Chez eux, il y a quatre chambres. Celle du frère, la sienne, celle des parents. Et celle des cadavres. Le père est chasseur de gros gibier. Un prédateur en puissance. La mère est transparente, amibe craintive, soumise à ses humeurs.
Avec son frère, Gilles, elle tente de déjouer ce quotidien saumâtre. Ils jouent dans les carcasses des voitures de la casse en attendant la petite musique qui annoncera l’arrivée du marchand de glaces. Mais un jour, un violent accident vient faire bégayer le présent. Et rien ne sera plus jamais comme avant.
Pour une raison qui m’échappe, j’ai entendu certains comparer ici ou là Adeline Dieudonné à Amélie Nothomb. Je souhaite à la nouvelle venue la même longévité, le même succès et la même renommée, mais à part ça, le rapport entre les deux est assez mince. Bon, si, Adeline Dieudonné est belge. Ça fait un bon point commun, surtout si l’on se plaît à considérer qu’il se trouve souvent chez nos voisins un gène de la folie artistique et de la créativité débridée plutôt réjouissant. Nothomb en dispose, c’est acquis ; Adeline Dieudonné en semble également bien pourvue, et tant mieux.
Cela dit, il y a du caractère dans le premier roman de la jeune romancière belge, comme il y en avait dans Hygiène de l’assassin, le premier opus de Mme Nothomb – et on arrête là avec cette comparaison, parce qu’il n’y a vraiment pas matière. Là où Dame Amélie brille le plus souvent par une débauche de dialogues brillantissimes, Adeline Dieudonné privilégie la vie intérieure de son héroïne narratrice. Signalons au passage qu’elle lui a trouvé une voix forte et authentique, et qu’elle évite ainsi le piège de la fausse naïveté littéraire qui saborde nombre de romans donnant la parole à des enfants. (Oui, parce que les enfants sont tous niais et demeurés, c’est bien connu.)
Bon, j’avoue tout de même que j’ai eu un peu peur, au début. Pendant les trente premières pages, à peu près. Parce que, justement, il y avait cette gentillesse, cette mignardise, censées incarner l’esprit d’une gosse de dix ans. Ouais ! C’est pour mieux te surprendre, mon enfant. Et quand surgit le point de bascule, le déclencheur de toute l’histoire, on se le prend – littéralement – dans la tronche. Quel choc !
Ensuite, impossible de lâcher prise. Les phrases fusent et claquent, le récit déroule son fil implacable. La Vraie vie selon Dieudonné a des airs de conte. Mais un vrai conte, avec son lot d’horreur, de sordide et de violence sourde. Du Grimm ou du Perrault dans le texte, pas délavé par la guimauve Disney. La romancière mêle si bien les registres que le merveilleux et le réalisme s’entrelacent dans un ballet aussi fascinant que cruel. Et si on tient le coup, si on résiste, si on survit, c’est parce que son héroïne y parvient aussi, envers et contre tous. Parce qu’elle se nourrit de ses rêves et accomplit ses fantasmes. Parce qu’elle lutte avec ses armes, son intelligence, sa féminité aussi, et qu’elle fait tout pour rester debout.
Alors on tient avec elle, on franchit les étapes de l’initiation (et certaines font mal, croyez-moi), et on achève sa lecture un peu plus grand qu’au début. Comme dans la vraie vie, quoi. Mais en mieux.
La Vraie vie, d’Adeline Dieudonné
Éditions L’Iconoclaste, 2018
ISBN 9782378800239
308 p., 17€
12 septembre 2018 | Catégories: Romans Francophones | Tags: Adeline Dieudonné, adolescence, éditions de l'Iconoclaste, belge, Belgique, Cannibales Lecteurs, conte, frère, héroïne, iconoclaste, initiation, narratrice, père, prédateur, premier roman, violence, violent | 5 Commentaires
Signé Bookfalo Kill
Un matin, le comte Neville doit aller récupérer Sérieuse, sa benjamine âgée de dix-sept ans, chez une voyante qui l’a trouvée frigorifiée en pleine nuit dans la forêt. Après avoir sermonné l’aimable aristocrate belge, la madame Irma (qui s’appelle en réalité Portenduère) prédit sans transition qu’il va tuer l’un de ses invités lors de la prochaine grande fête qu’il donnera dans son château.
Hélas, cette fête devait être l’apogée de l’historique bastion familial, car le comte Neville s’apprête à le vendre, incapable de l’entretenir plus longtemps comme il se doit. Rongé d’inquiétude, il se voit alors proposer une étrange solution par Sérieuse…
Je ne saurais déroger à la règle voulant que nous ouvrions nos chroniques consacrées à la rentrée littéraire par la présentation du Nothomb annuel. Il faut croire que vous y avez pris goût, vous aussi, puisque notre article de l’année dernière sur Pétronille est devenu la publication la plus consultée de ce blog, avec des statistiques aussi inattendues qu’hallucinantes.
Et puis, comme nous n’aurons pas souvent l’occasion de rigoler avec cette rentrée 2015, autant commencer avec un peu de gaieté et de bonne humeur littéraire – et dans ce registre, Amélie est devenue incontournable.
Le Nothomb 2015 est donc un cru léger et pétillant ; pas une cuvée inoubliable, certes, mais pas de quoi rougir. En romancière cultivée, Amélie Nothomb esquisse une aimable variation sur le Crime de Lord Arthur Savile, bref roman diabolique d’Oscar Wilde. Elle y ajoute ses ingrédients personnels : quelques larmes de Champagne, une adolescente délicatement amorale, un pneu, une réflexion – gentillette – sur le monstrueux (ici moral), des aristocrates finissants mais dignes (ça, c’est pour la partie autobiographique, car il y a du familial nothombien dans cette tribu Neville), le tout servi avec des dialogues précis comme un texte de théâtre.
Alors, non, rien de franchement nouveau ; et on pourra même déplorer des personnages quelque peu superficiels, une intrigue qui touche très vite ses limites, ce qui est un comble pour un roman aussi court ; et une fin trop rapide, exécutée en deux pages à peine. Cependant, soyons honnêtes, nous n’en sommes plus à attendre de profonds bouleversements littéraires en provenance du front belge… Amélie Nothomb est ici en service minimum, ça fonctionne et c’est déjà ça.
Le Crime du Comte Neville, d’Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel, 2015
ISBN 978-2-226-31809-1
144 p., 15€
19 août 2015 | Catégories: Romans Francophones | Tags: 2015, Albin Michel, Amélie Nothomb, aristocratie, belge, Belgique, Cannibales Lecteurs, château, comte, crime, crime du comte Neville, humour, lord Arthur Savile, Neville, Nothomb, Oscar Wilde, Pétronille, rentrée littéraire, variation | Poster un commentaire