A première vue : la rentrée Actes Sud 2017

La fin des présentations de rentrée littéraire approche, et…
En attendant, causons des éditions Actes Sud, qui abordent leur première rentrée avec leur patronne à la tête du Ministère de la Culture – ce qui n’a aucun rapport, certes. A vrai dire, je glose et tournicote parce que je ne sais pas bien dans quel sens prendre le programme de la maison arlésienne, gros plateau qui fait la part belle à la littérature étrangère (sept titres) et avance quelques auteurs importants – dont deux retours attendus, ceux de Don DeLillo et Kamel Daoud. Bref, l’assiette est bien remplie et présente joliment, reste à savoir si les mets seront de qualité.
SHÉHÉRAZADE : Zabor ou les Psaumes, de Kamel Daoud
Après un recueil de nouvelles salué d’un succès d’estime, Kamel Daoud a fracassé la porte de la littérature francophone avec Meursault, contre-enquête, premier roman choc en forme de réécriture de L’Étranger de Camus du point de vue arabe. Connu pour l’exigence de sa pensée, le journaliste algérien est forcément très attendu avec ce deuxième roman racontant l’histoire d’un homme qui, orphelin de mère et négligé par son père, se réfugie dans les livres et y trouve un sens à sa vie. Depuis, le seul sens qu’il donne à son existence est le geste d’écriture. Jusqu’au jour où son demi-frère, qu’il déteste, l’appelle au chevet de son père mourant…
STARMANIA : Mercy, Mary, Patty, de Lola Lafon
Révélée elle aussi grâce à son précédent roman, La Petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon s’empare d’un fait divers américain qui a défrayé la chronique dans les années 1970 : l’enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse William Randolph Hearst (qui avait en son temps inspiré Orson Welles pour son Citizen Kane), par un groupuscule révolutionnaire ; à la surprise générale, la jeune femme a fini par épouser la cause de ses ravisseurs et été arrêtée avec eux. Une professeure américaine, assistée d’une de ses étudiantes, se voit chargée par l’avocat de Patricia de réaliser un dossier sur cette affaire, pour tenter de comprendre le revirement inattendu de l’héritière.
C’EST COMME LES COCHONS : Les Bourgeois, d’Alice Ferney
Les Bourgeois, ce sont dix frères et sœurs nés à Paris entre les deux guerres mondiales. À leur place dans les hautes sphères, ils impriment le cours de l’Histoire de leurs convictions et de leurs actes. En suivant les trajectoires de cette fratrie, Alice Ferney retrace les énormes bouleversements du XXème siècle, des gigantesques conflits planétaires à l’avènement des nouvelles technologies en passant par mai 68 et les décolonisations.
THE CIRCLE : L’Invention des corps, de Pierre Ducrozet
En septembre 2014, une quarantaine d’étudiants mexicains sont enlevés et massacrés par la police. Rescapé du carnage, Alvaro fuit aux États-Unis, où il met ses compétences d’informaticien au service d’un gourou du Net fasciné par le transhumanisme. Une réflexion pointue sur les risques et dérives de notre monde ultra-connecté et amoralisé.
RELAX, DON’T DO IT : Imago, de Cyril Dion
Un jeune Palestinien pacifiste quitte son pays et traverse l’Europe à la poursuite de son frère, parti commettre l’irréparable à Paris, dans l’espoir de l’empêcher de passer à l’acte. Un premier roman qui tutoie l’actualité. Risqué ?
LA VIE PAR PROCURATION : La Beauté des jours, de Claudie Gallay
Heureuse en mariage, mère comblée de deux filles jumelles désormais étudiantes, Jeanne mène une existence paisible. La découverte de l’œuvre de l’artiste Marina Abramovic lui ouvre la porte d’autres possibles où l’imprévu est roi.
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PROMETHEUS : Zéro K, de Don DeLillo
(traduit de l’américain par Francis Kerline)
Le dernier roman de Don DeLillo, Cosmopolis (adapté au cinéma par Cronenberg avec Robert Pattinson), date en France de 2012. C’est donc le retour attendu d’un auteur américain exigeant, très soucieux de la forme et porteur d’une vision ténébreuse des États-Unis en particulier et du monde en général.
Pas d’exception avec ce nouveau livre : Zéro K y est le nom d’un centre de recherches secret qui propose à ceux qui le souhaitent de s’éteindre provisoirement, de mettre leur vie en stand by en attendant que les progrès de la science permettent de prolonger l’existence et d’éradiquer les maladies. Un homme richissime, actionnaire du centre, décide d’y faire entrer son épouse, condamnée à court terme par la science, et convoque son fils pour qu’il assiste à l’extinction programmée de la jeune femme…
Un sujet déjà abordé en littérature ou au cinéma, mais dont on espère que DeLillo le poussera dans ses derniers retranchements philosophiques.
DU VENT DU BLUFF DES MOTS : Brandebourg, de Julie Zeh
(traduit de l’allemand par Rose Labourie)
Des Berlinois portés par une vision romantique de la campagne débarquent dans un village du Brandebourg, État de l’ex-R.D.A., avec sous le bras un projet de parc éolien qui n’enthousiasme guère les paysans du coin. Une lutte féroce débute entre les deux clans, attisée par une femme qui manipule volontiers les sentiments des uns et des autres pour en tirer profit… La plume mordante et le regard acéré de Julie Zeh devraient s’épanouir au fil des 500 pages de ce concentré d'(in)humanité dans toute sa splendeur.
ALIEN 28 : Polaris, de Fernando Clemot
(traduit de l’espagnol par Claude Bleton)
Océan Arctique, 1960. Dans un vieux rafiot au mouillage devant l’île de Jan Mayen, dans un paysage fermé, glacial et désertique, le médecin de bord est confronté à la folie inexplicable qui a gagné l’équipage (résumé Électre). La mer, le froid, un huis clos flippant sur un bateau… Pitch court, tentation forte !
GOOD MORNING ITALIA : Le Peuple de bois, d’Emanuele Trevi
(traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)
En Calabre, un prêtre défroqué anime une émission de radio où son esprit satirique s’en donne à cœur joie. Si les auditeurs suivent et se réjouissent de sa liberté de ton, les puissants grincent des dents…
L’ANGE DE LA MORT : Mischling, d’Affinity K
(traduit de l’américain par Patrice Repusseau)
Le terme « Mischling » en allemand désigne les sang-mêlé. C’est parce qu’elles en sont que deux sœurs jumelles sont envoyées à Auschwitz et choisies par le docteur Mengele pour mener sur elles ses terrifiantes expériences. Pour résister à l’horreur, les fillettes de douze ans se réfugient dans leur complicité et leur imagination. Peu avant l’arrivée de l’armée russe, l’une des deux disparaît ; une fois libérée, sa sœur part à sa recherche… Terrain très très glissant pour ce roman, tant il est risqué de « jouer » avec certains sujets. Auschwitz et les expériences de Mengele en font partie.
OÙ TOUT COMMENCE ET TOUT FINIT : Les femmes de Karantina, de Nael al-Toukhy
(traduit de l’arabe (Égypte) par Khaled Osman)
Saga familiale sur trois générations dans une Alexandrie parallèle et secrète, ce roman offre une galerie de personnages truculents tous plus en délicatesse avec la loi les uns que les autres (résumé éditeur).
CRIME ET CHÂTIMENT : Solovki, de Zakhar Prilepine
(traduit du russe par Joëlle Dublanchet)
Attention, pavé ! L’écrivain russe déploie sur 830 pages une vaste histoire d’amour entre un détenu et sa gardienne, et une intrigue puissamment romanesque pour évoquer l’enfer des îles Solovki, archipel situé dans la Mer Blanche au nord-ouest de la Russie où un camp de prisonniers servit de base et de « laboratoire » pour fonder le système du Goulag.
Et tu n’es pas revenu de Marceline Loridan-Ivens
Cela fait cinq minutes que j’ai refermé l’ouvrage. Mais il m’a fallu une éternité pour le finir. Je ne voulais pas que cela cesse. Je voulais que Marceline Loridan-Ivens reste encore un peu avec moi, pour me parler, m’expliquer les mille vies qu’elle a vécues.
Il m’est impossible de vous faire une critique de Et tu n’es pas revenu, co-écrit avec Judith Perrignon. Comment le pourrais-je?
Cet ouvrage, c’est un cri du cœur, le cri d’une petite fille de 15 ans. Une ado qui cherche à fuir avec son père, la Gestapo venue les arrêter. La course effrénée dans le jardin et la clôture infranchissable. Puis la prison, le transport, la déportation et, pour son père, la mort.
« Toi, tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas. » Cette phrase prononcée par son père à Drancy, elle décide de la prendre comme une prophétie. Elle est revenue, pas lui. Et tu n’es pas revenu décrit l’absence, le gouffre, le traumatisme. C’est une lettre d’une fille à son père disparu, elle-même à l’aube de sa propre mort.
Ma gorge en est encore nouée. Cela fait 15 minutes que le livre est refermé. Pour sûr qu’il restera longtemps, très longtemps, dans mes pensées.
Et tu n’es pas revenu de Marceline Loridan-Ivens
Éditions Grasset, 2015
9782246853916
107p., 12€90
Un article de Clarice Darling.
Charlotte de David Foenkinos
Charlotte Salomon était une jeune femme frêle, artiste peintre, née à Berlin en 1917. La malheureuse mourra en 1943, dans les chambres d’Auschwitz. Durant les dernières années de sa jeune vie, en exil dans le sud de la France, Charlotte va créer une œuvre picturale sans nul autre pareil, qu’elle intitulera « Leben? Oder Theater? » (La vie? Ou le théâtre?) Juste avant d’être dénoncée en tant que juive, elle confie ses dessins à son médecin, ami de longue date, en lui disant « Gardez-les bien, c’est toute ma vie! »
Chose qu’a faite son ami, il les a gardés et les a rendus après la guerre au père de Charlotte, qui les a légués au musée d’Amsterdam. C’est lors d’une exposition organisée à Berlin que David Foenkinos découvre les dessins de Charlotte. C’est là qu’il en est tombé « amoureux ». Scotché par tant de puissance dans le dessin, d’angoisse et de couleurs. La peur de mourir et l’envie folle de rester en vie.
L’auteur décide alors d’écrire la vie de cette jeune artiste quasiment inconnue mais, tellement ému par ce qu’il voulait écrire, il se voyait dans l’obligation de s’arrêter à chaque phrase. D’où l’aspect poétique de l’ouvrage, qui renforce la dimension quasi-mystique de Charlotte Salomon.
David Foenkinos nous offre, à travers un hommage à Charlotte Salomon, son ouvrage le plus intime, le plus fort. Frappé par la grâce de Charlotte, il se plonge à sa suite, dans les rues de Berlin ou de Villefranche sur Mer. Ce long poème permet à Foenkinos de nous transmettre son admiration pour Charlotte et ce n’est que justice de rendre grâce à cette artiste, belle et fragile, forte et touchante.
Charlotte de David Foekinos
Éditions Gallimard, 2014
9782070145683
224p.; 18€50
Un article de Clarice Darling.
A première vue : la rentrée Gallimard 2014
Quoi de neuf du côté de la vénérable maison de la rue Sébastien-Bottin (rebaptisée rue Gaston-Gallimard d’ailleurs) ? Rien en ce qui concerne le nombre de parutions, hélas toujours pléthorique. En trois salves (21, 28 août et 4 septembre), Gallimard tire seize fois !
Du coup, comme l’année dernière et en toute subjectivité, nous nous permettons de ne jeter un éclairage particulier que sur les romans qui nous semblent les plus intéressants et de simplement citer les autres. Et on commence avec le plus surprenant sans doute…
L’INATTENDU : Charlotte, de David Foenkinos (lu)
Habitué des listes de best-sellers pour des romans que l’on classe souvent, peut-être avec tort mais pas tant que ça, à côté des Pancol, Gavalda, Delacourt et consorts, Foenkinos créera forcément la surprise avec ce chant en prose, ce roman en vers libres dont aucun n’est plus long que la largeur d’une page, consacré à Charlotte Salomon, jeune peintre juive déportée et morte à Auschwitz à 26 ans. Un livre qui divisera fatalement, mais qu’on se le dise tout de suite, il n’y a rien d’opportuniste dans cette œuvre de Foenkinos, qui a porté longtemps ce sujet en lui avant de trouver la manière de le raconter et semble parfaitement sincère dans sa démarche.
DANS… : La Peau de l’ours, de Joy Sorman (lu)
Joy Sorman continue à creuser son sillon singulier. Après Comme une bête, où un homme amoureux des vaches devenait apprenti-boucher, voici le récit d’une créature mi-ours mi-homme, née du viol d’une femme par un ours, de nature animale mais de conscience humaine, qui mène une vie d’aventure et de voyage, tantôt monstre de foire, tantôt bête de cirque, tantôt captif de zoo, qui observe les humains avec le recul de sa condition particulière et aime de loin les femmes. Superbement écrit, un roman étonnant et déconcertant.
ACTUEL : L’Aménagement du territoire, d’Aurélien Bellanger
Deuxième roman de cet ancien libraire après la remarquée Théorie de l’information, et nouveau gros roman ancré dans le réel. Il y est question cette fois d’un projet de construction d’une ligne de TGV à proximité d’un village, source d’enjeux complexes et de réactions épidermiques…
COMÉDIE INFORMATIQUE : L’Ordinateur du Paradis, de Benoît Duteurtre
Sous la houlette de Saint-Pierre, le Paradis n’échappe pas à la norme de l’époque, et croule sous les consignes de sécurité, tandis que sur Terre, les ordinateurs soudain se dérèglent, le réseau s’ouvre et étale à la vue de tous les autres la vie privée de chacun, notamment la moins reluisante. Des situations loufoques mais contemporaines dont on attend du rire et de l’esprit.
GUINEE-BISSAU SOCIAL CLUB : Les grands, de Sylvain Prudhomme (coll. L’Arbalète)
Inspiré par le groupe Super Mama Djombo, dont les chansons ont servi d’hymne au peuple guinéen au moment de la guerre d’indépendance dans les années 70, ce roman retrace quarante ans de l’histoire de ce petit pays africain méconnu, tout en vibrant de musique et des souvenirs d’une histoire d’amour flamboyante entre Couto, guitariste du groupe, et Dulcie, sa chanteuse…
– LES PREMIERS ROMANS –
AUDACIEUX : Dans le jardin de l’ogre, de Leïla Slimani
Récit du parcours erratique d’une femme, mariée et mère d’un petit garçon, qui ne peut s’empêcher de courir les hommes et de multiplier les rencontres sexuelles les plus extrêmes. En découvrant la vérité, son mari, plutôt que de la rejeter, décide d’essayer de l’aider… Sur un sujet sulfureux, tout dépendra du style et de la profondeur du propos. A voir.
POLÉMIQUE : L’Oubli, de Frederika Amalia Finkelstein (coll. L’Arpenteur)
On en parlera forcément aussi. D’abord parce que l’auteure est très jeune (24 ans), ensuite parce que le sujet ne devrait pas manquer de faire réagir : le récit, largement autobiographique, d’une jeune femme juive qui ne veut plus entendre parler de la Shoah, alors que son grand-père, le héros familial, est un rescapé des camps de la mort. On attend les cris outragés de Claude Lanzmann…
BOLANO : Blanès, de Hedwige Jeanmart
Ce livre tourne autour de la célèbre figure du romancier chilien Roberto Bolano, et de la ville balnéaire espagnole de Blanès, où il a vécu, et qui est un lieu de pèlerinage pour les admirateurs de l’écrivain. L’histoire, elle, est étrange : un couple fait une excursion à Blanès qui tourne court ; dès leur retour chez eux, le mari disparaît, et sa femme décide d’essayer de le retrouver en retournant dans la fameuse ville, où elle rencontre beaucoup d’autres étranges pèlerins en quête de quelque chose.
ARTISTE DU BALLON ROND : Chant furieux, de Philippe Bordas
Photographe, Bordas a suivi Zinédine Zidane durant trois mois en 2006, entre le Real Madrid et l’équipe de France, pour sa dernière Coupe du Monde dont tout le monde se souvient comment elle s’est achevée… A la demande de Zidane, Bordas ne publiera pas les photos, mais il entreprend ici le récit de cette expérience hors du commun, dans un style furieux et inventif, qui est aussi l’aventure d’une appropriation de la langue par l’auteur, venu des cités comme le footballeur.
Un mot rapide sur les autres parutions :
L’Amour et les forêts, d’Eric Reinhardt : rencontre entre le narrateur-écrivain et une de ses lectrices, qui lui raconte sa vie conjugale si misérable qu’elle en a contracté un cancer. Hmpf.
La loi sauvage, de Nathalie Kuperman : parce que la maîtresse de sa fille a émis en coup de vent un jugement très négatif sur l’enfant, Sophie subit un choc qui la ramène à sa propre enfance ébranlée par des insultes antisémites.
Une éducation catholique, de Catherine Cusset : tout est dans le titre.
Mon âge, de Fabienne Jacob : tout est dans le titre, on vous dit !
Ne pars pas avant moi, de Jean-Marie Rouart : récit autobiographique du vieil académicien, qui évoque notamment son amitié avec Jean d’Ormesson.
Le Cercle des tempêtes, de Judith Brouste : roman sur le poète Percy Shelley et sa femme Mary, auteure de Frankenstein.
La Route des clameurs, d’Ousmane Diarra (coll. Continents Noirs) : en dépit des brimades et des menaces, un artiste-peintre résiste aux islamistes qui mettent le Mali, son pays, en coupe réglée.
Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka
En février 1943, Idesa et Matès Jablonka ont pressenti quelque chose. Depuis plusieurs nuits, ils emmenaient leurs enfants, Suzanne, 4 ans, et Marcel, 3 ans, dormir chez leur voisin, un Polonais non juif.
Le 25 février 1943, ils ont été raflés à l’aube et déportés quelques jours plus tard vers Auschwitz. Ils n’en sont jamais revenus.
Aujourd’hui, Ivan Jablonka, leur petit-fils, retrace la vie de ses grands-parents qu’il n’a jamais connu. Il mène une véritable enquête pour tenter de comprendre qui étaient ses deux ancêtres. Ils ont fait de la prison dans leurs jeunes années en Pologne pour propagande communiste, ils ont fuit un pays qui les rejetait et traversé une Allemagne qui leur déclarait la guerre. Ils sont arrivés à Paris, quand le reste de la famille s’est sauvée en Amérique Latine ou en URSS.
Ivan Jablonka suit les traces de ses grands-parents, de Parczew à l’est de la Pologne à Paris, de la prison de Lublin au camp de Drancy, de Belleville à Auschwitz, en mars 1943.
Enquête digne d’un polar, ouvrage d’historien, œuvre d’un écrivain, je n’ai pas de terme pour déterminer ce formidable ouvrage qui vous entraîne dans la course folle d’une Europe qui perd la tête.
A la façon de Modiano dans Dora Bruder, Jablonka réalise une enquête minutieuse et nous fait part de ses recherches, avec toujours de la distance entre lui et son sujet. De la pudeur peut-être, la rigueur d’historien sûrement. Jusqu’à l’instant crucial, les deux dernières preuves de vie de ses grands-parents, les lettres jetées depuis le camp de Drancy et que des passants ont eu la gentillesse d’adresser à leur destinataire. Deux courtes lettres-testament où on lit tout le désespoir du monde.
Un livre captivant qui remue la mémoire pour ne pas oublier.
Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus d’Ivan Jablonka
Editions du Seuil, 2012 (En poche en 2013)
9782757836699
376p., 9€50
Un article de Clarice Darling.
Paysages de la Métropole de la Mort d’Otto Dov Kulka
Otto Dov Kulka est un rescapé des camps de concentration. Pendant des années, il s’est enregistré sur des cassettes audio. Il racontait ainsi ses souvenirs. Quelques photos sont présentes dans le livre et participe du témoignage de l’horreur qu’à subi Kulka enfant. Dit comme ça, ça semble intéressant, accessible à tous. Détrompez-vous.
La première partie de l’ouvrage est intéressante, il y évoque ses souvenirs, son voyage vers Auschwitz, des années après son passage dans les camps de la mort. Il évoque les personnes qu’il y a rencontrées, les faisant en quelque sorte revivre l’espace de quelques lignes, entrecoupe ses souvenirs de dessins d’enfants qui ne sont jamais revenus des camps. Il parle de sa mère, de son père, de la survie quotidienne. Et puis, à partir de la page 137… il part dans des récits de rêves, des extraits de journaux, des réflexions assez tordues et il faut être bien concentré pour comprendre. J’ai vraiment décroché avec cette deuxième partie qui se veut historico-philosophico-réaliste et qui m’a assommée.
Dommage!
Paysages de la Métropole de la Mort d’Otto Dov Kulka
Editions Albin Michel, 2013
9782226245205
201 p., 16€50
Un article de Clarice Darling.