Tous les deux ans, les éditions Grasset ont droit ici à un léger traitement de faveur, et pour cause : elles ont le très bon goût de publier l’un de mes auteurs préférés, Sorj Chalandon. Lequel est donc au rendez-vous cette année, à nouveau avec succès, mais en plus il ne se présente pas seul. La Maison Jaune aligne en effet une rentrée abondante mais nourrie de plusieurs promesses séduisantes – dont, sûrement, le plus GROS livre de la rentrée française.
AU NORD : Le Jour d’avant, de Sorj Chalandon (lu)
Bluffant Chalandon. Il y a deux ans, après Profession du père qui clôturait une sorte de cycle romanesque implicite consacré à sa drôle de figure paternelle, il se disait exsangue, peut-être fini. Son retour cette année est donc plus qu’une surprise, c’est une confirmation : oui, Sorj Chalandon a encore beaucoup de choses à raconter, et le talent est intact pour le faire.
Appuyé sur la catastrophe minière de Liévin en 1974, ayant coûté la vie à 42 hommes, Le Jour d’avant célèbre la dignité des faibles face à l’injustice et à la pression sociale et politique, mais étonne également par sa mécanique narrative, preuve que Chalandon peut briller tout autant avec une pure fiction que dans des livres davantage marqués du sceau de l’autobiographie. Un roman fort et bouleversant sur la culpabilité, la douleur, l’identité et le questionnement de soi. Touché, encore une fois.
SKULL ISLAND : Kong, de Michel Le Bris (en cours de lecture)
Un monstre. Dans tous les sens du terme. Michel Le Bris, créateur du festival Étonnants Voyageurs, essayiste, grande figure du récit de voyage, spécialiste de Stevenson, balance un énorme pavé de 930 pages sur l’histoire qui a présidé à la réalisation en 1933 du film King Kong. De 1919 à 1933, Le Bris raconte les multiples vies de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsach, rescapés de la Première Guerre mondiale qui deviennent des spécialistes reconnus du film documentaire, avant de céder à la magie de la fiction et des effets spéciaux pour inventer l’une des créatures les plus mythiques du Septième Art. La lecture des premières pages de ce Kong me laisse espérer le meilleur pour ce roman qui s’annonce spectaculaire, puissant, emporté par une langue inspirée et virtuose, peuplé de figures célèbres de l’époque et porté par le souffle primaire de l’aventure. À suivre de très près.
FABULEUX DESTIN : Minuit, Montmartre, de Julien Delmaire (lu)
En 1909, une jeune femme noire erre dans les ruelles malfamées de Montmartre. Recueillie par le peintre Théophile Alexandre Steinlen (auteur notamment de la célèbre affiche de la Tournée du Chat Noir), elle devient sa muse, son confidente, et pénètre le milieu des artistes parisiens de la Butte… Remarqué pour son premier roman au style particulier, proche du slam, Julien Delmaire propose un troisième livre davantage au service de sa langue que de son récit, même si la peinture du Montmartre de l’époque vaut le détour.
TODESENGEL : La Disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez
Le médecin d’Auschwitz Josef Mengele, coupable d’expériences « médicales » terrifiantes sur certains prisonniers du camp de la mort, réussit à s’échapper une fois l’Allemagne tombée, et prend la fuite en Amérique du Sud, où il vit en toute impunité jusqu’à sa mort en 1979. C’est ce destin, et à travers lui le cas de nombreux Nazis ayant trouvé une terre d’accueil favorable en Argentine ou au Brésil, que raconte l’essayiste Olivier Guez dans son deuxième roman.
SOUS LES PAVÉS : Le Déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus
Le jour : 22 mai 1968. Le lieu : l’hôtel Meurice, rue de Rivoli. L’action : la remise du prix Roger-Nimier à un tout jeune écrivain nommé Patrick Modiano, pour son premier roman, Place de l’Étoile. Le nœud de l’intrigue : profitant de la révolte des étudiants et du climat d’agitation qui règne à Paris, le personnel du palace se met en grève, ce qui contraint les organisateurs du prix à revoir l’organisation de leur journée… Un roman à « name-dropping » culturel (Paul Morand, Modiano, Dali) qui devrait au moins trouver son public dans les beaux quartiers de Paris, mais pourrait mériter mieux.
BABEL : Mécaniques du chaos, de Daniel Rondeau
Le destin croisé de plusieurs personnages à travers le monde, sur fond de crise migratoire et de montée de l’islamisme radical. D’après son éditeur, Daniel Rondeau a réussi sans le chercher un « thriller politique ». Comme ce n’est pas vraiment un auteur de genre, on prendra l’expression avec toutes les pincettes requises.
À L’ABRI DE RIEN : Une fille dans la jungle, de Delphine Coulin
Puisqu’on cause de géopolitique et de situation mondiale, Delphine Coulin nous plonge dans la jungle de Calais en compagnie d’une bande de gamins venus du monde entier. A l’annonce du démantèlement du camp, les adolescents décident d’entrer en résistance et de tenter de passer en Angleterre. Déjà vu, lu, raconté ? Sans doute. Utile ? Pourquoi pas. À lire pour vérifier, en somme.
REBELOTE : Innocence, d’Eva Ionesco
Il y a deux ans, Simon Liberati publiait Eva, récit-portrait de sa femme qui évoquait notamment l’enfance tourmentée de cette dernière, puisqu’elle servit de modèle érotique à sa mère photographe. Comme le livre fit grand bruit et rencontra un succès certain (pas forcément en rapport avec ses qualités littéraires, mais enfin bon), voilà que Madame sort son propre témoignage sur cette histoire. Nous, on passe.
CRASH : La Fille à la voiture rouge, de Philippe Vilain
Une étudiante de 20 ans séduit un écrivain de 39 ans. Elle est belle, elle porte un nom classe (Emma Parker), elle conduit une voiture de sport rouge. Leur amour est passionnel, jusqu’au jour où Emma raconte à l’écrivain qu’à la suite d’un accident, elle trimballe un hématome dans le crâne qui pourrait lui être fatal d’un jour à l’autre…
Ah, au fait, c’est une histoire vécue.
Et on s’en fout ? Ah oui, nous, on s’en fout complètement.
MAGNUS RUSSE : Tous les âges me diront bienheureuse, d’Emmanuelle Caron
Le premier roman d’Emmanuelle Caron – que son éditeur compare à Sylvie Germain – déploie une vaste fresque familiale et historique qui nous ramène notamment à la Révolution russe de 1917 (qui sera très à la mode, puisque nous célèbrerons le centenaire de l’événement en fin d’année).
DUPONT LAJOIE : Les Peaux Rouges, d’Emmanuel Brault
Autre premier roman, qui entend dénoncer le racisme ordinaire sur fond de comédie insolente. Les « Peaux Rouges » du titre sont ces étrangers que le narrateur déteste ouvertement, en toute décomplexion. Hélas pour lui, pris en flagrant délit d’insulter une Peau Rouge, il est envoyé en prison. Il parvient à y échapper en acceptant de participer à une thérapie de groupe pour le guérir de son racisme.
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JE SUIS PAS VENUE ICI POUR SOUFFRIR, OK ? : Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls, d’Eivind Hofstad Evjemo
(traduit du norvégien par par Terje Sinding)
En juillet 2011, une semaine après le massacre d’Utoya qui a fait 69 morts et des dizaines de blessés, Sella observe ses voisins en train de rentrer chez eux, dévastés après que leur fille est tombée sous les balles d’Anders Breivik. Elle partage leur peine, car son fils adoptif est mort auparavant dans un attentat à Manille. Un premier roman norvégien qui refuserait de traiter son terrible sujet par la noirceur et l’auto-apitoiement, en luttant au contraire contre la douleur par une volonté inébranlable de se reconstruire.
SHORT CUTS : Demain sans toi, de Baird Harper
(traduit de l’américain par Brice Matthieussent)
On continue avec les premiers romans estampillés « Rire & Chansons » – ce qui n’enlève rien a priori à leurs qualités, d’autant que ce livre est traduit par Brice Matthieussent, qui n’est pas le dernier venu.
Un jeune homme promis au plus bel avenir achève une peine de prison de quatre ans, pour avoir tué accidentellement une jeune femme dans un accident de la route. Le jour de sa sortie, un proche de Sonia l’attend devant la prison, mais la sortie du meurtrier involontaire est repoussée de 24 heures, bouleversant les plans de tous, proches de la victime comme du bourreau.
5 juillet 2017 | Catégories: A première vue, Romans Etrangers, Romans Francophones, Uncategorized | Tags: 1917, accident, Allemagne, Amérique du sud, amour, Anders Breivik, Angleterre, Argentine, autobiographie, âges, érotisme, Baird Harper, barricades, bienheureuse, Brésil, Calais, Cannibales Lecteurs, catastrophe, Chalandon, chaos, chat, cinéma, culpabilité, d'avant, Daniel Rondeau, déjeuner, Delphine Coulin, demain sans toi, deuil, diront, disparition, documentaire, Emmanuel Brault, Emmanuelle Caron, enfance, Eva Ionesco, famille, fille, frère, fresque, fuite, Grasset, humour, innocence, islamisme, Josef Mengele, jour, Julien Delmaire, jungle, King Kong, Kong, Liévin, mai 68, massacre, mécaniques, Mengele, mensonge, Michel Le Bris, migrants, mines, Minuit, modèle, Modiano, Montmartre, nazis, nord, Olivier Guez, Paris, Pauline Dreyfus, peaux rouges, peinture, Philippe Vilain, photographie, prison, racisme, révolution, reconstruction, rentrée littéraire, rouge, Russie, SImon Libérati, singe, Sorj Chalandon, Steinlen, terrorisme, thérapie, Utoya, vengeance, voiture | Poster un commentaire
Comme annoncé il y a quelque temps, nous allons commencer à dévoiler quelques aperçus de la rentrée littéraire, dont la première avalanche est prévue autour du 21 août… Et nous débutons par les livres à couverture jaune, reconnaissables entre tous, des éditions Grasset.
Attention, nous n’avons encore lu que peu de livres – nous ne les lirons d’ailleurs évidemment pas tous -, cette présentation est donc subjectivement cannibale !
LE PLUS ATTENDU : Le Quatrième mur, de Sorj Chalandon
L’auteur du magnifique Retour à Killybegs quitte l’Irlande pour un autre pays dont il a arpenté la guerre lorsqu’il était journaliste : le Liban. Il fut l’un des premiers à entrer dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila après les massacres (plusieurs milliers de morts) de septembre 1982, et il restitue cette terrible expérience avec son style puissant, à la fois lyrique et précis, tout en livrant une réflexion aiguë sur la violence et sur la fascination pour la guerre.
Nous l’avons déjà lu : le choc attendu aura bien lieu, ce sera l’un des grands livres de la rentrée.
LES PLUS PROMETTEURS :
– La Saison de l’ombre, de Léonora Miano : transfuge de Plon, la jeune auteur d’origine camerounaise aborde la traite négrière, non pas sous l’angle historique, mais en s’intéressant à ceux qui restent et cherchent à savoir ce que sont devenus leurs proches disparus.
– Voir du pays, de Delphine Coulin : dans la collection blanche de Grasset dirigée par Martine Saada, un roman au sujet original : deux femmes soldats reviennent d’Afghanistan et passent un long week-end dans un hôtel luxueux à Chypre, pour y effectuer un « sas de décompression » organisé par l’armée et y retrouver le sens et le goût de la vie normale. L’occasion pourtant de faire et de régler ses comptes…
– L’Invention de nos vies, de Karine Tuil : un gros roman sur le mensonge, la falsification identitaire, la trahison, sur ceux qui sont prêts à tout pour réussir. Prometteur.
– Georgia, de Julien Delmaire : premier roman d’un jeune slameur attachant, une histoire d’amour volcanique dont on attend beaucoup de l’écriture, poétique et rythmique.
LES « PILIERS » :
– Journal d’un écrivain en pyjama, de Dany Laferrière : en réponse à une demande de son neveu, l’auteur haïtien livre sa « Lettre à un jeune écrivain ». Humour, humilité et intelligence seront au programme.
– La Confrérie des moines volants, de Metin Arditi : autre transfuge, cette fois d’Actes Sud, l’une des figures du grand roman historique s’intéresse cette fois à la persécution religieuse dans la Russie stalinienne, et aux moines rescapés des massacres qui, malgré les menaces, s’organisèrent en confrérie secrète pour continuer à honorer leur foi et sauver des chefs d’oeuvre de l’art sacré russe.
ILS SERONT LÀ MAIS SANS NOUS :
– Naissance, de Yann Moix : 1300 pages d’égocentrisme pseudo-provocateur et non dilué. Définitivement, sans moi(x).
– Immortelles, de Laure Adler : premier roman plus ou moins autobiographique d’une des journalistes les plus désagréables du PAF. Elle a ses fans, nous n’en sommes pas.
– Le jour où j’ai rencontré ma fille, d’Olivier Poivre d’Arvor : une oeuvre autobiographique, où le frère de raconte son infertilité, puis son combat pour adopter sa fille. Un livre courageux, sans doute. Mais bon.
– Cent quarante signes, d’Alain Veinstein : un roman dont chaque phrase ne comporte au maximum que les 140 signes permettant de composer un post sur Tweeter. Un exercice de style par lequel l’auteur entreprend de renouveler son art romanesque. C’est une curiosité, mais pas forcément plus utile que Tweeter lui-même…
Surveillez aussi notre page Facebook, nous y sèmerons de temps en temps quelques indices sur nos lectures en avant-première…
Et à un de ces jours pour découvrir la rentrée d’un autre éditeur !
21 juin 2013 | Catégories: A première vue, Romans Francophones | Tags: 2013, Alain Veinstein, avant-première, Cannibales Lecteurs, Cent quarante signes, Confrérie des moines volants, Dany Laferrière, Delphine Coulin, Georgia, Grasset, Immortelles, journal d'un écrivain en pyjama, Julien Delmaire, Karine Tuil, L'invention de nos vies, La saison de l'ombre, Laure Adler, Léonora Miano, Le jour où j'ai rencontré ma fille, Le Quatrième mur, Metin Arditi, naissance, Olivier Poivre d'Arvor, rentrée littéraire, Sorj Chalandon, Tweeter, Voir du pays, Yann Moix | Poster un commentaire