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COUP DE CŒUR : Le Sanctuaire, de Laurine Roux

Éditions du Sonneur, 2020

ISBN 9782373852158

147 p.

16 €


RENTRÉE LITTÉRAIRE 2020


Le Sanctuaire : une zone montagneuse et isolée, dans laquelle une famille s’est réfugiée pour échapper à un virus transmis par les oiseaux et qui aurait balayé la quasi-totalité des humains. Le père y fait régner sa loi, chaque jour plus brutal et imprévisible.
Munie de son arc qui fait d’elle une chasseuse hors pair, Gemma, la plus jeune des deux filles, va peu à peu transgresser les limites du lieu. Mais ce sera pour tomber entre d’autres griffes : celles d’un vieil homme sauvage et menaçant, qui vit entouré de rapaces. Parmi eux, un aigle qui va fasciner l’enfant…


J’aurais pu dévorer ce livre à toute vitesse. Me laisser happer par sa puissance et jeter au sol en quelques minutes, sonné par tant de force et de beauté.
J’ai préféré prendre mon temps. Rester un peu au Sanctuaire, étourdi par la grâce infinie de ses paysages, de sa rudesse, de ses personnages.
J’ai préféré accepter la patience et la lenteur pour mieux apprécier le merveilleux agencement des mots, des phrases et des idées qui coulent de la plume de Laurine Roux, torrent de douce violence entre ciel et terre, entre montagne et forêt, entre un homme et trois femmes.

Au sujet d’Une immense sensation de calme, j’écrivais ceci : « Aux premières phrases on a déjà compris. Il lui suffit de peu pour imposer son regard. »
Je pourrais citer la suite de la chronique et n’en rien retirer, tant Le Sanctuaire confirme sans faiblir ce que le premier roman de Laurine Roux laissait espérer. Non seulement quelques mots lui suffisent pour cadrer un décor, cerner une personnalité ou pénétrer la complexité d’un esprit, mais il faut en plus admirer la manière dont la jeune romancière les manie, les associe, pour créer des images et des sensations littéraires inédites et renversantes.

« Ses mots sont pâles et vert d’eau, ils neigent autour de mes épaules, flocons d’or, akènes que je voudrais rassembler par brassées, comme j’étreindrais Maman qui s’enfuit, éparpillée par le vent, si plume, si légère, plume de chouette, bout de papier. »

Par cet art si délicat du peu pour dire beaucoup, elle rejoint le petit clan de mes auteurs favoris. Les Sorj Chalandon, les Timothée de Fombelle , qui conjuguent avec évidence puissance et intelligence, émotion et dévastation.

Le Sanctuaire est aussi un examen subtil et contrasté du cercle familial et de ses possibles violences. En équilibriste des sentiments, les extrêmes comme les plus doux, l’auteure capte dans un même mouvement de compréhension la cruauté et l’amour, l’intelligible et l’insupportable, dans un ballet dont les figures masculines ne sortent pas grandies.

Avec une patience impitoyable, Laurine Roux ébrèche son lecteur, comme les secousses successives d’un tremblement de terre qui vient de très loin, très profond, pour achever de le fendre dans les ultimes pages, effaré par la réalité qui se dessine alors, mais aussi bouleversé par le mouvement de résilience qui s’ébauche alors.

Je ne peux en dire plus, sous peine de déflorer ce que la romancière brille à révéler, dans la juste économie de ses 150 pages. Tout juste puis-je ajouter qu’elle recourt à nouveau au prétexte post-apocalyptique, évoqué dans le résumé, pour mieux parler d’autre chose, et s’offrir un cadre idéal pour l’histoire qu’elle veut réellement raconter.
Si l’évocation du virus mondial vous effraie, vous agace ou vous fait soupirer (on a déjà donné cette année, merci beaucoup), je vous en prie, je vous en supplie, ne vous arrêtez pas à ce qui n’est qu’un détail, et pas du tout le sujet du livre.

Vous passeriez à côté d’un des grands livres de la rentrée, et de la confirmation du talent exceptionnel de Laurine Roux, à coup sûr une auteure à suivre désormais avec passion et impatience.


Lecture en cours : « Le Sanctuaire »

Je n’ai pas eu le temps, comme je le souhaitais, de terminer pour aujourd’hui la lecture du Sanctuaire, le deuxième roman de Laurine Roux (Une immense sensation de calme, formidable).
D’un autre côté, je ne veux pas me précipiter, car j’aime autant vous avouer qu’un deuxième coup de cœur est largement en formation de mon côté. Et un coup de cœur, ça ne se saborde pas sous prétexte d’être dans les temps pour publier un article !

Alors, pour patienter, un petit extrait :

Dehors, les étoiles mouchettent les encres de la nuit. Le temps est clair, la lune franche. J’entre dans la forêt au pas de course, les joues mentholées par le froid. Les nuages de vapeur rythment ma course. (…)
En haut, anguleuses et blafardes, les caillasses ont des raideurs de cadavre. Sous la lune, leurs ombres projetées forment une armée de petits soldats. Je lève les yeux vers la falaise qui se dresse, coiffée de la voûte céleste. Mon adversaire est là-haut, tapi dans cette vague de pierre où sédimente une infinité de fossiles, reliques d’une ère avant le premier homme, rejeton que la falaise a vu naître et mourir tandis qu’elle demeurait là, triomphante, capable d’écraser d’un postillon le moindre de ses descendants.

A très bientôt pour la chronique Cannibale !