Billy Wilder et moi, de Jonathan Coe

Éditions Gallimard, 2021
ISBN 9782072923920
304 p.
22 €
Mr Wilder and me
Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle
Dans la chaleur exaltante de l’été 1977, la jeune Calista quitte sa Grèce natale pour découvrir le monde. Sac au dos, elle traverse les États-Unis et se retrouve à Los Angeles, où elle fait une rencontre qui bouleversera sa vie : par le plus grand des hasards, la voici à la table du célèbre cinéaste hollywoodien Billy Wilder, dont elle ne connaît absolument rien.
Quelques mois plus tard, sur une île grecque transformée en plateau de cinéma, elle retrouve le réalisateur et devient son interprète le temps d’un fol été, sur le tournage de son avant-dernier film, Fedora.
Tandis que la jeune femme s’enivre de cette nouvelle aventure dans les coulisses du septième art, Billy Wilder vit ce tournage comme son chant du cygne. Conscient que sa gloire commence à se faner, rejeté par les studios américains et réalisant un film auquel peu de personnes croient vraiment, il entraîne Calista sur la piste de son passé, au cœur de ses souvenirs familiaux les plus sombres.
En inconditionnel de Jonathan Coe, l’un des rares auteurs dont j’ai lu tous les romans, je me suis bien sûr précipité sur son nouvel opus dès que j’ai eu la possibilité de le récupérer. Billy Wilder et moi ne restera cependant pas, pour une fois, un grand souvenir de lecture, posé quelque part du côté de La Vie très privée de Mr Sim ou, plus ancien, Une touche d’amour.
Pourquoi ? Je n’en sais rien.
Bizarre, hein ?
Je vais tenter de vous expliquer ce qui me perturbe. Ce texte est ma troisième tentative de chronique en deux jours. Alors que j’essayais de mettre de l’ordre dans mes pensées et d’en tirer un propos un tant soit peu intéressant, je me suis rendu compte que je parvenais juste à être pontifiant – mot gentil et ronflant pour ne pas dire chiant.
Essayant de gloser sur le contenu du roman, je me retrouvais à le paraphraser en tentant, par-dessus le marché, de faire des grandes phrases pour avoir l’air intelligent, sans arriver à en tirer d’analyse pertinente.
Bref, le combo gagnant.
Si j’essaie de résumer plutôt que de gloser, voici ce que cela donne, en quelques points énumérés :
- une narratrice attachante, Calista, qui marque le troisième recours de Coe à une voix féminine en guise de point de vue principal, après son premier roman, La Femme de hasard (plutôt oubliable), et La Pluie, avant qu’elle tombe (que j’aime beaucoup en revanche, même si ce n’est pas forcément le cas de tous les amateurs de l’écrivain). Jeune et naïve, elle se pose en héroïne typique de roman de formation, construite en opposition à l’autre personnage principal, Billy Wilder, dont elle éclaire l’expérience, la science, mais aussi les questionnements touchants sur le vieillissement et l’épuisement de la vie, notamment artistique.
- une construction imparable en trois actes, chacun centré autour d’une scène de repas qui permet, en réunissant les personnages autour d’une table, de bons plats et surtout de bon vin, de délier la parole et, au romancier, de délivrer l’essentiel de son propos.
- une grande séquence-clef au cœur du livre, que Coe décline avec beaucoup d’à-propos sous forme de traitement scénaristique qui lui donne efficacité, rythme et pertinence.
- un beau roman sur l’art, sur l’expression artistique (Calista devient compositrice, notamment de musique de film), et sur le cinéma, évidemment, qui sonne en particulier comme une déclaration d’amour à Billy Wilder, cinéaste très cher à Jonathan Coe…
Reste qu’à la lecture, j’ai eu la sensation de rester à la surface. De ne jamais totalement entrer dans cette histoire, de ne pas être touché par le propos.
La faute, peut-être, à une écriture plus neutre et distanciée que d’habitude, voire presque plate. Jonathan Coe n’est pas réputé pour sa flamboyance, mais son style, pour être discret, n’en est pas moins travaillé, poli pour gagner en fluidité, tout en brillant souvent par son humour et son ironie, marques de fabrique indiscutables du romancier britannique.
Quand il s’éloigne de ce qui ressemble à une zone de confort où il excelle, soit il gagne en sensibilité et en émotion (c’est le cas à mon sens dans La Pluie, avant qu’elle tombe), soit il s’affadit quelque peu. J’avais déjà eu cette impression dans son précédent livre, Le Cœur de l’Angleterre ; dans Billy Wilder et moi, cela me semble encore plus net.
Si je le trouve loin des standards de Jonathan Coe, ou en tout cas de ce que j’attends et espère de lui, Billy Wilder et moi reste une lecture agréable, riche de jolis moments et de personnages solidement incarnés.
Une bonne peloche du samedi soir, en somme.
Désaccords imparfaits, de Jonathan Coe
Signé Bookfalo Kill
Dans l’introduction de Désaccords imparfaits, Jonathan Coe explique qu’il ne lui est « pas facile de faire court. » On le croit volontiers, même si, dans ses romans (dont je suis un inconditionnel), il a le bon goût et le talent de ne jamais faire trop long.
J’attendais donc ce bref recueil – « toute ma production de nouvelles au cours de ces quinze dernières années », dixit l’auteur – avec une infinie curiosité, me demandant s’il s’agissait d’une publication opportuniste au parfum amer de fonds de tiroir, d’un tirage réservé aux fans du romancier anglais, ou bien d’un objet littéraire présentant un véritable intérêt.
Les fans seront sûrement satisfaits, mais ils ne seront pas les seuls ; et de fonds de tiroir, il ne saurait être question. On retrouve dans les trois nouvelles – Ivy et ses bêtises, 9e et 13e et Version originale – tout ce qui fait qu’on aime Jonathan Coe : un mélange subtil de mélancolie, d’ironie et de tendresse, des personnages en recherche de choses, de souvenirs ou de sentiments diffus, de l’humour – anglais, forcément (surtout dans Version originale, où le héros, compositeur anglais de musique de films, se retrouve juré d’un festival français de films d’horreur…)
Plus étonnant : bien qu’écrits à des périodes différentes de sa carrière, ces trois textes se complètent, se répondent, pris dans la toile de thématiques et d’obsessions chères au romancier : la musique (deux des héros sont musiciens), le cinéma, la famille et ses failles, l’amour et ses indécisions… On est certes plus proche de sa veine intimiste, magnifiquement mise en œuvre dans La Pluie, avant qu’elle tombe, que de la verve satirique de Testament à l’anglaise qui a d’abord assuré sa renommée.
Mais le bonheur reste intact, de même que l’on retrouve l’écriture fluide et gracieuse de Coe, qui se fait même aventureuse dans 9e et 13e, presque entièrement racontée au conditionnel…
En guise de cadeau bonus, un article consacré à la Vie privée de Sherlock Holmes, film méconnu de Billy Wilder, complète les trois nouvelles. Un ajout qui n’a rien d’incongru : dans ce texte, Coe relate sa passion pour ce film, et surtout pour sa bande originale.
Musique, cinéma et quête obsessionnelle d’un idéal impossible à atteindre (l’auteur relate comment il a traqué pendant des années tout ce qui concernait le film, y compris une bande originale introuvable et des scènes coupées invisibles – tout ceci bien avant l’avènement du DVD et d’Internet) : est présente ici une bonne partie de l’univers de Jonathan Coe, aussi bon nouvelliste qu’il est l’un des romanciers britanniques les plus importants des vingt dernières années.
Désaccords imparfaits, de Jonathan Coe
Éditions Gallimard, 2012
ISBN 978-2-07-013362-8
99 p., 8,90€