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L’Ange rouge, de François Médéline

Éditions La Manufacture de Livres, 2020

ISBN 9782358876964

512 p.

20,90 €


À la nuit tombée, un radeau entre dans Lyon porté par les eaux noires de la Saône. Sur l’embarcation, des torches enflammées, une croix de bois, un corps mutilé et orné d’un délicat dessin d’orchidée.
Le crucifié de la Sâone, macabre et fantasmatique mise en scène, devient le défi du commandant Alain Dubak et de son équipe de la police criminelle. Six enquêteurs face à l’affaire la plus spectaculaire qu’ait connu la ville, soumis à l’excitation des médias, acculés par leur hiérarchie à trouver des réponses. Vite.
S’engage alors une course contre la montre pour stopper un tueur qui les contraindra à aller à l’encontre de toutes les règles et de leurs convictions les plus profondes.


Quand je lis ici et là qu’on compare François Médéline à James Ellroy ou Dennis Lehane, je tombe des nues. Surtout le deuxième, dont j’adule la finesse, l’intelligence, la maîtrise des personnages et le style puissant – autant de qualités absentes de L’Ange rouge.
Je n’en attendais pas moins avant de commencer ma lecture, mais j’en espérais un peu plus. Surtout que le roman se déroule à Lyon, mon chez-moi depuis cinq ans.
Espoirs déçus.

The French Connection

L’Ange rouge, c’est le fantasme du polar à la française, largement daubé par trop de visionnages de films plus ou moins merdiques. Ça pue l’inspiration mal digérée, le recyclage sans génie.
Le flic solitaire bien qu’il dirige une équipe (dont tous les membres sont aussi déglingués que lui, ça va de soi). Ancien cocaïnomane, toujours sur le fil. Méthodes de voyou, aucun respect pour les procédures, intellect douteux, hanté par le souvenir de son ex et le cerveau perpétuellement tiraillé par le sexe.
Apparemment, selon Médéline en tout cas, pour faire viril, faut coller des « pédés » et des « fellations » partout. C’est un genre. Pas le mien.
On est quelque part entre Jean Reno, Olivier Marchal et Gérard Lanvin. La part mélancolique du premier, le désespoir ombrageux du deuxième et la classe animale du troisième en moins.

Et vas-y que je balance des clichés à tour de bras. Les flics vulgaires et bas du front, qui voient des « homos » partout (et dans leur bouche, ça sonne tout de suite suspect, limite dérangeant).
On sort à la campagne, c’est forcément pour tomber sur des fins de race limite consanguins, qui t’accueillent à coups de fusil quand ils ne bavent pas à chaque mot qu’ils éructent.

Au chapitre 12, l’irruption d’une psychiatre remet soudain tout d’aplomb – pour mieux mitrailler de nouveaux poncifs à peine plus relevés que les précédents.
On découvre le profil d’un tueur en série tellement vu et revu que même les scénaristes hollywoodiens en mal d’inspiration refuseraient de s’abaisser à un truc pareil – même pour ébaucher une fausse piste. Et on ajoute des symboles religieux bien lourdingues, déjà vus déjà lus qui plus est.

Bon, je me dis qu’on est seulement dans le premier tiers du bouquin.
Et ça s’arrange, après ?
Pas vraiment. Disons qu’on s’habitue. On renonce au réalisme, à la logique, à la cohérence, et on se laisse porter par les pulsions auto-destructrices des protagonistes, en espérant trouver un peu de sens au bout du chemin.

Ellroy pour les nuls

Pour faire polar, Médéline recourt au style élusif. Phrases très courtes, grammaire minimaliste, reprises martelées des pronoms personnels (« elle fait ci. Elle dit ça. Elle sort. Elle revient. »)
Ça peut faire écriture, à condition d’avoir le sens du rythme. Médéline en manque. Au lieu d’être percutant, c’est lancinant, limite chiant. Au moins c’est rapide à lire. Mais pour le plaisir du verbe, on repassera.

Sans parler des tics, des expressions reprises jusqu’à écœurement (« j’ai calibré » pour dire « j’ai regardé » ou « j’ai jaugé », je n’en pouvais plus de lire cette phrase !) Et des répétitions qui, là encore, sont censées faire style, mais qui ne sont que de vagues copies sans âme de tournures et de choix lus chez d’autres.
Ellroy sait faire ça, oui. Ou, chez nous, Jérôme Leroy, par exemple. Ici, ça sonne faux, fabriqué.

Des raisons d’espérer ?

Du côté positif, je retiendrai tout de même la manière dont Médéline assume jusqu’au bout la spirale sombre de son histoire, lui offrant un dénouement violent et explosif, et un final tout en contraste émotionnel, assez réussi.
Je retiendrai également le formidable personnage de Mamy, capitaine et bras droit de Dubak, grande carcasse qui se goinfre de sucreries et est capable de passer de l’inertie totale à la brutalité la plus sauvage en une seconde. Pour reprendre le petit jeu de la comparaison avec les comédiens, l’ombre de Corinne Masiero n’est pas loin, et ça fait du bien.

À souligner aussi, l’excellente utilisation du paysage urbain, de son décor et de son histoire. Jusqu’à présent, Lyon n’avait pas de représentant digne de ce nom parmi les plumes de polar – à la manière d’un Izzo pour Marseille, Léo Malet ou Simenon pour Paris. De sacrées références, auxquelles je ne me risquerais pas à comparer François Médéline, vous l’aurez compris.
Néanmoins, en tant qu’auteur du cru, il se lance avec L’Ange rouge dans une série littéraire dont Lyon devrait être l’héroïne récurrente, et c’est une belle pierre à placer dans son jardin.

Étant donné mes souffrances à la lecture de ce roman, je ne suis pas sûr d’être au rendez-vous du suivant. Pas mon style, pas mon trip.
Néanmoins, je suis peut-être passé à côté de quelque chose, car L’Ange rouge a ses fervents supporters. Pour vous faire une idée, je vous invite donc à parcourir les avis élogieux des blogueurs ci-dessous… et de vous faire votre propre opinion en le lisant !



Salut à toi ô mon frère, de Marin Ledun

Dans la famille Mabille-Pons, je demande Charles, le père clerc de notaire, et Adélaïde, infirmière. Toujours aussi fantasques et fous d’amour qu’au premier jour. J’ajoute un chien, deux chats, et six enfants pour faire bonne mesure, dont trois adoptés en Colombie. Dont Gus, le petit dernier, encore collégien. Qui a disparu. Et pour cause : le voilà accusé d’avoir participé à une drôle d’affaire de braquage, qui menace de laisser sur le carreau un buraliste flingué à bout portant. Rien d’étonnant, Gus est toujours dans les mauvais coups – sauf qu’il n’y est jamais pour rien, c’est juste qu’en bouc émissaire de choc, il se trouve toujours au mauvais endroit au mauvais moment.
Oui, mais Gus, braqueur ? Vous rigolez ? Il n’y a pas un Mabille-Pons pour y croire, et tandis que la smala fait front et corps autour d’Adélaïde métamorphosée en pasionaria furibonde, Rose, vingt-et-un ans, se lance dans sa propre enquête – d’autant plus motivée que le lieutenant Richard Personne, chargé côté condés de débusquer le fugitif, lui fait le coup des yeux doux…

Braquage, amour et morphine

Ledun - Salut à toi ô mon frèreEn 2010, Marin Ledun faisait un passage éclair à la Série Noire avec une première incursion à Tournon, Ardèche, dont le titre, La Guerre des vanités, annonçait la couleur : noir de chez noir. Huit ans et une ribambelle d’excellents romans (de la même teinte) plus tard, le voici de retour dans la célèbre collection polar de Gallimard avec une couverture rosh flashy, un titre emprunté aux Bérurier… Noir (on ne se refait pas), une nouvelle intrigue plantée à Tournon (tiens donc) – le tout pour une étonnante comédie socialo-policière qui déboîte.

Hein ? Quoi ?!? Marin Ledun, rigolo ?!? Ben oui, m’sieurs-dames, le garçon a du talent à revendre, tendance toutes catégories. On le connaît très bien en maître du noir humain et social (Les visages écrasés, En douce), en percutant analyste politique (L’Homme qui a vu l’homme, Au fer rouge) ou en expert d’un futur plus proche que jamais (Dans le ventre des mères, le méconnu mais magistral Zone Est) ; le voilà qui monte sur scène avec de l’humour par boîtes de douze, des personnages tous plus barrés les uns que les autres, et une intrigue joyeusement hirsute.
Le modèle saute aux yeux, il est même intelligemment cité dans le texte, l’ombre de la saga Malaussène par Daniel Pennac plane sur ce livre. Le bouc-émissaire, la famille déglinguée, on y est ! Mais modèle ne rime pas forcément avec copie sans imagination ; Marin a son ton bien à lui, ses propres références culturelles, plus rock et contemporaines, qu’il déroule façon tapis rouge (musique, cinéma, littérature, il y en a pour tous les goûts !), et une manière tout à fait personnelle de mener son intrigue en lui lâchant la bride, en lui faisant prendre des virages aussi serrés qu’inattendus (dont l’un où Rose, hospitalisée, découvre avec euphorie les joies de la morphine…), et en la pimentant d’une histoire d’amour délicieuse, piquante et irrévérencieuse.

Du rire, de l’amour, non et puis quoi encore !!! Allez, Marin reste Ledun, on n’est pas là que pour la blague ou le rose flashy. Au fil des péripéties foutraques de Rose et des siens, le romancier glisse son regard percutant sur notre monde, comme toujours. Cette fois, c’est le racisme facile (pléonasme) des bas du Front qui ramasse, sur fond de rumeurs imbéciles et de connerie ordinaire étalée à tous les étages de la société. L’acuité de l’écrivain est intacte, il n’y a que l’emballage qui change.

Mais, en littérature, le contenant (la forme) peut être aussi important que le contenu (le fond). Alors, cette aventure en terre inexplorée de l’écrivain landais est un cadeau précieux, autant pour ses lecteurs de longue date (j’en suis, depuis le tout premier) que pour ceux qui auront la chance de le découvrir avec ce livre. Plus que jamais, lisez Marin Ledun, l’un des auteurs français l’un des plus atypiques qui soient – et donc l’un des plus précieux, évidemment.

Salut à toi ô mon frère, de Marin Ledun
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2018
ISBN 9782072776649
276 p., 19€


Le Fleuve guillotine, d’Antoine de Meaux

Signé Bookfalo Kill

La Révolution française ne s’est pas tenue qu’à Paris, comme l’Histoire telle qu’elle est enseignée en accéléré tend parfois à le laisser penser. De nombreuses provinces l’ont vécue également à leur manière ; c’est le cas de Lyon, qui s’est très vite élevée contre la ligne dure prônée par les Jacobins. Républicaine mais modérée, la Capitale des Gaules ne voulait pas de la Terreur. Elle l’a payée dans le sang et la fureur, violemment réprimée par la Convention.

De Meaux - Le Fleuve guillotineC’est ce que raconte Le Fleuve guillotine, gros roman historique d’une excellente facture, qui dresse avec un luxe de détails la reconstitution dans ces quelques mois, entre le 10 août 1792 (date de la chute de la royauté, pour ceux qui somnolaient contre le radiateur au fond de la classe) et la fin 1793. J’ignorais ainsi totalement que Lyon, après s’être ralliée aux Girondins et avoir éliminé les leaders montagnards envoyés dans la ville par la Convention, avait fait l’objet d’un siège en règle, durant deux mois, d’août à octobre 1793, avant de céder, affamée et pilonnée.

Avec beaucoup d’énergie et une belle verve, notamment dans les dialogues, Antoine de Meaux plonge quelques personnages solidement campés dans ce tourbillon effarant. Il évoque avec autant de précision les batailles de rue et les grands moments historiques (l’ouverture du roman, qui relate la reddition de Louis XVI à Paris, est ainsi une entrée en matière parfaite) que les soubresauts politiques et les errances de ses héros, confrontés à des choix bien trop grands pour eux, mais qui tous affrontent leur destin en affirmant des caractères que le contexte hors norme exacerbe.

Les lecteurs peu familiers de géographie lyonnaise trouveront en fin de volume plusieurs cartes joliment dessinées, qui plantent les grands lieux du récit autant que de la région où il se déroule. Une initiative qui s’avère fort utile, car de la sorte on plonge dans l’intrigue au plus près des pavés, de la superbe place Bellecour – si riche qu’elle sera symboliquement détruite par les Conventionnels après la chute de la ville – à l’Hôtel de Ville, de la Saône au Rhône, le fameux « fleuve guillotine » du titre, ainsi nommé car un certain nombre de condamnés furent exécutés sur le pont Morand, et leurs corps balancés directement dans l’eau… Ah ça, oui, on savait s’amuser à l’époque !

Le Fleuve guillotine, d’Antoine de Meaux
Éditions Phébus, 2015
ISBN 978-2-7529-1031-8
446 p., 23€