À première vue, j’ai connu des rentrées plus excitantes chez les éditions Zoé. D’un côté, on ne peut pas briller tout le temps (ce que cette excellente maison suisse parvient à faire très régulièrement) ; d’un autre, ces quatre textes auront sans doute plus d’intérêt pour d’autres que moi. Donc, comme d’habitude, je vous les confie et vous laisse vous faire votre propre idée !
La Patience du serpent, d’Anne Brécart
Christelle et Greg, des amateurs de surf dans la trentaine, sillonnent le monde en minibus avec leurs deux petits garçons, s’installant près des meilleurs spots et vivant de petits boulots. À San Tiburcio, sur la côte mexicaine, ils s’acclimatent et font la rencontre d’une jeune villageoise. Cette dernière entraîne Christelle dans une relation vertigineuse qui bouleverse leur vie de famille. C’est le septième roman d’Anne Brécart, publié comme les six précédents par les éditions Zoé.
Je vais ainsi, de Hwang Jungeun (traduit du coréen par Eun-Jin Jeong et Jacques Batilliot) So Ra, la grande sœur douce et rêveuse, Na Na, la cadette déterminée et libre, et Na Ki, le frère de cœur, prennent tour à tour la parole pour raconter leur rencontre et l’enfance dans l’appartement commun, la grossesse de la deuxième et le séjour au Japon du troisième, qui l’a transformé. À travers ces voix à l’imaginaire propre, événements et situations se déploient dans leurs nuances. Première traduction en français.
Reconnaissances, de Catherine Safonoff Au soir de sa vie, une auteure se relit. Ses livres sont des îlots dans sa mémoire et elle cherche à relier ces repères. Sa relecture est relecture de soi. Grave, mais régulièrement drôle aussi. De ce voyage dans le passé, elle choisit les heures claires, souvenirs inaltérables de lieux propices. Une autofiction évoquant l’amour pour le père et la mère, la difficulté à être soi, à être fille comme à être mère.
Les vies de Chevrolet, de Michel Layaz Biographie romancée de Louis Chevrolet, né en Suisse en 1878 et qui grandit en Bourgogne où il travaille comme mécanicien pour vélos, avant de gagner l’Amérique en 1900. Il dessine des milliers de moteurs, acquiert une notoriété en tant que pilote, puis devient entrepreneur en fondant la marque qui porte son nom avec William Durant, futur fondateur de la General Motors, qui la lui rachète.
Cette année encore, les éditions du Seuil ne s’éparpillent pas, en ne publiant fin août que six romans français et trois étrangers. Ce qui n’empêche pas leur offre d’être diversifiée et plutôt solide, plus séduisante que l’année dernière, notamment en littérature étrangère, dominée par la sortie du dernier roman de Henning Mankell.
GROLLES D’HISTOIRES :Les bottes suédoises, de Henning Mankell
Avant même le phénomène Millenium, il avait popularisé le polar nordique en France. Auteur de la série phare autour du commissaire Wallander, Henning Mankell s’est par la suite imposé comme un grand écrivain tout court, capable de passer du policier à la littérature « blanche » ou jeunesse avec une aisance admirable. Emporté beaucoup trop tôt l’année dernière par un cancer, à l’âge de 67 ans, il a néanmoins eu le temps de nous laisser ce dernier roman – et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit d’une suite des Chaussures italiennes, immense succès et souvent livre préféré de Mankell chez ses lecteurs. Dans ces Bottes, on retrouve donc Fredrik Welin, médecin à la retraite qui a choisi de vivre totalement reclus, à l’écart du monde. Mais l’incendie de sa maison vient bouleverser son existence, d’autant que sa fille Louise et une journaliste locale s’en mêlent… Ce roman « testament » sera bien sûr l’un des événements de la rentrée littéraire.
KILLER KING :Comme l’ombre qui s’en va, d’Antonio Munoz Molina
L’un des plus grands auteurs espagnols contemporains se lance à Lisbonne sur les traces de James Earl Ray, l’assassin de Martin Luther King, qui a séjourné dans la ville portugaise durant une dizaine de jours un mois après son crime, pour essayer d’y disparaître et de s’y façonner une nouvelle identité. Une ville qui était également au cœur du deuxième livre de Molina, L’Hiver de Lisbonne… L’enquête devient aussi l’occasion pour le romancier d’une mise en perspective littéraire et personnelle, dont les 450 pages devraient emballer les amateurs de littérature ambitieuse.
DÉZINKAGE EN REGLE :Une comédie des erreurs, de Nell Zink
Sur le campus d’une petite ville américaine, une étudiante tombe amoureuse de son professeur. Classique ? Pas tant que ça, puisqu’elle est lesbienne et qu’il est homosexuel. Ce qui ne va pas les empêcher de se marier et de fonder une famille – plutôt pour le pire, disons-le tout de suite… Première traduction de l’Américaine Nell Zink en France, cette comédie acide vise un déglingage systématique des clichés du roman américain classique. Et pourrait donc être fort réjouissante.
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L’HOMME EN NOIR FUYAIT A TRAVERS LE DÉSERT ET LE PISTOLERO LE POURSUIVAIT :L’Archipel d’une autre vie, d’Andreï Makine
Prix Goncourt et Médicis en 1995 pour le Testament français, qui l’avait révélé, le romancier français d’origine russe est une valeur sûre de la maison Seuil. Il revient avec l’histoire d’une traque dans la taïga, au début des années 50 ; Pavel Gartsev et ses hommes poursuivent un criminel insaisissable, si rusé qu’il finit par faire renoncer tous ses chasseurs – sauf Pavel. Mais la vérité que va découvrir ce dernier en continuant sa mission risque bien de tout changer à son existence…
CROUNCH :Cannibales, de Régis Jauffret
Une jeune femme rompt avec son amant trois fois plus vieux qu’elle. Elle se sent obligée d’envoyer une lettre à la mère de cet homme pour s’excuser de l’avoir quitté. Commence alors une correspondance entre les deux femmes, qui se retrouvent tant et si bien qu’elles finissent par concevoir un plan pour se débarrasser du monsieur… Une histoire d’amour à la sauce Jauffret (tout risque de gnangnan est donc écarté) sous forme d’un roman épistolaire. Intriguant, il faut bien l’avouer.
SOLEIL COUCHANT A L’EST :Éclipses japonaises, d’Eric Faye
Eric Faye fait partie des nombreux auteurs à avoir quitté Stock après la mort de son éditeur historique, Jean-Marc Roberts. Il rejoint donc le Seuil avec un nouveau roman asiatique (après notamment Nagasaki, qui figure parmi ses succès les plus importants), articulé autour de trois histoires distinctes : la disparition d’un G.I. dans la zone démilitarisée entre les deux Corées en 1966, une série de disparitions inquiétantes au Japon dans les années 70, et un attentat contre un avion de la Korean Air en 1987. Trois faits divers véridiques, qu’un lien rattache pourtant.
EST D’OR :À la fin le silence, de Laurence Tardieu
Elle aussi auteure historique de chez Stock, Laurence Tardieu arrive au Seuil après un bref passage chez Flammarion. Chantre de l’autofiction, elle nous fait part cette fois de son émoi à l’idée de devoir vendre la maison de son enfance, avant de se sentir obligée de nous faire savoir à quel point les attentats de janvier puis de novembre 2015 l’ont bouleversée, tout en racontant sa grossesse intercalée dans tout ça. À la fin je ne lis pas…
GROAR :Histoire du lion Personne, de Stéphane Audeguy
Encore un transfuge, cette fois en provenance de Gallimard. A travers le destin véridique d’un lion nommé Personne, offert à la ménagerie de Louis XVI, Audeguy évoque le passage de l’Ancien Régime au Directoire en passant par la Révolution. « Une odyssée animale peuplée de personnages humains », selon l’éditeur…
LA DROGUE C’EST MAL :Les sorcières de la République, de Chloé Delaume
En 2017, le Parti du Cercle, entièrement féminin, emporte les élections présidentielles, avec le soutien de déesses grecques descendues de l’Olympe pour l’occasion. Trois ans plus tard, un référendum chasse les élues à une écrasante majorité, et la période disparaît des pages d’histoire, selon une amnésie volontaire désignée sous le nom de Grand Blanc. En 2062, dans le Stade de France devenu Tribunal du Grand Paris, l’une des meneuses du Parti du Cerle passe en jugement et en profite, au fil de ses souvenirs, pour rétablir la vérité… Assez barré sur le papier, il faut avouer, mais pourquoi pas ?
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BONUS : DEUX ROMANS ÉTRANGERS
J’ajoute ces deux titres qui sortent en septembre, l’un parce que c’est un auteur dont le premier roman publié en France m’a durablement marqué, l’autre juste parce qu’il a l’air frappadingue (c’est une bonne raison, non ?)
MOTHER LOVE :Une famille passagère, de Gerard Donovan
Une grande partie des lecteurs de Julius Winsome, le premier roman traduit chez nous de Gerard Donovan, en garde un souvenir impérissable. De quoi attendre avec impatience ce nouvel opus (après un recueil de nouvelles plutôt décevant), dans lequel le romancier suit une femme ayant kidnappé un enfant après avoir parfaitement prémédité son geste. Tout en surveillant l’enquête dans les médias, elle tente de s’occuper du petit garçon, mais la réalité perturbe sa vision idéale de la famille et de la maternité… Avec un sujet pareil, et le choix de faire de l’héroïne la narratrice du roman, comme dans Julius Winsome, on peut s’attendre à un roman aussi troublant et dérangeant.
MAD DOGS :Meurtre dans un jardin barcelonais, d’Eduardo Mendoza
Mordu par un chien, un détective fou se souvient d’une vieille enquête lors de laquelle, alors qu’il cherchait un chien disparu, il fut accusé du meurtre d’une jeune femme, précisément dans le jardin où il avait retrouvé le dit chien. Il démasqua le vrai coupable et fut ainsi innocenté – mais, trente ans après, il doute de ses conclusions…
Aujourd’hui, pour la première fois, les Cannibales Lecteurs ont l’honneur de laisser la plume à une invitée ! Nous sommes donc très heureux d’accueillir Paula Gray sur notre page (oui oui, cherchez bien, il y a une référence cannibale dans ce nom…)
Et à dispositif exceptionnel, article exceptionnel, aussi bien par son sujet que par sa longueur, nécessaire pour en faire le tour. Voici LA chronique sur LE gros roman médiatique de la rentrée, celui dont les journaux ont parlé avec un enthousiasme fatalement un peu suspect, à force : l’incontournable Royaume d’Emmanuel Carrère.
A un moment de ma vie, j’ai cru en Emmanuel Carrère. J’ai cru qu’il était un des meilleurs écrivains contemporains français. Cela a duré sept ans. C’est passé.
Comme vous le laisse supposer ce pastiche de la quatrième de couverture du Royaume, je n’ai pas aimé ce livre. Et pourtant je voulais l’aimer.
J’ai dévoré L’Adversaire et D’autres vies que la mienne. L’Adversaire m’a éblouie tant dans sa forme que dans son contenu.
Quand j’ai lu le résumé du Royaume, j’ai été fortement alléchée. J’imaginais quelque chose à la hauteur de l’Adversaire, quelque chose où Carrère allait décortiquer la foi chrétienne de l’extérieur et l’éclairer.
Puis j’ai entendu Emmanuel Carrère dans les médias et j’ai eu peur. Qu’il soit passé complètement à côté de son sujet.
La première partie du Royaumeparle principalement d’Emmanuel Carrère, de « sa période chrétienne » et du malaise qu’il a à y repenser aujourd’hui. Elle fait 140 pages environ. C’est très long. On comprend lors de la deuxième partie sur Paul que Carrèrea voulu expliquer « d’où il parle ». C’est très honorable mais c’est beaucoup trop long. D’autant plus que les principaux éléments ont été repris par les médias et qu’il reste peu de choses inédites à découvrir dans cette partie.
Parfois, quand même, Emmanuel Carrère tape là où ça fait mal, comme sur la question de l’affrontement entre la psychanalyse et la foi. Mais c’est malheureusement trop fugace. Frustration.
Puis en trois parties, Emmanuel Carrère nous raconte les débuts du christianisme. Il fait des efforts pour jouer à l’historien, il cite ses sources, il cite la Bible, il donne des traductions personnelles, il tente des rapprochements avec l’histoire du XXème siècle pour mieux éclairer la psychologie des personnages de l’époque. Mais la mayonnaise ne prend pas. Tristesse.
Tout d’abord parce que malheureusement, malgré tous ses efforts, il n’est pas historien. Il se permet des raccourcis embarrassants, telle cette comparaison hasardeuse p.164 entre le sort de Jésus condamné à la crucifixion et la pédophilie.
« Pour continuer à transposer, c’est comme si on annonçait que le sauveur du monde, en plus de s’appeler Gérard ou Patrick, a été condamné pour pédophilie. » *
J’ai aussi littéralement sauté sur mon siège quand à la page 526 Emmanuel Carrère nous « apprend » que les Juifs « appellent « Mur des Lamentations » le seul vestige du Temple après sa destruction par les Romains. C’est l’inverse : les Juifs appellent « Mur Occidental », ce que nous occidentaux chrétiens appelons « Mur des Lamentations » ; n’importe qui ayant visité Jérusalem (comme le prétend Emmanuel Carrère) le sait. Malaise.
Pour être tout à fait honnête, j’ai quand même appris des choses. Mais je me suis dans l’ensemble beaucoup ennuyée à la lecture de ces 640 pages (et croyez-moi je suis experte en bouquins de catéchisme).
En fait c’est quasiment l’Évangile selon Emmanuel – ou l’Évangile pour les nuls, c’est comme vous préférez – : presque tous les épisodes connus de la Bible sont « racontés ». Le problème est que cela n’a que peu d’intérêt (autant lire la Bible tout de suite, le vocabulaire et le style des Évangiles sont en général assez accessibles), car le style du Royaumeest plutôt plat et la langue d’une grande pauvreté.
Et c’est le gros problème du livre. Il n’y a aucune recherche stylistique, on a l’impression de lire un essai, mais qui n’est pas vraiment un essai non plus car l’auteur y parle quand même beaucoup (surtout ?) de lui. La pauvreté de la langue est, je crois, ce qui m’a le plus déçue, éblouie que j’avais été par les romans précédents de cet auteur (où la construction du roman et la peinture psychologique étoffée des « personnages » palliait la platitude occasionnelle du style).
Cependant, il semblerait que le roman puisse plaire à une petite frange de lecteurs, qui sont légion dans les rédactions et chez les critiques littéraires apparemment. Tous ces catholiques qui « sont croyants mais pas pratiquants », qui ne vont à la messe qu’à Noël et Pâques, qui font baptiser leurs enfants mais ne les envoient pas au caté, qui font leur religion à leur sauce en exigeant de l’Église qu’elle leur passe tous leurs caprices alors qu’eux ne s’y engagent jamais, et tous ceux qui ont une relation sincère mais ambigüe avec le christianisme, tous ceux-là peuvent trouver leur compte dans ce livre, réviser leurs notions de catéchisme oubliées ou lacunaires et trouver un peu de réconfort dans leur position le cul entre deux chaises (l’Église tu l’aimes ou tu la quittes).
A conseiller donc à vos connaissances qui sont curieux du christianisme mais qui n’aiment ni l’histoire ni la littérature. Et qui aiment les pavés de 600 pages. Et les phrases qui commencent par « moi je ». Beaucoup seront appelés mais peu seront élus.