Rapport d’enquête #1 : Goldorak, Alma t.2, Robin Hood t.1
Comme vous l’aurez deviné à la baisse d’activité du blog ces dernières semaines, je manque à nouveau clairement de temps pour faire vivre cet espace. Reprise du travail à plein régime (après deux ans de congé parental… pas le même rythme de vie !), vie de famille, projets personnels et autres péripéties additionnelles m’empêchent de m’investir comme avant. Sans parler d’un certain manque d’envie de continuer à le faire avec autant d’intensité que par le passé.
Pour autant, après avoir bien réfléchi à la question, je n’ai pas envie de laisser tomber tout à fait (même si l’idée m’a sérieusement traversé l’esprit). Et comme je ne manque pas de lectures à évoquer, j’inaugure un nouveau format, intitulé « Rapport d’enquête », dont l’idée est de proposer des chroniques rapides, saisies à grands traits.
Ce sera le format d’articles le plus courant dans les semaines à venir, même s’il n’est pas exclu de laisser la place à de véritables chroniques unitaires, en cas d’inspiration subite de ma part.
Par ailleurs, je travaille sur un autre type de billets, sur un sujet qui me tient à cœur… On en reparle sans doute prochainement, une fois que j’aurai trouvé le temps d’avancer.
En attendant, voici le rapport d’enquête #1, consacré à la B.D. et à la littérature jeunesse.

Goldorak
Scénario : Xavier Dorison & Denis Bajram
Dessin : Denis Bajram, Brice Cossu & Alexis Sentenac
Couleurs : Yoann Guillo
D’après l’œuvre originale de Gô Nagai
Éditions Kana, 2021
ISBN 9782505078463
168 p.
24,90 €
La guerre entre les forces de Véga et Goldorak est un lointain souvenir. Actarus et sa sœur sont repartis sur Euphor tandis qu’Alcor et Vénusia tentent de mener une vie normale. Jusqu’au jour où, issu des confins de l’espace, surgit le plus puissant des golgoths de la division ruine : Hydragon.
Les armées terriennes sont balayées et les exigences de la dernière division de Véga sidèrent la planète ; sous peine d’annihilation totale, tous les habitants du Japon ont sept jours pour quitter leur pays et laisser les forces de Véga coloniser l’archipel.
Face à cet ultimatum impossible, il ne reste qu’un dernier espoir, le plus grand des géants… Goldorak.
En bon quarantenaire nourri des dessins animés mythiques des années 70 et 80, je place Goldorak en pièce angulaire de mon enfance télévisuelle. S’attaquer à ce monument, c’était menacer le fondement de mes rêves de gamin. Mais Dorison et ses acolytes sont faits du même métal, et c’est avec le plus grand sérieux qu’ils ont entrepris ce qui est plus qu’un hommage à Goldorak : une véritable suite de l’anime, voire une deuxième fin parfaitement honorable.
Cela leur a pris quatre ans de travail acharné, mais leurs efforts et leur profond respect pour l’œuvre originale de Gô Nagai rayonnent sur chacune des 168 pages de cette bande dessinée exceptionnelle. Tout y est : le design, à la fois respecté et d’une modernité éblouissante ; le caractère complexe des personnages ; des scènes d’action à couper le souffle ; de l’humour pour lier le tout ; et, surtout, une magnifique réflexion sur l’héroïsme, ses grandeurs, ses périls et ses conséquences parfois funestes.
Une réussite totale, qui réjouira les connaisseurs de Goldorak tout en s’ouvrant à ceux qui n’ont pas grandi avec le robot géant, grâce à une remise en contexte parfaitement réussie au début de l’album, et une composition scénaristique impeccable.

Alma t.2 : l’Enchanteuse
Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2021
ISBN 9782075160612
432 p.
19 €
Illustrations de François Place
À partir de 12 ans
1787. Alma et Joseph ont rejoint Saint-Domingue sur les traces du navire La Douce Amélie et de son insaisissable trésor. Mais Alma n’a qu’un seul but : retrouver Lam, son petit frère.
Dans les plantations de canne à sucre, les champs de coton de Louisiane, parmi les milliers d’esclaves qui se battent pour survivre, la jeune fille poursuit sa quête tandis que Joseph traverse à nouveau l’Atlantique.
On parle d’abolition à Londres. En France, le pouvoir de Versailles commence à vaciller.
En se séparant, les chemins d’Alma et Joseph leur rappellent à chaque instant tout ce qui les unit.
J’ai déjà parlé sur ce blog de la difficulté d’évoquer le deuxième tome d’une trilogie, par essence coincé entre un premier volume dont on doit prendre soin de ne pas trop déflorer l’intrigue et les mystères, et un troisième qui viendra conclure en beauté (ou pas…) l’ensemble de sa vaste histoire.
Je ne vais donc pas trop m’étendre sur cette suite d’Alma, la première trilogie de Timothée de Fombelle, sinon pour dire que le romancier reste à la hauteur de son très ambitieux projet – même si, à l’occasion, et pour la première fois dans l’œuvre admirable de cet écrivain que j’adule, j’ai senti passer quelques petites longueurs. Peut-être est-ce parce que j’avais relu le premier tome juste avant de me plonger dans celui-ci, et que cela faisait beaucoup d’Alma d’un coup…
Peut-être, aussi, est-ce la « faute » de cette narration au présent de l’indicatif que Timothée a décidé de retenir cette fois, et qui me semble affaiblir légèrement le souffle et la puissance naturelle de son écriture. Ceci doit être considéré comme une réserve particulièrement subjective : j’ai un problème global avec le présent de l’indicatif dans les romans, qui me semble nécessiter un redoublement d’effort et d’intensité de la part de l’auteur pour sublimer la narration.
Rien de rédhibitoire, néanmoins, et certains passages sont éblouissants, tandis que la quête des différents héros de cette fresque aussi courageuse que nécessaire sur l’esclavage (et le combat pour l’abolition de cette dernière) prend de plus en plus de force et d’épaisseur.
Nul doute que les jeunes lecteurs, à qui cette œuvre s’adresse en priorité, apprendront beaucoup de cette sinistre page d’Histoire de l’humanité, et qu’ils en tireront, entraînés par la conviction et l’empathie de Timothée de Fombelle, les meilleures leçons pour tracer leur propre chemin vers la compréhension et le respect des autres, quels que soient leurs origines, leurs couleurs de peau et leurs croyances.
On attend, bien entendu, la suite et la fin d’Alma avec la plus grande impatience… Rendez-vous en 2023 !

Robin Hood t.1 : hacking, braquage et rébellion
Robert Muchamore
Éditions Casterman, 2021
ISBN 9782203218215
288 p.
12,90 €
Traduit de l’anglais par Faustina Fiore
À partir de 11 ans
Robin a douze ans lorsque son père est emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis, piégé par Guy Gisborne, un mafieux aussi puissant que véreux. Devenu lui aussi la cible du terrible malfrat, Robin s’échappe de justesse et trouve refuge dans la dangereuse forêt de Sherwood.
Avec ses talents de hacker et son don pour le tir à l’arc, Robin pourrait gagner la confiance des hors-la-loi peuplant ce territoire hostile… et même se venger du plus grand criminel de Nottingham !
Sans surprise.
Robert fait du Muchamore, il le fait très bien, et ça fonctionne. Sans égaler cependant, et encore moins surpasser l’invraisemblable efficacité de Cherub, la série d’espionnage au très long cours (17 volumes, plus sept volumes du prequel Henderson’s Boys) qui a rassemblé un lectorat aussi large qu’hétérogène en frappant droit dans l’air du temps, avec ses héros à la fois extraordinaires et si proches, par leur langage, leurs erreurs et leurs adolescences compliquées, de leurs jeunes lecteurs.
L’idée de départ avait de quoi exciter autant qu’inquiéter : proposer une réécriture contemporaine de Robin des Bois, en faisant de ce héros si emblématique de la culture anglo-saxonne un jeune garçon, forcé de rejoindre la clandestinité pour tenter de sauver l’honneur de son père injustement emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis.
Tous les ingrédients attendus de l’histoire y sont, à commencer par ses personnages incontournables (Robin bien sûr, mais aussi Marian Maid, Little John, l’infâme Guy Gisborne…), même s’ils sont joyeusement réinventés par le romancier anglais. Lequel ajoute à la recette ses propres petits trucs, dont une connexion avec Cherub (via un gang de motards bien connus des agents du pensionnat secret).
Et donc, ça marche très bien, porté par le sens du rythme et du suspense de Muchamore, son art pour camper des ados crédibles et en même temps capables de se sublimer de manière flamboyante, des scènes d’action qui décoiffent, ce qu’il faut de bons sentiments et d’appels au rejet instinctif de ses lecteurs pour l’injustice.
Rien de nouveau sous le soleil, mais quand c’est bien fait, il y a de quoi se laisser faire. On verra si on tient jusqu’au bout des sept volumes annoncés à suivre…
Rock War t.1, de Robert Muchamore
Signé Bookfalo Kill
À treize ans, Jay a un vrai don pour la musique : compositeur, parolier, guitariste, il rêve d’en faire son métier, de devenir une star. Pas facile quand on joue avec ses amis, qui n’ont pas forcément les mêmes ambitions, surtout son meilleur pote pour qui la batterie est plus un défouloir qu’un instrument rythmique…
Excellente élève, jeune fille discrète, Summer se préoccupe avant tout de l’état de santé vacillant de sa grand-mère, la seule à l’élever dans des conditions assez misérables – son père n’a jamais donné signe de vie et sa mère survit sûrement quelque part entre une cellule de prison et un squat de cocaïnomanes. Pourtant, sa voix exceptionnelle lui vaut d’être embarquée dans une drôle d’aventure avec trois filles rockeuses au tempérament de feu…
Quant à Dylan, s’il végète dans un pensionnat pour gosses de riches, il a de la musique plein la tête, mais ne veut pas perdre son temps dans des cours sans intérêt et l’orchestre d’amateurs balbutiants de son école. Brièvement contraint de s’engager dans l’équipe de rugby, il parvient à échapper à ce cauchemar et trouve par hasard un groupe prometteur parmi ses camarades…
Rien à faire, Robert Muchamore est doué. Doué pour camper des personnages d’ados plus vrais que nature, aussi bien dans leurs comportements, souvent ambivalents (jalousie, colère, folie hormonale – mais aussi amitié, générosité, enthousiasme plein d’innocence), que dans leur langage, pas forcément toujours très châtié… Doué aussi pour bâtir des intrigues efficaces et mener son récit à un rythme implacable, à base de chapitres courts et de points de vue alternés, passant de l’un de ses héros à un autre sans que jamais l’on se perde entre leurs différentes histoires.
Le romancier anglais a largement fait ses preuves dans le genre polar/espionnage avec CHERUB (qui s’achèvera l’année prochaine sur le tome 17 !) et sa dérivée Henderson’s Boys, deux séries au long cours qui ont emballé nombre de jeunes lecteurs. Le voici qui se risque à récidiver dans le domaine de la musique, confrontant ses héros autant à des épreuves de vie (les parents, les amis, les ennemis) qu’à des concerts tremplins où il faut faire ses preuves en dix minutes, tandis qu’une émission de téléréalité musicale nommée « Rock War », dévoilée à la fin de ce tome 1, devrait les entraîner vers leurs rêves de gloire…
En appliquant les mêmes recettes, Muchamore ne prend pas de risque mais réussit tout aussi bien. Le suspense est au rendez-vous, les personnages sont attachants, on a envie de savoir lequel s’en sortira, qui parviendra à ses fins, qui apprendra le plus de ses erreurs… Bref, on attend la suite avec impatience !
Rock War t.1, de Robert Muchamore
(Rock War, traduit de l’anglais par Antoine Pinchot)
Éditions Casterman, 2016
ISBN 978-2-203-09001-9
345 p., 16,90€
Rush, Contrat #1 : Dette de sang, de Phillip Gwynne
Signé Bookfalo Kill
Dominic Silvagni mène une vie de rêve à Gold Coast, petite ville située sur la côte nord-est de l’Australie : famille très riche, maison luxueuse dans une résidence protégée, amis formidables, et un talent certain pour la course à pied, encouragé par les conseils éclairés de son grand-père Gus.
Pourtant, le jour de ses quinze ans, sa vie bascule. Par son père et son grand-père, il découvre que sa famille subit une vieille malédiction, dette héritée d’un lointain ancêtre ayant fui sans autorisation la ‘Ndrangheta, une branche particulièrement violente de la Mafia italienne. Dom doit désormais honorer six contrats successifs, sous peine de se voir prélever une livre de chair en cas d’échec. Pour son baptême du feu, il doit arrêter le Zolt, un jeune criminel insaisissable et particulièrement populaire auprès des adolescents australiens. Plus facile à dire qu’à faire, évidemment…
Après avoir marqué la littérature jeunesse en publiant la traduction de la longue série d’espionnage CHERUB de l’Anglais Robert Muchamore en 2007, énorme succès auprès des préados et ados, Casterman lance une nouvelle série survitaminée, avec l’espoir de renouveler l’exploit. Dette de sang, le premier tome de Rush, en pose rapidement les bases : efficacité, humour, dépaysement, action et suspense.
Bon, soyons clairs, Rush ne fonctionnera pas aussi bien que CHERUB. Ce qui permet à Muchamore de toucher aussi juste ses jeunes lecteurs, c’est le réalisme de ses héros, leur authenticité – en dépit des situations exceptionnelles dans lesquelles ils se retrouvent, ils sonnent toujours juste, quotidiens, dans leurs qualités comme dans leurs défauts, leurs réussites comme leurs échecs, et surtout dans leurs relations entre eux ou avec les adultes. Comme dans Harry Potter, d’ailleurs, même si le cadre est différent.
Dom, le héros de Rush, est loin de tout cela. Fils de famille privilégié, vivant en vase clos, sous le climat très favorable de l’Australie, il ne touche pas vraiment terre. Et ses aventures, pour palpitantes qu’elles soient, restent trop atypiques (on y fait des poursuites en hors-bord de luxe, quand même) pour réveiller un écho chez ses lecteurs « normaux ».
Néanmoins, je l’ai dit, ce début de série est efficace, captivant et facile à lire. C’est déjà bien ! On verra pour la suite…
A partir de 11-12 ans.
P.S.: au début, je trouvais les couvertures de CHERUB assez moches. Maintenant que j’ai vu celle de Rush, je relativise. Dites, amis de Casterman, vous savez que c’est important, une bonne couverture ? Parce que celle-ci, je suis désolé de le dire, est aussi vilaine que techniquement mal foutue. Copie à revoir de toute urgence !
Rush, Contrat #1 : Dette de sang, de Phillip Gwynne
Traduit de l’australien par Antoine Pinchot
Éditions Casterman, 2014
ISBN 978-2-203-08446-9
255 p., 15€