A première vue : la rentrée de l’Olivier 2018

L’année dernière, les éditions de l’Olivier s’avançaient sous l’étendard flamboyant de l’un de leurs grands noms étrangers, l’Américain Jonathan Safran Foer, qui dominait une petite rentrée de six titres en tout. Rebelote cette année, avec six titres à nouveau, et en tête d’affiche, l’Américaine Nicole Krauss – ex-Mrs Foer, tiens donc. Pour le reste, c’est une rentrée solide et sérieuse, qui pourrait réserver de bonnes lectures.
…ON ENTEND LE COUCOU : Forêt obscure, de Nicole Krauss (en cours)
(traduit de l’américain par Paule Guivarch)
D’un côté, Jules Epstein, riche Juif new yorkais, qui disparaît du jour au lendemain, réapparaît à Tel-Aviv avant de disparaître à nouveau. De l’autre, Nicole, romancière juive américaine, en pleine crise conjugale, qui décide de se rendre à Tel-Aviv, dans l’hôtel où elle passait ses vacances enfant, où elle compte trouver des réponses et recadrer sa vie à la dérive. Entre les deux ? Des zones mouvantes, un basculement de la réalité, des questionnements… Roman qualifié d' »incroyable » par le défunt Philip Roth, ce livre est le troisième de Nicole Krauss après l’Histoire de l’amour et La Grande Maison. Les premières pages, fortes et virtuoses, laissent espérer l’un de ces excellents livres dont les Américains ont le secret.
CALIMERO : Des raisons de se plaindre, de Jeffrey Eugenides
(traduit de l’américain par Olivier Deparis)
Autre grand nom du catalogue américain de l’Olivier, Eugenides – auteur entre autres de Virgin Suicides et Middlesex, rien de moins – revient cette année avec un recueil de nouvelles dont les personnages se trouvent à un carrefour majeur de leur existence.
IMPURS : La Souplesse des os, de D.H. Wilson
(traduit de l’anglais (Canada) par Madeleine Nasalik)
Et deuxième recueil de nouvelles de la rentrée pour l’Olivier, qui envoie au charbon un auteur dont l’univers rugueux et taiseux évoque la littérature rurale américaine. Sauf que nous sommes au Canada, en Colombie Britannique pour être précis. Dans un monde d’hommes et de femmes dont les bonnes intentions se heurtent à la réalité cruelle de la vie, non sans humanité et clairvoyance.
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CHANGEMENT DE DÉCOR : La Chance de leur vie, d’Agnès Desarthe
Début 2015. Juste après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher, une famille française s’envole pour les États-Unis. Hector, professeur d’université, impose bientôt son charisme ravageur, tandis que sa femme Sylvie observe cette révélation donjuaniste à distance, avec réserve et lucidité. Pendant ce temps, Lester, leur fils adolescent, entraîne un groupe de jeunes de son âge dans une crise mystique. Le ton drolatique d’Agnès Desarthe part à la rencontre d’un regard aigu sur le monde, au fil d’une année 2015 choisie pour son basculement, entre les attentats sanglants en France et l’avènement de Donald Trump aux États-Unis.
MORDRE AU TRAVERS : Désintégration, d’Emmanuelle Richard
Après un premier roman publié pour la jeunesse (Selon Faustin, Ecole des Loisirs), voici le troisième titre à paraître à l’Olivier d’Emmanuelle Richard. Il relate le parcours d’une jeune femme, issue d’un milieu modeste, qui s’installe à Paris où elle vivote quelque temps parmi des garçons évoluant dans le milieu du cinéma, avec une nonchalance et une facilité nées de leurs origines aisées. Après avoir été aspiré par un cercle vicieux d’humiliations, elle rompt les rangs en se faisant remarquer par un premier roman qui attire l’attention sur elle… D’inspiration autobiographique, comme les deux précédents, ce roman au titre explicite annonce sa colère.
VERY BAD TRIP : Le Complexe d’Hoffman, de Colas Gutman
D’ordinaire, Colas Gutman écrit pour les petits (la géniale série Chien Pourri, c’est lui). Ce qui peut expliquer par contraste l’allure violemment irrévérencieuse de ce premier roman pour les grands, où deux enfants, frère et sœur, se créent un monde fantasmagorique et cruel pour oublier que leurs parents divorcent. Autrement dit, Gutman se lâche, en proposant sa version trash du roman familial.
On lira sûrement :
Forêt obscure, de Nicole KraussOn lira peut-être :
Désintégration, d’Emmanuelle Richard
La Chance de leur vie, d’Agnès Desarthe
A première vue : la rentrée Minuit 2017

Un deuxième roman tardif, un troisième très attendu, et deux auteurs chevronnés : à première vue, la rentrée des éditions de Minuit joue la diversité et la confiance cette année – là où, l’année dernière, elle ne s’était appuyée que sur le seul Laurent Mauvignier pour briller dans la cour de récré.
BARBOUILLIS : Sigma, de Julia Deck (lu)
Son premier roman, Viviane Elisabeth Fauville, avait bluffé par sa construction élaborée ; le second, Le Triangle d’hiver, avait réjoui par son ton délicieusement ironique et, là encore, un art remarquable de la narration. Julia Deck s’essaie cette fois à un faux roman d’espionnage où une organisation secrète s’acharne à neutraliser ou à faire disparaître des œuvres d’art réputées pour leur mauvaise influence… Plaisant à lire, de temps en temps amusant, mais c’est à peu près tout. Au final, le livre paraît bien long pour le peu qu’il a à raconter. Dommage, car l’idée de départ avait du potentiel.
POINTILLISME : Trois jours chez ma tante, d’Yves Ravey
Le plus chabrolien des romanciers français confronte cette fois un homme à sa tante qu’il n’a pas vue depuis vingt ans. Du fond de sa maison de retraite, la vieille dame annonce de but en blanc à son neveu qu’elle cesse de lui verser la rente mensuelle dont il bénéficiait depuis des années, et qu’elle songe par-dessus le marché à le déshériter. Débute alors un huis clos houleux…
CROÛTE(S) : Une chance folle, d’Anne Godard
Son premier roman, L’Inconsolable, remonte à 2006. Anne Godard revient avec l’histoire d’une fillette dont la vie est rythmée par des opérations, des soins innombrables et des cures thermales, pour l’aider à se remettre de graves brûlures survenues dans les premiers mois de sa vie. Des libraires primo-lecteurs en disent beaucoup de bien, en dépit du caractère pas forcément engageant de ce pitch.
CONTREFAÇON : Made in China, de Jean-Philippe Toussaint
L’auteur relate ses nombreux voyages en Chine dans le début des années 2000, son amitié avec l’éditeur Chen Tong ainsi que le tournage de son film The honey dress. Là non plus, pas le résumé le plus excitant de la rentrée, même si c’est Jean-Philippe Toussaint qui est aux manettes de ce récit.
A première vue : la rentrée Stock 2014
L’année dernière, chez Stock, nous avions adoré la fable singulière et bouleversante de Karin Serres, Monde sans oiseaux. Trouverons-nous pareil miracle parmi les élus à la couverture bleue de cette rentrée 2014, dans une maison par ailleurs bouleversée par la mort de son éditeur mythique, Jean-Marc Roberts ? Pas sûr, mais il y a tout de même quelques belles promesses.
CRASH MYTHIQUE : Constellation, d’Adrien Bosc
C’est l’un des accidents aériens les plus connus de l’histoire. Le 28 octobre 1949, le Constellation, nouvel avion d’Air France voulu par le milliardaire excentrique Howard Hughes, s’écrase sur un îlot des Açores, tuant ses onze membres d’équipage et ses trente-sept passagers, parmi lesquels le boxeur Marcel Cerdan. Loin de ne s’intéresser qu’au sort du célèbre amant d’Edith Piaf, Adrien Bosc tisse un roman choral qui donne une voix à tous les disparus tout en questionnant les raisons du drame. Sur le papier, l’un des premiers romans les plus ambitieux de la rentrée.
COMME UN POT : Les mots qu’on ne me dit pas, de Véronique Poulain (lu)
Comme Jean-Louis Fournier, publié par la même maison, Véronique Poulain tire de l’humour d’une situation douloureuse, en l’occurrence le handicap, la surdité de ses parents. Comme Fournier, la néo-romancière aligne des chapitres courts et percutants qui disent la difficulté d’être la fille parlante et entendante de parents sourds, l’incompréhension, le poids du regard des autres, mais aussi l’amour qui se glisse dans tout cela, et bientôt la fierté lorsque les géniteurs de Véronique Poulain se retrouvent à la pointe du combat pour la reconnaissance des sourds dans la société. Un récit parfois grinçant, douloureux, mais souvent drôle et au bout du compte touchant et très juste.
ESCLAVAGE MODERNE : La Chance que tu as, de Denis Michelis (coll. la Forêt)
Un jeune homme est embauché dans un restaurant prestigieux. Nourri et logé, il y est rapidement soumis à des conditions de travail drastiques et aux mauvais traitements d’employeurs exigeants et manipulateurs. Alors que commence une descente aux enfers inexorable, il n’ose pourtant se plaindre, si chanceux de travailler pour une maison aussi prestigieuse… Un premier roman qui promet d’être dérangeant avec justesse.
TOILE LITTÉRAIRE : Selon Vincent, de Christian Garcin
Entre 1812 et 2013, des destins se répondent aux quatre coins du monde, de la Patagonie à la Russie. Un roman choral énigmatique par un écrivain-voyageur qui n’aime rien tant que croiser des histoires et raconter des personnages différents.
FORZA ITALIA : Les nouveaux monstres (1978-2014), de Simonetta Greggio
Suite du remarqué Dolce Vita, ce roman raconte l’Italie des trente-cinq dernières années, marquée notamment par l’irruption sur la scène politique d’un certain Silvio Berlusconi.
LOVE IS ALL : Tout ce que je sais de l’amour, de Michela Marzano
Deuxième auteure d’origine italienne chez Stock cette année, Michela Marzano poursuit son parcours singulier dans la lignée de son précédent livre, Légère comme un papillon, paru chez Grasset avec succès. Un récit autobiographique qui questionne l’impossible recherche du Prince Charmant, le désir d’enfant, la maternité, l’amour tout simplement.
BOUCHON A PRÉVOIR : L’Autoroute, de Luc Lang
Rencontre entre un arracheur de betteraves dans le nord et un couple imprévu qui vit dans une maison au bord d’une autoroute. C’est sans doute plus que cela, mais bon, voilà…
COMME C’EST ORIGINAL : Le Jour où tu m’as quitté, de Vanessa Schneider
Une femme divorcée et mère de deux enfants est quittée à nouveau. Déception, chagrin, incompréhension, vieux démons, crainte de ne pouvoir se reconstruire, tout ça… Je vous fais un dessin ou ça va ?
Les ronds dans l’eau, de Hervé Commère
Signé Bookfalo Kill
Vous avez tous, un jour ou l’autre, jeté un caillou dans un lac ; puis observé les dizaines, les centaines de cercles concentriques s’arrondissant à tour de rôle autour du point de rencontre entre la pierre et l’eau, vous demandant combien de temps il allait falloir à la surface du lac pour retrouver sa (trompeuse) plénitude.
Un seul acte de départ (le jet du caillou), une infinie chaîne de conséquences (les ronds dans l’eau) : c’est sur ce principe que Hervé Commère a construit son deuxième roman au titre évocateur.
Au début, pourtant, on se demande où Commère veut nous emmener. Il nous propose une première voix, celle de Jacques Trassard, vieux truand qui, après avoir passé la moitié de sa vie en prison entre deux vols réussis, a fini par se retirer des affaires pour couler des jours paisibles à Rennes. Dans son « oeuvre », un coup de maître, accompli avec quatre complices quarante ans plus tôt, et dont il espère le secret calfeutré à tout jamais – tout en redoutant de le voir resurgir…
Puis s’intercale la voix d’Yvan, serveur trentenaire traînant sa dépression depuis que sa petite amie l’a quitté.
Le destin de ces deux hommes que rien ne rapproche bascule pourtant au même moment. Jacques voit son passé le rattraper d’une manière inopinée ; tandis qu’Yvan retrouve son ex, Gaëlle, en vedette d’une émission de télé-réalité, en train de ridiculiser sans pitié leur ancien amour pour assurer l’audimat.
La suite, c’est-à-dire la manière dont Hervé Commère va faire se croiser des destins incompatibles, est une merveille de construction. L’écriture est trompeusement simple et fluide, il y a beaucoup de travail derrière cette apparente facilité. L’intrigue et les personnages rapidement posés, le romancier déroule les événements avec une évidence implacable. Le suspense ne faiblit jamais ; au contraire, Commère distille les révélations, entremêle surprises et rebondissements avec un art consommé du thriller, sans pour autant appliquer des recettes trop connues.
La preuve avec la fin – dont je ne peux évidemment rien dire -, inattendue, gonflée, presque improbable… Pouvant presque paraître de trop à certains ? Certes. Pour moi néanmoins, indispensable à la cohérence de l’ensemble, au sujet du roman. Et permettant en plus à Hervé Commère un final superbe, deux ou trois dernières pages magnifiques et émouvantes, qui nous font refermer le livre en regrettant qu’il soit déjà fini.
Une réussite, donc, d’autant plus à saluer qu’elle affirme la singularité d’un auteur dont le premier roman, J’attraperai ta mort, suggérait déjà qu’il faudrait suivre le garçon de très près. Maintenant, c’est une certitude.
Ou pour dire les choses autrement : voilà un authentique coup de cœur !
Les ronds dans l’eau, de Hervé Commère
Editions Fleuve Noir, 2011
ISBN 978-2-265-09266-2
282 p., 18€
Retrouvez Les ronds dans l’eau sur le site des éditions Fleuve Noir.