À première vue : la rentrée Plon 2020

Intérêt global :
Je ne vais pas vous mentir, je ne suis pas un spécialiste du catalogue des éditions Plon, ni de leur manière d’aborder la rentrée littéraire, ni de leur ligne éditoriale en littérature (pour peu qu’il y en ait une). Cette maison fait partie de celles qui n’ont jamais réussi à m’intéresser, de quelque manière que ce soit. Donc, me voilà bien embêté pour vous raconter quelque chose d’un tant soit peu captivant à son sujet.
Restons-en donc aux faits : la rentrée Plon se compose de cinq titres francophones, quatre romans et un recueil de chroniques. Et puis voilà.
La Chambre des dupes, de Camille Pascal
Le haut fonctionnaire Camille Pascal a été l’invité surprise de la rentrée littéraire 2018. Avec L’Été des quatre rois, son premier roman récompensé du Grand Prix de l’Académie française et très large succès public, il a récolté un plébiscite auquel personne ne s’attendait vraiment, surtout pour un roman historique racontant la succession express de quatre souverains durant l’été 1830.
Pour son deuxième, il retourne au même genre, mais cette fois à la cour de Louis XV, dont il narre la passion pour Marie-Anne de Mailly-Nesle, marquise de La Tournelle. Passion si brûlante qu’il en fait sa favorite principale et la titre duchesse de Châteauroux (à l’époque, ça devait être classe). Mais le roi, en pleine campagne militaire, tombe gravement malade à Metz, et la position privilégiée de la duchesse se trouve menacée par la raison d’État…
Je ne suis pas un grand adepte de roman historique. Mais il faut reconnaître que le sujet est très bien choisi. Le style élégamment classique de Camille Pascal devrait parfaitement convenir pour raconter cette page d’histoire, et convaincre les adeptes du genre.
La Discrétion, de Faïza Guène
Avec Kiffe kiffe demain, son premier roman paru en 2005 alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans, Faïza Guène a connu un succès immédiat autant que fulgurant (traduit en 26 langues quand même). Après trois romans chez Hachette et deux chez Fayard, elle arrive chez Plon avec un roman consacré à une femme de 70 ans qui vit en toute discrétion à Aubervilliers. Née en Algérie lorsque le pays était encore une colonie française, adolescente au moment de l’indépendance, elle a tenté de transmettre son goût de la liberté à ses enfants tout en réfrénant ses colères, ses souffrances et la peine née de l’exil. C’est à eux, désormais, de mettre en lumière son histoire, et de révéler la vérité de cette femme discrète.
La Chasse aux âmes, de Sophie Blandinières
Durant la Seconde Guerre mondiale, trois femmes, une Polonaise, Janina, et deux juives, Bela et Chana, organisent un réseau clandestin pour faire sortir des enfants juifs du ghetto. Ils changent alors d’identité, trouvent un nouveau foyer et deviennent des polonais catholiques afin de survivre dans la zone dite aryenne.
La Grâce, de Thibault de Montaigu
Suite à une dépression, le narrateur, athée, relate comment il a été touché par la grâce, une nuit, dans la chapelle d’un monastère. Afin de comprendre cette révélation soudaine, il renoue avec Christian, son oncle et frère franciscain, qu’il connaît peu et qui décède après leurs retrouvailles. Il découvre que cet homme a connu le même parcours spirituel que lui à l’âge de 37 ans.
Rumeurs d’Amérique, d’Alain Mabanckou
Un recueil de chroniques par l’auteur franco-congolais, qui vit aux USA depuis une quinzaine d’années. Il évoque l’opulence de Santa Monica, les conditions de vie des minorités de Los Angeles, le désespoir des agglomérations environnantes, le rêve américain, la guerre des gangs, la musique, les habitudes politiques, entre autres.
BILAN
Aucune lecture en vue dans ce programme en ce qui me concerne. À vous de voir !
Une forêt d’arbres creux, d’Antoine Choplin
Signé Bookfalo Kill
En décembre 1941, le peintre et caricaturiste tchèque Bedrich Fritta arrive au ghetto de Terezin avec sa femme et son tout jeune fils. Son talent le fait nommer à la tête du Bureau des dessins ; il y retrouve d’autres artistes, avec lesquels il travaille sur des plans d’aménagement du camp, ainsi que sur ceux du futur crématorium.
Alors, parce qu’ils n’ont rien de mieux pour survivre et résister, Fritta et ses amis se réunissent clandestinement la nuit. Là, dans la lumière feutrée des lampes étouffées, ils reprennent leurs crayons pour dessiner la véritable vie du ghetto, dans toute sa crudité…
Par sa délicatesse, son humanité, sa finesse psychologique, son écriture tout en non-dits, Antoine Choplin est l’un de nos écrivains discrets les plus précieux. De ceux qui font rarement la une de la presse (hélas), mais qui trouvent heureusement le chemin de leurs lecteurs en librairie. Autant dire qu’il me semblait indispensable de lui accorder une large place ici.
Dans plusieurs de ses romans, Choplin a une manière récurrente : celle de s’emparer d’une page d’histoire précise pour en faire le fond de l’œuvre, son décor en quelque sorte, sans jamais chercher à composer pour autant un roman historique dans les règles. Ce fut le cas par exemple dans La Nuit tombée (Tchernobyl), Radeau (la débâcle en 1940 et le sauvetage des oeuvres d’art pour éviter qu’elles tombent entre les mains des nazis) ou Le Héron de Guernica (je vous laisse deviner), et ça l’est à nouveau dans Une forêt d’arbres creux, où l’écrivain nous fait découvrir le ghetto de Terezin.
Moins « connu » qu’Auschwitz ou Ravensbrück, ce camp d’internement n’en a pas moins une histoire aussi cruelle, en ceci que s’y ajoute un cynisme sans nom. En effet, Theresienstadt, de son nom allemand, fut conçu par les nazis comme une « vitrine » : y étaient enfermés, dans un simulacre de liberté, des artistes juifs, qui avaient la possibilité d’y exercer leur art. De nombreuses pièces musicales y furent composées et créées, de même que des écrits ou des œuvres scripturales – dont un certain nombre, miraculeusement, nous est parvenu. La Croix-Rouge internationale, autorisée à visiter les lieux, n’y vit que du feu, bernée par les maisons repeintes de frais, les jolis (faux) commerces, les enfants joyeux, les parties de football et les spectacles.
Ces éléments historiques, vous en trouverez des traces dans Une forêt d’arbres creux, lorsque le regard de Bedrich Fritta les attrape. Car c’est son point de vue qui compte et raconte. Si Antoine Choplin a choisi Fritta comme personnage principal, c’est justement parce qu’il était dessinateur. Chaque chapitre, assez court, ressemble à un tableau, ou au moins une esquisse saisie au vol – et pour cause, le romancier s’est inspiré à chaque fois d’une œuvre de son protagoniste. Les mots, choisis avec soin et parcimonie, forment une reconstitution impressionniste de scènes volées, à petites touches délicates, imposant à la poésie de la langue de contrebalancer l’horreur des situations.
A nouveau, j’insiste : Une forêt d’arbres creux n’est pas un roman historique. Les faits ont moins d’importance que ce qu’ils permettent d’évoquer de l’humanité s’élevant à contre-courant de la barbarie. Antoine Choplin rappelle à propos que résister avec un crayon ne date pas d’hier, et c’est cette rébellion discrète qui l’intéresse, la manière dont quelques hommes et femmes, connaissant la menace pesant sur leurs épaules, font ce qu’ils pensent être juste, pour eux avant tout, mais aussi pour les autres.
Il paraît inconcevable de parler de la beauté de ce roman, et pourtant… C’est bien la plus grande force de Choplin que de savoir dénicher de l’élégance, de la finesse et de l’émotion dans les contextes les plus sombres. Il y parvient à nouveau très joliment dans Une forêt d’arbres creux, œuvre profondément touchante et juste, l’un de ses plus beaux livres pour moi.
Une forêt d’arbres creux, d’Antoine Choplin
Éditions la Fosse aux Ours, 2015
ISBN 978-2-35707-065-3
116 p., 16€
La réparation de Colombe Schneck
Je ne connaissais rien de Colombe Schneck si ce n’est qu’elle est jolie et qu’elle est journaliste. Dans son dernier opus, Colombe Schneck s’essaye à se donner une contenance, une profondeur. Ce livre, c’est l’histoire d’une femme insouciante, gâtée par la vie et la nature, exemple typique de Parisienne bobo qui se cherche. En se tournant vers les valeurs universelles de la famille. Et quand on sait qu’une partie de la sienne a été décimée dans les camps de concentration, ça fait réfléchir.
La Réparation est l’histoire de sa famille, notamment celle de Salomé, née en 1937, morte en 1943. Salomé est la fille de Raya, elle-même soeur de Ginda, la grand-mère de Colombe (vous suivez?) Mais Salomé, c’est aussi la fille de Colombe. L’histoire n’est qu’une boucle sans fin. Pendant 212 pages, Colombe Schneck va faire revivre sa famille disparue tragiquement. Elle va parcourir Israël, les Etats-Unis pour retrouver les témoins de cette histoire, les descendants.
Elle s’en sort plutôt pas mal, Colombe Schneck. Il y a vraiment des passages qu’on peut couper et qui ne nous intéressent pas (notamment ses considérations de Parisienne nombriliste), il y a des baffes qui se perdent (surtout quand elle préfère bronzer au bord de la piscine de son hôtel plutôt que de partir à la rencontre d’un cousin éloigné) mais c’est intéressant de recouper le cheminement de sa famille, entre Ginda, la soeur qui s’est exilée à Paris en 1926 (donc la grand-mère de l’auteur) et les deux autres soeurs, Raya, Macha et Nahum, le frère qui n’ont pas eu le réflexe de quitter la Lituanie quand il était encore temps. Mary, leur mère, était avec eux dans le ghetto de Kovno. Raya et Macha avaient chacune un enfant, Salomé et Kalmann. Ils vivaient tous dans cet enfer du ghetto jusqu’à ce jour fatidique d’octobre 1943.
Le coup poignant qui m’a serré le coeur est le retournement de situation. Toute la fratrie était condamnée, pourtant, certains s’en sont sortis. Et ce retournement de situation, je ne m’y attendais pas. Colombe Schneck non plus. Je ne peux rien vous dire sous peine de révéler l’intrigue, s’il en est une, mais cette décision a été surprenante et bouleversante. Jusqu’à ce que la photographie de la petite Salomé ressorte des tiroirs.
« Salomé, petite fille de ma soeur Raya, déportée, (…) petite cousine dont il ne reste rien. »
La réparation de Colombe Schneck
Editions Grasset, 2012
9782246788942
212 p., 17€
Un article de Clarice Darling.