Articles tagués “drôle

Salut à toi ô mon frère, de Marin Ledun

Dans la famille Mabille-Pons, je demande Charles, le père clerc de notaire, et Adélaïde, infirmière. Toujours aussi fantasques et fous d’amour qu’au premier jour. J’ajoute un chien, deux chats, et six enfants pour faire bonne mesure, dont trois adoptés en Colombie. Dont Gus, le petit dernier, encore collégien. Qui a disparu. Et pour cause : le voilà accusé d’avoir participé à une drôle d’affaire de braquage, qui menace de laisser sur le carreau un buraliste flingué à bout portant. Rien d’étonnant, Gus est toujours dans les mauvais coups – sauf qu’il n’y est jamais pour rien, c’est juste qu’en bouc émissaire de choc, il se trouve toujours au mauvais endroit au mauvais moment.
Oui, mais Gus, braqueur ? Vous rigolez ? Il n’y a pas un Mabille-Pons pour y croire, et tandis que la smala fait front et corps autour d’Adélaïde métamorphosée en pasionaria furibonde, Rose, vingt-et-un ans, se lance dans sa propre enquête – d’autant plus motivée que le lieutenant Richard Personne, chargé côté condés de débusquer le fugitif, lui fait le coup des yeux doux…

Braquage, amour et morphine

Ledun - Salut à toi ô mon frèreEn 2010, Marin Ledun faisait un passage éclair à la Série Noire avec une première incursion à Tournon, Ardèche, dont le titre, La Guerre des vanités, annonçait la couleur : noir de chez noir. Huit ans et une ribambelle d’excellents romans (de la même teinte) plus tard, le voici de retour dans la célèbre collection polar de Gallimard avec une couverture rosh flashy, un titre emprunté aux Bérurier… Noir (on ne se refait pas), une nouvelle intrigue plantée à Tournon (tiens donc) – le tout pour une étonnante comédie socialo-policière qui déboîte.

Hein ? Quoi ?!? Marin Ledun, rigolo ?!? Ben oui, m’sieurs-dames, le garçon a du talent à revendre, tendance toutes catégories. On le connaît très bien en maître du noir humain et social (Les visages écrasés, En douce), en percutant analyste politique (L’Homme qui a vu l’homme, Au fer rouge) ou en expert d’un futur plus proche que jamais (Dans le ventre des mères, le méconnu mais magistral Zone Est) ; le voilà qui monte sur scène avec de l’humour par boîtes de douze, des personnages tous plus barrés les uns que les autres, et une intrigue joyeusement hirsute.
Le modèle saute aux yeux, il est même intelligemment cité dans le texte, l’ombre de la saga Malaussène par Daniel Pennac plane sur ce livre. Le bouc-émissaire, la famille déglinguée, on y est ! Mais modèle ne rime pas forcément avec copie sans imagination ; Marin a son ton bien à lui, ses propres références culturelles, plus rock et contemporaines, qu’il déroule façon tapis rouge (musique, cinéma, littérature, il y en a pour tous les goûts !), et une manière tout à fait personnelle de mener son intrigue en lui lâchant la bride, en lui faisant prendre des virages aussi serrés qu’inattendus (dont l’un où Rose, hospitalisée, découvre avec euphorie les joies de la morphine…), et en la pimentant d’une histoire d’amour délicieuse, piquante et irrévérencieuse.

Du rire, de l’amour, non et puis quoi encore !!! Allez, Marin reste Ledun, on n’est pas là que pour la blague ou le rose flashy. Au fil des péripéties foutraques de Rose et des siens, le romancier glisse son regard percutant sur notre monde, comme toujours. Cette fois, c’est le racisme facile (pléonasme) des bas du Front qui ramasse, sur fond de rumeurs imbéciles et de connerie ordinaire étalée à tous les étages de la société. L’acuité de l’écrivain est intacte, il n’y a que l’emballage qui change.

Mais, en littérature, le contenant (la forme) peut être aussi important que le contenu (le fond). Alors, cette aventure en terre inexplorée de l’écrivain landais est un cadeau précieux, autant pour ses lecteurs de longue date (j’en suis, depuis le tout premier) que pour ceux qui auront la chance de le découvrir avec ce livre. Plus que jamais, lisez Marin Ledun, l’un des auteurs français l’un des plus atypiques qui soient – et donc l’un des plus précieux, évidemment.

Salut à toi ô mon frère, de Marin Ledun
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2018
ISBN 9782072776649
276 p., 19€


Envoyée spéciale, de Jean Echenoz

Signé Bookfalo Kill

Constance ne sait pas bien quoi faire de ses dix doigts, à part peut-être se séparer de son mari. Le dit mari, Lou Tausk, est un compositeur de variétés vedette des années 80, qui peine depuis à trouver un second souffle, pas vraiment soutenu par son parolier en pleine dépression. Lorsque la première est – gentiment et poliment – enlevée en plein Paris, puis exilée au fin fond de la Creuse avec deux gardes de corps un peu épais mais serviables, leur existence s’en trouve très vite bouleversée. Et ce n’est que le début, car ceux qui tirent dans l’ombre les ficelles de ce kidnapping ont de grands projets pour Constance – sans forcément avoir mesuré correctement leurs risques et dommages collatéraux, ni bien choisi les acteurs de leurs plans…

Echenoz - Envoyée spécialeAprès une série de magnifiques récits biographiques (Ravel, Des éclairs, Courir) et un titre bref et marquant sur la Première Guerre mondiale (14), Jean Echenoz revient là où on ne l’attendait pas, avec un gros roman qui fleure bon le pastiche d’espionnage. Et il est en très grande forme ! Porté d’entrée par une délicieuse ironie, tricoté dans une langue d’une inventivité constante, Envoyée spéciale s’avère hilarant du début à la fin ; et réserve d’infinies surprises dans son intrigue, car Echenoz, s’amusant des codes du genre qu’il emprunte (du bout des doigts), multiplie rebondissements iconoclastes et bifurcations inattendues avec une jubilation communicative.

Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de lire un roman drôle et brillant, tant par le style que par le contenu. Dans le sillage de ses personnages tous plus barrés les uns que les autres – militaires complotistes pas très bien organisés, hommes de main approximatifs, victimes consentantes, j’en passe et des meilleurs -, Echenoz nous sert nombre de réflexions bien senties (sur la modulation des voix annonçant le nom des stations dans le métro parisien, par exemple, passage aussi amusant que bien vu) qui dénotent un sens de l’observation sur la nature humaine d’une finesse étourdissante. Avant de nous entraîner mine de rien jusqu’en Corée du Nord, pour un final ébouriffant qui nous offre une plongée saisissante dans ce pays où personne n’aurait vraiment envie de passer ses vacances.

Premier gros coup de coeur de 2016, Envoyée spéciale est à ne pas rater, pour ceux qui aiment et recherchent les livres intelligents qui ne se prennent pas au sérieux, surtout quand s’y ajoute une élégance littéraire d’une évidence totale. Merci monsieur Echenoz pour ce grand moment !

Envoyée spéciale, de Jean Echenoz
Éditions de Minuit, 2016
ISBN 978-2-7073-2922-6
313 p., 18,50€


Mais qui a tué Harry?, de Jack Trevor Story

Signé Bookfalo Kill

Ah, Sparroswick ! Une charmante petite bourgade perdue en pleine campagne anglaise, avec ses fougères, ses hérissons et ses lapins, ses bungalows aux noms bucoliques, sa minuscule épicerie fourre-tout, ses habitants gentiment excentriques, ses adultères forestiers… et son cadavre. Surgi sans crier gare au pied d’un arbre, il va sérieusement perturber la journée de ses voisins vivants, révéler nombre de leurs petits secrets, et surtout faire se poser sans relâche LA question : mais qui a tué Harry ?!?

Story - Mais qui a tué HarryComme beaucoup de gens en ce moment (et on peut le comprendre), vous cherchez désespérément un livre drôle ? Ne cherchez plus, vous l’avez trouvé. Véritable mode d’emploi de l’humour anglais publié en 1949, Mais qui a tué Harry ? est un festival de gags, de répliques qui tuent et de nonsense, ce ton si typiquement british qu’on envie depuis des siècles à nos voisins d’outre-Manche.

Les personnages étant nombreux, Jack Trevor Story prend d’abord le temps de les camper les uns après les autres. En résulte une série de portraits hilarants, dessinés en quelques traits mordants avec un sens épatant de la concision ironique.
Allez, pour le plaisir, un exemple :

« [Le nouveau capitaine] était un petit homme grassouillet, aux cheveux noirs et raides comme les poils d’un balai, au visage brun et sillonné de rides : une figure de loup de mer avec les yeux candides d’un bébé de trois mois ; un homme à inspirer protection à une femme, confiance à un enfant, frayeur à un lâche et inquiétude à un homme d’affaires ; un homme qui connaissait le monde comme sa poche, sans en avoir vu davantage que les reflets dans les tavernes au bord de la Tamise. (…) Le nouveau capitaine était Mr Albert Wiles, gabarier en retraite des péniches de la Tamise. » (p.13)

Déroulée sur une journée et une nuit, l’intrigue multiplie les rebondissements, les réflexions absurdes et les réactions inattendues. Simple prétexte de départ, le cadavre de Harry sert de catalyseur à une étude de mœurs provinciale, si grinçante et joyeusement macabre qu’on comprend pourquoi elle a inspiré à Alfred Hitchcock l’adaptation cinématographique de ce roman en 1955 (et ceci, même si son public ne l’a pas suivi à l’époque).
Comme dans un vaudeville de haute volée, J.T. Story le bien-nommé tient aussi le suspense jusqu’à la fin (car, oui, qui a tué Harry, bon sang ?!?), qu’il dénoue sur un ultime retournement de situation réjouissant.

Formidablement servi par la traduction de Jean-Baptiste Rossi (alias Sébastien Japrisot !), qui réussit à saisir le ton caustique si singulièrement anglais du romancier, Mais qui a tué Harry ? est un petit bijou de cocasserie, bienvenu en ces temps moroses. Plus efficace qu’une grosse boîte d’antidépresseurs et à seulement 9€, ce livre devrait être prescrit à haute dose et remboursé par la Sécurité Sociale !

Mais qui a tué Harry ?, de Jack Trevor Story
Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Rossi
Éditions Cambourakis, 2013
ISBN 978-2-36624-027-6
157 p., 9€


La Vie, de Régis de Sá Moreira

Signé Bookfalo Kill

Régis de Sá Moreira aime bien s’amuser quand il écrit. Dans Mari et femme, il imaginait qu’un homme et une femme se retrouvaient du jour au lendemain dans la peau l’un de l’autre. Narrée à la deuxième personne du singulier, l’histoire était rapportée du point de vue de l’homme coincé dans le corps de sa femme et vivant la vie de cette dernière, tout en demeurant conscient d’être un homme… (Vous suivez toujours ?)

Cette fois, il n’y pas un narrateur, mais des centaines. Véritable exercice de style, La Vie est une suite de paragraphes très courts, qui s’enchaînent selon le principe du « marabout de ficelle ». On saute ainsi d’un personnage à un autre, chacun n’existant que par une pensée, une action, un geste avant de passer le témoin au suivant. L’idée, bien sûr, étant que la fin du paragraphe précédent soit liée au personnage suivant, plus ou moins logiquement.

« Tous mes frères et sœurs me battent au baby-foot, c’est pas normal, je suis sûr que mes parents m’ont adopté…

C’est le seul que nous n’avions pas adopté. Des années plus tard il a tout découvert, il a quitté la maison et il ne nous a plus jamais parlé. C’est dur le silence pour une mère…

Pour un père ça n’existe pas. Entre ma femme et mes filles, j’ai entendu assez de paroles pour trois vies d’affilée. Reste encore la bonne… »

A l’arrivée, le livre compte 120 pages mais il pourrait aussi bien en avoir 350 ou 37. Du coup, habitués que nous sommes à une narration linéaire (début-milieu-fin), on peut en sortir un peu frustré (« oui mais c’est quoi l’histoire en fait ? »), tout en s’étant pris au jeu – parce que c’est un jeu avant tout, un jeu littéraire.

Le procédé a d’ailleurs une limite : il n’est pas évolutif. Les « personnages » se limitent à leur incarnation passagère, on ne les retrouve pas au fil des pages – ou alors, si c’est le cas, on ne s’en rend pas compte. Plus que des personnages, ce sont des fonctions : la femme trompée, le client casse-pieds à la boulangerie, le bébé en gestation, la vieille voisine qui vient de mourir… Des figures de vie telles que nous en connaissons tous, ou que nous pouvons nous-mêmes incarner, et qui se suivent dans le texte sans autre logique celle des enchaînements conçus par le romancier.

Les vignettes imaginées par Sá Moreira sont des tranches de vie, tour à tour drôles, décalées, émouvantes, inattendues. Certaines s’en limitent aux clichés. D’autres sont très bien vues. Il y a de tout. Comme dans la vie, tiens.

La vie, de Régis de Sá Moreira
Éditions Au Diable Vauvert, 2012
ISBN 978-2-84626-442-6
120 p., 15€


Le Bal d’anniversaire, de Lois Lowry

Signé Bookfalo Kill

La princesse Patricia Priscilla s’ennuie. Elle a pourtant tout pour être heureuse : une chatte qu’elle idôlatre, des serviteurs aux petits soins, bref : une vie de château dont rêvent toutes les petites filles. Mais elle s’ennuie, et à un point !…
Sans compter que, d’ici quelques jours, elle va avoir seize ans – soit l’âge, à l’occasion d’une grande fête, de rencontrer ses prétendants et de choisir l’un d’entre eux afin d’en faire son époux. Problème : ses prétendants sont tous épouvantables. D’abord, il y a le duc Desmond de Dyspepsie, qui ressemble à un phacophère et a fait interdire tous les miroirs dans son royaume afin de mieux se persuader qu’il n’est pas hideux. Ensuite, le sombre prince Percival de Pustule, qui hait tout et tout le monde hormis lui-même, et dont le passe-temps favori est de se mirer dans tout reflet à proximité de sa personne. Enfin, les comtes joints Colin et Cuthbert, des siamois attachés par le flanc, qui n’aiment rien tant que se chamailler et dire des gros mots.
En discutant avec sa dix-septième femme de chambre, la princesse a l’idée d’échanger ses vêtements avec elle et de se glisser incognito à l’école du village, comme une simple manante. Là, elle fait la connaissance de Rafe, le maître d’école…

Auteur incontournable de la littérature jeunesse contemporaine, l’Américaine Lois Lowry signe avec le Bal d’anniversaire un conte de fées drôle et enlevé. On retrouve son habileté coutumière à planter en quelques mots des décors, des personnages et des atmosphères – ici, celle d’une vie médiévale de conte, avec sa princesse candide, ses roi et reine à côté de la plaque, ses princes pas charmants et ses villageois modestes mais généreux.
L’histoire est simple et racontée avec simplicité, dans le style fluide et sobre de la romancière. On rit beaucoup, surtout aux dépens des princes, superbement ridicules – mais, au final, dûment éduqués et « récupérés ». Au terme du récit, la morale est sauve et l’issue joyeuse, dans la bonne humeur et sans aucune mièvrerie.

Si, par le passé, Lois Lowry a emmené le roman jeunesse vers des sommets supérieurs (le Passeur, chef d’oeuvre du genre), son Bal d’anniversaire est un beau petit roman, frais et joyeux. A conseiller à partir de 9-10 ans !

Le Bal d’anniversaire, de Lois Lowry
Editions Ecole des Loisirs, collection Neuf, 2011
Traduit par Agnès Desarthe
ISBN 978-2-211-20337-1
224 p., 11€


Le coup du lapin 3 d’Andy Riley

J’ai découvert les deux premiers tomes des lapins suicidaires l’année dernière. Cela m’avait valu un bon gros fou-rire et le regard amusé et compatissant du libraire.

Amateurs d’humour noir sans texte, vous allez être servis. Quand on a fini de tourner les pages de cet ouvrage, on n’a qu’une envie. En avoir encore et toujours plus à se mettre sous la dent, et savoir enfin pourquoi, oui, pourquoi, ces lapins si mignons ont décidé d’en découdre avec la vie.

On ne saura jamais la réponse, si ce n’est qu’ils font cela uniquement pour nous faire rire et on les en remercie, tout comme on remercie Andy Riley de satisfaire nos zygomatiques et de nous remonter le moral.

Mais (car il y a un mais), si Le coup du lapin 3 foisonne d’idées toutes plus saugrenues, j’estime qu’il y a une légère baisse du niveau. Est-ce parce que l’effet de surprise est passé? Est-ce parce qu’on s’habitue à l’horreur des lapinous?

Quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de sourire à leur folie auto-destructrice et leur imagination morbide toujours plus évoluée.

Le coup du lapin 3 d’Andy Riley
éditions Chiflet&Cie
ISBN 978-2-35164-147-7
160p, 14€95

Un article de Clarice Darling.