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A première vue – la rentrée polar (2) : les promesses

Suite de la rentrée polar de l’automne 2013, avec, comme annoncé précédemment, l’auteur qu’on n’attendait pas dans ce registre (en tout cas pas si vite, et pas de cette manière…), et d’autres dont on espère une confirmation ou une belle découverte.

(Rappel : l’annonce, les visuels et les dates de ces sorties, précisées entre parenthèses, s’appuient sur le programme du logiciel professionnel Electre, et peuvent donc être soumis à variation.)

L’INVITÉ(E) SURPRISE

Galbraith - The Cuckoo's CallingIl nous vient d’Angleterre et se présente sous le nom de Robert Galbraith, militaire à la retraite et auteur d’un premier roman policier intitulé The Cuckoo’s Calling (qui devrait être logiquement traduit par L’Appel du coucou). Une oeuvre très bien reçue par les critiques outre-Manche, certains s’avouant même confondus par la maîtrise exceptionnelle du romancier pour ses débuts littéraires.

Et pour cause : Robert Galbraith n’est autre que… J.K. Rowling. La maman de Harry Potter a mystifié tout le monde en s’offrant le plaisir de sortir un roman sans aucune pression médiatique et de voir son travail apprécié sans arrière-pensée. Vendu modestement à 1500 exemplaires entre avril et juillet, son premier polar a exlosé les compteurs et épuisé son premier tirage en quelques heures dès la supercherie révélée. Après Une place à prendre, soufflé médiatique retombé bien vite sous le feu nourri de critiques acerbes (souvent exagérées), voici l’occasion de mesurer plus sereinement le talent de la romancière britannique, qui crée encore et toujours la sensation, qu’elle le veuille ou non.
La traduction française est attendue chez Grasset en octobre.

LES PROMESSES

Ne me cherche pas, de Megan Abbott : nous avions adoré La Fin de l’innocence, bonne nouvelle : Megan Abbott revient à l’époque contemporaine – entre deux romans ancrés au début du XXème, sa spécialité – avec l’histoire d’une équipe de pom-pom girls qui tombent sous la charme de leur nouvelle coach. Fascination et plongée dans les extrêmes au programme… (Lattès, 1/11)

Del Arbol - La Maison des chagrinsLa Maison des chagrins, de Victor del Arbol : sur le papier, des airs de fantastique espagnol mâtiné d’Oscar Wilde… Une violoniste demande à un peintre de réaliser le portrait de l’assassin de son fils afin d’y déceler la marque de l’infamie. Deuxième roman de l’auteur de la Tristesse du samouraï, polar remarqué sur l’Espagne franquiste. (Actes Sud, 4/09)

Bayard - A l'école de la nuitA l’école de la nuit, de Louis Bayard : après avoir mis en scène Edgar Poe dans Un oeil bleu pâle et Vidocq dans La Tour Noire, l’auteur américain au plus français des noms s’intéresse à Thomas Harriot, mathématicien anglais du XVIe siècle, précurseur en algèbre et en astronomie, brièvement arrêté dans l’affaire de la Conspiration des poudres (rendue célèbre par la figure de Guy Fawkes) et soupçonné d’avoir participé à l’École de la nuit, un complot visant à établir l’athéisme en Angleterre… En ajoutant une deuxième intrigue contemporaine, Bayard signe un nouveau roman historique très prometteur. (Cherche-Midi, 24/10)

Bolton - Ecrit en lettres de sangÉcrit en lettres de sang, de Sharon Bolton : de nos jours en plein Londres, une jeune policière voit mourir dans ses bras une femme sauvagement poignardée. Nous sommes le jour anniversaire du premier meurtre avéré de Jack l’Eventreur, et les similitudes entre les crimes est frappante… Nouvelle variation sur le mythe du tueur le plus légendaire d’Angleterre, un pari toujours risqué mais qui peut donner un bon thriller s’il est bien mené. (Fleuve Noir, 12/09)

Une certaine vérité, de David Corbett : la nouvelle révélation Sonatine ? Fils d’un flic mystérieusement disparu dix ans plus tôt, un jeune homme se voit obligé d’affronter le passé qui ressurgit… (Sonatine, 14/08)

Pyromanie, de Bruce DeSilva : un journaliste de la vieille école enquête sur une épidémie d’incendies qui ravagent son quartier de Providence, Rhode Island. Un premier roman lancé dans la collection Actes Noirs, cela justifie de rester attentif. (Actes Sud, 4/09)

L’Été des jouets morts, de Toni Hill : enquête dans la haute société de Barcelone. Premier roman également, dont le titre attire l’œil. (Flammarion, 23/10)

Holbert - Animaux solitairesAnimaux solitaires, de Bruce Holbert : le polar de la rentrée Gallmeister s’annonce noir de chez noir. Dans le comté de l’Okanogan, Washington, en 1932, un vieux flic reprend du service pour tenter d’arrêter un tueur d’Indiens, et poursuit sa traque jusque dans les vallées sauvages de l’OUest, tandis qu’il croise de vieilles connaissances et que son passé ténébreux se dévoile peu à peu… (Gallmeister, 29/08)

May - Scène de crime virtuelleScène de crime virtuelle, de Peter May : alors, oui, j’aurais pu, j’aurais même dû classer ce polar parmi les poids lourds, Peter May étant déjà un nom plus que confirmé du genre. Mais j’avoue que sa série chinoise ne m’a jamais inspiré, et que je n’ai jamais dépassé le premier tome de sa trilogie écossaise… Avec ce thriller étonnant qui se déroule à moitié dans Second Life, l’univers virtuel parallèle au nôtre, May surprend – et pas qu’un peu, puisque je suis en train de le lire et que, pour l’instant, c’est très réussi… Coup de cœur à prévoir ! (Éditions du Rouergue, 4/09)

Reflex, de Maud Mayeras : voilà une jeune femme qui sait prendre son temps ! Son premier roman, Hématome, avait été l’une des sensations du thriller français en 2006 ; depuis, rien… Autant dire que Maud Mayeras est très attendue. Elle nous promet une confrontation effroyable entre une photographe de l’Identité Judiciaire, en deuil de son fils assassiné onze ans plus tôt, et un tueur en série qui écorche ses victimes et collectionne leurs odeurs. Cela devrait être intense ! (Anne Carrière, 3/10)

Roy - Bent RoadBent Road, de Lori Roy : un pitch qui a des faux airs de Seul le silence, de R.J. Ellory, pour le premier roman de cette romancière du Kansas. Effrayée par les émeutes raciales qui agitent Detroit en 1967, la famille Scott décide de retourner à Bent Road, Kansas, où a grandi Arthur, le père. Il s’y retrouve confronté au plus sombre de ses secrets, celui entourant la mort de sa soeur lorsqu’il était enfant, alors qu’une autre fillette disparaît dans les environs… (Éditions du Masque, 21/08)

La Reine de la Baltique, de Viveca Sten : une nouvelle romancière suédoise – eh oui, tous les auteurs du Grand Nord n’ont pas encore été traduits… Avec son intrigue communautaire, son ambiance locale typique et la relative discrétion de ses meurtres, on la compare à Camilla Läckberg, grande prêtresse actuelle du polar grand public. (Albin Michel, 2/09)

Tyler - Homicides multiples dans un hôtel miteux des bords de LoireHomicides multiples dans un hôtel miteux des bords de Loire, de L.C. Tyler : après Étrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage, L.C. Tyler confirme son goût des longs titres délirants, un moyen plutôt rigolo de se distinguer de la concurrence. Rigolo et différent, c’est d’ailleurs le ton attendu de ce deuxième roman, entre Agatha Christie et L’Assassin habite au 21 de Steeman : un auteur de polars en pleine crise de la quarantaine se réfugie dans un hôtel au bord de la Loire, mais son agent l’y débusque. Lorsque l’un des autres pensionnaires est assassiné, le duo décide d’enquêter… (Sonatine, 19/09)

Waites - Né sous les coupsNé sous les coups, de Martyn Waites : pour finir, un premier roman qui a l’air beaucoup moins fendard que le précédent, avec son ancienne cité minière anglaise désormais sinistrée et devenue un haut lieu de la criminalité… Les Anglais n’en ont pas fini avec cette part douloureuse de leur histoire récente. (Rivages, 21/08)

Un beau paquet de romans à découvrir et à surveiller, donc… en sachant qu’il ne s’agit que d’une sélection, et que tout n’est pas encore annoncé.
L’automne polar s’annonce en tout cas plus excitant qu’un premier semestre plutôt fade.
A l’avance, bonnes lectures à tous !

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La fin de l’innocence, de Megan Abbott

Signé Bookfalo Kill

Lizzie et Evie sont les meilleures amies du monde, comme on peut l’être quand on a treize ans. Voisines, elles sont inséparables depuis la petite enfance et partagent tout, affaires personnelles et secrets, ainsi qu’une grande admiration pour Dusty, la sœur aînée d’Evie, aussi belle qu’impénétrable.
Puis Evie disparaît. Brutalement. L’hypothèse de l’enlèvement est rapidement avancée, surtout quand Lizzie apprend aux policiers que, la dernière fois qu’elle a vu Evie, une voiture bordeaux est passée deux fois de suite près d’elles.
Commence alors une longue attente, angoissante certes, mais aussi excitante, surtout pour Lizzie. Placée au centre de l’attention générale, elle se retrouve confrontée à des sentiments aussi puissants que contradictoires, de ceux qui vous font grandir à toute vitesse et basculer vers l’adolescence sans crier gare.

Troublant. Fascinant. Flirtant parfois avec un malaise difficile à définir. Le nouveau roman de Megan Abbott ne manquera pas de susciter des réactions fortes, à la hauteur de l’ambition de la romancière. Car son propos n’est pas de raconter une énième histoire d’enlèvement d’enfant, avec FBI sur les dents et monstre pédophile à neutraliser avant qu’il ne soit trop tard. Si enquête il y a bien, fatalement, elle est reléguée au second plan, permettant au récit d’avancer, et surtout aux personnages d’évoluer. Parmi eux, les flics sont des fantômes, réduits à leur seule fonction, et seul le chef a un nom. Ce sont les autres, la famille, les proches, et ceux qui tournent autour, qui intéressent la romancière. Ceux-là, et la manière dont ils interagissent.

Désir,  amour, jalousie

Des émotions très puissantes guident les personnages, et pas toujours d’une manière conventionnelle dans un roman. Au premier degré, il y a l’amitié qui unit Lizzie et Evie, bien sûr ; une amitié fusionnelle, intense, presque totale – presque seulement, car le drame est l’occasion pour Lizzie de se rendre compte qu’elle ne connaissait peut-être pas aussi bien sa meilleure amie que cela.
Mais surtout, supplantant ce thème de l’amitié déjà vu et revu (même si elle le traite très bien), Megan Abbott s’intéresse à des sentiments beaucoup plus forts et incontrôlables : le désir, l’amour, la jalousie. Tous étroitement liés, surtout dans la relation des jeunes aux adultes et réciproquement ; et c’est là que la romancière pousse très loin son sujet.
Privée de père (ses parents sont divorcés), Lizzie éprouve une fascination pour Mr Verver, le père d’Evie, qui dépasse confusément le manque de figure paternelle dans sa vie. Dusty, la grande soeur d’Evie, se montre également très proche de son père, et exprime une jalousie manifeste à l’égard de quiconque tente de se l’accaparer : sa sœur, qui a supprimé en naissant son statut d’unique, ou Lizzie, qui profite du drame pour s’incruster dans leur famille.
Puis il y a les secrets d’Evie, les raisons qui ont pu la pousser à se laisser disparaître…

Un roman de l’adolescence, dans la lignée de Virgin Suicides

La fin de l’innocence est un excellent titre. Meilleur peut-être, une fois n’est pas coutume, que le titre original, The End of everything. Foncièrement, il s’agit d’un superbe roman de l’adolescence, comme le montre d’ailleurs le fait d’avoir choisi Lizzie comme narratrice. Un choix pas du tout anodin, car c’est cela, finalement, qui crée le malaise, plus que les péripéties du récit. Le regard de Lizzie sur les événements reste celui d’une fille de treize ans, avec ce que cela comporte de naïveté et de romantisme. La manière dont elle juge les faits finit ainsi par s’avérer en décalage avec la manière dont un lecteur adulte doit lui-même les percevoir. D’où le malaise, et la nécessité de faire l’effort de remettre les choses en perspective, à la place de Lizzie, et de ne pas prendre tout ce qu’elle dit pour argent comptant.

Ce livre peut surprendre, voire choquer, surtout dans son dernier tiers, où Abbott s’affranchit du semblant de suspense de son intrigue pour emmener son lecteur dans une direction extrêmement instable. Plus que d’autres, c’est un roman à ne pas lire passivement, à ne pas prendre au premier degré ; un roman à lire avec recul et discernement, sous peine de dénaturer son propos.

Megan Abbott signe un livre puissant sur l’adolescence, avec tout ce que cela comporte de fêlures, de troubles, de perturbations, sans parler de l’obligation de se confronter à la responsabilité de grandir. Une œuvre dans la veine de Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides, ou du Petit Copain de Donna Tartt. De sacrées références.

La Fin de l’innocence, de Megan Abbott
Éditions Jean-Claude Lattès, 2012
ISBN 978-2-7096-3528-8
331 p., 21€