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Le Sniper, son wok et son fusil, de Chang Kuo-Li

Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2021

ISBN 9782072904622

368 p.

19 €

The Stir-Fry Sniper
Traduit du chinois par Alexis Brossollet


À Taïwan, le superintendant Wu doute du suicide d’un officier du Bureau des commandes et acquisitions de l’armée. Un deuxième cadavre d’officier, rejeté par la mer sur la plage des Perles de sable, renforce son intuition.
À Rome, le tireur d’élite Ai Li, dit Alex, s’apprête à dégommer un conseiller en stratégie du président taïwanais sur ordre des services secrets. Mais au dernier moment, tout capote et, menacé, il s’enfuit à travers l’Europe.
De retour à Taipei, Alex croise le chemin de Wu, qui, aidé par son fils hacker en herbe, persiste à enquêter malgré les ordres venus d’en haut. Apparemment, tous deux ont la même personne pour cible…


Tiens, voilà une chouette découverte à la Série Noire ! Un polar taïwanais absolument sans complexe, qui manie avec une égale efficacité un sens du suspense digne des meilleurs blockbusters américains, un humour bien mordant, des recettes de riz sauté et d’autres réjouissances culinaires asiatiques à faire gargouiller l’estomac tout au long de la lecture, et une intrigue soigneusement alambiquée qui distille ses révélations au compte-gouttes jusqu’à un final intense et spectaculaire, sur fond de trafic d’armes et de corruption généralisée – une histoire sordide, inspirée de loin par l’affaire dite des « frégates de Taïwan ».

À l’image de son drôle de titre, c’est cet assemblage apparemment hétéroclite, rendu pourtant très homogène grâce au style vif de Chang Kuo-Li, qui fait la réussite du livre.
Le romancier ne s’embarrasse guère de détail. Parfaitement intégrées à l’enquête policière qu’elles viennent rehausser de purs moments d’adrénaline, les scènes d’action impliquant des snipers figurent parmi les séquences virtuoses du roman, et accrochent autant que les scènes les plus dingues de Jason Bourne. Mention spéciale à la scène de traque à Budapest, tout simplement affolante.
Dans le même temps, Chang Kuo-Li prend le temps d’exposer ce qu’est une vie de sniper, de manière quasi documentaire, depuis la formation ultra-exigeante de ces soldats uniques en leur genre à leur quotidien, à leurs techniques et au sens à donner à leur métier. Des détails passionnants, qui font beaucoup pour donner de l’épaisseur au personnage d’Alex, dont le caractère quasi fantomatique et hanté contraste avec le côté solide et pragmatique du superintendant Wu, dans une lutte à distance dont les deux protagonistes sortent littérairement grandis.

Pour le reste, l’écrivain taïwanais use du caractère brut de décoffrage de la plupart de ses personnages comme un expédient pour faire avancer l’intrigue à toute vitesse.
Le duo formé par le superintendant Wu et son supérieur Crâne d’œuf est particulièrement réjouissant dans ce registre, qui manque parfois de finesse – voir les nombreux surnoms lourdingues de certains personnages : outre Crâne d’œuf, on croise ainsi le Gros, le Grand, le Gamin, Bébé, Tête-de-Fer… – mais n’altère pas le plaisir global de lecture.

Sans être la dinguerie polar de l’année, Le Sniper, son wok et son fusil propose une enquête solide, beaucoup plus fouillée et profonde qu’elle n’y paraît de prime abord, en même temps qu’un divertissement de bonne qualité. De quoi donner envie de retrouver Chang Kuo-Li, et peut-être ses protagonistes, dans une prochaine aventure.

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A première vue : la rentrée POL 2014

On continue notre promenade dans la rentrée littéraire 2014 avec un éditeur dont nous n’avions pas parlé l’année dernière, faute de trouver un intérêt majeur à ses propositions. Changement de ton cette année, donc, car POL affiche à son catalogue ce qui sera sans doute l’événement de l’automne, à savoir le nouveau roman d’Emmanuel Carrère. Mais le reste du programme comporte aussi quelques titres intrigants, à paraître le 21 août.

Carrère - Le RoyaumeL’INCONTOURNABLE : Le Royaume, d’Emmanuel Carrère
Le romancier-cinéaste réunit désormais sur son nom aussi bien les critiques que les lecteurs. Son retour cette année est d’autant plus attendu qu’il annonce un sujet complexe et potentiellement polémique, surtout dans notre pays laïc qui ne manque jamais une occasion de s’enflammer sur des sujets religieux. Le Royaume relatera ainsi les débuts de la chrétienté, ou comment, à la fin du Ier siècle, Paul et Luc transformèrent une petite secte juive en une religion qui allait conquérir le monde.
N’ayant pas encore eu accès au texte, qui ne paraîtra que le 11 septembre, impossible pour l’instant d’en savoir plus… mais ce sera forcément l’un des romans les plus discutés de la rentrée.

Filhol - Bois IILA CONFIRMATION ? : Bois II, d’Élisabeth Filhol
Son premier roman, la Centrale, fiction quasi documentaire sur les centrales nucléaires, avait été très remarqué. Élisabeth Filhol revient avec un sujet à fort potentiel social, à savoir le phénomène de séquestrations de patrons par leurs employés dans les entreprises en difficulté ou promises à des plans sociaux drastiques. A surveiller, sans aucun doute.

ORIGINES DE LA VIOLENCE : L’Homme descend de la voiture, de Pierre Patrolin
Remarqué lui aussi il y a quelques années pour un premier roman décalé, La Traversée de la France à la nage, Patrolin propose une réflexion qui promet d’être glaçante sur le rapport entre l’homme et les mécaniques, avec cette histoire d’un homme tellement obsédé par sa nouvelle voiture qu’il en perd le fil de sa vie, surtout quand s’ajoute à l’équation un fusil de chasse tout aussi fascinant…

Menegoz - KarpathiaPREMIER ROMAN : Karpathia, de Mathias Menegoz
Un roman historique qui se déroule, comme son titre le suggère, en Transylvanie. En 1833, Alexander Korvanyi, capitaine de l’armée hongroise épouse une jeune autrichienne, et part vivre avec elle en Transylvanie, sur le domaine de ses ancêtres. Ils sont confrontés à une mosaïque complexe et tendue de peuples, de langues, de religions, de juridictions, terreau d’un contexte de crises qui va révéler leurs ambitions et leur caractère, à la frontière de la puissance et du crime (résumé Electre).

EXPATRIE : Plus rien que les vagues et le vent, de Christine Montalbetti
Un Français expatrié à Cannon Beach, sur la côte Pacifique des Etats-Unis, croise et écoute dans un bar plusieurs destins américains, entre crise économique, rapport à la nature, fuite… A part que le titre est joli, je n’ai rien de plus à vous en dire pour le moment !


Dark Horse, de Craig Johnson

Signé Bookfalo Kill

Mary Barsad a pourtant avoué : les six balles de fusil dans la tête de son mari, c’est elle qui les a tirées, pour se venger. Il faut dire que Wade venait d’enfermer dans une grange les chevaux de sa femme, auxquelles elle tenait plus que tout, avant d’y mettre le feu. Mais cette affaire paraît trop simple au shérif Walt Longmire, dont le flair, à force de côtoyer l’insaisissable suspecte retenue dans sa prison, est titillé par une odeur désagréable de duperie.
Avec l’accord de son ami Sandy Sandberg, son homologue local, Walt se rend incognito sur les lieux du drame, à Absalom, pour y enquêter sous couverture. Des investigations loin d’être faciles : dans cette petite ville rugueuse à l’ouest de l’Ouest, les langues ne se délient pas facilement, et nombreux sont ceux qui ont des choses à cacher…

Johnson - Dark HorsePlus que jamais dans sa série consacrée au shérif Longmire, Craig Johnson nous immerge dans le Wyoming rural, brut de décoffrage, où les grands espaces, les machines agricoles antédiluviennes, les animaux sauvages et le caractère ombrageux des hommes et des femmes (et des enfants !) donnent l’impression que le temps s’y déroule moins vite que partout ailleurs, figeant l’espace dans un cadre d’une beauté aussi rude qu’immuable. Des lieux et des paysages que le romancier américain décrit comme personne, dans une langue déliée et poétique, qui fait du moindre rayon de soleil un moment d’intimité partagée avec le lecteur.

C’est toujours avec le même plaisir qu’on retrouve Walt Longmire, personnage humain, drôle, chaleureux en même temps que flic intègre et instinctif, si proche en tous points de son auteur que je continue à voir Craig Johnson quand je visualise son héros durant ma lecture. Ses acolytes habituels sont là, de son meilleur ami indien Henry Standing Bear à son adjointe volcanique Vic Moretti ; mais ils restent plus en retrait que d’habitude, laissant la place à de nouveaux personnages esquissés avec le génial coup de patte de Johnson pour les caractères bien trempés. Un renouvellement bienvenu, qui donne un bon coup de fouet à une série dont les deux derniers opus, bien que toujours de qualité, peinaient un peu à décoller.

Retour au grand galop donc pour Craig Johnson, avec ce Dark Horse solide, attachant et bien mené, l’enquête policière n’étant pas en reste et ménageant quelques jolies surprises au fil d’une lecture toujours aussi prenante et agréable.

Dark Horse, de Craig Johnson
Traduit de l’américain par Sophie Aslanides
  Éditions Gallmeister, collection Noire, 2013
ISBN 978-2-35178-060-2
336 p., 23,60€