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A première vue : la rentrée Sabine Wespieser 2016

Pour cette rentrée littéraire d’automne, Sabine Wespieser propose une voix irlandaise incontournable et deux francophones aux univers aussi barrés qu’ambitieux. Aucune facilité en vue donc, ce qui n’est pas une surprise pour qui connaît l’exigence et la singularité d’une des éditrices les plus attachantes de France.

O'Brien - Les petites chaises rougesLE CHANT DU BOURREAU : Les petites chaises rouges, d’Edna O’Brien
La vénérable romancière irlandaise (85 ans) revient avec un roman très attendu – et déjà très apprécié par ses premiers lecteurs en avant-première. Dans un petit village d’Irlande, Fidelma tombe amoureuse d’un étranger en provenance du Monténégro, ténébreux et fascinant, qui vient de s’y installer comme guérisseur. Mais l’idylle coupable (Fidelma est mariée) tourne court après l’arrestation de Vladimir Dragan, qui était recherché pour crime contre l’humanité… Dragan est inspiré du terrifiant Slobodan Milosevic, maître d’œuvre des massacres pendant la guerre en Yougoslavie.

Borel - FraternelsTOUS AZIMUTS : Fraternels, de Vincent Borel
Difficile de résumer ce gros roman (560 pages) sans l’avoir lu (et peut-être même après ?), le pitch proposé par l’éditrice étant trop long, bavard et touffu pour espérer en tirer une ligne claire. A première vue, on dirait un roman choral dont tous les personnages entreprennent une course à l’utopie, dans l’espoir de contrecarrer la marche en avant absurde de notre monde vers les injustices et les désastres. Un objet de curiosité, sans aucun doute ; à voir si nous aurons le courage et le temps de nous y plonger…

Mavrikakis - Oscar de ProfundisIL ÉTAIT UNE VILLE : Oscar de Profundis, de Catherine Mavrikakis
La fin du monde est proche. Une pluie glacée s’abat sur les hordes de sans-abri à qui les nantis ont abandonné le centre-ville de Montréal. En cette nuit du 14 au 15 novembre, règne pourtant une effervescence inhabituelle : la rock-star Oscar de Profundis revient dans sa ville natale pour deux concerts exceptionnels. Tandis que le chanteur s’enferme dans une immense villa en attendant l’heure de se produire, une pandémie abat les miséreux et des bandes rivales mettent la vile à sac… La romancière montréalaise s’aventure sur le terrain du post-apocalyptique, décidément en vogue – probablement parce que l’état actuel du monde et sa violence le justifient ?

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Une histoire d’hommes, de Zep

Signé Bookfalo Kill

Jusqu’en 1995, les Tricky Fingers étaient un jeune groupe français prometteur. Invité à Londres, dans une émission culte, le quatuor ne passera pourtant pas à l’antenne, le batteur faisant un mauvais trip au mauvais moment. Seul Sandro, le chanteur et leader charismatique de la formation, sort indemne de cette affaire. Il devient une immense star, tandis que ses anciens acolytes retournent à l’anonymat – Jibé travaille dans le surgelé, Franck dirige un restaurant et Yvan, le meilleur ami de Sandro, reste bloqué à ce stade de sa vie, surtout qu’Annie, son ex, est partie avec Sandro.
Dix-sept ans plus tard, les quatre amis se retrouvent tous ensemble pour la première fois à l’invitation de la rock-star, dans son gigantesque manoir. L’occasion de faire le point sur leurs existences, de se remémorer le bon vieux temps, mais aussi de solder quelques comptes…

Zep - Une histoire d'hommesRock’n’roll, sexe et drogue, amitié et trahison, célébrité ou rendez-vous manqué avec la gloire. Le refrain est connu, n’attendez pas de Zep la moindre révolution sur le sujet. Son histoire d’hommes reste dans les clous et ne cherche d’ailleurs pas à surprendre le lecteur.
C’est ailleurs que l’alchimie se réalise. Difficile à dire où et comment, en fait. Les personnages sont attachants en dépit des clichés qui les constituent en partie – le batteur bourrin, le bassiste discret, le chanteur charismatique… Le dessinateur parvient à leur insuffler quelque chose de personnel, d’intime, qui rend leurs retrouvailles drôles, touchantes, en un mot : justes.

Le découpage reste sage, trois cases par ligne au maximum, entrecoupées par des cases larges qui détaillent souvent un paysage, une ambiance, attrapent tous les personnages dans le cadre. Zep joue également avec des couleurs dominantes, toujours pastel, en fonctionnant par séquence : à chaque changement, une nouvelle teinte qui imprègne la scène. Le choix n’a pas forcément de sens, la couleur choisie ne reflète pas, en tout cas pas de manière flagrante, l’humeur des situations – et pourtant, là encore, cela fonctionne, créant des transitions à la fois fluides et évidentes.

Oui, Une histoire d’hommes demeure un peu pour moi une énigme. Si j’essaie de l’analyser, de la décortiquer, j’en vois la simplicité, les traits parfois un peu grossiers, les défauts (notamment dans la représentation des personnages féminins). Mais en la lisant sans réfléchir, j’en apprécie l’émotion, la tendresse et la douleur, la manière dont Zep saisit en douceur la sensibilité de ses héros, et je marche à fond.
Comme quoi, parfois, il vaut mieux débrancher le cerveau et laisser parler l’instinct. Au bout du compte, cela permet d’apprécier à leur juste valeur certains jolis rendez-vous.

Une histoire d’hommes, de Zep
Éditions Rue de Sèvres, 2013
ISBN 978-2-36981-001-8
62 p., 18€


Les Travaux du Royaume, de Yuri Herrera

Signé Bookfalo Kill

Héritier moderne des troubadours d’antan, Lobo chante dans les tavernes la misère du petit peuple et la gloire des héros qui lui viennent en aide. Un jour, il rencontre dans l’un de ces rades un Roi – l’un de ces Seigneurs flamboyants pour qui tous vivent, et qui a droit de vie et de mort sur tous. En se mettant à son service, il devient l’Artiste, celui qui est chargé de mettre ses exploits en rimes et en chansons. Par la même occasion, il découvre le Palais et la Cour, les proches du Roi – l’Héritier, la Sorcière, le Joaillier, la Fillette…

Le premier roman du Mexicain Yuri Herrera est une authentique curiosité, surtout par sa forme. De prime abord, ce bref roman se présente sous la forme d’un conte, avec ses personnages désignés par la fonction qu’ils tiennent à la Cour ; avec sa langue également, étrange parfois, syncopée, plus évocatrice que descriptive, empreinte d’un lyrisme singulier ; avec enfin son approche universelle : chargés en symboles lisibles par n’importe quel peuple du monde, les Travaux du Royaume n’ont rien de spécifiquement mexicains.

Et pourtant, le conte est un prétexte à raconter de manière métaphorique une situation typique du Mexique : la manière dont une grande partie de l’économie souterraine de ce pays repose sur le trafic de drogue, et comment certains grands barons deviennent des figures mythiques aux yeux des plus pauvres. Passés à ce filtre, le Roi devient l’un de ces trafiquants, la Fillette l’une des prostituées attachées à son service et chargée de divertir les futurs « collaborateurs » ou clients, l’Héritier son bras droit… Et ainsi de suite.

Le sujet a déjà été traité, dans les romans comme au cinéma. Ce qui est nouveau ici, c’est la forme de son récit. L’idée m’a séduit au départ, j’ai aimé le début du roman (notamment la première scène, très forte), mais je n’ai malheureusement pas tenu longtemps. Je me suis égaré et vite ennuyé, perdant le fil du récit au gré des errements mentaux de son héros, sombrant dans les métaphores de plus en plus obscures du romancier. A tel point que j’ai fini par me désintéresser du parcours du Roi – prévisible d’ailleurs, promis dès le départ à la déchéance puisqu’il était si haut, si puissant. Etrangement, ce doit être le sujet du roman, mais Herrera semble avoir du mal à s’y tenir, comme si c’était trop simple.

En résumé : idée intéressante, mais traitement trop déconcertant pour s’y immerger. Un rendez-vous manqué…

Les Travaux du Royaume, de Yuri Herrera
Editions Gallimard, 2012
ISBN 978-2-07-013290-4
120 p., 13,50€