Le Dernier inventeur, d’Héloïse Guay de Bellissen


Éditions Robert Laffont, 2020
ISBN 9782221241097
234 p.
19 €
RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020
Le dernier inventeur, c’est Simon Coencas. L’un des quatre adolescents qui ont découvert – « inventé », selon le terme consacré – la grotte de Lascaux le 12 septembre 1940. Fascinée par cette histoire, Héloïse Guay de Bellissen décide de le rencontrer, lui qui, à 91 ans, est alors le dernier survivant du quatuor.
Au fil de leurs entretiens, elle découvre à son tour qu’une vie peut prendre des tours et détours inattendus, soumise aux soubresauts de l’Histoire.
C’était un beau sujet. Encore fallait-il se montrer à sa hauteur. Héloïse Guay de Bellissen n’y parvient que de temps en temps, sans doute paralysée par l’émotion – sincère, à n’en pas douter – que font naître en elle sa rencontre avec Simon Coencas et le récit de la vie du vieil homme.
Elle le reconnaît d’ailleurs elle-même :
« Ce que me donne Simon, sa parole offerte, ses souvenirs, tout, cette forme d’offrande pure, si j’y pense trop, ça me fout en l’air. Ses mots, ce sont des cadeaux qu’il m’offre, et moi je dois en faire de l’écriture, dessiner une frise de Simon. Lui poser des questions, de plus en plus intimes, c’est difficile (…) »
Très vite, elle reste bloquée sur les deux moments clefs de cette existence : la découverte de la grotte en 1940, et l’arrestation de Simon à Paris en 1942 parce qu’il est juif, son internement à Drancy durant un mois et le destin tragique de ses parents.
L’essentiel du livre ne consiste qu’en allers-retours déconstruits entre ces deux faits, sans jamais dégager de ligne directrice ni aller plus loin qu’une approche trop superficielle de leurs significations et de leurs valeurs.

Si l’on comprend l’importance décisive de ces moments, cela ne fait ni une vie, ni un livre. Plus ennuyeux selon moi, Héloïse Guay de Bellissen laisse l’émotion de l’arrestation prendre le pas sur celle de la découverte de la grotte. J’aurais aimé en savoir plus sur les conséquences de l’invention. Quelles répercussions a-t-elle eu sur la longue existence de Simon Coencas ? Comment l’événement a-t-il été vécu à l’époque, quelle place Simon y a-t-il joué alors ? Et ensuite ?
De tout ceci, rien. À la place, la romancière choisit une narration bancale pour épaissir la sauce. Chaque chapitre ou presque commence par quelques lignes en italique : c’est la grotte qui parle, mettant plus ou moins en perspective ce qui va être abordé dans la suite du texte. Ensuite vient un extrait d’interview entre l’auteure et Simon, délivré brut. Puis une reconstitution par l’imagination d’un épisode de la vie de Simon, correspondant à l’extrait en question.
Rien ne m’a vraiment convaincu. Donner la parole à la grotte n’est qu’un truc, une ficelle, Héloïse Guay de Bellissen n’en tire aucune grandeur. À l’occasion, elle émaille même le roman de chapitres plus longs où Lascaux échange avec d’autres voix, celles de la Mort et de la Guerre. L’allégorie est boiteuse, les passages d’une naïveté confondante. C’est de l’émotion facile, bien loin de celle que j’aurais aimé éprouver en m’immergeant plus profond dans l’existence et les sentiments de Simon Coencas.

Les extraits d’interview manquent de relief, d’autant qu’ils sont à peine mis en scène. Au début du roman, l’auteure nous promet un Simon pétillant, actif, plein de vie ; on ne le ressent presque jamais lorsqu’elle lui donne la parole. Les dialogues, restitués tels qu’ils sont sortis de l’enregistreur, tombent souvent à plat, faute d’être mis en valeur.
Quant aux parties inventées, par définition risquées puisqu’elles tentent de combler les trous de l’Histoire par de la matière fictionnelle (donc dénuée de preuve ou de faits), elles restent la plupart du temps gentillettes, naïves là aussi. Sauf de temps en temps, où Héloïse Guay de Bellissen brièvement touchée par la grâce se trouve un style, s’engage dans son propos, met des sentiments dans ce qu’elle raconte.

C’est le cas par exemple lorsqu’elle reconstitue l’amitié de Simon et ses amis inventeurs, notamment Jacques, le plus proche, le meilleur copain. Il en résulte des moments joyeux, sincères, brillant d’enfance, qui conduisent assez naturellement à la découverte émerveillée de la grotte par le quatuor.
C’est le cas, encore, dans certains passages consacrés à Drancy, dans lesquels la romancière prend des risques – car on sait que fictionnaliser tout ce qui touche de près ou de loin à la Shoah est éminemment casse-gueule. Elle parvient pourtant à rester sur son fil, le plus souvent, sans pirouette ni artifice grossier.
« Ici c’est un endroit rêvé pour les cauchemars. Ils ne prennent même plus le temps de passer par le sommeil. »
D’un autre côté, elle se hasarde aussi à une scène fictive à Auschwitz, dans laquelle elle imagine que les parents de Simon se retrouvent brièvement (alors qu’ils n’y sont pas arrivés ni morts en même temps). Des retrouvailles non confirmées par Simon, en dépit de l’insistance presque gênante de la romancière à le lui faire dire – et tout aussi gênante est la scène en question, tentative de tire-larmes qui manque un peu de dignité, tout en se raccrochant avec peine à une imagerie du camp de concentration à la limite du cliché.
Du reste, de manière générale, c’est par l’écriture que je trouve Héloïse Guay de Bellissen pas à la hauteur de son sujet. Certaines formulations de la narratrice, proches de la langue orale, piquent les yeux :
« Ici, tout est suspendu. Le temps d’abord, et l’amour. Y a des gens comme ça qui se complètent. »
Cette faiblesse de langue, absolument pas justifiée dans le texte, est l’aveu d’un style dépassé par son propos. J’ai eu l’impression que la romancière ne savait pas quoi faire de sa matière, comment l’agencer, l’élaborer, puis la faire briller des mille feux sous lesquels elle aurait mérité de resplendir.
Repoussé par cette écriture trop souvent neutre, dénuée de vie, je suis resté aux portes de l’émotion, là où j’aurais voulu être emporté, galvanisé, émerveillé.
J’aurais voulu éprouver pour ce Simon Coencas de papier la même passion que celle ressentie par Héloïse Guay de Bellissen – car, encore une fois, je ne doute pas une seconde de son profond engagement pour cette histoire et pour cet homme (et pour sa femme, Gisèle).
J’aurais adoré, aussi, ressentir face aux visions de Lascaux la sidération que ce miracle doit faire naître dans n’importe quel cœur battant. Hélas, rien non plus de ce côté. Les rares descriptions sans relief des œuvres magdaléniennes ne sont hélas pas compensées par la voix sans intérêt que la romancière prête à la grotte.

Bref, vous l’aurez compris, Le Dernier inventeur est pour moi une déception, qui prouve une fois de plus que le roman biographique est tout un art, dans lequel il ne suffit pas de plaquer des faits, des extraits d’interview et des moments d’Histoire pour toucher juste. Il faut y ajouter de la vie, de la personnalité, il faut que la voix de l’auteur(e) vibre au creux du réel pour que celui-ci résonne avec force.
Tout ceci m’a manqué ici. Dommage.
HHhH de Laurent Binet
Quand HHhH est paru en 2010, je me suis jetée dessus. Avant même qu’il ne soit primé au Goncourt du Premier Roman. En effet, dans ce roman, on nous promet :
– du Héros, je cite « deux parachutistes tchécoslovaques envoyés par Londres (…) chargés d’assassiner Reinard Heydrich, chef de la Gestapo, chef des services secrets nazis, planification de la solution finale (…) »
– de l’Horreur, car Heydrich était « le bourreau de Prague, la bête blonde, l’homme le plus dangereux du IIIe Reich »
– de l’Histoire Vraie puisque, je cite, « tous les personnages de ce livre ont existé ou existent encore. »
– un récit qui tient en Haleine, car deux récits s’imbriquent l’un dans l’autre, l’Histoire emboîtée dans le quotidien de l’auteur.
Bref, beaucoup de choses sur la quatrième de couverture qui annonçaient un récit captivant. J’allais voir ce qu’un premier roman pouvait nous livrer sur un passage peu connu de l’Histoire.
Et là, je dois dire que j’ai été très impressionnée. C’est fluide, c’est simple, c’est efficace, pour un peu, je dirais que ce livre se boit comme du petit lait. Laurent Binet découpe son roman selon une alternance de chapitres. D’un côté, on suit la vie et l’apogée de Reinhard Heydrich, la « bête humaine » d’Himmler (Himmler étant lui-même bras droit d’Hitler (vous suivez?)). D’un autre, on découvre Josef Gabcik et Jan Kubis, jeunes soldats tchécoslovaques chargés de l’Opération Anthropoïde et enfin, on suit les angoisses et envies d’un auteur, tiraillé entre son envie de dire la Vérité Historique et la crainte de trop romancer son propos.
Laurent Binet fait de HHhH un petit bijou de narration. Tous les personnages, qu’ils soient nazis ou résistants, sont traités sur le même pied d’égalité. Laurent Binet connaît par coeur ce passage de l’Histoire et nous dévoile ses talents de pédagogue ainsi que d’écrivain. Il nous entraîne dans une histoire presque insensée, son écriture nous tient en haleine et on ne peut se résoudre à refermer l’ouvrage sans savoir comment se termine cette folle équipée. Le seul reproche qui puisse éventuellement lui être fait concerne les chapitres le concernant directement, en tant qu’auteur. Binet se met en scène avec peut-être un peu trop de pathos, du « Ah mon Dieu, comment vais-je faire pour vous raconter tout cela! », mais cela ne gâche rien à la narration et à l’articulation générale du roman.
HHhH ne signifie plus pour moi « Himmler’s Hirn heisst Heydrich » (le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich), mais est désormais synonyme de récit Haletant où rien n’est laissé au Hasard, un Hommage aux êtres Humains disparus pour sauver leur pays. Vraiment, Laurent Binet n’a pas volé son Prix Goncourt de Premier Roman. J’ai hâte de lire son prochain ouvrage.
HHhH de Laurent Binet
éditions Livre de Poche
ISBN 9782253157342
448 pages, 7€ 50
Un article de Clarice Darling