À première vue : la rentrée Manufacture de Livres 2021
Intérêt global :

Longtemps cantonnée à la littérature noire – qui, déjà, tendait à se jouer des codes et des frontières du genre -, la Manufacture de Livres s’affirme de plus en plus comme un éditeur tous terrains. Et avec succès, si l’on en croit le succès l’année dernière du livre de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, ou encore la démonstration éprouvante mais magistrale proposée par Carine Joaquim début 2021 avec Nos corps étrangers.
De ces réussites probantes, la Manuf’ gagne une assise qui lui vaut une place légitime dans la rentrée d’automne – place offerte cette année à trois romans, dont deux premiers.
Villebasse, d’Anna de Sandre

Auteure de poésie et de nouvelles, Anna de Sandre s’essaie pour la première fois au roman, et avec une certaine audace sur le papier, puisqu’elle emprunte au réalisme magique, un genre toujours risqué car susceptible de décontenancer le lecteur trop cartésien.
Nous sommes donc à Villebasse, entrelacs de vieilles bâtisses et de rues ancestrales qu’éclaire une étrange lune bleue et que les habitants ne quittent jamais. Un jour d’hiver débarque le Chien, qui va traverser la vie des uns et des autres et, peut-être, tout changer…
Pour en savoir plus, il faudra lire !
Le Fils du professeur, de Luc Chomarat

Ces derniers temps, le nom de Luc Chomarat était plutôt synonyme d’amusement et de folie douce, au fil de polars parodiques plutôt réjouissants (Le Dernier thriller norvégien, Le Polar de l’été), ou de polar tout court (Un trou dans la Toile, Grand Prix de Littérature Policière 2016).
Ce nouveau livre, d’inspiration autobiographique, prend le contre-pied total de ces veines, en racontant une enfance dans la France des années 1960-70. Des batailles de cowboys dans la cour de l’école à la découverte fascinée des femmes, c’est toute une jeunesse qui se dévoile.
Pas très original à première vue, mais voir Chomarat tenter ce pas de côté est intrigant, surtout quand on apprécie sa plume piquante et sa verve. Donc, pourquoi pas.
Poudre blanche, sable d’or, de Matthieu Luzak

Premier roman également, qui suit deux amis, un journaliste de seconde zone englué dans une vie de famille compliquée et un voyou tout juste sorti de prison, partant pour quelques jours entre hommes à Malaga. Le cadre ne fait pas rêver mais c’est justement là que le second, Farid, a monté un coup il y a quelques années.
Au fil de leur virée, s’expriment les rêves et les drames des désillusionnés du XXIe siècle.
BILAN
Lecture probable :
Villebasse, d’Anna de Sandre
Lecture potentielle :
Le Fils du professeur, de Luc Chomarat
Broadway, de Fabrice Caro


Éditions Gallimard, coll. Sygne, 2020
ISBN 9782072907210
208 p.
18 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
La vie n’est pas une comédie musicale.
Une femme et deux enfants, un emploi, une maison dans un lotissement où s’organisent des barbecues sympas comme tout et des amis qui vous emmènent faire du paddle à Biarritz… Axel pourrait être heureux, mais fait le constat, à 46 ans, que rien ne ressemble jamais à ce qu’on avait espéré. Quand il reçoit un courrier suspect de l’Assurance maladie, le désenchantement tourne à l’angoisse. Et s’il était temps pour lui de tout quitter ? De vivre enfin dans une comédie musicale de Broadway ?
Fabrice Caro romancier est un peu le Mister Hyde du Docteur Jekyll Fabcaro dessinateur.
Quand il pose ses crayons pour ne garder que sa plume, le peu d’angoisse existentielle qui traîne dans ses bandes dessinées envahit la page blanche et dévore le texte. L’humour absurde traîne toujours dans le coin, mais il est malmené, bousculé par une certitude permanente que la vie n’a aucun sens, et qu’en rire demande un effort quasi surhumain.
Broadway ressemble de fait beaucoup au Discours, son précédent roman (et gros succès). Prétendre que Fabrice Caro se renouvelle serait mentir. Ce nouveau livre n’est ni moins bien, ni mieux ; il est pareil.
Tout part encore une fois d’un fait relativement anodin. Dans le précédent, l’angoisse naissait du fameux discours à écrire pour le mariage de la sœur du narrateur, redoublée par l’inquiétude née de sa vie de couple « en pause », et son attente d’un message de son amoureuse mettant fin, d’une manière ou d’une autre, à l’horrible suspense sentimental.
Ici, le déclencheur, c’est une enveloppe « bleu Juan-Les-Pins », invitant Alex à passer le test de dépistage du cancer colorectal (réjouissance recommandée aux hommes à partir de 50 ans). Problème : lui-même n’a que 46 ans. Pourquoi a-t-il reçu ce courrier ? Est-ce une simple erreur ? Ou bien y a-t-il un message caché, un avertissement discret, un signe censé lui montrer qu’on ne lui dit peut-être pas tout ?
On ajoute à cela les amours (classiquement) tumultueuses de sa fille de 18 ans, un dessin obscène de son fils de 14 ans surpris par un professeur, et c’est parti pour un grand tour de gamberge, façon manège infernal de train fantôme incapable de s’arrêter.
Formellement, on retrouve le principe de chapitres assez courts, chacun introduisant une nouvelle idée ou un nouveau fait qui va nourrir les névroses du narrateur.
De même, les phrases s’étirent, longues mais très rythmées, l’accumulation de propositions contenues entre virgules illustrant la manière dont les pensées s’entrechoquent et s’accumulent sans fin dans l’esprit d’escalier du personnage.
Les ressemblances étant admises, est-ce que ça marche ? Globalement, oui.
On sourit régulièrement, on se désespère tout autant – ou, du moins, on peut se reconnaître sans peine dans ce personnage étriqué dans une vie banale, prisonnier de sa lâcheté quotidienne, incapable de se défendre face aux plus minuscules assauts de la vie, subissant de loin patron, collègues, voisins, compagnes et enfants.
Fabrice Caro n’invente rien de neuf dans son travail, certes. Il n’empêche que Broadway sonne juste, creuse un sillon authentique, signe que le texte offre une résonance sans filtre aux propres obsessions et angoisses de l’auteur, écho souvent troublant à celles du lecteur (pour peu qu’on soit du genre à se torturer un peu avec le sens de la vie).
L’humour rend le tout supportable, acceptable, de même que de très belles scènes d’échappée oniriques à Buenos Aires, qui figurent parmi les plus beaux moments du roman.
Un texte sans surprise mais plaisant, cohérent dans l’œuvre de Fabrice Caro.
A première vue : la rentrée POL 2018

Ce sera forcément une rentrée très particulière pour les éditions POL, puisque ce sera la première sans leur fondateur, Paul Otchakovsky-Laurens, décédé dans un accident de voiture en début d’année. Pour autant, pas de bouleversement, puisque le programme s’appuie sur quelques noms solides de la maison depuis des années, et sur un cocktail connu de solidité et d’inventivité littéraires.
TU PERDS TON SANG-FROID : Série noire, de Bertrand Schefer
C’est l’histoire d’un fait divers inspiré par un roman. Fait divers qui devient ensuite un autre roman. (Vous suivez ?) Dans les années 60, un escroc foncièrement antisocial découvre un polar de la Série Noire qui va lui inspirer un kidnapping promis à une certaine célébrité médiatique à l’époque. Dans son sillage et dans celui d’un jeune ouvrier récemment revenu de la guerre d’Algérie, ainsi que d’une beauté danoise errant dans Paris avec Anna Karina, on croise nombre de figures de l’époque, de Sagan à Simenon en passant par Truffaut et Kenneth Anger. Quand le roman réfléchit sur lui-même et devient bouillonnement intellectuel.
LES MARCHES DU POUVOIR : Une campagne, de Frédéric Valabrègue
Dans un village du sud de la France, le ton monte au sein du conseil municipal entre le maire sortant et la directrice de l’école primaire. La campagne électorale qui s’ensuit s’enlise dans les rumeurs, les coups bas et les intimidations… Probablement aussi sanglant que tristement réaliste, ce roman devrait nous renvoyer notre belle époque à la figure. Ca promet !
THAT NIGHT WE WENT DOWN TO THE RIVER : Serez-vous des nôtres ?, d’Emmanuelle Pagano
Deux amis depuis l’enfance se revoient après une longue période sans se croiser. L’un, un peintre raté, a hérité du domaine familial dans une région où se trouvent de nombreux étangs, qui régissent les relations entre les gens depuis toujours. L’autre a quitté la région depuis longtemps pour s’engager dans la Marine et travailler dans un sous-marin nucléaire. En se retrouvant, les deux hommes évoquent leur enfance et adolescence commune, marquée par leur relation à l’eau. Troisième volume de la Trilogie des rives après Ligne & Fils et Sauf riverains, dans laquelle Pagano réfléchit de manière romanesque aux rapports entre l’homme et l’eau.
ÉON : Arcadie, d’Emmanuelle Bayamack-Tam
Une jeune fille découvre avec étonnement que son corps change pour se parer d’attributs masculins. Cette métamorphoses aux origines non identifiées la conduit à mener une enquête sur ce qu’est être un homme ou une femme, et découvre que personne n’en sait vraiment rien. Dans le même temps, elle tombe amoureuse d’Arcady, chef spirituel de la communauté libertaire dans laquelle elle vit avec ses parents, mais se rebelle contre lui et ses principes supposés lorsqu’il refuse d’accueillir des migrants en quête de refuge.
Ô MA JOLIE MAMAN : La Robe blanche, de Nathalie Léger
Au commencement il y a un fait divers : une jeune artiste, qui avait décidé de voyager en autostop de Milan à Jérusalem, vêtue d’une robe de mariée pour promouvoir la paix dans les pays en guerre, est violée et assassinée par un homme qui l’avait prise dans sa voiture vers Istanbul. Fascinée par cette histoire, Nathalie Léger la relate et raconte en parallèle, comme en miroir, le parcours de sa propre mère, abandonnée par son mari dans les années 70 et accusée de porter les torts exclusifs du divorce devant le tribunal.
On lira peut-être :
Une campagne, de Frédéric Valabrègue
Série noire, de Bertrand Schefer
Cauchemars !, de Jason Segel & Kirsten Miller

Signé Bookfalo Kill
Quand on lit énormément de livres (et donc pas toujours des merveilles, pour le dire poliment), comme c’est mon cas, et quand on écrit des chroniques sur un blog depuis un paquet d’années, on peine parfois à faire preuve de l’enthousiasme presque naïf qui nous permettait de nous extasier avec une sincérité communicative sur des bouquins qu’aujourd’hui on snoberait probablement – à tort ou à raison, ce n’est pas la question.
Être lecteur professionnel, c’est un peu oublier la magie qui préside au fait d’ouvrir un livre à la première page et à se laisser totalement emporter par son univers. C’est connaître tous les trucs et techniques de la prestidigitation, et laisser s’effriter l’innocence enfantine devant l’éblouissement de l’impossible.
Et puis, de temps en temps, un roman vient vous claquer une bonne cure de jouvence. Blam ! Un uppercut joyeux qui vous rend vos culottes courtes, vous jette à plat ventre sur votre lit pendant des heures, le menton coincé dans les mains, oubliant tout à fait que le temps autour de vous s’écoule. Vous revoilà prisonnier des pages, des images plein les yeux, vivant une de ces grandes aventures par procuration que jamais la vraie vie ne pourra vous offrir ; ouvrant en grand les portes de l’espoir, du courage, de l’amitié, de la peur, faisant battre le cœur et craindre le pire pour en cueillir le meilleur.
C’est exactement ce que je viens de vivre avec Cauchemars !, de Jason Segel et Kirsten Miller. Je le précise tout de suite, je ne sous-entends pas par là que c’est le chef d’œuvre de l’année, ni même un grand roman – en fait on s’en fout. En revanche, je constate à nouveau que c’est en littérature jeunesse que je retrouve le plus souvent ces sensations primitives qui me manquent si souvent. Déduisez-en ce que vous voulez de mon avancement mental, hein…
Quoi qu’il en soit, j’ai adoré me plonger dans le monde imaginé par les deux auteurs, que je jalouse d’ailleurs énormément pour cette idée géniale qu’ils développent ici : imaginez qu’il existe un Royaume des Ténèbres dans lequel s’ébattent joyeusement tous les cauchemars de l’humanité. Les sorcières côtoient les clowns maléfiques, les écureuils ou les asticots géants, les forêts ténébreuses, les cabanes hantées ou les pièces totalement noires dans lesquelles rôdent des silhouettes effroyables… C’est dans ce monde que vos mauvais rêves vous emmènent, avant de vous relâcher lorsque vous vous réveillez en sursaut, trempé de sueur et le cœur battant à tout rompre dans votre poitrine.
Imaginez encore que certaines personnes ont le pouvoir de passer tout entier de notre monde au Royaume des Ténèbres. Tout entier, c’est-à-dire physiquement, pas juste pendant leur sommeil. C’est exactement ce qui va arriver à Charlie, un gamin de douze ans pourtant tout ce qu’il y a de plus normal jusqu’alors ; mais un cauchemar récurrent, dans lequel une sorcière et son ignoble chat menacent chaque nuit de venir dans sa maison pour le dévorer, finit par tellement l’empêcher de dormir que son humeur s’en ressent et le rend profondément irascible, y compris avec son père et son petit frère Jack – et surtout avec sa belle-mère Charlotte, cette horrible marâtre qui a osé remplacer dans son foyer sa mère décédée trois ans plus tôt.
Alors, quand la sorcière profite de l’ouverture fortuite d’un portail entre le monde réel et le Royaume des Ténèbres pour venir kidnapper Jack, Charlie n’hésite pas une seconde et se lance à sa poursuite, pénétrant au plus profond du monde des cauchemars avant de partir affronter le sien, celui qui lui pourrit la vie et met en péril non seulement son équilibre, mais aussi celui du monde tout entier. Car Charlie est vraiment, vraiment très spécial…
Avec beaucoup d’humour, un art consommé du suspense et une maîtrise parfaite du récit, Jason Segel et Kirsten Miller s’en viennent chasser sur les terres du Stephen King de Ça. Ils le font à leur manière, sans effets gores ni scènes traumatisantes (rien de terrifiant dans ce roman destiné à de jeunes lecteurs à partir de 11 ans), en développant un imaginaire foisonnant et en exploitant à merveille l’idée centrale du livre, ce Royaume des Ténèbres où coexistent tous les cauchemars du monde. Ils s’appuient surtout sur des personnages formidables, Charlie en premier lieu mais aussi son petit groupe d’amis, tous épatants, qui viennent bientôt l’aider à mener sa quête tout en affrontant avec courage leurs propres failles.
Le message du livre n’est pas neuf – on est plus fort à plusieurs, et il vaut mieux affronter ses peurs les plus intimes plutôt que de les fuir sans cesse, sous peine de ne pas pouvoir vivre -, mais les deux auteurs le déroulent en finesse, avec ce qu’il faut d’émotion et beaucoup de drôlerie.
Jouant de références bien maîtrisées et d’un récit parfaitement fluide, Cauchemars ! s’avère aussi efficace que les premiers Harry Potter, en imposant son univers en toute évidence. Si cette histoire s’achève entièrement, la porte est ouverte pour une suite (annoncée d’ailleurs à la fin du livre), et j’aime autant vous dire que j’ai hâte d’en refranchir le seuil aux côtés de Charlie et ses amis. Parce que ça faisait longtemps que je ne m’étais pas oublié à ce point dans un bouquin, et que ça fait un bien fou !
Cauchemars !, de Jason Segel & Kirsten Miller
(Nightmares !, traduit de l’américain par Marion Roman)
Éditions Bayard, 2017
ISBN 978-2-7470-6184-1
345 p., 15,90€
New York Odyssée, de Kristopher Jansma
Signé Bookfalo Kill
Irène, William, Jacob, Sara et George investissent New York avec toute l’énergie et l’optimisme de leurs vingt-cinq ans. En dépit des loyers exorbitants ou des difficultés à s’imposer dans leurs milieux professionnels, ils sont déterminés à mettre la ville à leurs pieds, et rien ne pourra les arrêter.
Rien, sauf peut-être cette tumeur qui affecte Irène, l’artiste de la bande, celle dont le charisme ébouriffant rayonne sur le groupe. La maladie va-t-elle changer leurs rapports amicaux et faire évoluer les jeunes gens vers des horizons insoupçonnables ? New York peut-elle seulement se conquérir ? On n’est jeune qu’une fois, et encore, comme les cinq amis vont le découvrir, pas aussi longtemps qu’on le rêverait…
Le 13 janvier dernier, la critique Olivia de Lamberterie a fait de New York Odyssée son roman de l’année. Bon, alors, on va se calmer tout de suite. Déjà, c’est débile de parler de livre préféré de l’année alors que l’année en question n’est vieille que de treize jours. Ensuite, certes, New York Odyssée est un livre solide, attachant, mais il ne bouleverse en rien ce que l’on connaît déjà du roman new yorkais, voire américain de manière plus large. Pour ma part, environ deux mois après l’avoir lu, il ne m’en reste d’ailleurs pas grand-chose.
Point fort du live à mon sens, Kristopher Jansma prend le temps de poser chacun de ses personnages, de cerner leurs personnalités, d’exprimer leurs caractères avec une volonté de totalité louable quoique un peu trop appliquée. Surtout que certains de ses héros n’échappent pas aux clichés, à l’image de Jacob, le poète homosexuel extraverti. Néanmoins Jansma parvient à restituer leur profondeur, leur humanité ; et si cette odyssée new yorkaise tient la route et la longueur (même si quelques pages en moins ne m’auraient pas manqué), c’est avant tout grâce à cette réussite, car leurs « aventures » ont moins d’intérêt que la manière dont ils les abordent et les pensent.
En ce sens, New York Odyssée est moins un roman générationnel qu’intemporel, car son récit pourrait se dérouler il y a cinquante ans comme aujourd’hui ; les motivations, ambitions et déceptions de ses héros en disent moins sur leur époque que sur ce qui pousse en avant des jeunes gens idéalistes rêvant de conquérir le monde et se heurtant de plein fouet avec sa dure réalité – incarnée ici par la maladie sournoise qui frappe Irène, ainsi que ses proches par ricochet.
Puis il y a New York, bien sûr, cette ville si fascinante, chaos architectural qui ne devrait pas fonctionner et tient pourtant la route d’une manière vertigineuse ; melting pot culturel, social, ethnique ; tourbillon vital qui jamais ne s’arrête, en dépit des difficultés que ses habitants y rencontrent, à commencer par ses loyers exorbitants. Kristopher Jansma donne relief et réalité à ses murs, ses maisons, ses rues, son bruit, son agitation, et qui y est déjà allé s’y reconnaît sans problème.
New York Odyssée est donc un bon roman new yorkais – quasi un genre littéraire en soi outre-Atlantique -, classique mais prenant grâce à la chair de ses personnages. Loin d’être le livre d’une année qui commence à peine, mais parfaitement honnête dans sa catégorie.
New York Odyssée, de Kristopher Jansma
(Why we came to the City, traduit de l’américain par Sophie Troff)
Éditions Rue Fromentin, 2017
ISBN 978-2-919547-50-0
456 p., 22€
Une affaire de trois jours, de Michael Kardos
Signé Bookfalo Kill
L’université les a liés d’une amitié qu’ils s’efforcent de faire durer chaque année, le temps d’un week-end de golf, alors que leurs parcours respectifs et leurs aspirations les ont éloignés. Cette fois, c’est Will, ingénieur du son et musicien ayant décidé avec sa femme de vivre loin de la folie de New York après un drame, qui doit accueillir Nolan, homme politique en pleine ascension qui brigue un poste de sénateur, Jeffrey, informaticien opportuniste qui a fait fortune dans la Silicon Valley, et Evan, l’avocat ; mais ce dernier, débordé par une énième affaire urgente, doit renoncer à rejoindre ses amis.
Mais le week-end d’agrément dérape très vite. Sur un coup de tête inexplicable, Jeffrey kidnappe la jeune caissière d’un drugstore où le trio s’est arrêté. Lorsque Will et Nolan réalisent ce qu’il a fait, il est trop tard pour libérer la jeune fille. Ils la conduisent donc dans le studio d’enregistrement où travaille Will, désert pour le week-end, le temps de décider quoi faire ensuite. Débute alors un huis clos où vont s’étaler au grand jour rivalités et rancœurs depuis trop longtemps enfouies…
Première traduction de l’Américain Michael Kardos en France, Une affaire de trois jours est une bonne surprise proposée par la Série Noire de Gallimard. Pas une révolution, non, loin de là, mais tout de même un très bon suspense psychologique, dont la grande force réside, comme souvent dans ces cas-là, sur ses personnages.
Élaboré à coups de flashbacks habilement distillés, privilégiant l’avancée de l’intrigue au respect de la chronologie, l’historique de l’amitié des quatre protagonistes se dévoile peu à peu. Une amitié, ou plutôt des amitiés complexes, fondées sur de bonnes comme de mauvaises raisons, mécanisme subtil que Kardos décrypte joliment, en prenant tout son temps et sans négliger aucun des personnages.
La partie contemporaine du récit commence fort avec l’enlèvement, avant de connaître un petit coup de mou lorsque les trois amis devenus complices tergiversent sur ce qu’il faut faire. Les raisons qui les poussent à séquestrer la jeune fille plutôt que de la libérer immédiatement semblent un peu ténues, même si le romancier insiste sur la sévérité effective de la justice américaine dans ce genre d’affaire. On ne peut toutefois s’empêcher de penser parfois qu’il ne devrait pas y avoir d’affaire du tout…
Puis, petit à petit, d’autres enjeux prennent le pas, la victime s’avérant peut-être moins oie blanche qu’il n’y paraissait de prime abord… Sans parler des révélations que Kardos amène tranquillement mais avec un art certain du rebondissement, jusqu’à une fin aussi maligne que cruelle et amère.
Bon polar donc que cette Affaire de trois jours, pour qui aime les romans où les personnages et leurs histoires occupent le premier plan, sans écraser pour autant une intrigue menée lentement mais sûrement.
Une affaire de trois jours, de Michael Kardos
Traduit de l’américain par Sébastien Guillot
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2014
ISBN 978-2-07-014021-3
273 p., 20€
Blake et Mortimer t.21 : le Serment des Cinq Lords, de Sente & Juillard
Signé Bookfalo Kill
Une série de vols étranges, portant sur des objets anodins, se produit à l’Ashmolean Museum juste au moment où Mortimer s’y trouve invité. Intrigué, le célèbre professeur se met à enquêter.
Pendant ce temps, de vieux amis d’université de Blake meurent les uns après les autres, mobilisant toute l’attention du capitaine du MI-5 – car ces amis, unis par un vieux secret, ne sont évidemment pas choisis au hasard…
Dans la série « c’est dans les vieux pots qu’on risque toujours de faire des soupes qui ont un vieux goût de réchauffé », voici donc le nouveau Blake et Mortimer. Et par « nouveau », j’entends « dernier paru », pas « révolutionnaire », hein.
Certains lecteurs vont même jusqu’à reprocher à cette vingt-et-unième affaire d’être trop classique, ce qui n’a pas beaucoup de sens à vrai dire. Reprocher à un Blake et Mortimer d’être classique, c’est comme reprocher à Lucky Luke de faire du cheval ou à Gaston de faire des gaffes : c’est idiot. En tout cas, tant qu’il n’est pas question de revoir les codes de la série, ce qui n’est visiblement pas le projet pour le moment.
De ce point de vue, ce nouveau tome est conforme à ce qu’on peut attendre d’un B&M : du flegme britannique, du « by jove » à toutes les sauces, du mystère épais comme le fog, une enquête tortueuse au possible qui implique le passé de Blake et la figure de Lawrence d’Arabie…
Côté scénario, Yves Sente s’en sort donc pas trop mal, dans un esprit d’enquête dénué de fantastique, plus Marque Jaune que Secret de l’Espadon, même si c’est sans surprise et un rien bavard ; la même histoire aurait bien tenu avec vingt pages de moins et avec une première partie plus énergique. Quant à la fin, elle est assez prévisible, en dépit des tours et détours qu’emprunte parfois l’intrigue pour essayer – en vain, dois-je avouer – de nous égarer.
En revanche, c’est côté dessin que j’ai eu du mal à accrocher. Bizarre, hein ? A première vue, on reconnaît pourtant bien les personnages et le dessin à la Jacobs. Sauf qu’il manque à André Juillard le sens de l’animation que le créateur de la série était capable de mettre dans ses arrière-plans et ses décors. Là, le cadre est statique, souvent d’une grande pauvreté dans les détails, et donne un rendu global décevant. Certains gros plans des personnages font assez peur aussi, notamment les yeux. Oui, Blake a les yeux bleus, mais à ce point-là, faut pas exagérer !
A la différence d’Achdé redonnant vie au trait de Morris pour Lucky Luke, Juillard fait donc plutôt bon élève à qui il manque l’inspiration pour dépasser la simple copie.
Bref, ça ressemble suffisamment à du Blake et Mortimer pour se lire sans déplaisir, ça en a plus ou moins le goût sans en avoir la pleine saveur. De quoi donner envie de relire les albums originaux d’Edgar P. Jacobs – en songeant que, oui, parfois, les meilleures choses devraient avoir une fin…
Blake et Mortimer t.21 : le secret des Cinq Lords, d’après Edgar P. Jacobs
Dessin : André Juillard / Scénario : Yves Sente
Éditions Blake et Mortimer, 2012
ISBN 978-2-87097-164-2
64 p., 15,25€
Rue Stendhal, de Yaël Hassan
Signé Bookfalo Kill
C’est l’été. Esteban s’ennuie tout seul dans son immeuble de la rue Stendhal (Paris 20e). Son meilleur ami Théo a déménagé à Marseille et il n’a personne avec qui jouer. Mais une nouvelle famille débarque, comptant trois enfants dans ses rangs, de l’aîné Bruno à la petite Emilie en passant par la gentille peste Rosalie. Puis il y a Lola, la jolie voisine qui plaît bien à Esteban, et Idriss, son deuxième meilleur copain.
Et enfin Monsieur Faure, leur vieux voisin, aimable et savant, qui décide d’embarquer la petite bande dans un jeu de pistes au coeur du cimetière du Père-Lachaise tout proche…
Voilà une bonne idée ! Avec ce sympathique petit roman, Yaël Hassan entraîne ses héros – et ses jeunes lecteurs – dans une visite de l’histoire culturelle, historique et littéraire de la France. Au fil des étapes du jeu de pistes, Esteban et ses amis découvrent en effet quelques-unes des célébrités qui dorment d’un sommeil éternel au Père-Lachaise, et avec elles, leurs oeuvres.
Jean-Baptiste Clément (l’auteur du fameux Temps des Cerises), Colette, Jules Renard et Auguste Maquet (le « nègre » d’Alexandre Dumas) figurent parmi les élus de la romancière. Celle-ci livre quelques éléments de biographie, parfois de brefs extraits de ces écrivains ; à charge pour les enfants curieux d’imiter leurs amis de papier, et de foncer à la bibliothèque ou à la librairie la plus proche pour approfondir leur savoir tout neuf !
Une jolie balade dont l’intrigue et le style, extrêmement simples, conviendront à de jeunes lecteurs, à partir de neuf ans.
Rue Stendhal, de Yaël Hassan
Editions Casterman Junior, 2011
ISBN 978-2-203-03542-3
128 p., 7,75€