Rapport d’enquête #1 : Goldorak, Alma t.2, Robin Hood t.1
Comme vous l’aurez deviné à la baisse d’activité du blog ces dernières semaines, je manque à nouveau clairement de temps pour faire vivre cet espace. Reprise du travail à plein régime (après deux ans de congé parental… pas le même rythme de vie !), vie de famille, projets personnels et autres péripéties additionnelles m’empêchent de m’investir comme avant. Sans parler d’un certain manque d’envie de continuer à le faire avec autant d’intensité que par le passé.
Pour autant, après avoir bien réfléchi à la question, je n’ai pas envie de laisser tomber tout à fait (même si l’idée m’a sérieusement traversé l’esprit). Et comme je ne manque pas de lectures à évoquer, j’inaugure un nouveau format, intitulé « Rapport d’enquête », dont l’idée est de proposer des chroniques rapides, saisies à grands traits.
Ce sera le format d’articles le plus courant dans les semaines à venir, même s’il n’est pas exclu de laisser la place à de véritables chroniques unitaires, en cas d’inspiration subite de ma part.
Par ailleurs, je travaille sur un autre type de billets, sur un sujet qui me tient à cœur… On en reparle sans doute prochainement, une fois que j’aurai trouvé le temps d’avancer.
En attendant, voici le rapport d’enquête #1, consacré à la B.D. et à la littérature jeunesse.

Goldorak
Scénario : Xavier Dorison & Denis Bajram
Dessin : Denis Bajram, Brice Cossu & Alexis Sentenac
Couleurs : Yoann Guillo
D’après l’œuvre originale de Gô Nagai
Éditions Kana, 2021
ISBN 9782505078463
168 p.
24,90 €
La guerre entre les forces de Véga et Goldorak est un lointain souvenir. Actarus et sa sœur sont repartis sur Euphor tandis qu’Alcor et Vénusia tentent de mener une vie normale. Jusqu’au jour où, issu des confins de l’espace, surgit le plus puissant des golgoths de la division ruine : Hydragon.
Les armées terriennes sont balayées et les exigences de la dernière division de Véga sidèrent la planète ; sous peine d’annihilation totale, tous les habitants du Japon ont sept jours pour quitter leur pays et laisser les forces de Véga coloniser l’archipel.
Face à cet ultimatum impossible, il ne reste qu’un dernier espoir, le plus grand des géants… Goldorak.
En bon quarantenaire nourri des dessins animés mythiques des années 70 et 80, je place Goldorak en pièce angulaire de mon enfance télévisuelle. S’attaquer à ce monument, c’était menacer le fondement de mes rêves de gamin. Mais Dorison et ses acolytes sont faits du même métal, et c’est avec le plus grand sérieux qu’ils ont entrepris ce qui est plus qu’un hommage à Goldorak : une véritable suite de l’anime, voire une deuxième fin parfaitement honorable.
Cela leur a pris quatre ans de travail acharné, mais leurs efforts et leur profond respect pour l’œuvre originale de Gô Nagai rayonnent sur chacune des 168 pages de cette bande dessinée exceptionnelle. Tout y est : le design, à la fois respecté et d’une modernité éblouissante ; le caractère complexe des personnages ; des scènes d’action à couper le souffle ; de l’humour pour lier le tout ; et, surtout, une magnifique réflexion sur l’héroïsme, ses grandeurs, ses périls et ses conséquences parfois funestes.
Une réussite totale, qui réjouira les connaisseurs de Goldorak tout en s’ouvrant à ceux qui n’ont pas grandi avec le robot géant, grâce à une remise en contexte parfaitement réussie au début de l’album, et une composition scénaristique impeccable.

Alma t.2 : l’Enchanteuse
Timothée de Fombelle
Éditions Gallimard-Jeunesse, 2021
ISBN 9782075160612
432 p.
19 €
Illustrations de François Place
À partir de 12 ans
1787. Alma et Joseph ont rejoint Saint-Domingue sur les traces du navire La Douce Amélie et de son insaisissable trésor. Mais Alma n’a qu’un seul but : retrouver Lam, son petit frère.
Dans les plantations de canne à sucre, les champs de coton de Louisiane, parmi les milliers d’esclaves qui se battent pour survivre, la jeune fille poursuit sa quête tandis que Joseph traverse à nouveau l’Atlantique.
On parle d’abolition à Londres. En France, le pouvoir de Versailles commence à vaciller.
En se séparant, les chemins d’Alma et Joseph leur rappellent à chaque instant tout ce qui les unit.
J’ai déjà parlé sur ce blog de la difficulté d’évoquer le deuxième tome d’une trilogie, par essence coincé entre un premier volume dont on doit prendre soin de ne pas trop déflorer l’intrigue et les mystères, et un troisième qui viendra conclure en beauté (ou pas…) l’ensemble de sa vaste histoire.
Je ne vais donc pas trop m’étendre sur cette suite d’Alma, la première trilogie de Timothée de Fombelle, sinon pour dire que le romancier reste à la hauteur de son très ambitieux projet – même si, à l’occasion, et pour la première fois dans l’œuvre admirable de cet écrivain que j’adule, j’ai senti passer quelques petites longueurs. Peut-être est-ce parce que j’avais relu le premier tome juste avant de me plonger dans celui-ci, et que cela faisait beaucoup d’Alma d’un coup…
Peut-être, aussi, est-ce la « faute » de cette narration au présent de l’indicatif que Timothée a décidé de retenir cette fois, et qui me semble affaiblir légèrement le souffle et la puissance naturelle de son écriture. Ceci doit être considéré comme une réserve particulièrement subjective : j’ai un problème global avec le présent de l’indicatif dans les romans, qui me semble nécessiter un redoublement d’effort et d’intensité de la part de l’auteur pour sublimer la narration.
Rien de rédhibitoire, néanmoins, et certains passages sont éblouissants, tandis que la quête des différents héros de cette fresque aussi courageuse que nécessaire sur l’esclavage (et le combat pour l’abolition de cette dernière) prend de plus en plus de force et d’épaisseur.
Nul doute que les jeunes lecteurs, à qui cette œuvre s’adresse en priorité, apprendront beaucoup de cette sinistre page d’Histoire de l’humanité, et qu’ils en tireront, entraînés par la conviction et l’empathie de Timothée de Fombelle, les meilleures leçons pour tracer leur propre chemin vers la compréhension et le respect des autres, quels que soient leurs origines, leurs couleurs de peau et leurs croyances.
On attend, bien entendu, la suite et la fin d’Alma avec la plus grande impatience… Rendez-vous en 2023 !

Robin Hood t.1 : hacking, braquage et rébellion
Robert Muchamore
Éditions Casterman, 2021
ISBN 9782203218215
288 p.
12,90 €
Traduit de l’anglais par Faustina Fiore
À partir de 11 ans
Robin a douze ans lorsque son père est emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis, piégé par Guy Gisborne, un mafieux aussi puissant que véreux. Devenu lui aussi la cible du terrible malfrat, Robin s’échappe de justesse et trouve refuge dans la dangereuse forêt de Sherwood.
Avec ses talents de hacker et son don pour le tir à l’arc, Robin pourrait gagner la confiance des hors-la-loi peuplant ce territoire hostile… et même se venger du plus grand criminel de Nottingham !
Sans surprise.
Robert fait du Muchamore, il le fait très bien, et ça fonctionne. Sans égaler cependant, et encore moins surpasser l’invraisemblable efficacité de Cherub, la série d’espionnage au très long cours (17 volumes, plus sept volumes du prequel Henderson’s Boys) qui a rassemblé un lectorat aussi large qu’hétérogène en frappant droit dans l’air du temps, avec ses héros à la fois extraordinaires et si proches, par leur langage, leurs erreurs et leurs adolescences compliquées, de leurs jeunes lecteurs.
L’idée de départ avait de quoi exciter autant qu’inquiéter : proposer une réécriture contemporaine de Robin des Bois, en faisant de ce héros si emblématique de la culture anglo-saxonne un jeune garçon, forcé de rejoindre la clandestinité pour tenter de sauver l’honneur de son père injustement emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis.
Tous les ingrédients attendus de l’histoire y sont, à commencer par ses personnages incontournables (Robin bien sûr, mais aussi Marian Maid, Little John, l’infâme Guy Gisborne…), même s’ils sont joyeusement réinventés par le romancier anglais. Lequel ajoute à la recette ses propres petits trucs, dont une connexion avec Cherub (via un gang de motards bien connus des agents du pensionnat secret).
Et donc, ça marche très bien, porté par le sens du rythme et du suspense de Muchamore, son art pour camper des ados crédibles et en même temps capables de se sublimer de manière flamboyante, des scènes d’action qui décoiffent, ce qu’il faut de bons sentiments et d’appels au rejet instinctif de ses lecteurs pour l’injustice.
Rien de nouveau sous le soleil, mais quand c’est bien fait, il y a de quoi se laisser faire. On verra si on tient jusqu’au bout des sept volumes annoncés à suivre…
À première vue : la rentrée Les Escales 2021
Intérêt global :
Première occurrence ici pour les Escales ! Un éditeur dont le catalogue m’est peu familier, dois-je l’avouer, mais dont un titre au moins me fait gentiment de l’œil en cette rentrée 2021.
Une raison comme une autre de lui faire une place dans la rubrique « à première vue », en espérant y faire de belles rencontres.
Nous vivions dans un pays d’été, de Lydia Millet
(traduit de l’anglais (États-Unis) par Carole Bouet)

En été, dans une maison de vacances au bord d’un lac, douze adolescents étonnamment matures ainsi que leurs parents passent leurs journées dans une torpeur où se mêlent alcool, drogue et sexe.
Lorsqu’une tempête s’abat sur la région, les jeunes gens quittent les lieux en laissant là ces adultes dont l’inaction les exaspère et les effraie.
C’est le premier titre de l’Américaine Lydia Millet aux Escales, après plusieurs publications au Cherche-Midi et aux éditions Autrement.
Les aquatiques, d’Osvalde Lewat
Vingt ans après la mort de sa mère, l’enseignante Katmé Abbia apprend que sa tombe doit être déplacée. Son mari, Tashun, préfet de Yaoundé, voit là l’occasion inespérée de réparer ses erreurs et de donner un nouvel élan à sa carrière politique. Mais avec l’arrestation de son meilleur ami Samy, un artiste tourmenté, la vie de Katmé et les ambitions de Tashun entrent en collision.
Photographe et réalisatrice franco-camerounaise, Osvalde Lewat ajoute à sa palette artistique ce premier roman.
Ombres portées, d’Ariana Neumann
(traduit de l’anglais par Nathalie Peronny)
Récit de l’enquête familiale menée par l’auteure sur son père après la mort de ce dernier, lorsqu’elle découvre dans ses affaires des documents révélant qu’il avait vécu à Berlin sous une fausse identité pendant la Seconde Guerre mondiale.
BILAN
Lecture probable :
Nous vivions dans un pays d’été, de Lydia Millet
Lecture hypothétique :
Ombres portées, d’Ariana Neumann
Broadway, de Fabrice Caro


Éditions Gallimard, coll. Sygne, 2020
ISBN 9782072907210
208 p.
18 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
La vie n’est pas une comédie musicale.
Une femme et deux enfants, un emploi, une maison dans un lotissement où s’organisent des barbecues sympas comme tout et des amis qui vous emmènent faire du paddle à Biarritz… Axel pourrait être heureux, mais fait le constat, à 46 ans, que rien ne ressemble jamais à ce qu’on avait espéré. Quand il reçoit un courrier suspect de l’Assurance maladie, le désenchantement tourne à l’angoisse. Et s’il était temps pour lui de tout quitter ? De vivre enfin dans une comédie musicale de Broadway ?
Fabrice Caro romancier est un peu le Mister Hyde du Docteur Jekyll Fabcaro dessinateur.
Quand il pose ses crayons pour ne garder que sa plume, le peu d’angoisse existentielle qui traîne dans ses bandes dessinées envahit la page blanche et dévore le texte. L’humour absurde traîne toujours dans le coin, mais il est malmené, bousculé par une certitude permanente que la vie n’a aucun sens, et qu’en rire demande un effort quasi surhumain.
Broadway ressemble de fait beaucoup au Discours, son précédent roman (et gros succès). Prétendre que Fabrice Caro se renouvelle serait mentir. Ce nouveau livre n’est ni moins bien, ni mieux ; il est pareil.
Tout part encore une fois d’un fait relativement anodin. Dans le précédent, l’angoisse naissait du fameux discours à écrire pour le mariage de la sœur du narrateur, redoublée par l’inquiétude née de sa vie de couple « en pause », et son attente d’un message de son amoureuse mettant fin, d’une manière ou d’une autre, à l’horrible suspense sentimental.
Ici, le déclencheur, c’est une enveloppe « bleu Juan-Les-Pins », invitant Alex à passer le test de dépistage du cancer colorectal (réjouissance recommandée aux hommes à partir de 50 ans). Problème : lui-même n’a que 46 ans. Pourquoi a-t-il reçu ce courrier ? Est-ce une simple erreur ? Ou bien y a-t-il un message caché, un avertissement discret, un signe censé lui montrer qu’on ne lui dit peut-être pas tout ?
On ajoute à cela les amours (classiquement) tumultueuses de sa fille de 18 ans, un dessin obscène de son fils de 14 ans surpris par un professeur, et c’est parti pour un grand tour de gamberge, façon manège infernal de train fantôme incapable de s’arrêter.
Formellement, on retrouve le principe de chapitres assez courts, chacun introduisant une nouvelle idée ou un nouveau fait qui va nourrir les névroses du narrateur.
De même, les phrases s’étirent, longues mais très rythmées, l’accumulation de propositions contenues entre virgules illustrant la manière dont les pensées s’entrechoquent et s’accumulent sans fin dans l’esprit d’escalier du personnage.
Les ressemblances étant admises, est-ce que ça marche ? Globalement, oui.
On sourit régulièrement, on se désespère tout autant – ou, du moins, on peut se reconnaître sans peine dans ce personnage étriqué dans une vie banale, prisonnier de sa lâcheté quotidienne, incapable de se défendre face aux plus minuscules assauts de la vie, subissant de loin patron, collègues, voisins, compagnes et enfants.
Fabrice Caro n’invente rien de neuf dans son travail, certes. Il n’empêche que Broadway sonne juste, creuse un sillon authentique, signe que le texte offre une résonance sans filtre aux propres obsessions et angoisses de l’auteur, écho souvent troublant à celles du lecteur (pour peu qu’on soit du genre à se torturer un peu avec le sens de la vie).
L’humour rend le tout supportable, acceptable, de même que de très belles scènes d’échappée oniriques à Buenos Aires, qui figurent parmi les plus beaux moments du roman.
Un texte sans surprise mais plaisant, cohérent dans l’œuvre de Fabrice Caro.
p’tits cannibales lecteurs

J’en ai causé sur les réseaux sociaux, mais pas ici, c’est quand même le comble : depuis quelques jours, ce blog a un petit frère ! Un nouvel espace entièrement réservé à la littérature enfantine, depuis les livres pour les tout-petits jusqu’aux romans pour ados, en passant par les documentaires, les bandes dessinées et les albums musicaux.
Et ça s’appelle tout bêtement :

Pour savoir le pourquoi du comment de ce nouveau blog, je vous invite à vous reporter à sa présentation ici : https://ptitscannibaleslecteurs.com/about/
J’y reprendrai peu à peu la plupart des chroniques déjà publiées par ici, essentiellement sur des romans. Celles consacrées à mon chouchou Timothée de Fombelle y sont déjà largement reportées (comme par hasard).
Et j’y ajouterai plein de nouveaux articles, surtout sur des albums pour petits.
Belle découverte à ceux que ce nouveau projet intéressera !
Et, au passage, merci pour votre fidélité de manière générale :)
Rock War t.1, de Robert Muchamore
Signé Bookfalo Kill
À treize ans, Jay a un vrai don pour la musique : compositeur, parolier, guitariste, il rêve d’en faire son métier, de devenir une star. Pas facile quand on joue avec ses amis, qui n’ont pas forcément les mêmes ambitions, surtout son meilleur pote pour qui la batterie est plus un défouloir qu’un instrument rythmique…
Excellente élève, jeune fille discrète, Summer se préoccupe avant tout de l’état de santé vacillant de sa grand-mère, la seule à l’élever dans des conditions assez misérables – son père n’a jamais donné signe de vie et sa mère survit sûrement quelque part entre une cellule de prison et un squat de cocaïnomanes. Pourtant, sa voix exceptionnelle lui vaut d’être embarquée dans une drôle d’aventure avec trois filles rockeuses au tempérament de feu…
Quant à Dylan, s’il végète dans un pensionnat pour gosses de riches, il a de la musique plein la tête, mais ne veut pas perdre son temps dans des cours sans intérêt et l’orchestre d’amateurs balbutiants de son école. Brièvement contraint de s’engager dans l’équipe de rugby, il parvient à échapper à ce cauchemar et trouve par hasard un groupe prometteur parmi ses camarades…
Rien à faire, Robert Muchamore est doué. Doué pour camper des personnages d’ados plus vrais que nature, aussi bien dans leurs comportements, souvent ambivalents (jalousie, colère, folie hormonale – mais aussi amitié, générosité, enthousiasme plein d’innocence), que dans leur langage, pas forcément toujours très châtié… Doué aussi pour bâtir des intrigues efficaces et mener son récit à un rythme implacable, à base de chapitres courts et de points de vue alternés, passant de l’un de ses héros à un autre sans que jamais l’on se perde entre leurs différentes histoires.
Le romancier anglais a largement fait ses preuves dans le genre polar/espionnage avec CHERUB (qui s’achèvera l’année prochaine sur le tome 17 !) et sa dérivée Henderson’s Boys, deux séries au long cours qui ont emballé nombre de jeunes lecteurs. Le voici qui se risque à récidiver dans le domaine de la musique, confrontant ses héros autant à des épreuves de vie (les parents, les amis, les ennemis) qu’à des concerts tremplins où il faut faire ses preuves en dix minutes, tandis qu’une émission de téléréalité musicale nommée « Rock War », dévoilée à la fin de ce tome 1, devrait les entraîner vers leurs rêves de gloire…
En appliquant les mêmes recettes, Muchamore ne prend pas de risque mais réussit tout aussi bien. Le suspense est au rendez-vous, les personnages sont attachants, on a envie de savoir lequel s’en sortira, qui parviendra à ses fins, qui apprendra le plus de ses erreurs… Bref, on attend la suite avec impatience !
Rock War t.1, de Robert Muchamore
(Rock War, traduit de l’anglais par Antoine Pinchot)
Éditions Casterman, 2016
ISBN 978-2-203-09001-9
345 p., 16,90€
A première vue : la rentrée P.O.L. 2015
L’année dernière, les éditions P.O.L. avaient « écrasé » médiatiquement la rentrée avec Emmanuel Carrère et son Royaume. Le programme 2015 n’a évidemment rien d’aussi imposant, mais propose néanmoins une diversité comme cette maison singulière sait en offrir, entre des romans « abordables » et d’autres plus élaborés.
MALADIES DE SACHS : Le Présent infini s’arrête, de Mary Dorsan
Un premier roman choc, autant par son volume (720 pages) que par son sujet, largement autobiographique : comme Mary Dorsan, la narratrice est infirmière dans un appartement thérapeutique rattaché à un hôpital psychiatrique, spécialiste de l’accueil d’adolescents atteints de pathologies du lien. En une succession de chapitres courts, réalistes, parfois crus, la romancière donne à voir le quotidien de cet établissement atypique et cherche à nous rendre accessibles ces jeunes gens qui sont tout sauf fous.
ZEMMOURLAND : Au pays du p’tit, de Nicolas Fargues
Enseignant la sociologie à l’université, le héros de ce roman vient de publier un essai violemment anti-français. Le succès du livre lui vaut d’être invité à l’étranger, ce qui lui permet de profiter éhontément de ses deux passions : les voyages et les femmes, qu’il collectionne en prédateur… Un beau portrait de salopard en perspective.
RETROUVER SON RACINE : Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai
De nos jours, une jeune femme bouleversée par un chagrin d’amour se penche sur Bérénice, la pièce de Racine, et sur la vie de son auteur, pour tenter de comprendre comment ce dernier a pu aussi bien décrire la passion amoureuse. Une transposition contemporaine doublée d’une mise en abyme de l’histoire de Titus et Bérénice.
A FAIT UN LONG VOYAGE : Comme Ulysse, de Lise Charles
Enfant, Rebecca a servi de modèle à Norman Rockwell. Devenue adulte, elle épouse John Milton, un autre peintre qui rencontre un certain succès, et avec qui elle a deux enfants. Un jour, John décide d’embaucher Lou, une jeune Française, à la fois comme fille au pair et comme modèle. Mais qui est vraiment Lou ? Deuxième roman de cette jeune auteure (28 ans).
3000 façons de dire je t’aime de Marie-Aude Murail
Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un roman jeunesse et j’ai été scotchée par l’approche de Marie-Aude Murail. Bastien, Chloé et Neville sont scolarisés dans un collège d’une petite ville de province. Tous les trois se sont inscrits à l’atelier théâtre, mais ils ne sont pas dans les mêmes classes et ne s’adressent qu’à peine la parole. Une fois le bac en poche, ils se retrouvent dans l’atelier théâtral de Monsieur Jeanson, un soir par semaine après les cours à la fac. C’est à partir de ce moment précis que les trois comparses se redécouvrent et deviennent amis.
Monsieur Jeanson, vieil homme grincheux mais au coeur tendre, va les conduire tous les trois vers le concours du Conservatoire de Paris. Y arriveront-ils? Leur amitié survivra-t-elle à la compétition féroce qu’ils devront livrer contre eux-mêmes?
Marie-Aude Murail aborde sans complexe des sujets délicats avec une simplicité désarmante. L’incompréhension des parents, la misère financière, la bisexualité, l’alcool sont traités en surface mais arrivent à point nommé dans ce roman touchant. Le théâtre est le fil conducteur de ce roman et l’auteur émaille le livre de citations et d’extraits empruntés aux plus grands. Mais la raison d’être de cet ouvrage, c’est la découverte de soi, le passage de l’ado à l’adulte qui n’est pas chose aisée, le besoin éperdu d’être entouré d’amis pour passer plus facilement ce cap, que dis-je, cette péninsule!
3000 façons de dire je t’aime de Marie-Aude Murail
Editions Ecole des Loisirs, 2013
9782211212014
263p., 16€
Un article de Clarice Darling.
Nuit blanche au lycée, de Fabien Clavel
Signé Bookfalo Kill
A l’origine, ce week-end, Lana devait le passer en amoureux avec Jérémie, son petit ami venu spécialement de Hongrie pour la voir. Sauf que voilà, il a fallu qu’elle se fasse coller ! Bloquée au lycée en ce samedi après-midi, avec pour seule compagnie l’homme de ménage et la gardienne, l’adolescente parvient à faire entrer Jérémie, histoire de rendre la punition moins pénible à supporter.
Mauvaise idée : les deux tourtereaux ne tardent pas à découvrir qu’une poignée de miliciens surarmés ont investi les lieux. Pris au piège, ils vont devoir tout faire pour leur échapper, tout en essayant de découvrir la raison de leur présence…
Alors là, pour du thriller, c’est du thriller ! Sens du rythme, style énergique et personnages solidement campés en quelques mots : Fabien Clavel, par ailleurs auteur prolifique de S.F. et de fantasy, a tout compris aux règles du genre, et il les applique avec bonheur. C’était déjà le cas dans Décollage immédiat (Rageot Thriller, 2012), qui mettait en scène Lana Blum pour la première fois ; mais ce précédent roman, bien que haletant, était lesté de trop d’invraisemblances pour être totalement convaincant.
Tout fonctionne à merveille dans Nuit blanche au lycée, sorte de Die Hard pour ados – avec tout ce que cela comporte : des méchants très hargneux, des traîtres et des héros inattendus, des effets spéciaux, un peu d’humour et beaucoup d’action pour emballer une histoire simple et efficace.
Si le scénario peut paraître « énorme » sur le papier, Clavel le tient cette fois fermement encadré dans les limites du vraisemblable, et c’est là toute la différence. On y croit, on s’attache à Lana, on souffre avec elle (il faut dire qu’elle encaisse sévère) et ses compagnons d’infortune, et on tourne les pages à toute vitesse pour savoir s’ils vont s’en sortir, et comment…
Dans l’esprit de l’excellente série Cherub, Nuit blanche au lycée est un polar explosif et addictif, facile d’accès et donc susceptible de plaire à tous les ados, même ceux qui se montrent rétifs à la lecture – car comment résister au caractère bien trempé de Lana ?
A partir de 11-12 ans.
Nuit blanche au lycée, de Fabien Clavel
Éditions Rageot, collection Thriller, 2013
ISBN 978-2-7002-4311-6
198 p., 9,90€