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Le Bonheur national brut, de François Roux

Signé Bookfalo Kill

Je l’annonçais en présentant sa rentrée il y a quelques semaines : Albin Michel pourrait se targuer d’avoir imposé un genre en soi dans sa production, celui de la grande fresque, du pavé populaire et de qualité, à fort potentiel commercial mais d’une sincérité littéraire irréprochable, choisissant un moment d’Histoire défini pour y camper des personnages inoubliables, avec un souci romanesque propre à enchanter une très grande variété de lecteurs. (Ouf, oui, tout ça !)
Dans ce registre, il y a eu Jean-Michel Guenassia, avec le Club des incorrigibles optimistes et la Vie rêvée d’Ernesto G., Nicolas d’Estienne d’Orves et ses Fidélités successives ; et puis, bien sûr, Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, lauréat l’année dernière d’un prix Goncourt très mérité.

Roux - Le Bonheur national brutCette année, voici donc venir François Roux et son Bonheur national brut. Le cadre historique ? La France des trente dernières années, de l’élection de François Mitterrand en 1981 à celle de François Hollande en 2012. Les personnages ? Quatre garçons, quatre amis âgés de 18 ans lorsque débute le récit, fraîchement titulaires d’un baccalauréat décroché dans la petite ville bretonne où ils ont grandi, et parvenus à l’heure des choix décisifs pour la suite de leur vie.
Il y a Rodolphe, le féru de politique, socialiste de cœur autant que pour faire enrager son père communiste ; Tanguy, promis au commerce ; Benoît, le lent rêveur, qui considère le monde à travers le viseur de son appareil-photo ; et Paul, un peu velléitaire, amoureux de cinéma, embarrassé de son homosexualité que l’époque n’incite guère à exposer, souffrant sous le joug d’un père autoritaire qui ne le voit pas faire autre chose que des études de médecine, en dépit de ses résultats scolaires médiocres, afin de reprendre un jour son cabinet.

Avec un art consommé du roman choral, François Roux expose à tour de rôle les premiers pas dans la vie d’adulte de ses héros, les suivant dans la première moitié du roman jusqu’en 1984, avant de les retrouver à partir de 2009 pour la deuxième partie. Évitant de la sorte de tomber dans le piège trop démonstratif du didactisme, par cette ellipse vertigineuse le romancier confronte directement ses personnages à leurs rêves, à leurs ambitions, à leurs réussites comme à leurs échecs.
Il y a quelque chose de très anglo-saxon dans l’efficacité évidente de cette construction, tout comme dans le style, limpide, et dans l’art d’élaborer les personnages, aussi bien les principaux (dont les femmes gravitant autour des quatre héros, très attachantes et réussies également) que les nombreux secondaires. On pense à Jonathan Coe, par exemple, grand maître britannique de la fresque humaine et critique sur les décennies récentes de son pays. Le sens de la dérision, l’ironie so british en moins chez François Roux, quoique le Bonheur national brut ne manque pas d’humour à l’occasion.

Grâce aux archétypes qu’incarnent ses héros, Roux balaie un grand nombre de sujets de société ayant marqué la France durant ces trente dernières années : dérives de la politique, omniprésence dévorante de la communication, érosion impitoyable du maillage industriel national, cruauté glaciale du management moderne, affirmation de la cause homosexuelle dans la tourmente des années sida… Autant de sujets plutôt sombres, imposés par l’époque, mais que le romancier rend attrayants, justes, passionnants, grâce à l’humanité de ses personnages auxquels ils portent une tendresse palpable, à l’intelligence et à la variété des situations romanesques.

Le résultat, vous l’aurez compris, est imparable. Ce superbe roman d’apprentissage se dévore avec plaisir, on s’y reconnaît souvent, on vibre, on s’émeut, on s’indigne, on se souvient, et on s’étonne d’en avoir déjà achevé les 680 pages. A tel point que, pour une fois, on en redemanderait presque !

Le Bonheur national brut, de François Roux
  Éditions Albin Michel, 2014
ISBN 978-2-226-25973-8
679 p., 22,90€

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A première vue : la rentrée littéraire Albin Michel 2014

A tout seigneur tout honneur, nous ouvrons le bal des présentations de la rentrée littéraire 2014 avec l’éditeur qui a remporté le Prix Goncourt l’année dernière – pour notre plus grande joie car nous avions adoré Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre.
Comme chaque année, Albin Michel revient avec un mélange intéressant de grands romans populaires et d’œuvres plus intimistes, dont se distingue un premier roman très prometteur.

Roux - Le Bonheur national brutLA FRESQUE ALBIN MICHEL : Le Bonheur national brut, de François Roux
Cela pourrait presque devenir un genre en soi. Après Le Club des incorrigibles optimistes et La Vie rêvée d’Ernesto G. de Jean-Michel Guenassia, ou Les fidélités successives de Nicolas d’Estienne d’Orves, voici Le Bonheur national brut, premier roman de François Roux qui raconte, à travers le destin de quatre amis, la France des années 80 à nos jours. Trente ans d’histoire récente, des destins passionnants et exemplaires, un style affûté, tous les ingrédients sont là pour faire de ce gros livre un franc succès. En d’autres termes, on en attend beaucoup.

Nothomb -Pétronille (pt format)L’INCONTOURNABLE : Pétronille, d’Amélie Nothomb (lu)
Un titre et un prénom d’héroïne improbables, une histoire d’amitié possessive et complexe, du Champagne qui coule à flot, Amélie qui se met en scène au fil de 169 pages vite dévorées, c’est du Nothomb en puissance. Sans surprise, mais avec son humour et ses dialogues ciselés, c’est plutôt un bon cru.

VOYAGES :
L’Enfant des marges, de Franck Pavloff : direction Barcelone, dans les pas de Ioan, photographe de renom qui vit reclus dans les Cévennes depuis la mort de son fils en mer, et qui sort de sa retraite pour tenter de retrouver son petit-fils disparu dans la capitale catalane.
Barcelone est un décor romanesque par excellence, et l’histoire est en partie autobiographique. Cela pourrait donner un beau livre, par l’auteur de Matin Brun.
La Belle de l’étoile, de Nadia Galy : après le suicide de son amant, une femme part s’installer à Saint-Pierre-et-Miquelon, au climat rude mais aux habitants bienveillants. Elle y relit la correspondance de son homme disparu et y répond tout en se confrontant à la nature belle mais sauvage de l’île.
Le cadre original du roman est pour beaucoup dans la curiosité qu’il suscite. A voir.

SOCIÉTÉ :
Madame Diogène, d’Aurélien Delsaux : le syndrome de Diogène est une pathologie consistant à tout accumuler chez soi, à ne jamais rien jeter. Héroïne de ce premier roman, une vieille dame en est atteinte et se replie chez elle, malgré les gens, proches ou services sociaux, qui tentent de l’approcher.
Jeancourt-Galignani - L'AudienceL’Audience, d’Oriane Jeancourt-Galignani (lu) : au Texas, un professeur ne peut avoir de relations sexuelles avec ses élèves, même si ces derniers sont majeurs et consentants. Pour avoir couché avec quatre garçons de sa classe de mathématiques, Deborah Aunus est arrêtée et jugée. Les quatre jours de son procès sont l’occasion de voir défiler proches, témoins, victimes supposées, autant que d’interroger les paradoxes d’une société américaine à la fois puritaine et voyeuse.
Projet ambitieux, mais roman pas tout à fait à la hauteur. De qualité, mais pas saisissant, faute d’élever le débat comme son sujet le promettait.

HUIS CLOS : Madame, de Jean-Marie Chevrier
Une veuve aristocrate vit seule et s’attache au fils de ses fermiers, Guillaume, qu’elle a rebaptisé Willy. Elle souhaite en faire son héritier, malgré la jalousie instinctive de ses parents. Elle a perdu son fils quatorze ans plus tôt, le jour de la naissance de Willy. La date anniversaire approche et un drame se prépare…

Estienne d'Orves - La DévorationINCLASSABLE : La Dévoration, de Nicolas d’Estienne d’Orves
Comment mieux définir ce romancier que par ce qualificatif ? Capable de changer de genre comme de chemise, pas toujours convaincant, il nous avait surpris et épatés avec ses Fidélités successives. Il revient avec un roman radicalement différent, dans lequel un romancier, pressé par son éditrice de quitter son registre habituel, se passionne pour l’histoire d’un cannibale humain ayant tué et mangé sa petite amie. Voulant en faire le sujet de son prochain livre, il entreprend de se mettre dans la tête du meurtrier cannibale. Un périple potentiellement dangereux…