Pur, d’Antoine Chainas

Signé Bookfalo Kill

Comment raconter Pur ? Son contenu est aussi riche que son titre est bref – et hautement ironique, car de pureté, il n’y en a pour ainsi dire pas dans ce nouveau roman d’Antoine Chainas ; ceux qui connaissent déjà l’auteur de Versus n’en seront pas étonnés. Il y a, au mieux, des « idéaux » de pureté, avec tout ce que cette expression peut véhiculer comme projets nauséabonds quand on l’applique à la politique ou à la société.
Racisme primaire ou ordinaire, suprématie de la race blanche, montée de l’extrême-droite, mouvances nationalistes dangereusement activistes, tout ceci est donc au programme de Pur, pour un polar glacé, d’une grande maîtrise, sans doute le plus accessible de son auteur, en dépit de sa dureté.

Chainas - PurPresque mine de rien, le récit taquine les codes de l’anticipation sociale, dont Sauvagerie de J.G. Ballard constitue un exemple qui aura sans doute inspiré en partie Chainas. Le romancier plante le décor dans le sud-est de la France, le cadre dans un futur proche – si proche qu’il pourrait être demain, voire déjà aujourd’hui.
Tout commence par un accident de voiture dont est victime le couple Martin. Sophia, la femme, meurt ; Patrick, le mari et le conducteur, s’en sort quasi indemne, et accuse deux Arabes au volant d’une Mercedes de l’avoir envoyé dans le décor en tirant un coup de feu sur son véhicule. Rapidement médiatisé, le fait divers embrase les esprits de la région, déjà échauffés par une série de crimes perpétrés sur des immigrés par un tireur d’élite, rebaptisé « le sniper de l’autoroute », parce qu’il abat ses victimes le long des voies rapides du coin.
Chargé de ces affaires, le capitaine Durantal soupçonne pourtant vite Patrick Martin de ne pas être aussi clair qu’il le prétend. En s’intéressant à lui, il découvre l’existence des enclosures, ces villes hyper protégées et réservées à des élites triées sur le volet, qui auraient tout intérêt à voir disparaître certains types de population défavorisée encore trop proches à leur goût de leurs supposés paradis…

Il y a aussi Julien, un adolescent coincé entre son père, surnommé le « Révérend » parce qu’il dirige en ascète moral la plus grande communauté fermée de la région, et Amandine, dont le jeune garçon est amoureux alors qu’elle joue avec lui ; ou encore Alice Camilieri, adjointe métisse de Durantal, une ambitieuse qui croit pouvoir supporter le handicap supposé de sa peau en frayant avec le maire de la ville, très porté sur la droite…
Et d’autres personnages, qui ont tous un point commun : leur existence est déchirante d’isolement et d’incompréhension. C’est là que se trouve le cœur du roman, dans le récit de cette ultra-moderne solitude qui empêche toute communication, restreint l’intelligence et mène aux pires extrémités. Comme dans Versus, Antoine Chainas parvient à nous rendre ses protagonistes, non pas attachants (ils ont peu pour l’être), mais accessibles, parfois même touchants malgré leurs dérives – ainsi de Durantal, flic obèse qui s’auto-détruit en se goinfrant, ou de Julien, élevé dans un cadre idyllique mais incapable de trouver le bonheur.

Le reflet que le romancier nous renvoie de la société, et donc un peu de nous-mêmes, n’est pourtant pas flatteur ; c’est là qu’il est le plus marquant, parce qu’il nous confronte au mal que nous faisons, à la peine que nous créons, avec un regard d’une acuité impitoyable. Épuré, lui, pour le coup, le style de Chainas fait de chaque phrase un coup de couteau qui déchire le voile des conventions, tourne et retourne dans la plaie du mal. Il frappe d’autant plus fort qu’il est débarrassé des dérives inutiles qui encombraient ses précédents romans, allant droit au but, jusqu’à un final forcément terrible.

Sans chercher à délivrer de message, Chainas accomplit ce que le roman noir peut faire de mieux : scruter à distance le monde pour en révéler les troubles et les dangers que nous créons. A ce titre, Pur est une réussite aussi totale qu’effroyable, ancré dans son époque, et l’exemple même qu’un polar peut rayonner d’intelligence et s’avérer une lecture indispensable.
C’est enfin, et c’est la meilleure des nouvelles, le grand retour d’Antoine Chainas. Tant mieux.

Pur, d’Antoine Chainas
Éditions Gallimard, coll. Série Noire, 2013
ISBN 978-2-07-014099-2
306 p., 18,90€

Ils ont aimé aussi et en ont beaucoup à dire : Hannibal le Lecteur, Unwalkers

7 Réponses

  1. Merci de me faire découvrir ce roman avec cette superbe chronique.
    Je note sur mes tablettes !

    25 septembre 2013 à 06:19

    • Avec plaisir ! Une expérience à tenter, surtout si tu ne connais pas encore Chainas.
      Bonne lecture !
      Cannibalement,
      B.K.

      25 septembre 2013 à 08:29

  2. alexmotamots

    Un titre bien trouvé, apparement.

    26 septembre 2013 à 18:20

  3. Bad chili

    Bof, pour moi un roman pas très original et assez bancal. Deux personnages plutôt intéressants, Patrick Martin et surtout le flic Durantal. Par contre, la flic, le gourou etc. Ça dénote trop avec le reste qui a une tonalité réaliste. J’ai pas eu non plus l’impression que Chainas apportait grand chose sur les questions du nationalisme et encore moins sur l’isolement (Le Ballard il date de la fin des années 80 quand même et y’avait déjà tout ça). Bon sinon y’a aussi des livres que j’aime bien, hein ! Le Harry Crews inédit chez Sonatine est très chouette :)

    8 octobre 2013 à 00:09

    • C’est vrai que Durantal est mon préféré des personnages de ce roman. Après, j’ai trouvé la fliquette intéressante également.
      Mais tu as raison en disant que Chainas n’apporte pas forcément grand-chose de nouveau sur le sujet – notamment par rapport à Ballard ; mais je trouve néanmoins qu’il l’a bien mené, en s’emparant avec acuité de peurs irrationnelles et de réflexes racistes, qui se développent dans notre pays d’une manière de plus en plus flagrante.

      En revanche, ce qui est intéressant, c’est de repenser à un livre plusieurs jours ou semaines après l’avoir terminé, et se demander si l’on reste aussi enthousiaste ou pas une fois que ce temps s’est écoulé. Hé bien, pour « Pur », je me rends compte que c’est déjà moins le cas en ce qui me concerne… Des images me restent, des impressions assez fortes, mais pas autant que celles de « Versus ».

      Comme quoi, quand on est chroniqueur, on devrait peut-être écrire une critique à chaud, puis en refaire une un mois plus tard, sans relire la précédente, histoire de vérifier si l’on est toujours en accord avec soi-même… Je pense qu’on aurait parfois de drôles de surprises !!!

      Oh, tu as déjà pu lire le Harry Crews ? Veinard ! Je l’attends avec impatience :)

      8 octobre 2013 à 09:34

  4. C’est sûr que les résonances avec la situation actuelle de notre pays sont nombreuses et c’est d’ailleurs ce qui m’a plu dans le premier quart du bouquin. Mais le coup de la « secte », la flic qui butte son collègue, tout ça… j’ai trouvé ça un peu trop « over the top ». Oui, Versus est de loin son meilleur je trouve. Le Harry Crews est vraiment bien ! Y’a des moments vraiment formidables. C’est émouvant, pathétique, poétique, triste, grotesque… tout ça à la fois :)

    8 octobre 2013 à 20:35

    • Oh là là, j’ai encore plus envie de lire ce Harry Crews !!! Je crois que je vais arrêter de dormir, ce sera plus simple ;-)

      13 octobre 2013 à 11:00

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