malheureusement, à force de vouloir trop en faire, le comportement devient éminemment suspect et on s’interroge : quels sont donc les mobiles qui vous animent ? Et pourquoi les dissimulez-vous derrière un pseudonyme ? Vos frustrations vous sont-elles insupportables ? Ne craignez-vous pas qu’un jour votre haine se retourne contre vous ? Reconnaissons qu’il est beaucoup plus facile de s’en donner à cœur joie quand on se cache ! Je crains que la « qualification » que vous vous êtes octroyée en lisant vos polars ne vous ait un peu trop monté à la tête. Permettez-moi un conseil : prenez un peu de distance, cela sera certainement bénéfique pour votre santé.
Car, à vous lire, tout est mauvais : le type de livre (vous ne l’affectionnez pas, pourquoi l’avoir lu ?), l’écriture, sans oublier le style (dont vous êtes certainement un spécialiste !). L’éditrice n’est pas épargnée non plus, même si dans une réponse sur votre blog vous semblez le regretter puisque vous écrivez, non sans humour, que vous êtes ennuyé « de tirer un peu (sic !) sur une jeune boite qui se lance ». Illustration clinique et symptomatique de la dénégation. Du haut de votre toute-puissance, vous êtes donc détenteur de la Vérité ! Il n’existe dans vos propos ni nuance, ni subtilité, tout y est rigide, violent, définitif. Pour écrire une critique honnête, il faut avoir du recul et du talent ; et de ces qualités vous n’en n’avez aucune. Votre diatribe manque de consistance, tout comme votre démonstration qui n’est que tentative. Toute critique est légitime, mais encore faut-il savoir parler du fond. Le lecteur ne peut être dupe devant tant de violence.
Venons-en à l’extrait que vous citez et dont le contenu n’avait bien sûr par échappé à ceux dont la tâche était de corriger mon travail (notamment un spécialiste anglophone du polar, universitaire de formation). Remarque préliminaire : extraire un passage et le citer hors contexte sans plus de précisions que les vôtres relève de la malhonnêteté intellectuelle et de l’intentionnalité de nuire. Une rectification aussi : vous présentez le Père Général comme un « haut dignitaire religieux ». S’il est effectivement détenteur d’un grand pouvoir, il n’est en aucune façon un haut dignitaire. « La nature de sa tâche, comme me le soulignait son sous-secrétaire quand j’étais à Rome, n’est pas de servir le pape dans des fonctions de dignité ecclésiastique ». Une précision : tous les domaines dont je parle sont des spécialités que je maîtrise ; elles sont le résultat de formations poussées (postdoctorales) et d’études sur le terrain, par conséquent très éloignées de vos élucubrations… Je ne dépenserai donc pas mon énergie à légitimer ce à quoi vous n’avez manifestement pas accès : n’aborder aucune des thématiques qui constituent la trame de mon livre en est la preuve.
Pour revenir à la tentative d’assassinat du Père Général, vous occultez nombre d’éléments. Premièrement, je vous rappelle qu’il attendait de pied ferme son assassin, tout en étant protégé. Il était donc psychologiquement prêt. Deuxièmement, ceux qui sont — officieusement — ses gardes du corps vous apprendraient que tous les Pères Généraux qui se sont succédé avaient des qualités communes : « des hommes au sang-froid exceptionnel, capables de se défendre eux-mêmes si la nécessité l’impose ». Ce qui est le cas de mon personnage. La description précise que j’en fais pages 33-34 a des implications qui ont dû vous échapper… Vous critiquez enfin les dialogues. Je ris : si vous aviez fréquenté les lieux et personnalités que je cite, vous découvririez combien votre analyse est absurde.
Mais restons-en là. Les romans que vous lisez sont sûrement très bons, mais comme tous les esprits étroits bardés de certitude, vous vous en servez comme des références : c’est là où votre démonstration s’effondre.
J’allais oublier : vous pouvez me rencontrer quand vous voulez. Je doute cependant que vous ayez le courage de sortir de votre anonymat…
Carlo Fighetti »