À première vue : la rentrée Zulma 2017
Ah, les éditions Zulma ! C’est toujours un plaisir d’aborder leurs publications audacieuses, contrastées, différentes, annoncées par leurs couvertures colorées si reconnaissables. Et c’est d’autant plus une joie lorsque Laure Leroy et son équipe lancent dans une rentrée un nouveau livre de Jean-Marie Blas de Roblès, auteur de l’inoubliable Île du Point Némo dont l’inventivité folle offrit une lecture puissamment jubilatoire, il y a trois ans. Il se présente cette année en compagnie d’un primo-romancier haïtien et d’un auteur jamaïcain dont le titre va immanquablement vous coller une chanson dans la tête.
ROBINSON DANS L’EAU : Dans l’épaisseur de la chair, de Jean-Marie Blas de Roblès (lu)
« Toi, tu n’es pas un vrai pied-noir. » En balançant cette phrase à l’occasion d’un coup de colère, Manuel Cortès ne mesure pas le choc qu’il procure à son fils. Quelques jours plus tard, lors d’une partie de pêche solitaire, ce dernier tombe à l’eau. Accroché à son bateau sans moyen de remonter à bord, attendant une aide hypothétique (nous sommes le 25 décembre), le naufragé remonte alors le fil de l’histoire de son père, de l’arrivée de ses propres parents espagnols en Algérie au diplôme de chirurgien de Manuel et à son engagement dans l’armée durant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à la guerre d’indépendance et la fuite de la famille vers la France…
Le ton, le propos, le réalisme, l’épaisseur, tout diffère de l’Île du Point Némo dans ce nouveau livre. Mais la maestria de raconteur d’histoire de Blas de Roblès est intacte, et ce récit où l’humour côtoie l’horreur progresse vers une apogée d’émotion qui laisse une marque forte chez le lecteur. Une magnifique déclaration d’amour d’un fils pour son père, et un livre bouleversant, coup de cœur Cannibale de la rentrée.
TOUT BOUGE AUTOUR DE MOI : Belle merveille, de James Noël
Après le terrible tremblement de terre de janvier 2010 qui ravage Haïti, Bernard, survivant hébété parmi tant d’autres, tombe fou amoureux de la bien nommée Amore, bénévole dans une ONG. Pour l’aider à se reconstruire et échapper au désastre, elle lui propose un voyage à Rome… Les auteurs haïtiens continuent à panser les blessures de leur île grâce à la littérature, rien de plus naturel donc que de voir le poète James Noël affronter les souvenirs du séisme dans son premier roman, où le fourmillement unique de la langue insulaire sublime le tragique.
THE HARDER THEY COME : By the rivers of Babylon, de Kei Miller
(traduit de l’anglais (Jamaïque) par Nathalie Carré)
Augustown, 1982. Kaia rentre de l’école sans ses dreadlocks, coupés par son instituteur. Un crime terrible qui, pour Ma Taffy, la grand-mère de Kaia, est un signe parmi d’autres qu’une grande catastrophe est sur le point d’advenir. Elle se met alors à raconter à l’enfant l’avènement d’Alexander Bedward, le Prêcheur Volant…
Un fantôme dans la tête, d’Alain Gagnol
Cher Alain Gagnol,
Je ne sais pas si vous lirez un jour cette chronique, mais permettez-moi de la commencer en m’adressant à vous, pour le mea culpa le plus sincère que je puisse exprimer. Je n’avais pas prévu de lire votre roman. Quand je l’ai vu arriver, le jour de sa sortie, j’ai soupiré devant sa couverture (pourtant plutôt pas mal), le nom de l’éditeur (circonstance atténuante, le Passeur avait publié précédemment le très mauvais « polar » de Francis Huster)… bref,je l’ai accueilli avec toute la mauvaise foi du monde et un a priori parfaitement injustifié.
Je l’ai pourtant pris, votre Fantôme, à l’occasion d’une pause déjeuner, avec l’idée de conforter ma mauvaise opinion toute faite en en lisant quelques pages d’un œil dubitatif, avant de le reléguer dans un coin et de l’oublier aussitôt. En fait de quelques pages, j’en ai dévoré 80 d’un coup. Scotché, séduit, irrémédiablement happé. Je l’ai fini hier soir, à regret ; et me voici donc aujourd’hui sur ce blog pour vous dire, à vous Alain, et à vous tous chers amis Cannibales, à quel point je me suis régalé avec ce livre.
Un fantôme dans la tête, c’est l’histoire de Marco Benjamin, lieutenant de police à Lyon de son état, chargé de mettre fin aux crimes atroces d’un tueur en série qui kidnappe des jeunes femmes pour les dépecer bien salement dans des entrepôts déserts ou des cabanes abandonnées. Le jour où il retrouve une nouvelle victime assez vite pour recueillir son dernier souffle, son esprit cède – et les ennuis s’abattent.
Entre son divorce tout frais, sa fille de 16 ans qui le supplie de lui laisser prendre la pilule, une autre gamine à peine majeure qui fugue et s’installe de force dans son canapé, un gourou voyant, adoubé par la femme du préfet, qui prétend pouvoir aider la police, et l’IGS fascinée par la maestria avec laquelle il multiplie les manquements au règlement, Marco n’a que l’embarras du choix pour nourrir sa dépression. Au point que, grand fan de comics, il finit par s’imaginer un alter ego, Suicide-Man, le super-héros qui n’arrive jamais à mourir. Un double de lui-même qui, affublé d’un vieux tee-shirt de Superman, pourrait bien réaliser quelques prouesses inédites…
Arrivé à ce stade de la chronique, soit vous n’êtes déjà plus là et c’est dommage, soit vous vous dites : « pfff, c’est du déjà-vu tout ça », soit vous pensez « pfff, mais qu’est-ce que c’est que ce micmac ?!? » (soit vous êtes déjà parti vers votre librairie préférée pour l’acheter, et là je dis juste bravo).
Non, sérieusement, pourquoi ce polar fonctionne aussi bien ? Parce qu’il a un ton, un humour franc et une vraie chaleur humaine, en dépit des horreurs qu’il peut exprimer par ailleurs. Un fantôme dans la tête est à la fois un thriller glaçant et une comédie réjouissante. Comment est-ce possible ? Aucune idée, c’est le secret de fabrication d’Alain Gagnol, mais diable, le monsieur est doué pour cela.
En fait, bien que construit sur une trame au final assez simple, Un fantôme dans la tête aligne les bons rebondissements et les séquences délicieuses ou inattendues avec la régularité d’un chef d’orchestre dirigeant le Boléro de Ravel. Voir les scènes hilarantes chez le psy, que Marco finit par rendre fan absolu de comics à force de lui en parler (plutôt que d’évoquer ses propres problèmes), ou celles avec l’IGS, dont les membres se comportent en groupies de Marco, persuadés de tenir une légende tellement improbable qu’ils préfèrent le laisser agir n’importe comment plutôt que de l’arrêter.
Si vous avez envie de vous marrer un bon coup avec un polar dont l’intrigue tient proprement la route, si vous aimez les dialogues qui claquent, les baffes dans la gueule tendance bourre-pifs à la Audiard, les super-héros un peu nuls, les filles insolentes et les personnages déjantés, faites une petite place dans votre tête pour ce Fantôme. Vous serez, je l’espère, aussi agréablement surpris que je l’ai été !
Signé Bookfalo Kill
Un fantôme dans la tête, d’Alain Gagnol
Éditions le Passeur, 2014
ISBN 978-2-36890-136-6
354 p., 20,90€
La Toile bruisse déjà d’avis favorables sur ce roman : le blog de Yv, Blue Moon… en espérant que ce ne soit que le début !