À première vue : la rentrée Rivages 2021

Intérêt global :

Après une rentrée 2020 minimaliste de deux titres, Rivages aborde 2021 avec une équipe élargie de cinq auteurs (trois français et deux étrangers) qui feront la part belle au spectaculaire, aux passions et à l’inattendu.
Une offre assez exigeante à première vue, dont toute tiédeur semble en tout cas exclue, ce qui donne envie de tenter quelques paris de lecture.
Bangkok Déluge, de Pitchaya Sudbanthad
traduit de l’anglais (Thaïlande) par Bernard Turle)

Ce premier roman thaïlandais fait de Bangkok le personnage central d’une histoire couvrant deux siècles, du XIXème synonyme de grandes découvertes et de profondes mutations à des années 2070 balayées de désastres climatiques. Pour incarner ce récit ambitieux, l’auteur choisit comme pivot une maison hantée, et une dizaine de personnages-témoins qui gravitent autour.
Grosse curiosité pour ce résumé étonnant.
Plasmas, de Céline Minard

Céline Minard n’est jamais avare en ambition ni en invention, elle qui se fait une règle de changer radicalement de genre, de style et d’approche littéraire à chaque livre – au risque, parfois, de perdre son lecteur.
Ce nouveau roman promet d’atteindre des sommets de curiosité et d’étrangeté, en convoquant pêle-mêle un monstre génétique créé dans une écurie sibérienne, un parallélépipède d’aluminium qui tombe des étoiles et du futur à travers un couloir du temps, des acrobates qui effectuent des mesures sensorielles et la manière dont sera conservée la mémoire de la Terre après son extinction. Le tout en 160 pages.
Ça va déménager – et provoquer sans aucun doute des avis tranchés.
L’Agneau des neiges, de Dimitri Bortnikov
Au nord de la Russie, au bord de la mer Blanche, Maria, une jeune infirme née au lendemain de la révolution russe, s’illustre par son courage. Ballotée de région en région, elle est confrontée à la perte de ses proches et se retrouve à Leningrad face aux forces nazies. Elle met tout en œuvre pour sauver de la famine et de la mort douze jeunes orphelins.
Souvenirs du rivage des morts, de Michaël Prazan
M. Mizuno est un vieil homme doux et affectueux qui cache un lourd passé. De son vrai nom Yasukazu Sanso, il est étudiant dans les années 1960 quand il est recruté comme opérationnel de l’Armée rouge japonaise. Il participe à des massacres et des purges d’une rare violence avant de rejoindre les terroristes internationalistes dans des camps palestiniens du Liban.
Quelques indélicatesses du destin, de Laura Morante
(traduit de l’italien par Hélène Frappat)
Sur les petites et grandes trahisons de la vie, pas juste des histoires mais plusieurs fois « toute une histoire » que se font les personnages de Laura Morante face aux instants qui basculent, aux engrenages détraqués qui s’ébranlent, inexorables, vers les extrémités de l’absurde. Humour vachard, poésie inattendue, ambiguïté rouée, des contes cruels dépourvus de morale qui capturent l’étreinte du doute, le frisson de la précision, le vertige des conséquences.
BILAN
Lectures probables :
Bangkok Déluge, de Pitchaya Sudbanthad
Plasmas, de Céline Minard
Lecture potentielle :
L’Agneau des neiges, de Dimitri Bornikov
Loin-Confins, de Marie-Sabine Roger


Éditions du Rouergue, coll. la Brune, 2020
ISBN 9782812620744
208 p.
18 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
Il y a longtemps de cela, bien avant d’être la femme libre qu’elle est devenue, Tanah se souvient avoir été l’enfant d’un roi, la fille du souverain déchu et exilé d’un éblouissant archipel, Loin-Confins, dans les immensités bleues de l’océan Frénétique.
Et comme tous ceux qui ont une île en eux, elle est capable de refaire le voyage vers l’année de ses neuf ans, lorsque tout bascula,
et d’y retrouver son père.
Il lui a transmis les semences du rêve mais c’est auprès de lui qu’elle a aussi appris la force destructrice des songes…
« Ils ne sont pas si nombreux, dans une vie, ceux qui saupoudrent de paillettes le lavis gris du quotidien. »
J’aurais aimé m’enthousiasmer pour ce roman. D’abord parce que j’apprécie Marie-Sabine Roger (même si je m’aperçois avec consternation que je n’ai jamais parlé d’elle ici), son humour, sa tendresse indéfectible pour le genre humain, son sens de la formule, ses excellentes idées, et sa capacité à enchanter le moindre sujet, surtout les plus tristes – la mort, par exemple (dans le réjouissant Trente-six chandelles). Il faut le faire, tout de même.
Ensuite parce que le sujet me plaisait beaucoup, et que je me régalais d’avance de ce que la romancière pourrait en faire. Trop, peut-être.
Un léger manque d’âme
Ma relative déception provient essentiellement de la forme du roman, de son écriture. J’ai souvent eu l’impression bizarre de lire ce que, au cinéma, on appelle un traitement, c’est-à-dire une version très détaillée de l’histoire qui va être racontée dans le film, livrée de manière factuelle et sans les dialogues.
Pour un scénario, objet non littéraire par excellence, cela se tient. Dans un roman, c’est plus embêtant. Loin-Confins consiste en une suite de chapitres, souvent courts, qui juxtaposent des scènes, des considérations, des réflexions sur la vie de Tanah, de ses parents et de ses frères. Il n’y a de suite logique que de loin en loin, pas véritablement de narration suivie, pas de récit qui avance d’un point A à un point Z.
Après tout, pourquoi pas ? J’ai néanmoins eu le sentiment, au bout d’un certain nombre de pages, que ma lecture devenait statique, comme si le livre tournait inlassablement sur lui-même sans trouver d’issue à son labyrinthe.
Plus gênant encore à mon goût, Marie-Sabine Roger use et abuse du futur de l’indicatif. De nombreux passages sont écrits en employant ce temps, projetant la petite Tanah – et le lecteur avec elle – vers son avenir d’adulte.
Je peux comprendre l’idée derrière la démarche, mais j’ai trouvé le résultat étrangement peu littéraire. On dirait une sorte de style journalistique au sens le plus péjoratif du terme (les mauvais journalistes abusent eux aussi de ces ballottements entre les temps, au mépris de la grammaire et de la logique induite par la conduite d’un récit), un style qui s’avère froid et distancié, repoussant le lecteur à distance du cœur battant de l’histoire.
Il en résulte une sorte de flottement un peu déconcertant, qui m’a laissé légèrement en marge du roman et de ses émotions tout au long de ma lecture. Pas de beaucoup, et pas tout le temps ; mais suffisamment pour m’empêcher d’être totalement happé par l’atmosphère du livre.
Et pourtant, du style
Il y a pourtant de beaux moments, quelques fulgurances de style salvatrices.
Marie-Sabine Roger s’amuse d’ailleurs de la langue, la nourrissant notamment d’un « créole fantaisiste » (p.76) qui confère une magie chantante aux lieux chantés par le père de la narratrice.
Ainsi nourrie de mots détournés, inventés, de mots-valises aussi, la géographie de Loin-Confins, empruntée aux codes de la fantasy, est un ravissement de tous les instants, lorsque la romancière nous y embarque toutes voiles dehors. Les images poétiques affluent, sensations et contrastes également, qui donnent de la couleur et de la vie au roman.
Ces passages sont d’autant plus flamboyants qu’ils s’opposent à la vie réelle des personnages, tout en grisaille, en tristesse et en oubli. Un aspect qui, peu à peu, prend le dessus, car Loin-Confins raconte surtout cela. L’abandon de vies à la dérive, épargnées d’espoir et de joie.
Du cœur, de l’imaginaire et de l’amour
Cela n’empêche pas Marie-Sabine Roger de rendre palpables les tourments de ses personnages, puis de les transfigurer, d’y projeter de la lumière, de tout adoucir par la force d’un imaginaire toujours vivace, d’espérer une consolation finale.
C’est une auteure douée d’une empathie rare, capable de tendresse pour tous ou presque. En tout cas, pour les déclassés, les décalés, les hors normes, ceux qui habitent le monde sans avoir envie d’être à l’étroit dans les pompes de Monsieur et Madame Tout-Le-Monde.
D’imaginaire il faut parler d’ailleurs, et d’imagination. Car, si Loin-Confins célèbre quelque chose, c’est bien cela : la force inépuisable des rêves et des inventions de l’esprit.
Ce roman est une ode à ces voyages impossibles, que la puissance des mots et la conviction du créateur rendent soudain possibles.
Ici l’imaginaire est un sauvetage, une branche à laquelle se raccrocher, elle empêche le malheureux de couler, et ceux qui l’aiment avec lui.
Loin-Confins est, enfin, un beau roman sur l’amour pouvant unir une fille à son père. Là encore, on trouve de très belles pages, justes et sensibles, qui rendent compte du merveilleux rapport noué entre Tanah et son incroyable souverain paternel.
Oh, des regrets…
À écrire tout ceci, je réalise encore plus la richesse du roman. Et regrette d’autant que tous ces ingrédients, si justes lorsqu’ils sont examinés séparément les uns des autres, peinent à fonctionner ensemble, pas assez liés à mon goût par l’écriture de Marie-Sabine Roger.
Lecture appréciée tout de même, mais qui me laisse un peu perdu en pleine mer, trop loin des rivages enchanteurs du Loin-Confins rêvé par la romancière.
Station Eleven

Traduit de l’anglais (Canada) par Gérard de Cherge
Un soir d’hiver à l’Elgin Theatre de Toronto, le célèbre acteur Arthur Leander s’écroule sur scène, en pleine représentation du Roi Lear. Plus rien ne sera jamais comme avant.
Dans un monde où la civilisation s’est effondrée, une troupe itinérante d’acteurs et de musiciens parcourt la région du lac Michigan et tente de préserver l’espoir en jouant du Shakespeare et du Beethoven. Ceux qui ont connu l’ancien monde l’évoquent avec nostalgie, alors que la nouvelle génération peine à se le représenter.
De l’humanité ne subsistent plus que l’art et le souvenir. Peut-être l’essentiel.
En quatre mots :
Shakespeare sauvera le monde
En entreprenant de le chroniquer, quatre ans après sa parution, je sais d’avance que je vais trahir ce livre. Je vous en demande pardon, tout en vous suppliant d’entendre, dans mes oublis et non-dits, l’intelligence et la beauté exceptionnelles de ce roman.

Art design © Vincent Le Moigne
Le résumé proposé par l’éditeur est d’ailleurs loin, très loin de rendre justice à Station Eleven. La troupe itinérante d’artistes constitue en effet la colonne vertébrale du récit ; mais comme toute colonne vertébrale, elle soutient tout un édifice, infiniment plus riche, impliquant un vaste registre de personnages dont Emily St John Mandel donne à voir l’histoire, la variété, la complexité.
Ces différents acteurs permettent à la romancière d’envisager les mille et une manières dont l’être humain peut réagir face à une catastrophe majeure. Il y a les profiteurs, les optimistes, les fatalistes, les obstinés, les égarés… Autant de visages de nous-mêmes, dont certains nous sont étrangement familiers.
L’écriture de la romancière canadienne fait la singularité de cette entreprise littéraire qui donne encore un nouveau sens au genre post-apocalyptique.
Poétique, évocatrice, elle a la langueur des brumes éternelles qui donne au temps de la narration la latence dont elle a besoin pour évoquer l’immensité d’un monde à reconstruire, mais aussi l’infinité de ce que l’humanité a brutalement perdu : sa culture, son histoire, son savoir – autant de forces à tenter de conserver pour rebâtir, ce que vont essayer de faire certains survivants. Magnifique idée, par exemple, que celui du Musée de la Civilisation, que met en place l’un des personnages.
Nous voilà donc très loin, encore une fois, du roman survivaliste dans le genre de La Route, de McCarthy. Et tant mieux.
La construction du roman, elle aussi, perturbe les lignes, en évitant la linéarité au profit d’allers-retours dans le temps. Avant l’épidémie, pendant, après : au lieu de se suivre, ces trois temporalités s’entrechoquent, donnant encore mieux à comprendre le parcours des protagonistes, leurs enjeux, et les différentes problématiques du roman.
Enfin, il y a le livre dans le livre. Ce Station Eleven du titre, qui désigne un comics miraculeusement préservé du désastre par une survivante, et dont le récit inséré dans le roman oriente d’autres miroirs encore pour saisir la profondeur du sujet.
Auteure de romans noirs, Emily St John Mandel rejoint ici le clan des auteurs ayant effectué un pas de côté littéraire par rapport à leurs habitudes, pour mieux sublimer leur propos et leurs idées. Elle offre avec Station Eleven une énième variation sur un genre, le post-apocalyptique, dont l’aspect faussement codifié et le rattachement à la science-fiction autorisent les romanciers à s’approcher au plus près de l’humain, tout en s’accordant une liberté narrative exceptionnelle.
Les choses étant ce qu’elles sont dans notre monde, il est à craindre que ce genre n’ait encore plein de beaux jours devant lui. Tant pis pour nous, pauvres humains. Mais tant mieux pour la littérature.
Notre vie dans les forêts, de Marie Darrieussecq

Elle s’appelle Marie, mais depuis qu’elle est en fuite, elle se fait appeler Viviane. Autrefois, elle était psychothérapeute, elle était respectée et avait sa place dans un monde ultra-surveillé, mais cette période de sa vie est révolue. Avec d’autres personnes, également fugitives, elle se cache dans la forêt. Comme la plupart des autres, sa « moitié » l’accompagne – cette femme qui lui ressemble tant, faible néanmoins, si dépendante et vulnérable. Pressée par l’urgence et la peur, Marie écrit, dans le désordre, comme ça lui vient. Pour témoigner, pour expliquer. Pour que personne n’oublie, si quelqu’un doit un jour lire et comprendre ce qu’elle doit raconter.
Voilà un roman qui m’a laissé perplexe depuis que j’ai terminé de le lire, et le problème n’est pas résolu aujourd’hui. Je trouvais intéressant que Marie Darrieussecq en parle comme d’un livre qui s’est imposé à elle, et qu’elle a écrit dans l’urgence – une frénésie que le style du récit illustre parfaitement : chaotique, rapide, volontairement désordonné, parfois relâché comme celui d’une personne qui rédige sans se relire. Puis j’étais curieux de voir comme elle allait s’emparer des codes du genre dystopique dont relève Notre vie dans les forêts.
Après lecture, je ne suis pas convaincu qu’elle y apporte grand-chose de neuf. Pour le dire autrement, j’ai trop souvent pensé à d’autres œuvres, livres ou films, qui traitent (souvent mieux) de sujets similaires ou dont certaines images semblent avoir inspiré le travail de Darrieussecq.
En vrac, outre les références évidentes de la dystopie que sont 1984 ou Le Meilleur des mondes, j’ai retrouvé des traces de Minority Report (pour la description des « moitiés ») et d’A.I., deux films de Spielberg, mais aussi de The Island de Michael Bay (la référence est moins glorieuse, mais les intrigues sont étonnamment proches), ou encore Auprès de moi toujours, le magnifique roman de Kazuo Ishiguro – pour une raison que je ne peux dévoiler, histoire de préserver le mystère de ce livre autant que celui de Darrieussecq, les deux étant là encore assez voisins.
Peut-être ai-déjà trop lu ou vu d’œuvres de ce genre, mais ces cousinages m’ont gêné, et donné des clefs de compréhension pour anticiper la conduite et les enjeux du récit. Loin de moi l’idée que Darrieussecq a plagié les livres et films cités, mais de fait je trouve qu’elle n’a rien inventé dans ce registre, et son roman m’a peu surpris et peu ému.
Notre vie dans les forêts n’en est pas moins prenant, porté par son énergie narrative et son inquiétude philosophique ; symptomatique, aussi, des grandes peurs causées par les dérives de notre époque, à l’image des nombreux romans d’anticipation ou post-apocalyptiques qui paraissent depuis quelque temps. Néanmoins, à la différence de Dans la forêt, de Jean Hegland, ou du superbe Station Eleven d’Emily St John Mandel paru l’année dernière, la tentative de Marie Darrieussecq ne me marquera guère.
Notre vie dans les forêts, de Marie Darrieussecq
Éditions P.O.L., 2017
ISBN 978-2-8180-4366-0
192 p., 16€
A première vue : la rentrée P.O.L. 2017

A première vue, la rentrée des éditions P.O.L. est dans la lignée des bonnes habitudes de cette maison, mélange d’exigence, de qualité littéraire, d’originalité, le tout rehaussé à l’occasion d’une pincée de fantaisie. Deux grands noms de la maison mènent la danse cette année, auxquels s’ajoutent des auteurs moins médiatiques mais tout aussi fidèles du catalogue, pour une présentation de cinq titres solides et sérieux. Bref, si toutes les maisons d’édition pouvaient en faire autant…
LA GUERRE DES CLONES : Notre vie dans les forêts, de Marie Darrieussecq (lu)
Décidément, planter le genre du roman d’anticipation en pleine forêt semble à la mode. Après le très beau Dans la forêt de Jean Hegland, paru en début d’année chez Gallmeister, voici une autre histoire d’inspiration proche signée Marie Darrieussecq, qui surprend en prenant un chemin de traverse qu’elle n’avait d’ailleurs pas prévu d’arpenter. On y suit une ancienne psychothérapeute, réfugiée donc dans une forêt avec d’autres personnes, fuyant un monde qui les menace. En leur compagnie, des êtres qui leur ressemblent fortement – et pour cause, ce sont des clones… Une curiosité qui m’a laissé un peu perplexe, mais dont on devrait parler.
BONS PETITS DIABLES : Les vacances, de Julie Wolkenstein
Parmi les premiers films d’Eric Rohmer figure une adaptation des Petites filles modèles de la Comtesse de Ségur, long métrage tourné en 1952, hélas inachevé et disparu. En 2016, une professeur d’université à la retraite, spécialiste de la Comtesse, et un étudiant dont la thèse porte sur les films introuvables, partent ensemble en Normandie sur les traces du tournage… En dépit de mon manque total d’intérêt pour l’œuvre de Rohmer et de mon aversion pour celle de la Comtesse de Ségur, je reconnais que nous avons là une proposition romanesque pleine de curiosité et de piquant, qui s’annonce plutôt amusante par-dessus le marché.
LA MARCHE DE L’EMPEREUR : La Fonte des glaces, de Joël Baqué
Un charcutier à la retraite trouve un manchot empereur dans une brocante. Il ne lui en faut pas plus pour s’embarquer dans un long périple, de l’Antarctique au grand Nord pour finir à Toulon, voyage initiatique durant lequel il se découvre autant qu’il devient l’incarnation de la lutte contre le réchauffement climatique. Là aussi, voilà un point de départ peu banal, qui pourrait valoir le coup d’œil !
ABRAHAM ET FILS 2 : Les histoires de Franz, de Martin Winckler
Le chapeau introductif ci-dessus n’est pour une fois pas une boutade, puisque ce nouveau roman est bel et bien la suite d’Abraham et fils, la précédente fiction de Martin Winckler, auteur des sublimes La Maladie de Sachs ou Le Choeur des femmes. Une entreprise romanesque d’inspiration autobiographique dans laquelle, après avoir raconté l’arrivée en France d’un père médecin et de son jeune fils ayant fui l’Algérie au début des années 60, Winckler raconte les nouvelles aventures de son attachante famille, cette fois dans les années 1965-1970. Abraham et fils était un roman doux, tendre, chaleureux ; on en espère évidemment autant de celui-ci.
CITÉ RADIEUSE : Tout un monde lointain, de Célia Houdart
Deux jeunes gens pénètrent clandestinement dans la villa E-1027, conçue par l’architecte américaine Eileen Gray à Roquebrune-Cap-Martin. Ils y rencontrent Gréco, une vieille femme, ancienne décoratrice, qui veille jalousement sur ces lieux si spéciaux. Là, tous trois s’affrontent, se découvrent, tentent de s’apprivoiser, tandis qu’en remontant le cours des vies, on découvre l’histoire d’une communauté artistique, Monte Verità, où évoluèrent Isadora Duncan, Herman Hesse, Kandinsky ou Jung…
Céleste, ma planète, de Timothée de Fombelle
Signé Bookfalo Kill
Comme je ne dirai jamais assez de bien de Timothée de Fombelle (et je ne vous ai pas encore parlé de Vango… ça viendra), je voudrais vous glisser quelques mots de regret au sujet de Céleste, ma planète (paru en 2009) : ce roman est beaucoup, beaucoup TROP COURT.
Car pour le reste, quelle petite merveille, encore une fois ! Initialement publié dans la revue Je Bouquine, Céleste… se déroule dans une version futuriste de notre monde, et pourtant effroyablement crédible. Les immeubles ont plus de 300 étages et porte des noms bizarres – !mmencity, !ntencity, !ndustry -, on range les voitures à la verticale dans de monstrueux parkings verticaux, la publicité est omniprésente et la pollution englobe tout.
Le narrateur de l’histoire n’est pas à sa place dans un tel environnement. C’est un garçon rêveur, qui dessine des cartes du monde et joue du piano, seul dans l’appartement gigantesque et sans âme, déserté par sa mère débordée de travail. Son seul ami est Briss, fils du laveur de carreaux des tours de verre, qui vient chaque soir vider le frigo que la mère du héros fait remplir à distance chaque lundi.
Mais tout change le jour où Céleste arrive au collège. Elle n’y reste pourtant qu’une matinée, ne dit pas un mot, mais c’est suffisant pour tomber amoureux – et pour partir à sa recherche coûte que coûte dans la ville immense…
Dans ces brèves 92 pages, il y a, certes, une histoire d’amour qui ne tient à rien, ce qui la rend d’autant plus juste et touchante. Mais il y a aussi et surtout un propos simple et subtil sur l’écologie, sur l’avenir de notre planète, sur la manière dont nous la pervertissons et dont nous nous avilissons par la même occasion.
Avec un beau mélange de mélancolie, d’humour léger, d’aventure et de fausse naïveté, Timothée de Fombelle signe une fable utopiste et engagée qui évoque Tistou les pouces verts et ses espoirs pacifistes.
Pour réfléchir et rêver, un petit livre facile et utile à partir de 10 ans.
Céleste, ma planète, de Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2009
ISBN 978-2-07-062324-2
92 p., 4€