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Toujours + ! (un bilan de 2021)

N’étant pas très top, chiffres et classements, mais soucieux tout de même de jeter un dernier coup d’œil en arrière avant d’enchaîner avec 2022, je vous propose aujourd’hui un petit bilan de mes lectures préférées de 2021. Comme l’année dernière, mais en une seule fois, avec moins d’entrées, et seulement les coups de cœur. Une décision dictée essentiellement par le fait que ces derniers ont été plus rares cette année, plus sélectifs, alors même que j’ai lu une centaine de livres, à peu près comme d’habitude.
En faisant le point, j’ai vu quelques titres se détacher avec évidence. Les voici réunis ici, avec un lien vers la chronique qui leur a été consacrée (à une ou deux exceptions près dépourvues d’article… qui viendra bientôt ?)


Le + bouleversant : Sidérations, de Richard Powers (Actes Sud)

Mon coup de cœur majeur de 2021. Un roman profondément touchant, poignant, et en même temps d’une intelligence éblouissante, croisant avec évidence des sujets aussi divers que la neurobiologie, l’astrophysique, l’écologie, la famille, l’enfance, le deuil, la politique…
Je vous invite à voyager jusqu’au blog de l’ami Yvan Fauth, Émotions, qui a eu la gentillesse de me convier dans son top 10 en forme de regards croisés afin d’y poser quelques mots sur ce roman. Je n’ai sans doute rien écrit de mieux à son sujet que pour cette occasion, vous savez donc ce qu’il vous reste à faire !

Le + puissant : Lorsque le dernier arbre, de Michael Christie (Albin Michel)

Imparable. C’est l’adjectif qui me revient obstinément en tête lorsque je pense au deuxième roman du Canadien Michael Christie (le premier reste inédit pour le moment en France). Impossible en effet de résister à la puissance narrative et à la construction en spirale de Lorsque le dernier arbre, qui nous attrape en 2038, dans un futur proche et anxiogène terriblement réaliste, pour nous conduire au cœur du livre jusqu’en 1908, au fil de bonds générationnels passant par 2008, 1974 et 1934 ; avant de repartir dans le sens inverse par les mêmes étapes pour nous ramener, à bout de souffle et étourdis d’admiration, à la case départ.
Un immense roman de personnages, dont le cœur convoque l’ombre inspirante de John Steinbeck en personne. Une très grande découverte pour moi.

Le + polar : La République des faibles, de Gwenaël Bulteau (La Manufacture de Livres)

J’ai suivi l’année polar de loin, certes, pendant un peu plus de la moitié de l’année, avant de reprendre mon métier de libraire en septembre. Néanmoins, j’ai eu le sentiment (à tort ou à raison, à vous de me le dire en commentaire) que le genre marquait le pas. S’il assure toujours autant de ventes, c’est plus que jamais par le biais d’usines à best-sellers (Bussi, Coben, Connelly, Minier, Thilliez, Grangé…) dont l’intérêt littéraire global reste à débattre. En terme d’originalité et de renouvellement, en revanche, ça coince un peu – ou du moins, j’ai de plus en plus de mal à y trouver mon compte.
Tout ça pour dire que le premier roman de Gwenaël Bulteau fait office d’heureux contre-exemple. S’il ne renouvelle pas l’exercice du polar historique (difficile à faire, cela dit), il lui ajoute une excellente référence, sombre, nerveuse, très bien menée et sertie de personnages remarquablement campés et nuancés. Le tout à une époque passionnante (la fin du XIXème siècle, en plein tourment de l’affaire Dreyfus) et à Lyon, histoire de changer un peu de cadre. Une réussite, dont j’attends la suite avec impatience.

Le + doux : Esther Andersen, de Timothée de Fombelle & Irène Bonacina (Gallimard-Jeunesse)

Il fallait bien que je case mon chouchou quelque part dans cette liste : voilà chose faite. Et avec ce merveilleux album, pas (encore) chroniqué sur le blog, plutôt qu’avec le tome 2 d’Alma paru également en 2021, qui m’a très légèrement moins emporté que d’habitude.
Esther Andersen, donc, avec son nom de chanson de Vincent Delerm – ou d’album de Sempé.
Sempé auquel on est obligé de penser en découvrant les illustrations vivantes, bien vues et délicates d’Irène Bonacina, à l’évidence inspirée par le maître. On pourrait crier à la facilité, mais il se trouve que ce trait colle parfaitement à l’histoire ciselée ici par Timothée de Fombelle. Un récit d’enfance, d’été, de plage lointaine, d’oncle bienveillant, de balades à vélo, et de premier amour en forme de coup de foudre fugace.
Un délice absolu, tendre et poétique.

Le + joueur : Les embrouillaminis, de Pierre Raufast (Aux Forges de Vulcain)

Écrivain joueur par excellence, Pierre Raufast réinvente le roman dont vous êtes le héros, genre culte chez les jeunes lecteurs des années 80-90, dont il propose une version littéraire à la fois ludique et riche en belles réflexions, sur les choix de nos vies, sur l’amour, l’amitié, les héritages familiaux, mais aussi sur l’écriture elle-même. Un livre à lire et relire, pour en découvrir les nombreuses nuances et les surprises cachées. Jouissif !

Le + nostalgique : Goldorak, de Dorison, Bajram, Cossu, Sentenac et Guillo (Kana)

Ça aurait pu n’être qu’une récupération opportuniste, mais non. Il faut dire que le quintette à l’œuvre derrière cette somptueuse bande dessinée, à commencer par son inspirateur principal Xavier Dorison, sont des enfants des années 80. De solides quarantenaires, biberonnés aux dessins animés cultes de cette époque, au premier rang desquels l’incontournable Goldorak.
Avec la bénédiction de Go Nagai, créateur japonais du robot géant, les cinq auteurs proposent une suite et fin hyper crédible à l’anime original, mêlant action, suspense, humour, une réflexion poignante sur l’héroïsme et ses conséquences, le tout servi par un dessin moderne qui rend hommage à l’œuvre de Go Nagai tout en s’en affranchissant avec une liberté rafraîchissante.

Le + prometteur : La Tour de Garde 1 – Capitale du Sud t.1 : le Sang de la Cité, de Guillaume Chamanadjian (Aux Forges de Vulcain)

Pierre d’angle d’une double trilogie menée conjointement par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier, ce premier volet commence en douceur pour mieux envoyer du bois au fur et à mesure que le primo-romancier met en place le fabuleux décor de son histoire (la ville de Gemina, fameuse capitale du sud du titre) et les ramifications complexes des intrigues qui l’animent.
De la fantasy politique de haute volée, pleine d’idées et d’ambition, qui promet de nombreuses belles pages d’évasion dans les cinq tomes à venir. (Je n’ai pas encore lu le premier volume de Capitale du Nord, signé Claire Duvivier, mais cela ne saurait tarder !)

Le + « roman léger mais bien écrit quand même vous voyez » : Badroulboudour, de Jean-Baptiste de Froment (Aux Forges de Vulcain)

Cette question, les libraires ont appris à vivre avec depuis un paquet d’années à présent – à moins qu’elle ait toujours été posée, mais je ne me souviens pas de l’avoir si souvent entendue au début de ma carrière… Bref, de quelle question parle-t-on ? Celle que posent nombre de clients, notamment à l’approche de Noël, désireux de trouver une perle rare : un roman distrayant, voire drôle, en tout cas « léger » (le mot est lâché, faites-en ce que vous voulez), mais tout de même bien écrit, et intelligent si possible. Une sorte de graal, en somme.
Pour ma part, j’ai fini par en faire une sorte de jeu : dénicher régulièrement ce fameux livre idéal, qui peut prendre plusieurs formes, avouons-le tout de suite, et ne pas plaire à tout le monde – ce serait trop simple.
Au fil des années, dans cette catégorie, on a pu trouver par exemple Le Liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent, ou pourquoi pas En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut, voire La Vérité sur l’affaire Harry Québert de Joël Dicker (même si, pour la qualité du style, au sujet de celui-là, on repassera).
Et donc, mon chouchou de cette année, ma pépite personnelle, c’est Badroulboudour, le deuxième roman de Jean-Baptiste de Froment. Soit un livre qui, en 200 pages, réussit l’exploit de mêler un ton délicieusement piquant, de l’humour, du mystère, une rêverie érudite autour des Mille et une nuits… et de conclure le tout par un joyeux grain de folie et une histoire d’amour inattendue. Un vrai petit bonheur, en effet « léger » (quoi que cela veuille dire) et intelligent, que je vous recommande à nouveau chaleureusement.


Quelques mentions en + :

Nos corps étrangers, de Carine Joaquim (La Manufacture de Livres)
Un « presque » premier roman décapant, affirmation d’une voix aussi brute que torturée, qui mène un récit terrible sans jamais relâcher la pression, jusqu’à un final terrifiant. Auteure à suivre de très près.

Songe à la douceur et Les petites reines, de Clémentine Beauvais (Sarbacane)
Il fallait bien qu’un jour je mette le nez dans les livres de la prodigieuse Clémentine Beauvais. Bien m’en a pris de céder enfin, car ces deux lectures, pourtant très différentes, m’ont subjugué. Je vous laisse relire les chroniques correspondantes pour comprendre pourquoi.

Les grandes marées, de Jim Lynch (Gallmeister, coll. Totem)
En parlant de prendre son temps avant de lire un livre qu’on me recommandait depuis longtemps, en voici un autre bel exemple. Autant avouer que j’ai adoré me plonger (ah ah) enfin dans ce roman d’apprentissage aussi riche que chaleureux.
Pour en savoir plus, guettez le prochain rapport d’enquête du blog !


À première vue : la rentrée Grasset 2021


Intérêt global :


Après m’être dépatouillé sans trop de peine des présentations de rentrée Flammarion et Gallimard, je m’étais détendu, ravi d’aborder les programmes à la fois plus modestes en quantité et plus excitants en curiosité des petites et moyennes maisons. Hélas, j’avais oublié Grasset. (Et Stock, qui viendra plus tard – chaque peine en son temps.)
Grasset, donc. Grasset et ses quatorze nouveautés (eurk). Pour me consoler, je pourrais vous dire que nous sommes en 2021, et qui dit année impaire, dit nouveau roman de Sorj Chalandon. C’est le cas, et si les amateurs de son œuvre s’y retrouveront sans doute, je trouve ce livre curieusement schizophrène – on en reparlera en temps voulu.
On signalera aussi le transfert – étonnant à mes yeux – de Léonor de Récondo, en provenance des éditions Sabine Wespieser dont elle éclairait le catalogue depuis quelques années, et dont le nom sur la couverture jaune de Grasset me paraît anachronique. À suivre, donc.
Pour le reste… hé bien, c’est du Grasset. Soit un programme hétérogène mais assez prometteur, avec des habitués, de possibles belles curiosités (pensée émue pour Nicolas Deleau, dont j’avais adoré par surprise, l’année dernière,
Des rêves à tenir), et pas mal de titres promis à un effacement rapide des tables de librairie comme des mémoires. Le jeu classique des gros éditeurs en rentrée littéraire, en somme.


NOUS SOMMES TOUS LES ENFANTS DE QUELQU’UN


Enfant de salaud, de Sorj Chalandon (lu)

C’est du pur Chalandon. Je dirais même : sans surprise. Puisant comme souvent dans son expérience de journaliste, le romancier choisit cette fois de prendre comme cadre historique le procès de Klaus Barbie, qu’il couvrit à Lyon en 1987 pour Libération. À cette restitution souvent poignante et douloureuse, il mêle (à nouveau) l’histoire de son père, dévoilant peu à peu le passé très complexe, presque schizophrène, de ce dernier pendant la Seconde Guerre mondiale.
Jusqu’à présent, Chalandon s’était toujours refusé à choisir un journaliste comme héros-narrateur, craignant le mélange des genres et préférant éviter les codes de l’auto-fiction. La décision était bonne, il aurait dû s’y tenir : mélange des genres il y a, et cette idée de mixer le procès Barbie (sans mise en perspective littéraire de l’événement) et la vie de son père ne fonctionne pas très bien. En tout cas, le dispositif m’a paru artificiel.
Ce qui n’empêche pas le roman d’être riche de belles pages, dures et émouvantes, dont Sorj Chalandon a le secret. Et fait regretter qu’il n’ait pas focalisé sur l’histoire de son père, tellement incroyable et fascinante qu’elle aurait mérité un livre à elle toute seule.
Pour moi, il manque à ce livre la mise à distance qui avait donné toute leur force au Quatrième mur, à Mon traître et au Retour à Killybegs. Mais les amateurs de la plume cœur battant de Chalandon s’y retrouveront sans aucun doute.

Mise à feu, de Clara Ysé (en cours)

Nine, six ans, et Gaspard, huit ans, vivent avec leur mère, l’Amazone, sous l’œil de leur pie Nouchka. Mais un incendie ravage leur maison, et les deux enfants se retrouvent confiés à leur oncle, l’inquiétant Lord, tandis que leur mère prend le large vers le sud. Tous les mois, elle leur écrit la promesse de se retrouver bientôt dans un nouveau refuge d’amour. Devenus adolescents, Nine et Gaspard décident de prendre leur destin en main…
Je crois beaucoup à l’instinct. Le mien me pressait de me pencher sur ce livre qui m’intriguait autant que m’avait attiré le merveilleux Pense aux pierres sous tes pas d’Antoine Wauters (Verdier, 2018). Bien entendu, de ce que j’ai lu de Mise à feu, les deux textes n’ont rien à voir, et ce premier roman est loin d’être aussi puissant, engagé et irradiant que Pense aux pierres. Néanmoins, il s’en dégage une atmosphère singulière, tressée par une écriture soignée, qui m’incite à pousser plus loin ma curiosité pour découvrir ce que Clara Ysé cherche à dire au final.
Là aussi, on en reparle à la rentrée.

Revenir à toi, de Léonor de Récondo (en cours)

Magdalena, une comédienne réputée qui se prépare à monter sur scène à Avignon pour jouer l’Antigone de Sophocle, apprend qu’on vient enfin de retrouver sa mère, disparue depuis trente ans. Toutes affaires cessantes, elle prend le premier train vers le sud-ouest, où se cache Apollonia, prête à mettre à nu sa vie toute entière dans ces retrouvailles si attendues.
Léonor de Récondo a donc quitté son éditrice historique, Sabine Wespieser. « Fin de route artistique en commun », d’après les deux protagonistes. Ce sont des choses qui arrivent.
À la lecture des premières pages (je ne suis guère avancé, ce n’est donc qu’une première impression), je crois comprendre pourquoi. Je ne reconnais pas le style de la romancière, sa manière poétique et musicale d’empoigner son histoire dès les premières lignes pour dérouler sa partition avec une évidence lumineuse. Cela viendra peut-être au fil des pages. Je croise les doigts pour que ce soit le cas. Avis complet à suivre à la rentrée.

La Carte postale, d’Anne Berest

En 2003, l’écrivaine reçoit une carte postale anonyme sur laquelle sont notés les prénoms des grands-parents de sa mère, de sa tante et de son oncle, morts à Auschwitz en 1942. Elle enquête pour découvrir l’auteur de cette missive et plonge dans l’histoire de sa famille maternelle, les Rabinovitch, et de sa grand-mère Myriam qui a échappé à la déportation.

La France goy, de Christophe Donner

Henri Gosset, le grand-père de l’écrivain, arrive à Paris en 1892. Il rencontre Léon Daudet qui l’initie à l’antisémitisme et lui présente de professeur Bérillon, célèbre hypnotiseur. Henri devient professeur dans son École de psychologie. Il tombe amoureux de Marcelle Bernard, institutrice anarchiste.
Une saga familiale aux sources de l’antisémitisme en France et de la montée des nationalismes.


LE C(H)OEUR DES FEMMES


S’il n’en reste qu’une, de Patrice Franceschi

Une journaliste occidentale enquête sur deux membres d’un bataillon de femmes kurdes combattant Daech. Impossible, cependant, de comprendre et restituer leur dévouement inflexible à la cause, la pureté de leur engagement et la grandeur tragique de leur destin, sans se perdre à son tour. Dépassant son statut de journaliste, la narratrice se lance à corps perdu dans un voyage initiatique jusqu’au bout des plus grands idéaux, dans le chaos des guerres humaines.
Nouveau roman de l’écrivain voyageur doté d’une plume inspirée et envoûtante, et d’une finesse souvent confondante dans la compréhension de l’esprit humain.

Le Rire des déesses, d’Ananda Devi

Ce n’est pas parce que vous ne valez rien aux yeux des autres que vous n’êtes rien.
Veena est une prostituée d’une ville pauvre du nord de l’Inde. Elle a une fille de dix ans, Chinti, que toutes les femmes du quartier ont prise sous son aile – en particulier Sadhana, qui est une hijra, une femme née dans un corps d’homme.
Un swami (un homme de Dieu) tombe amoureux de la petite Chinti. Persuadé qu’elle est une réincarnation de la déesse Kali et qu’elle sera capable de le rendre lui-même divin, il la kidnappe et l’emmène en pèlerinage. Sans se douter que Veena et Sadhana, la prostituée et la hijra, les plus méprisées des créatures humaines, se lancent à sa poursuite pour le tuer et sauver Chinti…


Loin, à l’ouest, de Delphine Coulin
Le destin de quatre femmes d’une même famille sur plus d’un siècle : Georges qui porte un nom d’homme, Lucie, sa belle-fille détestée puis aimée, sa petite-fille Octavie, à la beauté étrange, et son arrière petite-fille Solange qui enquête sur son aïeule. Leurs histoires révèlent le poids qui pèse sur les femmes et comment la puissance de l’imagination peut être salvatrice.

Rien que le soleil, de Lou Kanche
Une enseignante mutée à Garges-lès-Gonesse traîne sa jeunesse sans relief. Jusqu’au jour où elle remarque l’un de ses élèves de première, et que ses s’embrasent. Affolée par l’interdit, elle finit par prendre la fuite, échoue à Marseille où elle retrouve un ami d’enfance qui lui fait découvrir les secrets d’un monde de violence dont elle ignorait tout. Jusqu’à ce que, sous le soleil brûlant de l’été, s’ouvre la perspective d’aller encore plus loin, de l’autre côté de la Méditerranée, vers la promesse d’Alger…
Comme je crains beaucoup le soleil, je vous laisse bien volontiers ce premier roman.

Jewish Cock, de Katarina Volckmer
(traduit de l’anglais par Pierre Demarty)

Je me vois déjà traduire le titre à mes clients non-anglophones… Bref, voici le monologue d’une jeune femme chez son gynécologue, où elle se livre sans détour sur sa vie sexuelle, son obsession pour les sex-toys et ses fantasmes, qui répondent aussi à une évasion loin du carcan familial et du poids de l’Histoire.


LE POIDS DE L’HISTOIRE


Delta Blues, de Julien Delmaire

Gros pavé (500 pages) que ce quatrième roman du slameur Julien Delmaire, dont j’avais lu sans grande émotion le précédent, Minuit, Montmartre.
Loin de Paris, il nous entraîne cette fois dans le delta du Mississippi en 1932, où un couple de jeunes gens noirs et pauvres s’efforce de sauvegarder la force de son amour dans une Amérique brûlée de soleil et dévorée par les flammes terrifiantes du Ku Klux Klan, sur fond de musique blues.

Les prophètes, de Robert Jones, Jr.
(traduit de l’anglais (États-Unis) par David Fauquemberg)

On reste au Mississippi mais on remonte encore un peu dans le temps, pour atterrir dans les champs de coton, ceux de la famille Halifax que cultivent des centaines d’esclaves. Si les conditions de vie sont sordides et le quotidien violent, Isaiah et Samuel ont la chance d’y échapper un peu car, responsables des chevaux de l’exploitation, ils ont le droit de dormir à l’écurie, à l’écart des autres. C’est aussi là qu’ils peuvent cacher leur amour.
Hélas, sous l’influence d’Amos, un autre esclave, la bonne parole des Évangiles se répand dans les rangs, stigmatisant plus que jamais la passion secrète des deux hommes… Et le retour du fils Halifax, qui s’intéresse bientôt de près à Isaiah et Samuel, les met encore plus en danger.
Ce premier roman vient s’ajouter à ceux, de plus en plus nombreux, qui s’emparent de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis. Preuve que cette blessure n’est pas près de se refermer – si elle peut un jour être soignée.

Le Dernier tribun, de Gilles Martin-Chauffier

On remonte encore dans le temps, radicalement cette fois, puisque nous voici à Rome, en pleine Antiquité.
Un philosophe grec, Metaxas, y relate l’affrontement épique entre Cicéron, héraut du peuple qui défend en réalité les intérêts du Sénat et de l’aristocratie, et Clodius, qui se fait élire tribun de la plèbe. Leur bataille devient plus acharnée encore lorsque le premier prend le parti de Pompée, et le second celui de César. S’ensuivent dix années de lutte féroce, jusqu’à la chute de la République romaine.
Un choix de sujet et d’époque qui a le mérite de changer radicalement de ce qu’on peut lire d’habitude.

Passage de l’Union, de Christophe Jamin

Étonnant premier roman. Il met un scène un avocat amené à défendre, lors d’un procès d’assises, un homme dont le crime s’explique par la disparition de sa sœur durant la Seconde Guerre mondiale, dans les mêmes circonstances qu’une certaine… Dora Bruder, rendue célèbre par un roman de Patrick Modiano.
Or, l’écrivain assiste lui-même au procès, et il décide d’aider l’avocat à retrouver la trace de la sœur de l’accusé. Une quête qui va les amener à s’intéresser à un certain Joseph Joanovici, un ferrailleur ayant fortune en collaborant avec l’Allemagne et plus connu sous le sobriquet de Monsieur Joseph…


BILAN


Déjà lu :
Enfant de salaud, de Sorj Chalandon

Lectures en cours :
Mise à feu, de Clara Ysé
Revenir à toi, de Léonor de Récondo

Lecture certaine :
S’il n’en reste qu’une, de Patrice Franceschi

Lecture potentielle :
Les prophètes, de Robert Jones, Jr.

Lectures hypothétiques :
La Carte postale, d’Anne Berest
Le Rire des déesses, d’Ananda Devi


Le Dernier inventeur, d’Héloïse Guay de Bellissen

Éditions Robert Laffont, 2020

ISBN 9782221241097

234 p.

19 €


RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020


Le dernier inventeur, c’est Simon Coencas. L’un des quatre adolescents qui ont découvert – « inventé », selon le terme consacré – la grotte de Lascaux le 12 septembre 1940. Fascinée par cette histoire, Héloïse Guay de Bellissen décide de le rencontrer, lui qui, à 91 ans, est alors le dernier survivant du quatuor.
Au fil de leurs entretiens, elle découvre à son tour qu’une vie peut prendre des tours et détours inattendus, soumise aux soubresauts de l’Histoire.


C’était un beau sujet. Encore fallait-il se montrer à sa hauteur. Héloïse Guay de Bellissen n’y parvient que de temps en temps, sans doute paralysée par l’émotion – sincère, à n’en pas douter – que font naître en elle sa rencontre avec Simon Coencas et le récit de la vie du vieil homme.
Elle le reconnaît d’ailleurs elle-même :

« Ce que me donne Simon, sa parole offerte, ses souvenirs, tout, cette forme d’offrande pure, si j’y pense trop, ça me fout en l’air. Ses mots, ce sont des cadeaux qu’il m’offre, et moi je dois en faire de l’écriture, dessiner une frise de Simon. Lui poser des questions, de plus en plus intimes, c’est difficile (…) »

Très vite, elle reste bloquée sur les deux moments clefs de cette existence : la découverte de la grotte en 1940, et l’arrestation de Simon à Paris en 1942 parce qu’il est juif, son internement à Drancy durant un mois et le destin tragique de ses parents.
L’essentiel du livre ne consiste qu’en allers-retours déconstruits entre ces deux faits, sans jamais dégager de ligne directrice ni aller plus loin qu’une approche trop superficielle de leurs significations et de leurs valeurs.

Si l’on comprend l’importance décisive de ces moments, cela ne fait ni une vie, ni un livre. Plus ennuyeux selon moi, Héloïse Guay de Bellissen laisse l’émotion de l’arrestation prendre le pas sur celle de la découverte de la grotte. J’aurais aimé en savoir plus sur les conséquences de l’invention. Quelles répercussions a-t-elle eu sur la longue existence de Simon Coencas ? Comment l’événement a-t-il été vécu à l’époque, quelle place Simon y a-t-il joué alors ? Et ensuite ?

De tout ceci, rien. À la place, la romancière choisit une narration bancale pour épaissir la sauce. Chaque chapitre ou presque commence par quelques lignes en italique : c’est la grotte qui parle, mettant plus ou moins en perspective ce qui va être abordé dans la suite du texte. Ensuite vient un extrait d’interview entre l’auteure et Simon, délivré brut. Puis une reconstitution par l’imagination d’un épisode de la vie de Simon, correspondant à l’extrait en question.

Rien ne m’a vraiment convaincu. Donner la parole à la grotte n’est qu’un truc, une ficelle, Héloïse Guay de Bellissen n’en tire aucune grandeur. À l’occasion, elle émaille même le roman de chapitres plus longs où Lascaux échange avec d’autres voix, celles de la Mort et de la Guerre. L’allégorie est boiteuse, les passages d’une naïveté confondante. C’est de l’émotion facile, bien loin de celle que j’aurais aimé éprouver en m’immergeant plus profond dans l’existence et les sentiments de Simon Coencas.

Les extraits d’interview manquent de relief, d’autant qu’ils sont à peine mis en scène. Au début du roman, l’auteure nous promet un Simon pétillant, actif, plein de vie ; on ne le ressent presque jamais lorsqu’elle lui donne la parole. Les dialogues, restitués tels qu’ils sont sortis de l’enregistreur, tombent souvent à plat, faute d’être mis en valeur.

Quant aux parties inventées, par définition risquées puisqu’elles tentent de combler les trous de l’Histoire par de la matière fictionnelle (donc dénuée de preuve ou de faits), elles restent la plupart du temps gentillettes, naïves là aussi. Sauf de temps en temps, où Héloïse Guay de Bellissen brièvement touchée par la grâce se trouve un style, s’engage dans son propos, met des sentiments dans ce qu’elle raconte.

C’est le cas par exemple lorsqu’elle reconstitue l’amitié de Simon et ses amis inventeurs, notamment Jacques, le plus proche, le meilleur copain. Il en résulte des moments joyeux, sincères, brillant d’enfance, qui conduisent assez naturellement à la découverte émerveillée de la grotte par le quatuor.
C’est le cas, encore, dans certains passages consacrés à Drancy, dans lesquels la romancière prend des risques – car on sait que fictionnaliser tout ce qui touche de près ou de loin à la Shoah est éminemment casse-gueule. Elle parvient pourtant à rester sur son fil, le plus souvent, sans pirouette ni artifice grossier.

« Ici c’est un endroit rêvé pour les cauchemars. Ils ne prennent même plus le temps de passer par le sommeil. »

D’un autre côté, elle se hasarde aussi à une scène fictive à Auschwitz, dans laquelle elle imagine que les parents de Simon se retrouvent brièvement (alors qu’ils n’y sont pas arrivés ni morts en même temps). Des retrouvailles non confirmées par Simon, en dépit de l’insistance presque gênante de la romancière à le lui faire dire – et tout aussi gênante est la scène en question, tentative de tire-larmes qui manque un peu de dignité, tout en se raccrochant avec peine à une imagerie du camp de concentration à la limite du cliché.

Du reste, de manière générale, c’est par l’écriture que je trouve Héloïse Guay de Bellissen pas à la hauteur de son sujet. Certaines formulations de la narratrice, proches de la langue orale, piquent les yeux :

« Ici, tout est suspendu. Le temps d’abord, et l’amour. Y a des gens comme ça qui se complètent. »

Cette faiblesse de langue, absolument pas justifiée dans le texte, est l’aveu d’un style dépassé par son propos. J’ai eu l’impression que la romancière ne savait pas quoi faire de sa matière, comment l’agencer, l’élaborer, puis la faire briller des mille feux sous lesquels elle aurait mérité de resplendir.

Repoussé par cette écriture trop souvent neutre, dénuée de vie, je suis resté aux portes de l’émotion, là où j’aurais voulu être emporté, galvanisé, émerveillé.
J’aurais voulu éprouver pour ce Simon Coencas de papier la même passion que celle ressentie par Héloïse Guay de Bellissen – car, encore une fois, je ne doute pas une seconde de son profond engagement pour cette histoire et pour cet homme (et pour sa femme, Gisèle).
J’aurais adoré, aussi, ressentir face aux visions de Lascaux la sidération que ce miracle doit faire naître dans n’importe quel cœur battant. Hélas, rien non plus de ce côté. Les rares descriptions sans relief des œuvres magdaléniennes ne sont hélas pas compensées par la voix sans intérêt que la romancière prête à la grotte.

Bref, vous l’aurez compris, Le Dernier inventeur est pour moi une déception, qui prouve une fois de plus que le roman biographique est tout un art, dans lequel il ne suffit pas de plaquer des faits, des extraits d’interview et des moments d’Histoire pour toucher juste. Il faut y ajouter de la vie, de la personnalité, il faut que la voix de l’auteur(e) vibre au creux du réel pour que celui-ci résonne avec force.
Tout ceci m’a manqué ici. Dommage.


À première vue : la rentrée Robert Laffont 2020

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Intérêt global :

ironie


À l’instar de Plon ou Fayard, Robert Laffont figure très rarement parmi les éditeurs susceptibles de retenir mon attention. J’ai donc abordé son programme avec retenue, par politesse. Et suis finalement assez surpris d’y découvrir une ou deux promesses plutôt sympathiques. Comme quoi, on n’est pas obligé de rester borné toute sa vie. Restera à voir, bien sûr, ce que cela vaut d’un point de vue littéraire.
Bon, sur les six titres annoncés, il y en a aussi des dispensables, à mon avis en tout cas. Mais je vous laisse juge, bien entendu.
Et je vous en rajoute un petit septième que vous trouverez en fin d’article. Plus pour la blague qu’autre chose – mais on a le droit d’abord.


Héloïse Guay de Bélissen - Le dernier inventeurLe Dernier inventeur, d’Héloïse Guay de Belissen

Voilà un beau sujet. Le protagoniste de ce roman est bien réel. Il s’appelle Simon Coencas, et est devenu mondialement célèbre à treize ans pour avoir découvert, avec trois amis, la grotte de Lascaux. Un « inventeur », selon le terme consacré qui sert à désigner les gens mettant au jour un trésor. Au moment où Héloïse Guay de Belissen écrivait ce livre, il était encore en vie, le dernier des quatre. Il est mort le 2 février 2020, à l’âge respectable de 93 ans. De son enfance bouleversée par l’événement, des conséquences de ce dernier, l’auteure fait le cœur de son roman, également réflexion sur les mystères de l’art préhistorique et sur l’Histoire.

Ken Follett - Le crépuscule et l'aubeLe Crépuscule et l’aube, de Ken Follett
(traduit de l’anglais)

Exceptionnellement, je ne cite pas le nom du traducteur, car, pour l’instant, le site Internet en mentionne… cinq. Sans préciser s’ils ont œuvré tous les cinq à parts égales – ce qui se fait parfois pour accélérer la traduction des gros best-sellers et donc leur parution, mais donne souvent des résultats plutôt sales en terme de cohérence et d’élégance stylistique -, ou si l’un d’entre eux a mené le travail en particulier, avec l’aide ponctuelle des autres… Bref.
Pour le reste, Ken Follett continue à tourner autour de Kingsbridge, la ville imaginaire au cœur des Piliers de la Terre, son grand œuvre, apparue depuis dans des suites ou des préquelles. Ce qui est le cas de ce nouveau roman, puisqu’il se déroule en 997. Comme d’habitude, grande saga romanesque, gros pavé, reconstitution historique soignée…

Gwenaële Robert - Never mindNever Mind, de Gwenaële Robert

Ce roman historique reconstitue l’attentat de la rue Saint-Nicaise, commis le 24 décembre 1800 et visant le Premier Consul Bonaparte. Ce dernier en réchappe, à la différence d’une vingtaine de personnes tuées par l’explosion de la charrette piégée par des conspirateurs chouans, sans parler de la centaine de blessés et des maisons détruites. Tandis que Bonaparte en profite pour décimer les Jacobins, qu’il soupçonne d’être responsables de l’attaque, Fouché, le redoutable chef de la police secrète, n’a de cesse de traquer les véritables coupables, dont Joseph de Limoëlan, rongé de remords par le désastre, en particulier par la mort d’une jeune fille payée pour surveiller la charrette…

Kiran Milwood Hargrave - Les graciéesLes graciées, de Kiran Milwood Hargrave
(traduit de l’anglais par Sarah Tardy)

En 1617, le village norvégien de Vardø perd tous ses hommes en une seule nuit de tempête. Par la force des choses, les femmes prennent le relais pour assurer leur survie. Trois ans plus tard, un certain Absalom Cornet débarque d’Écosse, en compagnie de sa femme norvégienne, et découvre ce village hors du commun. Qui, pour lui dont la mission est de traquer et de brûler les sorcières, ressemble peu ou prou à un Enfer où il convient de rétablir l’ordre de Dieu. Pendant ce temps, son épouse découvre avec stupeur que les femmes peuvent être indépendantes…
Premier roman pour adultes de cette jeune auteure, dramaturge et poétesse anglaise âgée de 30 ans.

David Fortems - Louis veut partirLouis veut partir, de David Fortems

Louis, garçon sans histoire, amoureux de littérature, fait la fierté de son père Pascal, un ouvrier qui s’émerveille de voir son fils s’affranchir de son milieu modeste avec calme et sagesse. Mais tout s’écroule le jour où Louis se jette dans la rivière et s’y noie, volontairement. Pascal, effondré, découvre que son fils n’était pas du tout le garçon qu’il croyait.
Un premier roman qui a des airs de déjà-vu, déjà-lu. Je passe.

Alain Teulié - Stella FinziStella Finzi, d’Alain Teulié

Stella est riche, Stella est brillante, Stella est mystérieuse. Stella a tout pour fasciner. Y compris son étonnante laideur. Vincent, venu à Rome pour y mettre fin à ses jours, la rencontre dans un bar et renonce à ses plans funestes pour céder à un jeu de séduction troublant.
Je ne suis encore jamais allé à Rome, ce n’est pas avec ce roman que ça va changer.

Marc Lévy - C'est arrivé la nuit9 T.1 : C’est arrivé la nuit, de Marc Levy

Si on m’avait dit qu’un jour, je mentionnerais un roman de Marc Levy dans une présentation de rentrée littéraire… Ce fait étonnant est sans doute plus dû aux circonstances exceptionnelles de 2020 qu’à une volonté d’intégrer l’un des plus gros vendeurs de France au grand cirque de la rentrée, ce qui n’aurait en fin de compte aucun intérêt pour lui. Du reste, son nouveau roman paraît fin septembre, au moment où ce que l’on considère comme la rentrée littéraire est déjà terminée.
Ce petit clin d’œil me permet néanmoins de signaler que Marc Levy se lance dans une grande entreprise, puisque C’est arrivé la nuit est le début d’une série, sobrement intitulée 9. Où l’on suivra, non plus deux personnages, un homme/une femme, comme il le reconnaît lui-même, mais une équipe de neuf héros. Neuf amis faussaires, manipulateurs ou assassins en col blanc, qui ont pour point commun d’agir dans le plus grand secret pour la justice et le bien afin de faire éclater la vérité au grand jour.
Cela ressemble à une tentative d’hommage, volontaire ou non, au roman-feuilleton populaire, avec ses héros rebelles œuvrant dans l’ombre pour le bien, et sa morale aimable… Après tout, pourquoi pas ?


BILAN


Lectures potentielles :
Le Dernier inventeur, d’Héloïse Guay de Belissen
Les graciées, de Kiran Milwood Hargrave

Lecture hypothétique :
Never Mind, de Gwenaële Robert