Comme neige, de Colombe Boncenne
Signé Bookfalo Kill
Avec leur collection Qui vive, identifiable à sa maquette épurée, les éditions Buchet-Chastel poursuivent un travail minutieux de défrichage en donnant leur chance à de jeunes auteurs porteurs d’univers singuliers. Et ils touchent encore juste avec Colombe Boncenne, dont le premier roman, Comme neige, est une gourmandise littéraire tout à fait réjouissante.
Constantin Caillaud découvre un jour par hasard, au fin fond de la maison de la presse de Crux-la-Ville, un livre d’Émilien Petit dont il ignorait l’existence. Pourtant, il lui semblait connaître sur le bout des doigts l’œuvre de ce romancier qui vit désormais reclus et n’accorde plus la moindre interview à la presse. Il s’empresse d’avertir Hélène, sa maîtresse, de sa découverte – Hélène qui lui a fait découvrir l’œuvre d’Émilien Petit autant que les plaisirs de l’adultère. Hélas, lorsqu’il veut apporter sa trouvaille à son amante, Constantin se rend compte que son exemplaire de Neige noire a disparu.
Dépité, d’autant plus vexé en réalisant qu’Hélène ne le croit pas, Constantin se met à chercher des preuves de l’existence du roman fantôme, en requérant notamment l’aide d’amis écrivains d’Émilien Petit : Jean-Philippe Toussaint, Olivier Rolin ou Antoine Volodine, sans parler de l’éditeur historique de Petit. Il n’imagine pas jusqu’où va le conduire cette quête d’apparence pourtant inoffensive…
Certains trouveront peut-être ce roman un peu « parisien », et ils n’auront pas tout à fait tort, en ce sens que Colombe Boncenne y joue ouvertement avec le tout petit monde de l’édition française, rendant notamment un hommage transparent à certaines grandes maisons, Minuit et le Seuil en tête. Organisatrice d’événements culturels dans le monde du livre, la néo-romancière connaît très bien ce milieu et s’en amuse à visage découvert.
Car c’est bien ainsi qu’il faut aborder ce roman aussi enlevé que remarquablement écrit : comme un jeu de piste, un polar sans crime, une enquête littéraire qui réserve bien des surprises et s’appuie sur la verve et la bonne humeur décomplexée de son auteure. Colombe Boncenne est également une fine lectrice, qui parsème son premier livre de références que les plus avisés et les plus pointus des lecteurs se plairont à relever – sans que le dispositif soit jamais élitiste, détail ô combien important. Soit on remarque les clins d’œil, soit on les laisse filer et le récit garde tout de même sa saveur et son intérêt.
Friandise qui se grignote rapidement sans rester sur l’estomac, Comme neige est l’une des jolies découvertes de cette rentrée hivernale 2016. Une romancière à découvrir et à suivre, sans aucun doute !
Comme neige, de Colombe Boncenne
Éditions Buchet-Castel, coll. Qui vive, 2016
ISBN 978-2-283-02939-8
115 p., 11€
Joseph, de Marie-Hélène Lafon
Signé Bookfalo Kill
J’étais parti pour écrire un éloge appuyé du nouveau roman de Marie-Hélène Lafon, et puis mon instinct cannibale a repris le dessus et je me suis demandé pourquoi. Oui, pourquoi encenser Joseph, hormis parce qu’il est de bon ton de saluer le travail de la romancière dans les milieux littéraires ? Je vais plutôt être honnête, et avouer que de ce livre lu il y a un gros mois, je ne me souviens déjà plus de grand-chose. Et je vais être encore plus honnête et ajouter que ce n’est sûrement pas de la faute de Marie-Hélène Lafon, mais de la mienne.
La question, à dire vrai, n’est pas de décider si ce livre est bon ou pas. Il l’est d’ailleurs sûrement – à condition d’adhérer à ce genre de style et d’histoire. D’autres gens vous en convaincront mieux que moi : cette estimable romancière, d’une intégrité littéraire sans faille, ne manque pas d’avocats pour plaider sa cause.
Pour que vous compreniez bien de quoi il s’agit, il convient néanmoins d’en dire un peu plus. Joseph est un ouvrier agricole, modeste employé à l’ancienne, au service de fermiers guère plus modernes que lui. Du seuil de la vieillesse, il contemple sa vie passée, se remémore ses patrons, les fermes dans lesquelles il a travaillé, sa famille aussi, son frère parti pour la ville en emmenant sa mère ; et puis Sylvie, son amour enfui, bonheur éphémère qui l’a laissé sans femme et sans enfants.
Il n’y a pas d’intrigue au sens classique du terme, c’est avant tout le portrait d’un homme. Joseph est une ode poétique à un monde suranné qui se finit doucement, ancrée dans le Cantal cher à Marie-Hélène Lafon. C’est beau, littérairement élaboré, loin des clichés du roman de terroir que le résumé pourrait laisser craindre. La romancière a le souci des détails infimes, son livre est un micro-roman minutieux dont les longues phrases imposent de la lenteur et de la réflexion sur l’univers qu’elle décrit.
Oui, c’est très joliment saisi, mais je l’avoue encore une fois, je n’y ai pas été plus sensible que cela. Donc, si vous connaissez déjà le travail de Marie-Hélène Lafon ou que le sujet vous inspire, allez-y, vous ne serez sûrement pas déçus. Pour ma part, c’est tout ce que je peux en dire.
Joseph, de Marie-Hélène Lafon
Éditions Buchet-Chastel, 2014
ISBN 978-2-283-02644-1
144 p., 13€
Martin Martin, de Jean-Pierre Brouillaud
Signé Bookfalo Kill
Que se passerait-il si, du jour au lendemain, tout le monde se mettait à dire ce qu’il pense sans filtre ni retenue ? Oui, ça serait un beau bordel.
Et c’est justement le phénomène dont est témoin Martin Martin. De sa femme à son psy, de ses voisins aux plus éminents chefs d’Etat, la planète entière se met à parler en toute sincérité – révélant des torrents d’acrimonie trop longtemps refoulés. Tandis qu’en une seule journée la température du monde est portée à ébullition, Martin², habitué à vivre sa vie avec passivité, se réveille soudain et saute sur l’occasion pour savoir ce que les gens pensent vraiment de lui. Il ne va pas être déçu du voyage – et en tirer des conclusions inattendues…
Voilà ce qu’on appelle une chouette idée de départ ! Dans la foulée, Jean-Pierre Brouillaud a l’intelligence de la développer juste ce qu’il faut et de ne pas chercher à trop en faire. Déroulé sur une centaine de pages, Martin Martin puise sa drôlerie dans sa brièveté, contrariant ainsi des digressions inutiles qui auraient plombé l’efficacité de son humour.
Pourtant, Brouillaud en profite pour taper un peu partout et dénoncer pas mal d’hypocrisies usuelles. Cela va de la vieille cliente qui avoue à son boucher tout le mal qu’elle pense de sa viande, aux puissants du monde – anonymes mais éminemment reconnaissables (ah, « les gesticulations du petit Français »…) – qui s’insultent par médias interposés, en passant par des critiques réjouissantes des mondes de l’édition ou de l’art contemporain.
Au milieu de tout ça, par sa neutralité générique, le héros de Jean-Pierre Brouillaud, dont le nom même est une annulation de personnalité, offre au lecteur un vecteur d’identification dans lequel chacun, tôt ou tard, se reconnaîtra, plaçant ainsi le récit sur le terrain familier de notre quotidien à tous. S’il en prend pour son grade et finit par découvrir de quoi se remettre en question, Martin Martin, effacé et paisible, semble aussi le personnage le plus honnête, le plus proche de la vérité.
Messager d’une philosophie simple mais essentielle, Martin Martin est avant tout une fable légère, facile à lire et d’une grande drôlerie. Comme ce n’est pas si courant à notre époque, voici un livre donc hautement recommandé !
Martin Martin, de Jean-Pierre Brouillaud
Éditions Buchet-Chastel, 2013
ISBN 978-2-283-02640-3
135 p., 13€