A première vue : la rentrée de l’Olivier 2015
S’il nous sera impossible d’évoquer tous les éditeurs en lice pour la rentrée littéraire 2015, faute de temps et d’énergie, il nous reste encore quelques maisons à présenter. Et nous nous en voudrions de ne pas parler des éditions de l’Olivier, même si leur rentrée française, porteuse de noms connues, semble à première vue assez fade. Non, l’événement à l’Olivier, c’est la publication d’un roman resté inédit jusqu’à ce jour de David Foster Wallace – et pour cause, l’engin étant particulièrement spectaculaire…
DANTESQUE : L’Infinie Comédie, de David Foster Wallace
(traduit de l’américain par Francis Kerline)
J’imagine qu’il aura fallu un peu de temps à Francis Kerline pour traduire ce monstre de 1488 pages (!!!), publié en 1996 aux États-Unis, et considéré comme l’un des authentiques chefs d’œuvre de la littérature anglophone contemporaine. David Foster Wallace (qui s’est suicidé en 2008 à 46 ans) y élabore une dystopie dans laquelle les USA, le Canada et le Mexique ont fusionné en une fédération où la société du spectacle est devenue le centre de tout. Inutile de détailler une intrigue infiniment plus foisonnante, qui évoque pêle-mêle les relations familiales, les addictions, le tennis (très important, puisqu’une académie de tennis est au centre de l’histoire), l’Amérique du Nord en tant qu’entité politique… Enrichi de nombreuses notes de bas de page, le texte est une gageure de lecture. Ce sera sûrement l’événement de la rentrée étrangère, on en parlera beaucoup, de nombreuses personnes l’achèteront… mais qui le lira vraiment ?
TEMPÊTUEUX : En toute franchise, de Richard Ford
(traduit de l’américain par Josée Kamoun)
L’auteur de Canada, prix Femina étranger 2013, retrouve son héros récurrent, Frank Bascombe, grâce auquel il sonde l’Amérique contemporaine avec acuité. Cette fois, la toile de fond est triple : la crise économique, la campagne présidentielle opposant Obama à Romney, et l’ouragan Sandy qui a durement frappé la côte est des États-Unis en 2008.
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Après de pareilles références, difficile de revenir à la production française… Mais bon, tâchons tout de même de faire bonne figure et d’essayer de trouver de belles choses dans les quatre romans lancés par l’Olivier en cette rentrée automnale.
RÉPARER LES VIVANTS (I) : Le Cœur du problème, de Christian Oster
En rentrant chez lui, Simon trouve le cadavre d’un inconnu au milieu du salon, visiblement tombé de la mezzanine, et croise sa femme lui annonçant qu’elle s’en va pour ne jamais plus revenir. Resté seul avec le corps, Simon doit prendre les décisions qui s’imposent. Plus tard, il se lie d’amitié avec Henri, un gendarme à la retraite. Soucieux de ne pas se trahir, Simon fait un peu trop attention à ce qu’il dit, et une partie d’échecs souterraine s’engage avec l’ancien enquêteur…
RÉPARER LES VIVANTS (II) : Ce cœur changeant, d’Agnès Desarthe
Avec ce parcours d’une jeune fille franco-danoise arrivée seule à Paris à 17 ans, en quête d’elle-même, Agnès Desarthe donne à voir la capitale au début du XXème siècle, de l’affaire Dreyfus aux années folles en passant par la Première Guerre mondiale, les premières automobiles, la vitalité de Montparnasse, le féminisme naissant…
RACONTER LES VIVANTS : Les amygdales, de Gérard Lefort
Scènes de vie d’une famille fantasque vues par le benjamin des enfants, dont le regard redoutable ne manque rien des dépenses faramineuses de la mère, du père qui préfère ne rien en dire, et du quotidien de tous : amitiés, scolarité compliquée, rêves d’aventures, tendances anarchistes et admirations cinématographiques. Après une enquête du Poulpe en 1997, c’est le premier roman de littérature « blanche » du critique Gérard Lefort.
HÉSITER A ÊTRE VIVANT : Les pêchers, de Claire Castillon
Trois femmes : Tamara, femme de Claude, qui n’arrive pas à être l’épouse idéale dont il rêve, mais ne parvient pas non plus à s’émanciper de lui ni à oublier son grand amour précédent ; Aimée, ex-femme de Claude, qui attend trop de l’amour ; et Esther, fille adolescente d’Aimée, qui capte les tourments des adultes avec ce sens de l’observation aigu propre à son âge. Hmpf…
Mais qui a tué Harry?, de Jack Trevor Story
Signé Bookfalo Kill
Ah, Sparroswick ! Une charmante petite bourgade perdue en pleine campagne anglaise, avec ses fougères, ses hérissons et ses lapins, ses bungalows aux noms bucoliques, sa minuscule épicerie fourre-tout, ses habitants gentiment excentriques, ses adultères forestiers… et son cadavre. Surgi sans crier gare au pied d’un arbre, il va sérieusement perturber la journée de ses voisins vivants, révéler nombre de leurs petits secrets, et surtout faire se poser sans relâche LA question : mais qui a tué Harry ?!?
Comme beaucoup de gens en ce moment (et on peut le comprendre), vous cherchez désespérément un livre drôle ? Ne cherchez plus, vous l’avez trouvé. Véritable mode d’emploi de l’humour anglais publié en 1949, Mais qui a tué Harry ? est un festival de gags, de répliques qui tuent et de nonsense, ce ton si typiquement british qu’on envie depuis des siècles à nos voisins d’outre-Manche.
Les personnages étant nombreux, Jack Trevor Story prend d’abord le temps de les camper les uns après les autres. En résulte une série de portraits hilarants, dessinés en quelques traits mordants avec un sens épatant de la concision ironique.
Allez, pour le plaisir, un exemple :
« [Le nouveau capitaine] était un petit homme grassouillet, aux cheveux noirs et raides comme les poils d’un balai, au visage brun et sillonné de rides : une figure de loup de mer avec les yeux candides d’un bébé de trois mois ; un homme à inspirer protection à une femme, confiance à un enfant, frayeur à un lâche et inquiétude à un homme d’affaires ; un homme qui connaissait le monde comme sa poche, sans en avoir vu davantage que les reflets dans les tavernes au bord de la Tamise. (…) Le nouveau capitaine était Mr Albert Wiles, gabarier en retraite des péniches de la Tamise. » (p.13)
Déroulée sur une journée et une nuit, l’intrigue multiplie les rebondissements, les réflexions absurdes et les réactions inattendues. Simple prétexte de départ, le cadavre de Harry sert de catalyseur à une étude de mœurs provinciale, si grinçante et joyeusement macabre qu’on comprend pourquoi elle a inspiré à Alfred Hitchcock l’adaptation cinématographique de ce roman en 1955 (et ceci, même si son public ne l’a pas suivi à l’époque).
Comme dans un vaudeville de haute volée, J.T. Story le bien-nommé tient aussi le suspense jusqu’à la fin (car, oui, qui a tué Harry, bon sang ?!?), qu’il dénoue sur un ultime retournement de situation réjouissant.
Formidablement servi par la traduction de Jean-Baptiste Rossi (alias Sébastien Japrisot !), qui réussit à saisir le ton caustique si singulièrement anglais du romancier, Mais qui a tué Harry ? est un petit bijou de cocasserie, bienvenu en ces temps moroses. Plus efficace qu’une grosse boîte d’antidépresseurs et à seulement 9€, ce livre devrait être prescrit à haute dose et remboursé par la Sécurité Sociale !
Mais qui a tué Harry ?, de Jack Trevor Story
Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Rossi
Éditions Cambourakis, 2013
ISBN 978-2-36624-027-6
157 p., 9€