À première vue : la rentrée Albin Michel 2021
Intérêt global :
Après les « seulement » onze titres parus à la rentrée 2020, Albin Michel reste stable au même chiffre, et on commencera par s’en contenter.
Pour le reste, c’est un programme qui est fidèle à l’esprit de la maison, avec ses auteurs incontournables, un peu de premier roman, du grand roman anglophone – et quelques titres qui, à première vue, paraissent largement dispensables.
Et Amélie Nothomb, bien sûr.
TRENTE
Premier sang, d’Amélie Nothomb (lu)

« Il ne faut pas sous-estimer la rage de survivre. »
Voici la traditionnelle phrase d’accroche qui servira de quatrième de couverture au trentième (!) roman d’Amélie Nothomb. Un livre dont j’espérais qu’il pourrait se classer du bon côté de la bibliothèque de la dame, mais en fait non.
Le roman s’ouvre sur un homme face à un peloton d’exécution. Face à la mort si proche, il replonge en hâte dans son passé. Cet homme, c’est le père d’Amélie Nothomb, qui faillit en effet mourir à 28 ans dans ces conditions horribles – mais qui en réchappa, puisqu’il ne s’est éteint que l’année dernière, durant le confinement.
Comment il arriva devant les fusils et comment il échappa à la salve fatale, tel est le sujet du roman. Hélas, cet aspect n’occupe qu’un petit dernier quart du livre ; le reste relate l’enfance paternelle, et le fait de manière anodine, presque badine, dans un roman de formation très classique façon Nothomb – un enfant merveilleux se trouve confronté à la laideur de l’âme et, loin de s’en émouvoir, il en tombe amoureux, ce qui lui permet de changer et de grandir…
Bref, pour moi qui ai beaucoup défendu certains de ses derniers romans, c’est une déception.
L’INCLASSABLE
L’Île du Docteur Faust, de Stéphanie Janicot

Comme le titre le suggère, Stéphanie Janicot revisite ici le mythe de Faust.
On découvre neuf femmes, attendant qu’un passeur les emmène sur une petite île non répertoriée sur les cartes au large de la Bretagne. Là se trouve la clinique du Docteur Faust, qui promet à ses patients un moyen unique d’accéder à la vie éternelle.
L’une de ces femmes, romancière, vient pour un reportage et est déterminée de ne pas céder au chant improbable de la sirène médicale. Mais est-il possible de résister au charme étrange du Docteur Faust ?
TRAVERSEURS D’HISTOIRE(S)
Lorsque le dernier arbre, de Michael Christie
(traduit de l’anglais (Canada) par Sarah Gurcel)

Tous les arbres de la Terre ont été décimés, sauf sur une île de Colombie-Britannique. Jacinda, qui y travaille comme guide pour des touristes fortunés, apprend qu’elle serait l’héritière d’un sulfureux magnat du bois. C’est le début d’une quête remontant jusqu’aux années 1930 dans l’histoire d’une famille tiraillée de secrets et dont le destin est intimement lié à celui des forêts.
Un gros premier roman (608 pages) qui, par son sujet et ses questionnements, rappelle L’Arbre-Monde de Richard Powers. Il y a pire comme comparaison. On espère que ce livre sera aussi stimulant.
La Fabrique des souvenirs, de Clélia Renucci

Dans un monde où une application permet d’acheter des souvenirs, un amateur de théâtre tombe amoureux de la nuque d’une femme qu’il aperçoit dans une vidéo représentant la première de Phèdre à la Comédie Française en 1942. Déterminé à découvrir l’identité de cette inconnue du passé qui bouleverse son présent, Gabriel ignore que c’est toute sa vie qui va basculer, lui faisant faire l’expérience d’une passion hors normes.
Galerie des glaces, d’Eric Garandeau
Venise, Versailles et Lagos, du XVIIème au XXIème siècle, voient passer trois hommes et trois femmes qui n’auraient jamais dû se rencontrer, tout en questionnant des bouleversements profonds de l’Histoire du monde.
(J’ai vraiment beaucoup résumé, là. Mais je n’ai pas tout compris non plus au pitch de l’éditeur, donc voilà.)
L’Aube américaine, d’Émilie Papatheodorou
Premier roman. Une jeune femme, conductrice de taxi à New York, s’efforce par tous les moyens de préserver la mémoire de plus en plus défaillante de sa grand-mère d’origine grecque. Entre souvenirs réels et péripéties rêvées, elle remonte le fil du temps jusqu’à Thessalonique en passant par Ellis Island, tout en tombant amoureuse d’un homme qui, lui, préfère noyer sa mémoire dans l’ivresse.
CHOCS DE L’HUMAIN
Au-delà de la mer, de Paul Lynch (lu)
(Traduit de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso)

Bolivar, un vieux pêcheur sud-américain qui n’a peur de rien, prend la mer malgré la tempête qui s’annonce, accompagné d’Hector, un adolescent inexpérimenté qu’il a choisi d’embarquer en remplacement de son coéquipier habituel. À la merci des éléments, le bateau s’échoue au milieu de l’océan Pacifique, laissant les deux hommes seuls face à eux-mêmes, sans aucun moyen d’appeler à l’aide.
Sorte de Vieil homme et la mer façon survie extrême, qui emmène loin dans la solitude et la servitude de l’homme face aux éléments, ce roman très maîtrisé est physiquement éprouvant, et très juste dans sa manière de saisir sensations, sentiments et bousculements de l’esprit.
Là où la caravane passe, de Céline Laurens
Premier roman. Une caravane de gitans se retrouve à Lourdes chaque année pour le pélerinage. Par la voix du narrateur, on découvre l’univers fascinant, rebelle et brûlant de vie, d’une communauté à nulle autre pareille.
Campagne, de Matthieu Falcone
Choc sociologique entre des jeunes citadins bien-pensants et les ruraux chez qui ils s’invitent pour y organiser une grande fête participative. L’occasion de mettre en scène des mœurs, des certitudes et des opinions irréconciliables entre deux France à l’opposé l’une de l’autre. (Ça sent bon les clichés, ou c’est moi ?)
LOVE ME, TENDER
On ne parle plus d’amour, de Stéphane Hoffmann
Louise est sur le point de se marier avec un homme qu’elle n’aime pas, pour sauver l’entreprise de son père. Guillaume, dandy paresseux échappé de Paris, tente d’oublier le chagrin qui le ronge. Ils n’étaient pas censés se rencontrer, ils se rencontrent, et c’est l’amour fou. Oui, mais bon.
Un chouette petit parfum de naphtaline sentimentale à la lecture de ce pitch curieusement poussiéreux.
L’Amour par temps de crise, de Daniela Krien
(traduit de l’allemand par Dominique Autrand)
Cinq femmes dont les parcours se croisent, éprises de la liberté qu’elles ont su conquérir, s’interrogent sur la famille, l’amour, les rapports entre les sexes, comment concilier enfants et travail. Bref, elles se font des nœuds au cerveau parce qu’être une femme libre, c’est bien, mais ça confronte à des choix pas toujours faciles.
BILAN
Quatre titres sur onze (dont deux déjà lus) inscrits à mon programme : c’est plus que ce que j’imaginais avant d’entamer la rédaction de cette présentation. Comme quoi, après examen attentif, il faut toujours compter avec la rentrée Albin Michel.
Déjà lus :
Premier sang, d’Amélie Nothomb
Au-delà de la mer, de Paul Lynch
Lecture probable :
Lorsque le dernier arbre, de Michael Christie
Lecture potentielle :
L’Île du Docteur Faust, de Stéphanie Janicot
À première vue : la rentrée Robert Laffont 2020

Intérêt global :
À l’instar de Plon ou Fayard, Robert Laffont figure très rarement parmi les éditeurs susceptibles de retenir mon attention. J’ai donc abordé son programme avec retenue, par politesse. Et suis finalement assez surpris d’y découvrir une ou deux promesses plutôt sympathiques. Comme quoi, on n’est pas obligé de rester borné toute sa vie. Restera à voir, bien sûr, ce que cela vaut d’un point de vue littéraire.
Bon, sur les six titres annoncés, il y en a aussi des dispensables, à mon avis en tout cas. Mais je vous laisse juge, bien entendu.
Et je vous en rajoute un petit septième que vous trouverez en fin d’article. Plus pour la blague qu’autre chose – mais on a le droit d’abord.
Le Dernier inventeur, d’Héloïse Guay de Belissen
Voilà un beau sujet. Le protagoniste de ce roman est bien réel. Il s’appelle Simon Coencas, et est devenu mondialement célèbre à treize ans pour avoir découvert, avec trois amis, la grotte de Lascaux. Un « inventeur », selon le terme consacré qui sert à désigner les gens mettant au jour un trésor. Au moment où Héloïse Guay de Belissen écrivait ce livre, il était encore en vie, le dernier des quatre. Il est mort le 2 février 2020, à l’âge respectable de 93 ans. De son enfance bouleversée par l’événement, des conséquences de ce dernier, l’auteure fait le cœur de son roman, également réflexion sur les mystères de l’art préhistorique et sur l’Histoire.
Le Crépuscule et l’aube, de Ken Follett
(traduit de l’anglais)
Exceptionnellement, je ne cite pas le nom du traducteur, car, pour l’instant, le site Internet en mentionne… cinq. Sans préciser s’ils ont œuvré tous les cinq à parts égales – ce qui se fait parfois pour accélérer la traduction des gros best-sellers et donc leur parution, mais donne souvent des résultats plutôt sales en terme de cohérence et d’élégance stylistique -, ou si l’un d’entre eux a mené le travail en particulier, avec l’aide ponctuelle des autres… Bref.
Pour le reste, Ken Follett continue à tourner autour de Kingsbridge, la ville imaginaire au cœur des Piliers de la Terre, son grand œuvre, apparue depuis dans des suites ou des préquelles. Ce qui est le cas de ce nouveau roman, puisqu’il se déroule en 997. Comme d’habitude, grande saga romanesque, gros pavé, reconstitution historique soignée…
Never Mind, de Gwenaële Robert
Ce roman historique reconstitue l’attentat de la rue Saint-Nicaise, commis le 24 décembre 1800 et visant le Premier Consul Bonaparte. Ce dernier en réchappe, à la différence d’une vingtaine de personnes tuées par l’explosion de la charrette piégée par des conspirateurs chouans, sans parler de la centaine de blessés et des maisons détruites. Tandis que Bonaparte en profite pour décimer les Jacobins, qu’il soupçonne d’être responsables de l’attaque, Fouché, le redoutable chef de la police secrète, n’a de cesse de traquer les véritables coupables, dont Joseph de Limoëlan, rongé de remords par le désastre, en particulier par la mort d’une jeune fille payée pour surveiller la charrette…
Les graciées, de Kiran Milwood Hargrave
(traduit de l’anglais par Sarah Tardy)
En 1617, le village norvégien de Vardø perd tous ses hommes en une seule nuit de tempête. Par la force des choses, les femmes prennent le relais pour assurer leur survie. Trois ans plus tard, un certain Absalom Cornet débarque d’Écosse, en compagnie de sa femme norvégienne, et découvre ce village hors du commun. Qui, pour lui dont la mission est de traquer et de brûler les sorcières, ressemble peu ou prou à un Enfer où il convient de rétablir l’ordre de Dieu. Pendant ce temps, son épouse découvre avec stupeur que les femmes peuvent être indépendantes…
Premier roman pour adultes de cette jeune auteure, dramaturge et poétesse anglaise âgée de 30 ans.
Louis veut partir, de David Fortems
Louis, garçon sans histoire, amoureux de littérature, fait la fierté de son père Pascal, un ouvrier qui s’émerveille de voir son fils s’affranchir de son milieu modeste avec calme et sagesse. Mais tout s’écroule le jour où Louis se jette dans la rivière et s’y noie, volontairement. Pascal, effondré, découvre que son fils n’était pas du tout le garçon qu’il croyait.
Un premier roman qui a des airs de déjà-vu, déjà-lu. Je passe.
Stella Finzi, d’Alain Teulié
Stella est riche, Stella est brillante, Stella est mystérieuse. Stella a tout pour fasciner. Y compris son étonnante laideur. Vincent, venu à Rome pour y mettre fin à ses jours, la rencontre dans un bar et renonce à ses plans funestes pour céder à un jeu de séduction troublant.
Je ne suis encore jamais allé à Rome, ce n’est pas avec ce roman que ça va changer.
9 T.1 : C’est arrivé la nuit, de Marc Levy
Si on m’avait dit qu’un jour, je mentionnerais un roman de Marc Levy dans une présentation de rentrée littéraire… Ce fait étonnant est sans doute plus dû aux circonstances exceptionnelles de 2020 qu’à une volonté d’intégrer l’un des plus gros vendeurs de France au grand cirque de la rentrée, ce qui n’aurait en fin de compte aucun intérêt pour lui. Du reste, son nouveau roman paraît fin septembre, au moment où ce que l’on considère comme la rentrée littéraire est déjà terminée.
Ce petit clin d’œil me permet néanmoins de signaler que Marc Levy se lance dans une grande entreprise, puisque C’est arrivé la nuit est le début d’une série, sobrement intitulée 9. Où l’on suivra, non plus deux personnages, un homme/une femme, comme il le reconnaît lui-même, mais une équipe de neuf héros. Neuf amis faussaires, manipulateurs ou assassins en col blanc, qui ont pour point commun d’agir dans le plus grand secret pour la justice et le bien afin de faire éclater la vérité au grand jour.
Cela ressemble à une tentative d’hommage, volontaire ou non, au roman-feuilleton populaire, avec ses héros rebelles œuvrant dans l’ombre pour le bien, et sa morale aimable… Après tout, pourquoi pas ?
BILAN
Lectures potentielles :
Le Dernier inventeur, d’Héloïse Guay de Belissen
Les graciées, de Kiran Milwood Hargrave
Lecture hypothétique :
Never Mind, de Gwenaële Robert