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Premier sang, d’Amélie Nothomb

Éditions Albin Michel, 2021

ISBN 9782226465382

180 p.

17,90 €


Un jeune homme de 28 ans fait face à un peloton d’exécution.
Nous sommes en 1964, au Congo, à Stanleyville (ancien nom de Kisangani) tombé sous la coupe de rebelles qui ont pris des centaines d’otages belges et étrangers.
Ce jeune homme est le Consul de Belgique au Congo. Depuis des jours, il fait office de négociateur et s’efforce d’assurer la survie des autres otages en palabrant sans fin avec les différents chefs de la rébellion. Ce jour-là, quelque chose a mal tourné, et le voici aux portes de la mort.
Face aux fusils levés contre lui, respectant le cliché selon lequel on verrait défiler son passé à l’instant de sa mort, il revient sur sa courte vie pour essayer de comprendre ce qui a pu le conduire à une telle extrémité.


Ce jeune homme, c’est Patrick Nothomb. Futur papa d’Amélie. Premier sang est évidemment à prendre avant tout comme un hommage au père, disparu en mars 2020 (et non pas devant le peloton d’exécution en 1964, sans quoi nous n’aurions jamais lu les livres de sa fille).
Ce trentième livre s’inscrit de fait dans la veine intimiste de la romancière belge, qui a donné quelques-uns de ses plus beaux livres (Le Sabotage amoureux, Stupeur et tremblements, La Nostalgie heureuse). En découvrant de quoi il y était question, j’en ai donc attendu beaucoup, espérant l’un de ces bons crus dont Nothomb peut, à l’occasion, nous gratifier.
C’est, hélas, une relative déception.

Passées les premières pages, assorties d’une petite référence à Dostoïevski pour faire bien, le roman rembobine afin de rallier l’enfance de Patrick. Où l’on découvre un petit garçon gracieux et fragile, orphelin très tôt de père, délaissé par sa mère qui confie son éducation à ses parents. Très vite exaspéré par les manières de poupée de porcelaine de l’enfant, le grand-père décide de profiter de vacances scolaires pour l’envoyer s’endurcir du côté de la branche paternelle de la famille : les Nothomb.
S’endurcir n’est pas un vain mot, car cette partie de l’arbre généalogique s’avère un panier d’affreux crabes, une tribu composée d’une tripotée de gamins crasseux et mal élevés, à peine nourris par un patriarche poète à ses heures et totalement allumé le reste du temps.

Voici donc ce que raconte surtout Premier sang : la confrontation initiatique entre un enfant « merveilleux » et une brochette de monstres, dont les vilaines habitudes cachent en réalité, bien sûr, des trésors édifiants pour le petit Patrick, qui va grandir et beaucoup apprendre à leurs contacts, au point d’attendre avec impatience chaque retour en vacances chez eux.
La fragilité des âmes pures et la beauté des monstres (à laquelle répond souvent la monstruosité des beaux), voilà bien encore des thèmes nothombiens, que l’on retrouve beaucoup dans ses textes inspirés des contes (Barbe Bleue, Riquet à la houppe, mais aussi Mercure et Attentat). Et c’est un peu le problème à mon sens.
Premier sang, en consacrant l’essentiel de ses pages à ce récit d’enfance, se cantonne à une énième variation d’Amélie Nothomb sur des sujets rebattus, sans rien leur apporter de neuf. Et ne fait qu’effleurer, dans le dernier quart du livre, l’histoire congolaise de Patrick Nothomb, pourtant plus prometteuse et piquante sur le papier – d’ailleurs savamment mise en avant dans la communication entourant le livre, ce qui prouve qu’elle est son point fort, et qu’elle aurait sans doute mérité plus.

L’hommage au père s’avère donc un roman anodin dans l’œuvre de l’écrivaine. Bien tourné, comme toujours, appuyé sur l’écriture élaborée que Nothomb a adoptée depuis un moment en abusant moins des dialogues au profit d’une véritable narration.
Plaisant et rapide à lire (ce n’est pas non plus une surprise) mais, à mon sens, ou en tout cas selon mes attentes, pas à la hauteur de sa promesse.

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À première vue : la rentrée Flammarion 2020

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Intérêt global :

sourire léger


Sept titres. Voici enfin un « gros » éditeur qui semble avoir compris les enjeux de la crise et qui a réellement resserré son programme de rentrée. Par ailleurs, Flammarion envoie ses poids lourds en première ligne – Alice Zeniter, Serge Joncour, Philippe Djian -, histoire d’assurer le coup. Comme souvent avec cette maison, c’est solide, pas forcément clinquant, mais on peut d’ores et déjà être sûr qu’elle tiendra son rang dans les places d’honneur.


TÊTES D’AFFICHE


Alice Zeniter - Comme un empire dans un empireComme un empire dans un empire, d’Alice Zeniter

Il y a trois ans, L’Art de perdre (prix Goncourt des Lycéens) avait enfin propulsé cette jeune romancière prometteuse sous les projecteurs, et à raison. Alice Zeniter se retrouve donc forcément attendue pour son retour, qu’elle a choisi de mener sur une voie plus contemporaine et politique.
Elle y suit en effet le parcours de deux jeunes gens, deux trentenaires qui essaient, chacun à leur manière, de repenser le monde dans lequel nous vivons. L’un, Antoine, est assistant parlementaire, et se demande comment renverser la détestation de l’action politique (et de ses acteurs) qui semble gagner une frange de plus en plus importante de la population. L’autre, L, est hackeuse, et œuvre en coulisses et en toute illégalité pour démolir les privilèges indus, punir les mauvaises pratiques et tenter d’abattre ceux qui creusent chaque jour un peu plus les inégalités. Ils ne sont ni « méchants » ni « gentils ». Parce qu’ils veulent encore croire qu’un autre monde est possible, ils se battent avec leurs petites armes, leur volonté et leur espoir.
J’ai lu les premières pages : l’écriture est puissante, le regard affûté, le ton mordant d’emblée. Alice Zeniter paraît au rendez-vous. Si c’est le cas de bout en bout, bonne nouvelle !

Serge Joncour - Nature humaineNature humaine, de Serge Joncour

Fidèle de la rentrée littéraire (un roman tous les deux ans environ) et des listes de meilleures ventes, Serge Joncour est la deuxième locomotive de Flammarion. Il nous ramène sur cette nuit de terrible tempête sur laquelle, comme un signe du destin, s’acheva 1999 et commencèrent les années 2000. Tandis que les éléments se déchaînent à l’extérieur, un homme reste reclus dans sa ferme du Lot. Ce qu’il craint, ce n’est pas la violence du ciel que l’arrivée des gendarmes. Car ils viendraient mettre un point final à son histoire, qui est aussi celle du monde paysan en France, et au-delà, toute une manière de concevoir la société.
Avec ambition, Joncour s’attache à remonter trente ans de l’Histoire récente du pays, et à essayer de comprendre comment nous en sommes arrivés là. Un socle humain pour sonder le politique, voilà encore un roman qui devrait faire parler de lui.

Philippe Djian - 2030 (160920)2030, de Philippe Djian

Mine de rien, c’est un petit événement dans le Landerneau (ou pas). Après avoir été longtemps l’une des plumes phares de Gallimard, Philippe Djian rejoint l’écurie Flammarion avec un titre qui se passe de commentaire.
2030, ça paraît encore loin, non ? C’est demain. C’est presque déjà aujourd’hui. Dans ce roman qui joue d’une légère anticipation pour mieux éclairer le présent, Djian interroge un monde qui continue à courir à sa perte. Greg, son héros, est tiraillé entre son patron, à la tête d’un laboratoire aux pratiques litigieuses (et accessoirement mari de sa sœur), et sa nièce Lucie qui s’engage à fond dans la lutte pour l’écologie – à la manière de de cette jeune filles suédoise qui, à la fin des années 2010, faisait office de Jeanne d’Arc de l’environnement…


SOLEIL DE MINUIT


Eric Laurrent - Une fille de rêveUne fille de rêve, d’Eric Laurrent

Encore un transfuge, tiens. Mais celui-ci fera moins de bruit que Djian. Eric Laurrent a pourtant publié douze romans aux éditions de Minuit avant d’arriver cette année chez Flammarion. Il y amène Nicky Soxy, figure centrale de son précédent roman, Un beau début, dans lequel il relatait ses origines à la fois modestes et cradingues. En effet, avant d’être cette vedette éphémère dont le seul talent est d’être célèbre pour être célèbre, elle fut Nicole Sauxilange, camarade de classe du narrateur et, accessoirement, fille de son grand-père (oui, beurk). Dans Une fille de rêve, Eric Laurrent s’attache à raconter l’éclosion de la star, ses splendeurs et misères de courtisée moderne la vouant à une disparition aussi brutale que son apparition.


AU CŒUR DES (IM)POSSIBLES


Mathilde Alet - Sexy SummerSexy Summer, de Mathilde Alet

Après avoir parcouru les premières pages de ce roman, je crois qu’il serait judicieux de ne pas le juger trop vite, sur la mauvaise mine de sa couverture bas de gamme et son titre racoleur de bluette pour ados. (De l’importance de l’emballage, encore une fois.)
D’adolescence il est bien question ici, mais pas sous l’angle convenu auquel on pourrait s’attendre. Juliette, la jeune héroïne du troisième roman de Mathilde Alet (après deux premiers publiés en Belgique chez Luce Wilquin), souffre de la « maladie des ondes », ce qui pousse ses parents à quitter Bruxelles pour s’installer à la campagne. Là, ils pensent avoir fait le nécessaire pour préserver leur fille de la douleur. Mais les étendues désertes du plat pays peuvent receler d’autres formes de violence…
En rédigeant cette présentation, je repense à Adeline Dieudonné et son formidable premier roman, La Vraie vie. Méfions-nous des jeunes romancières belges, elles ont tendance à avoir du talent.

Nicolas Rodier - Sale bourgeSale bourge, de Nicolas Rodier

Là encore après examen des premières pages, je suis un peu moins convaincu par ce premier roman. Aîné d’une famille nombreuse des milieux aisés où l’on vit ancré dans la certitude qu’on a tous les droits, Pierre a néanmoins grandi dans la violence, sous la coupe notamment d’une mère tyran. Devenu adulte, il finit par reproduire le même schéma et se retrouve en garde à vue après avoir frappé sa femme. L’occasion d’opérer un retour en arrière et de chercher dans son enfance « privilégiée » les racines de son mal…
Le sujet – sonder les origines de la violence dans les milieux bourgeois – est intéressant, même s’il n’est pas neuf. Sur le peu que j’ai lu, toutefois, le style m’a paru manquer un peu de relief. À voir, peut-être, sur la longueur.

Couvertures_Rentree.inddInge en guerre, de Svenja O’Donnell
(traduit de l’anglais par Pierre Guglielmina)

La guerre observée du côté des femmes allemandes. Voilà un point de vue qu’on n’a sans doute pas trop l’habitude de rencontrer, et qui pourrait donner de l’intérêt à ce récit de Svenja O’Donnell. Celle-ci, en remontant vers le passé toujours gardé secret de sa grand-mère Inge, se livre à une quête des origines, de la vérité familiale envers et contre tout.


BILAN



Lecture probable

Comme un empire dans un empire, d’Alice Zeniter

Lectures envisageables
Sexy Summer, de Mathilde Alet
Nature humaine, de Serge Joncour


La Vraie vie, d’Adeline Dieudonné

Dieudonné - La Vraie vieChez eux, il y a quatre chambres. Celle du frère, la sienne, celle des parents. Et celle des cadavres. Le père est chasseur de gros gibier. Un prédateur en puissance. La mère est transparente, amibe craintive, soumise à ses humeurs.

Avec son frère, Gilles, elle tente de déjouer ce quotidien saumâtre. Ils jouent dans les carcasses des voitures de la casse en attendant la petite musique qui annoncera l’arrivée du marchand de glaces. Mais un jour, un violent accident vient faire bégayer le présent. Et rien ne sera plus jamais comme avant.

Pour une raison qui m’échappe, j’ai entendu certains comparer ici ou là Adeline Dieudonné à Amélie Nothomb. Je souhaite à la nouvelle venue la même longévité, le même succès et la même renommée, mais à part ça, le rapport entre les deux est assez mince. Bon, si, Adeline Dieudonné est belge. Ça fait un bon point commun, surtout si l’on se plaît à considérer qu’il se trouve souvent chez nos voisins un gène de la folie artistique et de la créativité débridée plutôt réjouissant. Nothomb en dispose, c’est acquis ; Adeline Dieudonné en semble également bien pourvue, et tant mieux.

Cela dit, il y a du caractère dans le premier roman de la jeune romancière belge, comme il y en avait dans Hygiène de l’assassin, le premier opus de Mme Nothomb – et on arrête là avec cette comparaison, parce qu’il n’y a vraiment pas matière. Là où Dame Amélie brille le plus souvent par une débauche de dialogues brillantissimes, Adeline Dieudonné privilégie la vie intérieure de son héroïne narratrice. Signalons au passage qu’elle lui a trouvé une voix forte et authentique, et qu’elle évite ainsi le piège de la fausse naïveté littéraire qui saborde nombre de romans donnant la parole à des enfants. (Oui, parce que les enfants sont tous niais et demeurés, c’est bien connu.)
Bon, j’avoue tout de même que j’ai eu un peu peur, au début. Pendant les trente premières pages, à peu près. Parce que, justement, il y avait cette gentillesse, cette mignardise, censées incarner l’esprit d’une gosse de dix ans. Ouais ! C’est pour mieux te surprendre, mon enfant. Et quand surgit le point de bascule, le déclencheur de toute l’histoire, on se le prend – littéralement – dans la tronche. Quel choc !

Ensuite, impossible de lâcher prise. Les phrases fusent et claquent, le récit déroule son fil implacable. La Vraie vie selon Dieudonné a des airs de conte. Mais un vrai conte, avec son lot d’horreur, de sordide et de violence sourde. Du Grimm ou du Perrault dans le texte, pas délavé par la guimauve Disney. La romancière mêle si bien les registres que le merveilleux et le réalisme s’entrelacent dans un ballet aussi fascinant que cruel. Et si on tient le coup, si on résiste, si on survit, c’est parce que son héroïne y parvient aussi, envers et contre tous. Parce qu’elle se nourrit de ses rêves et accomplit ses fantasmes. Parce qu’elle lutte avec ses armes, son intelligence, sa féminité aussi, et qu’elle fait tout pour rester debout.

Alors on tient avec elle, on franchit les étapes de l’initiation (et certaines font mal, croyez-moi), et on achève sa lecture un peu plus grand qu’au début. Comme dans la vraie vie, quoi. Mais en mieux.

La Vraie vie, d’Adeline Dieudonné
Éditions L’Iconoclaste, 2018
ISBN 9782378800239
308 p., 17€


Le Crime du Comte Neville, d’Amélie Nothomb

Signé Bookfalo Kill

Un matin, le comte Neville doit aller récupérer Sérieuse, sa benjamine âgée de dix-sept ans, chez une voyante qui l’a trouvée frigorifiée en pleine nuit dans la forêt. Après avoir sermonné l’aimable aristocrate belge, la madame Irma (qui s’appelle en réalité Portenduère) prédit sans transition qu’il va tuer l’un de ses invités lors de la prochaine grande fête qu’il donnera dans son château.
Hélas, cette fête devait être l’apogée de l’historique bastion familial, car le comte Neville s’apprête à le vendre, incapable de l’entretenir plus longtemps comme il se doit. Rongé d’inquiétude, il se voit alors proposer une étrange solution par Sérieuse…

Nothomb - Le Crime du comte NevilleJe ne saurais déroger à la règle voulant que nous ouvrions nos chroniques consacrées à la rentrée littéraire par la présentation du Nothomb annuel. Il faut croire que vous y avez pris goût, vous aussi, puisque notre article de l’année dernière sur Pétronille est devenu la publication la plus consultée de ce blog, avec des statistiques aussi inattendues qu’hallucinantes.
Et puis, comme nous n’aurons pas souvent l’occasion de rigoler avec cette rentrée 2015, autant commencer avec un peu de gaieté et de bonne humeur littéraire – et dans ce registre, Amélie est devenue incontournable.

Le Nothomb 2015 est donc un cru léger et pétillant ; pas une cuvée inoubliable, certes, mais pas de quoi rougir. En romancière cultivée, Amélie Nothomb esquisse une aimable variation sur le Crime de Lord Arthur Savile, bref roman diabolique d’Oscar Wilde. Elle y ajoute ses ingrédients personnels : quelques larmes de Champagne, une adolescente délicatement amorale, un pneu, une réflexion – gentillette – sur le monstrueux (ici moral), des aristocrates finissants mais dignes (ça, c’est pour la partie autobiographique, car il y a du familial nothombien dans cette tribu Neville), le tout servi avec des dialogues précis comme un texte de théâtre.

Alors, non, rien de franchement nouveau ; et on pourra même déplorer des personnages quelque peu superficiels, une intrigue qui touche très vite ses limites, ce qui est un comble pour un roman aussi court ; et une fin trop rapide, exécutée en deux pages à peine. Cependant, soyons honnêtes, nous n’en sommes plus à attendre de profonds bouleversements littéraires en provenance du front belge… Amélie Nothomb est ici en service minimum, ça fonctionne et c’est déjà ça.

Le Crime du Comte Neville, d’Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel, 2015
ISBN 978-2-226-31809-1
144 p., 15€


Expo 58, de Jonathan Coe

Signé Bookfalo Kill

Parce que sa mère est d’origine belge et que son père a tenu un pub pendant des années, Thomas Foley, jeune employé du Bureau Central d’Information, est choisi pour administrer le Britannia, reconstitution d’un authentique pub anglais érigé à proximité du pavillon britannique de l’Exposition Universelle qui se tient à Bruxelles en cette année 1958.
Thomas saisit l’occasion de fuir son quotidien morose, sa femme tristounette et leur petite fille qui vient à peine de naître. Et il n’est pas déçu : à peine arrivé, il se retrouve lié à un journaliste russe particulièrement affable, une jeune actrice américaine plutôt délurée, un collègue britannique censé vanter les mérites d’une machine révolutionnaire aux propriétés incertaines, ou encore une délicieuse hôtesse belge de l’Exposition – sans parler de ces deux types étranges, aussi courtois que loufoques, qui surgissent sur son chemin aux moments les plus inopinés et semblent vouloir l’embarquer dans des affaires bien mystérieuses…

Coe - Expo 58Après avoir passé au crible de son scanner satirique différentes périodes de l’histoire récente de l’Angleterre (les années 80 dans Testament à l’anglaise, les années 70 puis 90 dans le diptyque Bienvenue au club et le Cercle fermé, les années 2000 dans la Vie très privée de Mr Sim), Jonathan Coe explore une nouvelle époque dans Expo 58, à savoir la fin des années 50. Le roman saisit le ton de ce moment particulier, entre soulagement post-Seconde Guerre mondiale, essor irrésistible de la mondialisation, volonté de pacification et de compréhension entre les peuples et, paradoxalement, Guerre Froide sévère sur fond de progrès techniques fulgurants et d’antagonismes politiques exacerbés par les expérimentations nucléaires des uns et des autres.

Expo 58 permet en outre à Coe d’aborder un genre nouveau pour lui, l’espionnage. Loin de se prendre pour John Le Carré ou Ian Fleming, il s’empresse de le maquiller de quelques coups de patte personnels, pour en faire une véritable comédie, pétillante, enlevée, pleine de subtiles touches d’humour et de considérations paisibles sur le couple et la famille, l’amour, la place de chacun dans l’existence…
Les personnages sont tous épatants, surtout Wayne et Radford, les Dupont et Dupond des services secrets anglais dont chaque apparition garantit un franc moment de rigolade, à tel point qu’on finit par guetter leurs irruptions improbables avec impatience et gourmandise. Bref, là aussi, c’est du Jonathan Coe 100% pur scone.

Si ce n’est pas son roman le plus ambitieux, Expo 58 est une délicieuse friandise littéraire, souvent drôle (même si elle vire légèrement douce-amère vers une fin plus émouvante), qui se dévore en un rien de temps et rafraîchit le talent de Jonathan Coe en le montrant capable de se renouveler tout en restant lui-même, sans se prendre au sérieux. La marque des grands.

Expo 58, de Jonathan Coe
Traduit de l’anglais par Josée Kamoun
Éditions Gallimard, 2014
ISBN 978-2-07-014279-8
326 p., 22€